Sur des chemins de traverse - Clinic n° 04 du 01/04/2013
 

Clinic n° 04 du 01/04/2013

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

Depuis qu’il s’est équipé d’un appareil CFAO il y a 13 ans, Jacques Raynal fait de la recherche clinique et a radicalement changé sa pratique, vers une dentisterie « scientifique » et très préservatrice. Lors du congrès Imagina Dental de Monaco en février dernier, cet omnipraticien de Lodève a présenté un protocole de préparation des dents destinées à recevoir une prothèse, qui divise par 4 le temps de travail tout en assurant sa régularité.

Jacques RAYNAL (Lodève)

Quel est ce protocole de préparation de la dent à couronner ?

C’est un protocole qui détermine l’endroit exact où la couronne doit se trouver. Le praticien n’a pas à tenir compte des dents adjacentes ni à réfléchir aux axes et aux angles. Il construit la préparation en plaçant des fraises spécifiques à l’endroit indiqué dans le mode d’emploi. La préparation se situera dans la bonne position au centre de l’espace prothétique et la prothèse s’inscrira exactement selon les axes prévus en 5 à 6 minutes. Cette méthode simple à appliquer est valable dans tous les cas, que le chirurgien-dentiste emploie des techniques classiques ou la CFAO. Un étudiant débutant peut réaliser une préparation après 2 heures d’apprentissage.

Comment en avez-vous eu l’idée ?

Grâce à la CFAO. J’éprouvais de grandes difficultés à expliquer la CFAO aux confrères à la fac et à l’enseigner dans les formations privées. Le problème venait du fait qu’avec la CFAO, nous ne sommes plus dans l’art dentaire mais dans la science dentaire. Nous avions d’un côté des préparations réalisées grâce à l’art dentaire, qui s’exprime avec nombre de variations selon les praticiens, et de l’autre un système formel constant dans ses fonctionnements, constitué d’ordinateurs et de robotique. D’où les difficultés pour faire correspondre ces deux mondes. Puisque la CFAO introduit une notion de science dans la dentisterie, j’ai pensé qu’il fallait aussi introduire une notion de science dans la préparation. Il était donc nécessaire d’établir des règles, des critères et une méthodologie pour réaliser une préparation.

Comment avez-vous mené vos recherches ?

J’ai commencé par démonter toutes les machines CFAO que j’avais sous la main afin de comprendre leur mode de fonctionnement. Puis j’ai choisi un dénominateur commun au système informatique et au système humain : l’axe d’insertion de la prothèse. J’ai ensuite défini des formes de préparation qui ont été appliquées sur 1 000 cas et j’ai observé leur fonctionnement. Les résultats de cette étude, qui sera bientôt publiée, sont environ 10 fois supérieurs aux résultats cliniques actuels. J’ai fait appel à des ingénieurs de structure et d’optique du corps des Mines d’Alès qui ont déterminé les raisons pour lesquelles cette méthode empirique fonctionnait. Cette validation scientifique m’a permis de poser des règles claires.

Dans le même esprit, j’essaie actuellement de faire évoluer la forme d’une préparation. L’interférométrie speckle permet d’observer des mouvements infimes, de l’ordre de quelques nanomètres. Or on constate des articulations dans la dent naturelle que l’on n’avait pas imaginées. L’émail se déplace par rapport à la dentine de façon variable suivant l’endroit où la pression est exercée. L’idée est de concevoir des systèmes en céramique pure ou hybride qui reproduisent le système naturel de la jonction entre la dentine et l’émail. Ce n’est plus de la simple technique. C’est de la biomécanique.

Comment la profession accueille-t-elle cette nouvelle méthode de préparation de la dent ?

Diversement. La qualité de la partie instrumentale de la dentisterie faisait auparavant la différence. Il s’agissait de réaliser de belles couronnes ou de belles facettes. Mais ces belles réalisations sont maintenant à la portée de tous les praticiens. C’est agaçant pour toute une frange de la profession qui centrait son savoir-faire sur cet aspect de l’art dentaire !

Comme la technique est maintenant maîtrisée, c’est la clinique objective qui devient intéres-sante. Il s’agit pour le praticien de savoir quels objectifs il veut atteindre, s’il est nécessaire de réaliser une couronne et pourquoi il retient cette solution et pas une autre. On se place dans une dynamique essentielle et beaucoup plus large, mais très peu ­enseignée. C’est la raison pour laquelle le Club francophone d’applications odontologiques en CAD-CAM, une société scientifique indépendante qui travaille sur ces questions, est toujours sur des chemins de traverse.

Finalement, quelle dentisterie voulez-vous promouvoir ?

Les techniques classiques préconisent souvent la dépulpation d’une dent affaiblie puis la réalisation d’une couronne. Et l’on sait qu’à terme, il y aura un implant. C’est le cycle programmé de la mort de l’organe dentaire.

Aujourd’hui, la question est : que peut-on faire pour garder la dent affaiblie à l’état naturel ? On ne fera pas forcément de la dentisterie invasive a minima. En revanche, on va chercher à préserver la structure organique de la dent le plus longtemps possible. Quitte peut-être à changer la restauration tous les 10 ans. Mais au moins, la structure restera intacte. L’un des objectifs de l’Organisation mondiale de la santé est d’ailleurs de préserver les dents naturelles le plus longtemps possible en fonction sur les arcades.

C’est compliqué à cause des nomenclatures et des enseignants qui ne peuvent pas facile­ment en sortir. Pour cette raison, le changement ne peut venir que du libéral, de praticiens qui déci-dent de changer la donne dans leur cabinet.

Quel est votre exercice ?

J’utilise les nouvelles technologies de la dentisterie depuis 13 ans. Je fabrique les prothèses avec un Cerec, j’ai recours au laser pour préparer l’environnement prothétique et je filme quasiment tout ce que je fais en haute définition pour pouvoir vérifier a posteriori si l’acte a été bien réalisé. Mes patients bénéficient d’une dentisterie très préservatrice. Très peu de dents sont dépulpées. En revanche, je ne travaille plus que 25 heures par semaine au lieu de 60 heures pour le même résultat. Je me fixe une quantité de soins à faire chaque jour que je ne dépasse pas. Tout est calé et calibré. Mon assistante, très impliquée dans le fonctionnement du cabinet, retient le temps nécessaire pour chaque patient en fonction de ma façon de travailler et des actes à réaliser.

Et puis, je continue à rechercher les solutions que la clinique m’inspire.