Des lésions bulleuses cutanéo-muqueuses - Clinic n° 12 du 01/12/2017
 

Clinic n° 12 du 01/12/2017

 

DERMATOLOGIE BUCCALE

Maxime GUILLEMIN*   Sarah LEMOINE**   Grégoire HUGUET***   Élisabeth CASSAGNAU****   Philippe LESCLOUS*****   Saïd KIMAKHE******  

Un patient de 39 ans, hospitalisé en dermatologie pour une poussée de pemphigus vulgaire connu depuis 2013, est adressé pour une recherche de foyer infectieux avant l’instauration d’un traitement par azathioprine, molécule hautement immunosuppressive.

Entretien médical, histoire de la lésion

En 2013, ce patient est hospitalisé pour une dermatose bulleuse à localisations multiples. Les lésions sont présentes au niveau des membres inférieurs et supérieurs, du dos, de l’abdomen et dans la cavité buccale. Une biopsie est réalisée au niveau de la fosse iliaque gauche qui retrouve, lors de l’examen histologique, un aspect concordant avec un pemphigus. Le patient est placé sous corticoïde (Cortancyl®, 100 mg/j) et l’évolution des lésions est favorable. Un passage à un traitement par immunosuppresseur, en l’occurrence de l’azathioprine (Imurel®, 150 mg/j per os), est décidé en association avec des bains de bouche par bicarbonate de ?sodium et corticoïde (Solupred®, 3 fois par jour) ainsi qu’avec de la xylocaïne visqueuse (Xilogel® oral avant les repas).

Après 1 an et demi de bonne observance, le patient, de lui-même, interrompt le traitement par Imurel®. À l’interrogatoire, il déclare que, sans changer ses habitudes de vie et à la suite d’un événement de vie anxiogène au début de juin 2017, une sensation d’« écorchement » de la muqueuse buccale est responsable d’une dysphagie. Une semaine plus tard, il présente des lésions épidermiques, notamment en région axillaire, douloureuses et non prurigineuses.

Par ailleurs, le patient est suivi pour une hypothyroïdie substituée par hormones thyroïdiennes (Levothyrox®, 100 µg/j) et ne consomme ni tabac ni alcool.

Examen clinique

L’examen endobuccal révèle des lésions muqueuses diffuses gingivales, linguales, jugales et palatines (fig. 1) de type érosif et fissuraire à fond rouge vif. Les pourtours sont non inflammatoires.

L’examen exobuccal retrouve des bulles flasques à contenu clair, voire purulent, surtout dans la région axillaire droite (fig. 2). Sur la peau péri-lésionnelle, notamment au niveau des aisselles, on retrouve le signe de Nikolski, c’est-à-dire un décollement cutané provoqué par un frottement appuyé.

Les maladies bulleuses sous-épithéliales auto-immunes telles que la pemphigoïde bulleuse, la pemphigoïde cicatricielle, la dermatose à IgA linéaire, l’érythème ?polymorphe ou encore la dermatite herpétiforme sont des affections dans lesquelles les bulles ont classiquement un aspect tendu. Ici, compte tenu de leur aspect flasque et des antécédents du patient, le diagnostic d’une maladie bulleuse intra-épithéliale du type pemphigus récidivant est d’emblée posé.

Devant une lésion bulleuse buccale, il convient d’éliminer en premier lieu les toxidermies bulleuses toujours secondaires à une prise médicamenteuse ou toxique. Dans un second temps, il est important de rechercher, notamment par l’interrogatoire, une cause locale telle qu’une brûlure thermique ou chimique. Les causes infectieuses comme l’impétigo ou l’épidermolyse staphylococcique aiguë sont à évoquer, notamment si le patient est un enfant. Devant des bulles dans une zone cutanéo-muqueuse exposée aux traumatismes, l’épidermolyse bulleuse héréditaire est à rechercher.

Histologie

Les caractères des lésions buccales et des manifestations cutanées permettent de poser le diagnostic. Celui-ci sera confirmé selon les cas par le cytodiagnostic, la biopsie et/ou l’immunofluorescence, voire par l’identification de l’antigène cible.

Une biopsie-punch de peau péri-lésionnelle adressée après fixation formolée est d’abord examinée en technique courante après coloration de routine : HES (hématine, éosine, safran) et PAS (periodic acid-Schiff, acide périodique de Schiff).

L’examen histologique montre un épiderme dissocié par clivage. Le toit de la bulle est caractérisé par les couches superficielles de l’épiderme. La cavité comporte des cellules acantholytiques mêlées à des polynucléaires neutrophiles et éosinophiles. Le plancher tantôt est réépithélialisé, tantôt présente des assises basales (flèche rouge) en « pierre tombale » séparée du toit de la bulle (flèche bleue) par une cavité mêlant polynucléaires neutrophiles, éosinophiles et cellules acantholytiques (fig. 3).

L’examen histologique en lumière ultraviolette d’une seconde biopsie de peau (immunofluorescence directe) montre un marquage en « mailles » de l’épiderme avec l’IgG (immunoglobuline G) et prédominant au niveau des assises basales avec la fraction C3 (fig. 4).

Ainsi, les données morphologiques et de l’immunofluorescence directe s’accordent avec une dermatose bulleuse auto-immune du type pemphigus.

L’examen du sérum en immunofluorescence indirecte, s’il avait été réalisé, montrerait des anticorps circulants de classe IgG dirigés contre la membrane des kératinocytes, dont le titre est corrélé à l’activité de la maladie.

Prise en charge thérapeutique

La prise en charge de la crise chez le patient consiste en l’introduction de corticoïdes per os à raison de 90 mg/j, en association à des bains de bouche à base de corticoïde (Solupred® à réaliser 3 fois par jour pendant 3 minutes).

De plus, de la Xilocaïne visqueuse® 2 % est appliquée sur les zones douloureuses avant les repas pour permettre une prise alimentaire supportable.

Devant l’absence d’amélioration de la symptomatologie 2 semaines après l’instauration du traitement par corticoïdes, l’introduction d’azathioprine en perfusion est décidée.

Un bilan préthérapeutique est donc réalisé comprenant hémogramme, bilan hépatique, électrophorèse des protéines sériques, sérologies VIH, VHB, VHC (virus de l’immunodéficience humaine, de l’hépatite B et de l’hépatite C), dosage pondéral des immunoglobulines et étude des sous-populations lymphocytaires, radiographie du thorax, test à la tuberculine (QuantiFERON®) ainsi que le génotypage TMTP (thiopurine methyltransferase) prédictif d’accidents hématologiques sous azathioprine.

L’évolution 3 mois plus tard, après 2 perfusions d’azathioprine et poursuite du traitement par corticoïdes, est satisfaisante mais la cicatrisation reste incomplète (fig. 5). Les perfusions d’Imurel® sont progressivement espacées, permettant de limiter le risque de récidive.

Commentaires

Le pemphigus vulgaire est le principal représentant d’un groupe d’affections auto-immunes caractérisées par une perte de la cohésion des kératinocytes, ou acantholyse, qui provoque la formation dans l’épaisseur de l’épithélium de bulles plates et peu tendues. Il est plus fréquent dans certaines populations porteuses de l’haplotype HLA-DR4 (les Ashkénazes). La maladie atteint surtout l’adulte mais parfois aussi l’enfant.

Le pemphigus vulgaire débute souvent de façon insidieuse par des lésions muqueuses, principalement une atteinte buccale sous la forme d’érosions douloureuses, traînantes, pouvant gêner l’alimentation. Dans une moindre mesure, des érosions œsophagiennes, vaginales et rectales peuvent se présenter.

L’atteinte cutanée est secondaire, en général plusieurs semaines ou plusieurs mois après les érosions muqueuses. Elle se présente sous la forme de bulles flasques à contenu clair, siégeant en peau saine, laissant rapidement place à des érosions post-bulleuses cernées par une collerette épidermique. Le signe de Nikolski est présent sur la peau péri-lésionnelle et, parfois, sur la peau saine.

Le traitement d’attaque vise à contrôler la maladie. Il consiste en une corticothérapie générale à forte dose, prednisone (de 1 à 1,5 mg/kg/j) jusqu’à la cicatrisation des érosions, toujours plus longue à obtenir sur la muqueuse buccale que sur la peau, puis en une réduction progressive de la posologie jusqu’à une dose seuil minimale suffisante.

Le traitement d’entretien à dose progressivement décroissante vise à maintenir la rémission complète, clinique et immunopathologique (disparition des anticorps circulants).

Des traitements immunosuppresseurs, par azathioprine, cyclophosphamide ou cyclosporine, sont parfois associés à la corticothérapie en cas de résistance au traitement corticoïde.

La mortalité, autour de 5 %, est principalement due aux complications iatrogènes.

À lire

Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Samson J. La muqueuse buccale, de la clinique au traitement. Paris : Med’Com, 2009.

Vaillant L. Maladies bulleuses auto-immunes de la muqueuse buccale. Rev Stomatol Chir Maxillofac 1999;100:230-239.