La CFAO : encore ? Toujours ? - Clinic n° 05 du 01/05/2011
 

Clinic n° 05 du 01/05/2011

 

RÉPONSE D’EXPERT

Gilles LABORDE  

Maître de conférences des Universités
Odontologie prothétique
Faculté d’odontologie de Marseille

On pourrait penser que la révolution CFAO est ralentie du fait des problèmes de production et de fabrication soulevés par-ci par-là ! Le plus souvent de façon injustifiée, par méconnaissance des matériaux et de leur protocole de mise en œuvre, voire par désinformation (?) !

Notre expert, Gilles Laborde, est responsable d’un enseignement de prothèse CFAO destiné aux étudiants en formation initiale. Fervent défenseur de la CFAO, il apporte ici des arguments solides et précis…, du CFAO, dirait-on !

Quelles sont les évolutions techniques qui ont rendu possible la révolution CFAO ?

C’est le procédé industriel de CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur), utilisé pour la réalisation de pièces simples en grande série, qui s’est développé en milieu dentaire grâce à l’évolution de l’informatique, en permettant la production de pièces uniques, adaptées à un individu.

Une autre évolution, cette fois-ci au niveau des biomatériaux dentaires, a permis une réelle révolution CFAO. C’est en effet le matériau zircone préfritté qui a notablement « boosté » le développement des logiciels de la CFAO moderne en odontologie. Ce matériau ne pouvait être exploité que par un usinage grâce à des logiciels à la fois puissants et précis des pièces en céramique fraisées à un stade préfritté, présentant une augmentation de volume, capable de compenser la rétraction tridimensionnelle inhérente au frittage afin d’obtenir une pièce complexe à l’échelle 1.

Qu’est-ce qu’on peut faire en CFAO aujourd’hui ?

De plus en plus de choses ! En 1990, on savait fraiser la céramique vitreuse au cabinet (CEREC Chairside). Le premier procédé CFAO industrialisé a été le système Procera qui a permis de fraiser la partie externe d’une armature sur un maître modèle (le die) surdimensionné particulier.

Sur le plan clinique, les possibi– lités thérapeutiques dépendent étroitement du système employé. Par exemple, avec un système « Chairside », la vitrocéramique usinée sera limitée aux réalisations de pièces partielles et périphériques unitaires, systématiquement collées, conditionnant la résistance à long terme. Le manque de résistance de ce matériau interdit, en effet, les restaurations plurales. Avec l’usinage de la zircone préfrittée par une unité de production, ce problème de manque de résistance est résolu, ce qui nous permet d’envisager les restaurations unitaires périphériques. Bien qu’il soit aujourd’hui possible d’obtenir, grâce à la CFAO, tous les types de restaurations prothétiques, et ce avec des matériaux différents, il va de soi que l’obtention d’une restauration hautement esthétique avec des nuances de couleur et d’état de surface nécessite toujours la compétence du céramiste. Il est, à mon avis, inutile d’étendre les indications de la CFAO aux pièces prothétiques du type attelle de contention ou facettes cosmétiques car ce type de procédé ne se montre pas supérieur aux procédés conventionnels, d’autant plus que l’interface colle/pièce prothétique en zircone n’a rien de comparable à long terme avec une interface colle/céramique à matrice vitreuse.

Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire en CFAO aujourd’hui ?

Sur le plan mécanique, bien que les matériaux aient évolué en ce qui concerne leur résistance, les solutions conventionnelles restent toujours d’actualité (céramo-métalliques et métalliques). Les procédés de numérisation seront adaptés à chaque situation clinique pour permettre le succès de l’élaboration de la pièce prothétique. Par exemple, seul la numérisation de l’empreinte physique peut permettre la réalisation d’un inlay-core. La CFAO, aujourd’hui ouverte, permet de surcroît le plus large éventail de solutions selon chaque situation à traiter. En conclusion, il est aujourd’hui possible d’utiliser tous les types de matériaux en CFAO et de répondre favorablement à quasiment toutes les situations cliniques.

En prothèse, les sources d’erreur liées au modèle sont nombreuses (utilisation de matériaux de réplique, fractionnement du modèle). Ces erreurs sont, à condition de respecter la rigueur d’usage, nettement diminuées lors de la réalisation d’une empreinte optique intraorale.

Pour la production CFAO, on peut agir par soustraction, qui est le procédé le plus connu, mais également par addition (addition de poudre, polymérisation, frittage de poudre d’alumine, réalisation de chapes en cire par procédé d’addition ou d’impression 3D, etc.). La production est donc considérablement diversifiée de nos jours. Elle ne s’impose cependant pas comme un dogme puisqu’on peut en sortir à chaque étape, en courant cependant les risques inhérents à une réalisation traditionnelle artisanale.

Autrement dit, lorsqu’on passe en CFAO, on élimine les erreurs liées au modèle. Il est même possible de réaliser une prothèse conventionnelle à partir d’un modèle fabriqué à partir d’une empreinte optique (modèle physique par stéréolithographie), même si cela paraît peu commun. On peut aussi directement numériser une empreinte, ce qui donne naissance à un modèle virtuel qui sera le point de départ d’une chaîne de fabrication en CFAO ou en prothèse conventionnelle.

Le gain de temps est-il réel ?

Cela dépend bien entendu du type de CFAO choisi. En CFAO au cabinet, le gain de temps ou, plus exactement, de séances cliniques est indiscutable eu égard à l’élimination des étapes de temporisation. Cela va de soi qu’une telle démarche nécessite la réalisation de la pièce prothétique unitaire et son assemblage en bouche lors d’une même séance. Aujourd’hui, la richesse des banques d’images et les progrès de modélisation offerts par les logiciels font gagner beaucoup de temps par rapport aux générations précédentes de CFAO Chairside. Ces étapes sont réalisées automatiquement et contrôlées par l’opérateur, ce qui signifie un gain non seulement de temps mais également de qualité. Cela dit, il faut une certaine organisation au cabinet pour que le bénéfice soit réel sur le plan du gain de temps. Disposer de 2 salles de soins au cabinet prend ici tout son sens et permet de commencer une autre séance clinique en parallèle.

Dès l’instant où la prothèse devient plurale, les matériaux employés en Chairside ne sont plus indiqués. Il est alors indispensable de faire appel aux unités de production (laboratoire, centre externalisé).

La supériorité mécanique des prothèses en céramique réalisées en CFAO ne compromet-elle pas leurs qualités esthétiques ?

Pour les céramiques de haute résistance, utilisées comme infrastructure, il est important, tout comme pour une prothèse conventionnelle, de disposer de place suffisante pour rendre compatible la résistance et l’esthétique. Pour les céramiques vitreuses, seul le type de préparation (facette ou onlay) conditionne la résistance, compte tenu de leurs différences d’épaisseur. Une épaisseur moyenne de 6/10 mm est requise pour les facettes, tandis qu’elle monte à 15/10 mm en occlusal pour un onlay.

Une prothèse CFAO est-elle une meilleure prothèse ?

Sur le plan intellectuel, la prothèse CFAO est censée donner la même précision pour le plus grand nombre. Cette précision conditionne inéluctablement la durée de vie de l’ensemble dent/pièce prothétique. Cette précision apportée par la CFAO est équivalente à la maîtrise artisanale des meilleurs techniciens. Elle peut être, au niveau marginal, de 30 à 60 µm. Encore faut-il parfaitement maîtriser la chaîne de production CFAO, la CAO ainsi que le réglage et la maintenance des machines-outils.

L’art de prothèse dentaire, est-il l’apanage de « l’artisan prothésiste » ?

Oui, et heureusement ! Si la CFAO est capable de produire des pièces précises, en aucun cas elle ne peut maîtriser tous les effets optiques responsables de la qualité esthétique qui restera entre les mains des céramistes qui sont de véritables artistes.

On ne peut pas maîtriser la prothèse CFAO sans avoir une culture de prothèse « artisanale » car la conception des pièces esthétiques demande justement d’allier la résistance de l’infrastructure et l’esthétique du cosmétique. Ce cosmétique est le maillon faible de la restauration, le design des armatures doit assurer la mise en compression de la céramique cosmétique.

C’est certes un nouvel outil qui n’emprunte pas le même chemin que les procédés artisanaux, mais la culture prothétique assurant la parfaite restauration morpho-fonctionnelle reste identique (fig 1 à 8). Au même titre qu’il est nécessaire de faire le choix de son artisan prothésiste, il est impératif d’opter pour une production CFAO fiable car les machines de production demandent de l’entretien et sont tout de même commandées par le cerveau humain. Le même fichier informatique ne donne pas, aussi surprenant que cela puisse paraître, le même résultat qualificatif en fonction de l’unité de production choisie.

Il n’existe pas une CFAO mais des CFAO où chacun choisit ses outils numériques en fonction de la production souhaitée. La CFAO propriétaire des firmes s’oppose ainsi à la CFAO dite ouverte. Cet ensemble de solutions CFAO permettra une évolution exponentielle de la pratique de la prothèse dentaire numérique de demain.