Exercer dans une maison de santé pluriprofessionnelle ? - Clinic n° 06 du 01/06/2010
 

Clinic n° 06 du 01/06/2010

 

ENQUÊTE

Anne-Chantal de Divonne  

Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), qui regroupent des professionnels de santé libéraux, sont en plein développement, encouragées par les collectivités locales, les organismes de protection sociale et les pouvoirs publics. Elles sont perçues comme un moyen de maintenir une offre de santé suffisante et de qualité tout en améliorant les conditions d’exercice des professionnels de santé. Les chirurgiens-dentistes y ont-ils leur place ?

Colette Souyris n’est pas enthousiaste lorsque la mairie de Salles-Curan, en Aveyron (1 060 habitants), lui propose en 2006 de rejoindre la dizaine de professionnels de santé qui se lancent dans la création d’une maison de santé rurale. Pourquoi changerait-elle de lieu d’exercice alors que le cabinet dentaire installé depuis 25 ans dans son propre logement lui convient très bien ?

Et pourtant, l’idée fait son chemin. Elle le sait : lors de son départ à la retraite, le cabinet dentaire de Salles-Curan disparaîtra. Rejoindre le groupe de praticiens pourrait favoriser l’installation de jeunes diplômés en dentaire… Finalement, elle rejoint le groupe de travail de 10 professionnels de santé qui s’est constitué autour d’un médecin-conseil de la Mutualité sociale agricole (MSA). Celui-ci apporte son appui logistique et technique au projet mené par un médecin local et soutenu par la commune.

« Créer cette maison, ce n’était pas seulement concevoir un bâtiment. Nous avons aussi travaillé ensemble sur la prise en charge globale du patient, sur différentes maladies. C’était très intéressant. Deux années de travail en commun avant même notre installation ont soudé notre équipe », raconte Colette Souyris. La maison ouvre en juillet 2008 avec deux nouvelles recrues, une esthéticienne et une psychologue. Les locaux sont mis à disposition par la mairie pour un loyer assez faible et fonction de l’occupation des lieux. Colette Souyris occupe 75 m2 au 1er étage, dans lesquels elle a installé deux salles de soins, un dispositif de stérilisation, une salle de radiologie équipée d’une panoramique ainsi qu’une salle d’attente pour ses propres patients. Petite entorse à la règle d’une salle d’attente commune prévue au départ ! Bien compréhensible pourtant quand son cabinet se trouve à l’étage alors que l’attente est au rez-de-chaussée… Pour l’ensemble, elle s’acquitte d’un loyer de 500 euros par mois, chauffage compris. Une société civile de moyens (SCM) est créée, le secrétariat est commun. La maison abrite aussi trois logements (deux T2 et un T5) réservés exclusivement à la maison qui y accueille les remplaçants et les stagiaires.

Confort de travail

Les réticences du début ont disparu. Colette Souyris est aujourd’hui un personnage moteur du regroupement dont elle apprécie les avantages. Avec deux cabinets de soins et la possibilité de se faire remplacer facilement pendant 1 mois l’été grâce aux logements, elle a gagné en confort de travail. En même temps, le concept plaît aux patients qui se pressent de plus en plus nombreux dans la maison. À tel point d’ailleurs que la praticienne songe à prendre un associé, même si sauter le pas après 32 ans d’exercice en solo n’est pas simple…

Et puis, avec les autres professionnels de santé, les relations sont facilitées et permettent un véritable travail d’équipe, notamment autour de certaines pathologies. L’équipement du cabinet dentaire et sa proximité « permettent d’éviter des déplacements et rendent possible entre nous une discussion autour des problèmes dentaires spécifiques à certaines pathologies (par exemple le diabète) », expliquait il y a quelques mois François Ducamp, le généraliste à l’origine de la maison. Il est aussi prévu de mettre en place un dossier médical partagé pour les patients atteints de diabète. La maison tisse également des liens au-delà de ses murs. Un réseau de santé a été constitué avec les professions de santé qui n’en font pas partie pour, par exemple, mener des actions de prévention. Et ce réseau est appelé à s’ouvrir à des professionnels d’autres villages.

Le vent en poupe

Le cas de la maison médicale de Salles-Curan illustre bien les arguments avancés en faveur du développement de maisons pluridisciplinaires : une arme contre la désertification et une amélioration de l’organisation des soins. D’autres exemples sont aussi frappants. Celui de la maison médicale du Breuil, qui appartient à des libéraux et qui fonctionne depuis 18 ans sans aucune subvention, avec 16 professionnels de santé, dont 2 chirurgiens-dentistes (Clinic, mars 2010), prouve aussi, si besoin était, que les chirurgiens-dentistes y tiennent parfaitement leur place. Aujourd’hui, on ne connaît pas le nombre de chirurgiens-dentistes qui ont rejoint une maison pluridisciplinaire. On a d’ailleurs déjà du mal à savoir combien de maisons médicales sont en activité. Il est en revanche bien clair qu’elles se multiplient et qu’elles ont le vent en poupe.

Cette forme d’offre de soins est soutenue par les pouvoirs publics depuis 2008. Cette année-là, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, avait annoncé une aide financière pour la création de 100 maisons de santé pluriprofessionnelles par an à hauteur de 50 000 € maximum par projet, portés à 100 000 € pour celles implantées dans l’un des 215 quartiers de la Dynamique « espoir-banlieues » (DEB). Nicolas Sarkozy les évoque dans tous ses discours sur la santé. En février dernier, il a souhaité que 250 nouvelles maisons soient créées dans les 3 ans avec la participation de l’État et de l’Assurance maladie, pour « doubler » leur nombre. Et les pouvoirs publics tablent sur 3 000 maisons interprofessionnelles d’ici à 15 ans.

L’Ordre des chirurgiens-dentistes soutient cette forme d’exercice. Myriam Garnier, chargée des questions de démographie à l’Ordre national, milite pour l’entrée des chirurgiens-dentistes dans ce type de structure qui constitue, à ses yeux, l’une des solutions au problème de la sous-médicalisation de certaines zones. Tous les ordres des professions de santé, préoccupés par les problèmes de démographie, se réunissent d’ailleurs depuis plusieurs mois pour élaborer un statut juridique pour ce type de structure et un modèle de règlement intérieur.

De quoi parle-t-on ?

Mais que recouvre la dénomination « maison de santé pluriprofessionnelle » donnée par la loi à ce type d’établissement ? Sur le plan juridique, par exemple, rien ne distingue pour le moment ce type de maison du cabinet de groupe. Et pourtant, une récente plaquette du ministère de la Santé présentant les exercices regroupés dans les services de santé énonce : « Souvent associées à tort à des cabinets de groupe, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) regroupent médecins et professionnels paramédicaux sur un lieu unique d’exercice, dans une approche coordonnée formalisée dans un projet de santé. » Et la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) votée en juillet 2009, qui a renforcé le rôle des MSP, « réaffirme cette spécificité ». Les professionnels de santé qui y exercent sont des médicaux et paramédicaux libéraux et éventuellement des « médico-sociaux ».

Pour aller plus loin dans la définition de ces maisons, le rapport sur les maisons et pôles de santé* préconise la création de la marque collective « Maisons de santé » qui serait remise aux structures qui respectent un cahier des charges national et un projet de santé validé par l’agence régionale de santé (ARS) de sa région. Mais dans ce rapport, la place de la chirurgie dentaire apparaît de façon très annexe : une MSP doit compter au minimum 3 professions (médecin, infirmier, professionnel de rééducation) ; les chirurgiens-dentistes, au même titre que les psychologues ou les diététiciens, « peuvent aussi » en faire partie… Pour Paul Karsenty, à la Direction générale de la santé, l’introduction des soins dentaires dans les soins de premier recours sera déterminante pour inciter les chirurgiens-dentistes à entrer dans des MSP.

Pragmatisme

Sur le terrain apparemment, les responsables locaux intègrent d’emblée les chirurgiens-dentistes dans leur projet. Patrice Verchère, député-maire de Cours-la-Ville dans le Rhône (4 500 habitants), à 1 heure de Lyon, n’a pas lésiné sur les moyens pour rendre sa commune plus attractive pour les professionnels de santé, quand il s’est aperçu que 2 des 5 médecins de la ville partant à la retraite n’étaient pas remplacés. Les 3 médecins encore en activité et 11 autres professionnels (1 kinésithérapeute, 3 orthophonistes et 7 infirmiers) ont adhéré à son projet de construction d’une maison médicale de 800 m2 en centre-ville. Dès la conception de la maison, le maire a prévu qu’un espace resterait volontairement inoccupé. Il est d’ores et déjà réservé à l’installation de 2 cabinets dentaires lorsque les 2 chirurgiens-dentistes de la ville, proches de l’âge de la retraite (et qui n’ont pas souhaité intégrer la maison), cesseront d’exercer.

Les MSP ne conviennent pas à toutes les situations. Et les municipalités recherchent d’autres solutions pour maintenir l’offre de soins. Philippe Catherine, maire de Picauville dans le Cotentin (2 800 habitants), qui a créé en 2004 une maison avec 3 médecins uniquement car à l’époque cette seule configuration permettait de recevoir des aides, n’imagine pas intégrer aussi le chirurgien-dentiste et d’autres professionnels de santé. « Je ne suis pas certain que rassembler sous un même toit toute l’offre de soins soit la meilleure solution », note le maire qui, à la demande des médecins, a dû créer une salle d’attente par praticien ! Mais il a tout mis en œuvre pour resserrer et dynamiser les liens entre professionnels, avec le chirurgien-dentiste, les 5 infirmiers et les 2 kinésithérapeutes de la commune pour créer une « bonne ambiance ».

À côté des maisons de santé pluriprofessionnelles, le ministère de la Santé identifie d’autres formes de regroupement des professionnels de santé, comme les pôles de santé, les réseaux de santé ou encore les centres de santé, qui seront encouragés dans un avenir proche. Annie Podeur, directrice de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), indiquait récemment que les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) identifieront des zones fragiles dans lesquelles un exercice regroupé est souhaitable. Du temps sera laissé à l’initiative libérale pour se formaliser. « Si elle n’est pas au rendez-vous, nous devrons offrir une alternative qui pourrait être un centre de santé… Lorsque nous n’arrivons pas à fixer les professionnels, il faut proposer une solution. »

* « Le bilan des maisons et des pôles de santé et les propositions pour leur déploiement », présenté à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, par Jean-Marc Juilhard, sénateur du Puy-de-Dôme, Bérengère Crochemore, interne en médecine générale, ex-présidente de l’ISNAR-MG, Annick Touba, infirmière libérale, présidente du SNIIL, et Guy Vallancien, professeur à l’université Paris Descartes.

Je crois aux regroupements qui se font naturellement

CNSD Roland L’Herron

Pour nous, ces maisons de santé pluriprofessionnelles ne riment à rien. Nous avons besoin de nous regrouper entre chirurgiens-dentistes mais pas avec des masseurs-kinésithérapeutes ou des infirmières. Ce n’est pas adapté à notre exercice. Quant à la coopération interprofessionnelle, il n’est pas nécessaire d’exercer dans les mêmes murs. Enfin, je ne suis pas défavorable aux regroupements, au contraire, je pense qu’ils se feront, mais les professionnels de santé sont capables de se regrouper sans qu’on le leur dise. Je ne crois pas à une volonté provenant de l’extérieur, ni pour nous ni pour les médecins. C’est vrai que les jeunes médecins n’envisagent plus du tout de s’installer seuls. Il y a des associations. Mais de là à créer des maisons…, c’est un rêve, sauf peut-être dans certains endroits. On peut concevoir que les municipalités et le conseil général décident qu’une maison est vraiment nécessaire. Que ces responsables locaux créent et aménagent des locaux pour un loyer faible afin d’inciter des professionnels à s’installer, pourquoi pas. Mais de là à créer 5 000 maisons comme on l’entend dire ! Ce ne sera pas fait dans 50 ans. Je crois aux regroupements qui se font naturellement.

Priorité aux regroupements entre chirurgiens-dentistes

UJCD Stéphane Diaz

Nous sommes plutôt favorables aux maisons de santé pluridisciplinaires mais la priorité, en termes d’évolution professionnelle et d’efficience en santé publique, est au regroupement des chirurgiens-dentistes entre eux. Ensuite, ils peuvent éventuellement intégrer des pôles de santé pluridisciplinaires.

L’exercice regroupé de la médecine bucco-dentaire dans les années à venir nous est dicté par la complexité croissante de nos plateaux techniques mais aussi par la diversité des compétences. La tendance aujourd’hui en ville est de recourir à des compétences complémentaires : la parodontologie, l’endodontie, l’implantologie… Le déplacement des patients d’un praticien à l’autre, chacun centré sur sa discipline dans des lieux différents, n’est pas très efficient. Le rêve serait demain d’avoir une maison dentaire pluridisciplinaire qui regrouperait des praticiens ayant des orientations différentes. Le patient serait pris en charge par un omnipraticien qui, comme un généraliste, l’orienterait vers des spécialistes. Nous croyons beaucoup à l’omnipraticien homme-orchestre, qui aurait recours à différentes compétences au sein de la maison. L’intégration de ce type de structure à des maisons médicales pluridisciplinaires peut ensuite être envisagée.

Lorsque j’exerçais dans une maison pluridisciplinaire, j’avais constaté que nous partagions les moyens mais que nous n’avions pas gagné en termes d’efficience de soins. Effectivement, nous sommes répertoriés comme profession de premier recours mais nous sommes aussi et déjà des spécialistes.

Sur un plan démographique, il faut sortir de l’idée du chirurgien-dentiste dans chaque village. Les postes et les hôpitaux ferment. On ne peut pas contraindre les chirurgiens-dentistes à être plus citoyens que La Poste ! De plus, les cabinets dentaires ne sont plus des fauteuils de coiffeurs. À notre sens, ce n’est pas un problème majeur dans la mesure où nous n’avons pas vocation à être un service de proximité. Il faut accepter l’idée que les gens se déplacent et que les cabinets dentaires se regroupent. Des plateaux techniques mobiles circuleront pour les personnes qui ne pourront pas se déplacer.

C’est très tendance… Attention !

FSDL Alain Le Bourhis

Attention à ces structures qui, comme les maisons de la culture, coûtent cher ! Nous considérons qu’il faut être plus performant. Il faut établir une carte sanitaire pour bien identifier les lieux à problèmes. Et envisager ce qui peut être amélioré avec les professionnels de santé locaux. Si les problèmes s’avèrent importants, on peut éventuellement créer une maison de santé pluridisciplinaire. Mais il ne faut pas confondre ce type de maison avec le regroupement médical qui est le résultat de la décision des professionnels de santé. Le risque aujourd’hui est que pour des raisons démagogiques, les municipalités se lancent dans la création de maisons médicales non pas parce qu’un réel besoin se serait exprimé mais parce que leurs administrés voudraient leur propre maison. Les municipalités seraient alors conduites à faire pression sur les professionnels de santé pour qu’ils viennent y travailler en les menaçant de mettre quelqu’un à leur place s’ils refusent. Ce type de structure en concurrence avec l’exercice libéral est risqué. D’autant plus que du jour au lendemain, ce professionnel non satisfait pourra toujours aller voir ailleurs… Il faut vraiment faire attention au tissu local. Pour conclure, nous ne sommes pas opposés aux maisons pluridisciplinaires mais en accord avec les professionnels locaux. Et non parce qu’un maire veut obtenir des subventions !