De l’importance des matériaux biocompatibles - Clinic n° 09 du 01/10/2013
 

Clinic n° 09 du 01/10/2013

 

DENTISTERIE BIOMIMÉTIQUE

Raimond VAN DUINEN  

Chirurgien-dentiste, chercheur dans le département de recherche et développement en biomatériaux, enseignant.
duinen@me.com ACTA Amsterdam Traduit de l’anglais par Rachel Chau

La dentisterie biomimétique est un nouveau concept de dentisterie utilisant des matériaux biocompatibles. Depuis 20 ans, le composite est devenu le matériau de choix en dentisterie. Cet article présente une vue d’ensemble des inquiétudes soulevées par son emploi. Les ciments verre ionomère peuvent imiter et faciliter le processus de reminéralisation naturelle sans ces risques. Avec la thermopolymérisation, le CVI prend sur commande, présentant une meilleure résistance ainsi qu’une solubilité et une usure moindres.

La carie dentaire apparaît lorsqu’il existe un déséquilibre entre la déminéralisation et la reminéralisation dans la cavité buccale. À cause de certaines bactéries et de l’alimentation, la déminéralisation des structures dentaires peut prévaloir sur la reminéralisation par absorption des minéraux de la salive. La déminéralisation peut mener à la carie dentaire, au ramollissement et à la cavitation des tissus durs. La restauration des cavités existe depuis toujours. La première trace d’une restauration dentaire remonte à 6 500 ans (fig. 1 et 2) : elle était faite en cire d’abeille. En réalité, ces restaurations à la cire d’abeille ne faisaient pas que protéger la cavité contre l’invasion bactérienne mais elles étaient aussi bioactives : en effet, la cire d’abeille, plutôt bactériostatique, a pour rôle d’empêcher la colonisation bactérienne des rayons de miel.

Bien sûr, les restaurations à la cire d’abeille n’étaient que des traitements temporaires. Depuis plus d’un siècle, les amalgames à base d’argent et d’or sont des gold standards en dentisterie restauratrice. Ces matériaux sont réputés être d’excellents matériaux de restauration pérennes. Cependant, au cours des 40 dernières années, ces matériaux métalliques bien tolérés ont été progressivement remplacés par des composites à base de résine et des céramiques. Depuis 20 ans, le composite est devenu le matériau de choix en dentisterie. En association avec des adhésifs, ce matériau de la couleur de la dent semble idéal. Sa manipulation a aussi été améliorée avec l’introduction de la photopolymérisation et d’additifs chimiques de plus en plus nombreux qui ont permis d’obtenir des matériaux de restauration parfaits. Cependant, les aspects biologiques de l’apport de ces additifs chimiques sont complètement sous-estimés. Ces dernières années, de plus en plus de publications ont montré que la biocompatibilité de ces matériaux était loin d’être idéale [1]. Cet article présente une vue d’ensemble des inquiétudes qu’ils soulèvent et des conséquences qu’ils ont sur la santé et les dents, ainsi que des solutions de remplacement possibles qui permettent de mimer et de faciliter la minéralisation naturelle sans risque.

Biocompatibilité des matériaux de restauration directe

L’amalgame ne constitue pas un milieu favorable au développement des bactéries et, grâce aux produits issus de sa corrosion, l’amalgame est plus ou moins « auto-hermétique » (fig. 3). L’un des dangers de la corrosion peut cependant être une pression trop importante sur les parois de la cavité qui peut éventuellement provoquer des fêlures dans la structure dentaire. Un autre effet de la corrosion peut être le relargage de mercure. Néanmoins, pléthore de publications montrent l’absence d’incompatibilité biologique pour le patient. Seuls de rares cas de réactions allergiques ont été rapportés. D’un point de vue toxicologique cependant, il n’y a pas de doute que le mercure, qui fait environ 50 % du poids de l’amalgame, est une neurotoxine. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne essaie d’en bannir l’utilisation. De plus, l’amalgame n’a aucune action sur la (re) minéralisation des structures dentaires déminéralisées.

Les composites à base de résine et leurs dérivés sont devenus très populaires grâce à leur supériorité esthétique et à la possibilité de les modeler avant leur photopolymérisation. Ils jouent un rôle majeur dans la dentisterie moderne, en particulier pour les dents antérieures. Mais ces matériaux et leurs procédures d’application sont loin d’être biocompatibles. Déjà en 1985, lors de l’introduction de l’agent adhésif ScotchbondTM, il était préconisé de soigneusement protéger la pulpe contre l’impact toxicologique [2].

Depuis la généralisation de l’utilisation des composites postérieurs, les chirurgiens-dentistes ont rapporté une augmentation dramatique des traitements endodontiques. Une étude récente [3] montre que des réactions irréversibles ont lieu dans la pulpe après l’utilisation d’adhésifs dentinaires et de composites. Le mécanisme de défense de la pulpe lui permettant de former une dentine secondaire est bloqué. De plus, des dérivés réactifs de l’oxygène peuvent mener à une lente nécrose des cellules pulpaires. La dentine est une structure vivante qui contient non seulement des terminaisons nerveuses mais aussi des vaisseaux sanguins. Les monomères libres peuvent s’infiltrer facilement dans cette structure ouverte puis directement dans le flux sanguin. Il y a aussi un risque élevé d’absorption sublinguale de ces monomères allant de 70 à 90 % ! [4] Des études récentes [5] ont montré que, même dans des conditions optimales, de 30 à 65 % des monomères restaient non polymérisés. Cette partie la moins polymérisée est aussi celle qui est la plus juxtapulpaire.

Les composites modernes contiennent plus de 12 différents monomères qui peuvent nuire à la santé générale. L’un d’entre eux est le bisphénol A qui a des propriétés œstrogéniques. De nombreuses études scientifiques ont montré le risque de l’exposition au bisphénol A des jeunes enfants et des femmes enceintes. Il a été montré qu’il circulait facilement dans le corps et pouvait même atteindre le cerveau. En 2012, une étude [6] a prouvé que cela induisait des modifications du comportement chez les jeunes enfants. De plus, la croissance des testicules était amoindrie quand les cellules de ceux-ci étaient exposées à ces monomères. Récemment [7], l’augmentation du nombre de personnes atteintes d’asthme a été corrélée à l’exposition globale au bisphénol A. Les actes dentaires contribuent pour une part importante à cette exposition générale aux monomères. L’utilisation de matériaux en particulier, qui délivrent jusqu’à 80 fois la quantité de bisphénol A par rapport à un composite normal, doit être reconsidérée. D’autres monomères peuvent aussi être transformés en produits semblables au bisphénol A. Ils sont aussi responsables de la mort des cellules et d’autres maladies chroniques. L’argument que la quantité relarguée est si faible qu’elle ne peut être nocive pour le patient doit également être reconsidéré. Une hormone comme un monomère a un effet important à de très faibles concentrations. Pour cette raison, il a été suggéré de diminuer la dose quotidienne maximale de 99 % [8] !

Le troisième type de matériau de restauration directe est le ciment verre ionomère (fig. 4 à 7). Les ciments verre ionomère traditionnels occupent la deuxième place en regard de la biocompatibilité. Ils peuvent être utilisés à proximité de la pulpe avec seulement une faible réaction liée à l’acidité pendant les premières heures de prise [3]. Ils ne contiennent pas de produits nocifs. Même l’aluminium, ion métallique, dans le matériau est un élément naturel de la dent saine (en de plus faibles concentrations). Utilisé comme sealant, le matériau va lentement se transformer en fluorapatite [9]. La possibilité de laisser la dentine déminéralisée en juxtapulpaire permet d’éviter nombre de traitements pulpaires [10]. Cette dentine (et l’émail) déminéralisée va se reminéraliser en plusieurs mois (années) en une structure saine plus dense que la dentine normale mais aussi moins perméable.

Ces produits sont injustement considérés comme temporaires et peu esthétiques. Leurs propriétés générales sont pourtant bien plus proches de celles de la dent naturelle que l’amalgame ou le composite et le ciment verre ionomère relargue même des minéraux pour la dent qui avaient pu être perdus lors du processus carieux. D’ailleurs depuis 20 ans, dans beaucoup de pays, les ciments verre ionomère sont le matériau de choix en dentisterie restauratrice atraumatique.

L’amélioration des propriétés esthétiques et de ­résistance fait du ciment verre ionomère un concurrent éprouvé du composite postérieur (fig. 8 à 10). La thermopolymérisation du matériau pendant sa mise en place permet d’en contrôler la mise en forme [11]. L’absence de rétraction à la prise plaide en faveur de son utilisation. Il est à noter que les ciments verre ionomère modifiés par adjonction de résine contiennent une quantité importante de monomère toxique HEMA et ne sont par conséquent pas vraiment biocompatibles.

Discussion et conclusion

L’ère métallique de l’amalgame est plus ou moins derrière nous. L’ère plastique des composites devrait être reconsidérée en raison de leur toxicité, en particulier pour les jeunes enfants et les femmes enceintes. Pour les dents antérieures, il n’y a pas de réelle solution de remplacement mais, pour les dents postérieures où la dentine la plus perméable est exposée (passage direct dans le flux sanguin), le ciment verre ionomère peut jouer un rôle majeur sans risque d’intoxication et de complications pulpaires. De plus, sa capacité à réparer la structure dentaire endommagée est une propriété unique que ne possède aucun autre matériau de restauration. La dentisterie biomimétique permet ainsi de mimer les processus naturels de minéralisation sans l’utilisation de produits nocifs. La dentisterie biomimétique contrôle donc le déséquilibre minéral des dents. Plus d’efforts devraient être entrepris dans la mise au point de matériaux biomimétiques comme les ciments verre ionomère.

Bibliographie

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