Comment rompre avec une pensée dominante - Clinic n° 04 du 01/04/2016
 

Clinic n° 04 du 01/04/2016

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie,
d’un master en sciences de l’éducation et d’un master
d’éthique médicale et biologique

Et si l’on s’affranchissait d’un cadre de pensée dominant pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la santé orale des Français ?

Pour rompre avec une pensée dominante, il ne convient pas de tenter d’en contrer les arguments ou d’agir par la force car soit on perd face à l’ampleur de la répression, soit on annihile un acteur de l’écosystème. Pour rompre avec une pensée, il faut rompre avec ses fondations, la saper sous sa base, refuser même son vocabulaire. Toute pensée se fonde sur quelques affirmations qu’il faut considérer arbitrairement, conventionnellement, comme vraies. Des vérités révélées dont la remise en cause fait chuter la plus grande création humaine comme un château de cartes soufflé par un courant d’air. Il s’agit par exemple de la géométrie euclidienne qui chute si on peut admettre que deux droites parallèles peuvent se croiser.

S’il faut rompre si bas, c’est qu’une pensée dominante fonctionne avec des ressources intellectuelles et interprétatives contraignantes. C’est-à-dire que toute pensée dominante impose d’emblée des cadres de pensée, des idées trop simples et évidentes pour ne pas être morbidement séduisantes, un « storytelling ». Les exemples dans notre profession sont nombreux : difficile de penser en dehors de la nomenclature, difficile de soigner sans penser « actes », impossible de se défaire de la dichotomie soin/prothèse, conception récurrente à « encadrer » le prix de ces dernières.

Et pourtant, tout ceci n’est qu’un cadre préconçu d’analyse qui empêche de penser. Ce sont des interprétations rarement questionnées d’une réalité bien plus complexe. Dans notre exemple, la nomenclature n’est que l’outil d’une relation contractuelle avec un système d’assurance obligatoire. Ce n’est pas le cadre des soins. En conséquence, soigner n’est pas une accumulation d’actes non plus. Les « soins » (ex-SC, Z, DC) devraient voir leurs tarifs aussi libres que la « prothèse » (ex-SPR), l’orthodontie et les actes ex-HN. Et le « rattrapage » sur les prothèses est, je le maintiens, une autre fable qui structure notre discours, celui des décideurs ainsi que ceux des patients et des médias. Nos « soins » sont très gravement sous-évalués, nos « prothèses » sont en général à grand-peine dans la limite haute des moyennes des pays comparables. Ce qui est variable, c’est le nombre d’heures et d’actes empilés pour compenser. Ce qui change, c’est l’architecture du système qui, ici, ne promeut pas la prévention et empêche l’exercice d’hygiénistes dentaires. Avec ces dernières, on peut espérer de 30 000 à 80 000 emplois et une solution radicale à la décroissance démographique de la profession et à l’accès au dépistage et aux soins prophylactiques.

En conséquence, il faut poser deux arguments simples pour sortir de l’impasse où se trouve l’offre de soin de santé orale des Français. D’abord, la fin de l’opposabilité sur les soins. Il est grand temps que chacun puisse avoir l’exercice qui convient à sa situation en garantissant le plus haut niveau de qualité non pas possible mais attendu dans un pays comme le nôtre. Ensuite, le refus de tout encadrement des prix. En effet, la responsabilité, c’est la liberté rendue, deux forces viendront harmoniser la qualité et le prix de nos prestations : la loi du marché (qui aura vite fait d’établir le meilleur rapport qualité/prix sans flambée des « prothèses ») et la règle qui veut que la liberté s’accompagne de la responsabilité. Et c’est, vis-à-vis de la santé de nos patients et de la population, la plus belle de nos valeurs.