Analyse de la demande croissante de traitements en odontologie pédiatrique en milieu hospitalier - Clinic n° 06 du 01/06/2018
 

Clinic n° 06 du 01/06/2018

 

PÉDODONTIE

Margot FOCK-KING*   Michèle MULLER-BOLLA**  


*Étudiante en 6e année cycle court
Université Côte d’Azur
UFR d’odontologie de Nice-Sophia
Antipolis
**PU-PH Département d’odontologie
pédiatrique Université Côte d’Azur
UFR d’odontologie de Nice-Sophia
Antipolis
Unité soins des enfants
Pôle d’odontologie
CHU de Nice - URB2i
EA 4462 - Université Paris-Descartes

Différentes enquêtes ont été menées en France, mettant en évidence qu’un cinquième des chirurgiens-dentistes généralistes (CDG) ne prenaient pas en charge les enfants, et que ceux qui les recevaient rencontraient souvent des difficultés chez les enfants de moins de 6 ans [1,2].

En France, la prévalence des dents temporaires affectées par une lésion cavitaire non traitée a été récemment évaluée à 30 %, soit une valeur trois fois plus élevée qu’à l’échelle internationale [3]. En parallèle, il a été noté ces dernières années un recours accru aux structures de soins hospitalo-universitaires, augmentant les délais de prise en charge. L’objectif de cette enquête est de préciser la nature de la demande de soins pour les enfants consultant les services hospitalo-universitaires.

Méthode

Les seize facultés de chirurgie-dentaire françaises ont été sollicitées pour participer à cette étude. Les délais d’attente des rendez-vous hors urgence et des consultations spécifiques pour une prise en charge sous sédation ou anesthésie générale (AG) ont été demandés. Un questionnaire individuel a été complété pour 150 premières consultations consécutives d’enfants ; il recherchait le motif de la venue, la personne ou l’organisme à l’origine de cette démarche, et si nécessaire le contexte de cette orientation vers un service hospitalier. L’âge et la situation de santé générale et bucco-dentaire de chaque enfant ont été précisés. Des analyses statistiques descriptives ainsi que des tests de Khi-deux (ou des tests exacts de Fisher) et des ANOVA en fonction des variables comparées ont été effectués.

Résultats

Le délai d’attente pour un rendez-vous hors situation d’urgence dans les lieux de stages des seize facultés de chirurgie-dentaire variait de 1 à 6 mois (moyenne = 2,5 ± 1,5 mois). Il passait à 3 ± 1,5 mois pour les sédations conscientes par mélange équimolaire d’oxygène et protoxyde d’azote (MEOPA). Les sédations hospitalières (par administration de midazolam) et les anesthésies générales, respectivement réalisées dans 6 et 15 structures hospitalo-universitaires, n’étaient pas accessibles dans toutes les villes universitaires et nécessitaient un délai d’attente d’environ 9 mois (ET : ± 2,5).

Concernant les questionnaires, le taux global de réponses était de 98 %. L’ensemble des facultés, à l’exception de celles de la région Auvergne-Rhône-Alpes (81 % des questionnaires), a retourné 100 % de leurs 150 questionnaires.

Les enfants consultant les services hospitaliers avaient entre 15 jours et 17 ans soit en moyenne 6,7 ± 3,3 ans. Un pic de fréquence des consultations a été observé aux âges de 4-5 ans (fig. 1). Les adolescents de 16 et 17 ans étaient essentiellement des patients atteints d’une déficience associée ou non à une maladie rare. C’est en Île-de-France que les consultants jusqu’à 6 ans étaient proportionnellement les plus nombreux (70 %) (fig. 2). Sur cent enfants, trente-neuf n’avaient jamais consulté de chirurgien-dentiste auparavant.

Deux tiers des enfants consultant (n = 1552) avaient été référés ; ils étaient significativement plus jeunes que les enfants consultant à l’initiative des parents (p = 0,017). À l’origine de cette consultation se trouvait un chirurgien-dentiste (74 %), un médecin (20 %) - libéral dans 60 % des cas ou hospitalier - un paramédical (orthophoniste) ou un personnel administratif (scolaire, associations de malades…) ; et les plus nombreux à référer avaient été les CDG (68 %), suivis des pédiatres (14 %) (fig. 3). Les motifs les plus fréquents pour lesquels l’enfant avait été adressé étaient un problème particulier (30 %), la non-coopération aux soins (30 %), la non-prise en charge des enfants (19 %) ou la non-réalisation de certains soins (11 %), et des soins non précisés à réaliser (6 %). Les motifs étaient variables selon les référents ; un avis sur un problème particulier relevait proportionnellement plus souvent d’un médecin alors que les CDG acceptant de prendre en charge les enfants adressaient essentiellement les non-coopérants (p < 0,001) (tableau 1). Ces derniers avaient été adressés après 1,7 ± 1,1 tentatives de soins. Le problème particulier pour lequel les enfants avaient été référés pouvait être lié à la situation générale et/ou médicale en association à la demande dentaire (fig. 4). Les soins non réalisés chez certains CDG prenant en charge les enfants sont indiqués dans la figure 5. Les autres enfants avaient consulté à l’initiative des parents, qui avaient sollicité un rendez-vous pour un contrôle (50 %), une urgence (35 %) ou des soins non urgents (15 %). Les motifs bucco-dentaires de consultation pour l’ensemble des enfants étaient par ordre décroissant : les lésions carieuses (46 %), les anomalies dentaires (16 %), et les traumatismes (12 %) (tableau 2). Les catégories de traitements demandés ou indiqués sont rapportées dans la figure 6. Vingt-neuf enfants étaient indemnes de lésions carieuses non traitées. Le nombre moyen de lésions carieuses des dents temporaires et des dents permanentes étaient respectivement de 3,6 (ET : 4,2) et de 1,2 (ET : 2,2).

Discussion

La demande de soins pour les enfants consultant les départements d’odontologie pédiatrique des services hospitalo-universitaires s’est révélée différente de celle observée en pratique générale [1, 2] : les référents étaient plus nombreux, les patients plus jeunes et les demandes de soins bucco-dentaires souvent différentes.

Référents

Deux tiers des enfants ont été référés soit pour des compétences particulières, soit par refus de prise en charge des enfants par le CDG habituellement consulté. Ce dernier cas, correspondant à 20 % des patients référés, corrobore la proportion de CDG ne prenant pas en charge les enfants, d’environ 20 %, sur notre territoire, en particulier les plus jeunes (tableau 1) [1, 2]. Ces pourcentages, par hasard équivalents, permettent de suspecter la non-prise en charge d’une grande proportion d’enfants, en particulier dans les zones géographiques sans structure hospitalo-universitaire. Au regard de l’analyse des motifs de consultation, ces 20 % pouvaient être revus à la hausse car, parmi les 10 % d’enfants référés par des CDG ne réalisant pas tous les soins, beaucoup consultaient pour des traitements de lésions carieuses (tableau 2) associés à des actes courants, comme les traitements endodontiques ou des avulsions (fig. 5). Conformément à ce qui a déjà été mis en évidence dans la littérature [4], la prise en charge des traumatismes comptait parmi les actes les moins assurés par les CDG déclarant prendre en charge les enfants sans réaliser tous les soins. La compétence particulière, évoquée dans environ un tiers des cas, était la prise en charge de patients en échec de soins ; c’était le plus souvent des enfants non coopérants du fait de leur anxiété ou parce qu’ils ne parlaient pas français, interdisant par là même toute communication verbale associée à la prise en charge cognitivo-comportementale (fig. 4 et 7), souvent méconnue des CDG [1, 5].

Si les trois-quarts des référents étaient des chirurgiens-dentistes, un cinquième était des médecins libéraux ou hospitaliers, et les autres des paramédicaux ou du personnel non médical de différents organismes publics ou associatifs. Ceux-ci orientaient alors plus souvent le patient en situation d’urgence ou pour un problème particulier dans un contexte de risque médical, de déficience sévère ou de maladie rare (fig. 3 et 4 ; tableau 1). En effet, la mise en place du centre de référence des maladies rares orales et dentaires (http://www.o-rares.com), travaillant en réseau avec des centres de compétence des maladies rares répartis sur tout le territoire, a grandement amélioré le diagnostic et l’approche pluridisciplinaire des enfants concernés, même si des progrès doivent être encore faits pour améliorer leur prise en charge [6]. En complément, un accès aux soins bucco-dentaires doit être facilité pour les 6,6 enfants sur 1000 souffrant actuellement en France de déficiences motrices, sensorielles et intellectuelles sévères non obligatoirement liées à une maladie rare [7].

Patients

Concernant la totalité des patients référés ou amenés à l’initiative de leurs parents, ils étaient proportionnellement plus souvent âgés de 0 à 6 ans en référence au ratio enfants de 0 à 6 ans/enfants de 7 à 15 ans enregistrés en France (1/1,6 [8]) ; et le pic de fréquence de consultations était entre 4 et 5 ans. Cette répartition des enfants par rapport à l’âge de 6 ans était donc à l’inverse de celle observée chez les CDG qui prenaient plus facilement, et de ce fait, plus souvent, en charge les enfants à partir de la denture mixte [1-2]. Nous devons donc constater que le nombre de praticiens hospitalo-universitaires en odontologie pédiatrique et leur répartition sur le territoire français ne peuvent suffire à prendre en charge les enfants jusqu’à 6 ans, même en y ajoutant les 112 praticiens ayant un exercice exclusif en odontologie pédiatrique [4]. Il suffit, pour davantage s’en convaincre, d’observer la plus grande proportion d’enfants jusqu’à 6 ans consultant dans les structures hospitalo-universitaires de la région où les exclusifs sont les plus nombreux - l’Île-de-France, qui compte 51 exclusifs -, cette particularité obéissant à la plus grande demande face à une plus grande offre de soins encore actuellement insuffisante au regard des données épidémiologiques [3, 4]. En effet, il faut se rendre à l’évidence que la première consultation, recommandée dans les 6 mois qui suivent l’éruption des premières dents pour intercepter la carie de la petite enfance, ne peut être respectée ; d’ailleurs, 39 % des enfants de 5,5 ans examinés n’avaient jamais consulté de chirurgiens-dentistes ; et seulement 29 % des participants étaient indemnes de lésions carieuses non traitées, ce qui peut en partie expliquer la forte prévalence des dents temporaires affectées par une lésion cavitaire non traitée [3].

Demandes de soins bucco-dentaires

Parmi les motifs de la consultation bucco-dentaire, nos résultats confirment que les urgences traumatiques ou infectieuses (19 %), souvent réorientées par les CDG, étaient surreprésentées par rapport aux demandes classiques de soins [2, 9]. Les anomalies dentaires (16 %) étaient également surreprésentées (tableau 2) [4]. Ces anomalies de nombre, de forme, de structure ou d’éruption constituaient en effet le principal objet des problèmes particuliers exclusivement bucco-dentaires (fig. 8 et 9). Mieux connues, elles permettent souvent d’améliorer le dépistage et la prise en charge multidisciplinaire des maladies rares [6]. La proportion élevée de demandes des seuls actes d’avulsion essentiellement liés à la carie de la petite enfance confirmait les différences d’approche thérapeutique de cette pathologie entre CDG et spécialistes en odontologie pédiatrique, plus conservateurs [10, 11]. Parmi les demandes de soins particuliers figuraient les prothèses pédiatriques, les plaques de stimulation linguales et les orthèses en fonction de l’étiologie à l’origine de l’appareillage, respectivement non systématiquement et exceptionnellement proposées par les exclusifs en odontologie pédiatrique et les CDG [2-4]. Sur cents enfants, seize avaient dû être traités sous AG, sédation par MEOPA (fig. 10) ou midazolam, ce qui allongeait encore leur délai de prise en charge hospitalo-universitaire d’au minimum 3 mois, tous les exclusifs et CDG ne proposant pas la sédation consciente par MEOPA aux enfants non coopérants [2-4] (fig. 11).

Conclusion

Au regard des praticiens ne prenant pas en charge les enfants, n’effectuant que certains actes ou encore ne sachant pas réagir face aux enfants non coopérants, il apparaît nécessaire de former des chirurgiens-dentistes avec des compétences particulières dans le domaine de l’odontologie pédiatrique ; celles-ci seraient à mettre en œuvre chez tous les jeunes patients présentant ou non une pathologie générale et/ou une déficience et/ou une maladie rare. Ces spécialistes auraient un rôle important à jouer dans l’approche multidisciplinaire de la santé de ces sujets en cours de croissance, en réponse aux demandes de médecins, CDG et chirurgiens-dentistes spécialistes. En complément, des structures de soins proposant des soins sous AG, sédation par MEOPA ou midazolam doivent se développer pour prévenir la perte de chance des enfants non coopérants qui ne sont pas soignés dans un délai de temps raisonnable.

Bibliographie

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