Quand préservation rime avec infiltration et stratification - Clinic n° 11 du 01/11/2018
 

Clinic n° 11 du 01/11/2018

 

RESTAURATION

Romain CEINOS*   Claire PARVEAUX**   Marie-France BERTRAND***  


*Docteur en chirurgie-dentaire
**MCU-PH, réhabilitation orale
Université Côte d’Azur
CHU Pôle d’odontologie,
Nice
***Étudiante en chirurgie-dentaire
****Docteur en chirurgie-dentaire
*****PU-PH, réhabilitation orale
Université Côte d’Azur
CHU Pôle d’odontologie, Nice
Laboratoire microbiologie orale, immunothérapie
et sante (MICORALIS)
Nice

La méthode d’érosion/infiltration est venue bousculer nos habitudes opératoires dans le traitement des lésions carieuses débutantes en apportant une solution alternative aux préparations cavitaires a minima (micro-dentisterie). Outre la difficulté inhérente aux préparations tissulaires a minima imposant une instrumentation spécifique (aides optiques, micro-instruments travaillants ultrasonores…), le coût tissulaire bien que minime restait jusqu’alors un impératif dans nombre de cas cliniques. Le système Icon® grâce au procédé d’infiltration va permettre de stabiliser le processus carieux en l’absence de préparation. Cette méthode couplée aux techniques conventionnelles de restauration de l’organe dentaire offre la possibilité au chirurgien-dentiste d’accéder à un nouveau seuil de respect de l’économie tissulaire.

L’érosion/infiltration : une méthode éprouvée et approuvée

L’érosion/infiltration est une technique ultra-conservatrice venant combler le gap entre les méthodes préventives et l’intervention restauratrice classique (qui, aussi minutieuse soit-elle, impose une perte tissulaire pour l’organe dentaire) [1]. L’objectif est de pouvoir atteindre puis infiltrer les lésions carieuses débutantes de l’émail (stades ICDAS 1-2) [2] à l’aide d’une résine hyperfluide afin de stopper la progression des acides cariogènes à un stade précoce. L’application du système Icon® (Dental Milestones Guaranteed, Hambourg, Allemagne ; commercialisé par la société Pred®) est actuellement le seul à permettre ce traitement. Il se déroule en deux temps [3] :

• premier temps (érosion) : les dents sont isolées à l’aide d’une digue dentaire puis la surface amélaire est traitée par application d’un acide chlorhydrique 15 %. Cette attaque acide vient « ouvrir » les porosités amélaires pour permettre la pénétration de l’infiltrant ;

• deuxième temps (infiltration) : l’acide est neutralisé par rinçage puis le cœur de la lésion est séché à l’aide d’un alcool éthanol 99 % pour une infiltration optimale par capillarité d’une résine ultra-fluide au sein de la lésion. Après élimination des excès, la résine est photopolymérisée puis polie.

Sous le prisme des études in vitro et in vivo [4], l’efficacité dans la stabilisation des lésions carieuses n’est pas contestable. L’infiltration de résine peut être considérée comme un traitement sûr et efficace pour réduire la progression de la carie initiale [5-8]. De plus, cette technique s’avère confortable et présente un fort taux de satisfaction vis-à-vis du patient.

Son pouvoir esthétique pour le masquage des taches blanches [10-13] a largement contribué à promouvoir son utilisation. L’Icon® a vu son cadre d’indications s’élargir aux traitements de pathologies telles que les MIH, les fluoroses, les hypominéralisations post-traumatiques [14-16] et les white-spots survenant à la suite des traitements orthodontiques multi-attaches fixes [17]. Il est à noter que le bon diagnostic initial de la lésion permet de mener le traitement d’érosion/infiltration selon une méthodologie adaptative (traitement superficiel ou en profondeur) [18, 19]. Même si l’interrogation concernant la tenue sur le long terme des résultats obtenus peut nous imposer une certaine réserve [20], un respect rigoureux du protocole clinique, la mise en place d’un polissage soigneux [21] (faisant suite à une photopolymérisation sous film de glycérine) et une modification des habitudes alimentaires (les tanins contenus dans le vin ou le café ont pour effet d’altérer la couleur) [22] montrent des résultats très encourageants à moyens termes [23, 24]. La méthode se révèle être facile, rapide et indolore et modifie l’apparence de la lésion de la tache blanche pour un résultat esthétiquement intéressant [25]. Cette approche conservatrice à l’extrême répond parfaitement à la philosophie du respect du gradient thérapeutique et vient ainsi compléter l’arsenal thérapeutique du praticien dans bon nombre de traitements esthétiques en l’absence de mutilation tissulaire [26].

Réaliser une restauration suite à une infiltration : mariage de raison ou hérésie ?

En 2011 on émettait déjà l’hypothèse que l’érosion/infiltration d’une carie avant l’application d’un adhésif conventionnel pourrait correspondre à « pré-traitement » bénéfique dans les restaurations incluant de l’émail déminéralisé [27]. Cette hypothèse a par la suite été éprouvée dans le temps [28] et la combinaison de restaurations aux résines composites sur des substrats dentaires infiltrés en résine s’est imposée comme une nouvelle alternative thérapeutique. Depuis, les études in vitro viennent renforcer la légitimité de cette technique. En effet, le pré-traitement de l’émail déminéralisé par infiltration de résine entraîne une augmentation significative de l’intégrité des marges de restaurations [29]. De plus, la micro-dureté de surface d’un émail hypominéralisé est peu ou prou renforcée par l’infiltration résineuse [30, 31] (elle serait cependant meilleure eu égard au traitement par sealant conventionnel) [32]. Ainsi, certains auteurs mettent en avant la faible qualité de surface des lésions naissantes infiltrées et recommandent de les recouvrir, dans un second temps, avec une résine de restauration afin d’en améliorer les propriétés mécaniques [33]. Les forces de liaison d’un émail traité par infiltration suivi d’un conditionnement tissulaire classique (attaque chimique par acide orthophosphorique suivie de l’application d’un système adhésif) ne semblent pas être améliorées mais elles ne sont pas pour autant diminuées [34, 35]. L’utilisation d’une résine de restauration suite à une infiltration Icon va donc pouvoir, d’une part, rétablir les pertes de substances superficielles de petit volume et, d’autre part, renforcer le pouvoir masquant des dyschromies, en particulier lors des traitements des hypominéralisations profondes.

Présentation d’un cas clinique

Le cas clinique présenté ici a remporté la 3e place nationale dans le cadre du concours Ceram.X® 2017/2018 organisé par Densply-Sirona® (York, Pennsylvanie, États-Unis).

Le patient consulte suite à une chute ayant entraîné les fractures des bords libres incisifs sans exposition pulpaire : 11-31-41 vitales, 21 nécrosée et fortement dyschromiée consécutivement au trauma. L’examen clinique révèle notamment une hygiène orale perfectible avec une surface tachetée blanche et poreuse de prémolaire à prémolaire signant une attaque de la phase minérale amélaire par les acides bactériens présents au sein de la plaque (fig. 1). Au cours de l’interrogatoire, le patient confie être un gros consommateur de sodas. Eu égard aux lésions cervicales des canines maxillaires, des pertes de substances consécutives au trauma et aux diverses altérations de surfaces des caries débutantes, le plan de traitement s’est orienté vers une solution ultra-conservatrice mêlant technique d’érosion/infiltration et restaurations directes.

• Suppression des étiologies carieuses, conseils d’hygiène bucco-dentaire et alimentaires.

• Traitement endodontique de 21 couplé à une technique d’éclaircissement interne.

• Planification des restaurations via une étude colorimétrique et une cire de diagnostic (Technicien laboratoire : Mickael Griet) (fig. 2 à 5).

• Exérèses carieuses et restaurations directes de 13-23 (fig. 6 à 14).

• Érosion/infiltration des incisives latérales maxillaires suivie d’un rétablissement des bombés cervicaux par techniques directes (fig. 15 à 51).

• Stratifications anatomiques aux résines composites de 11-21 (fig. 52 à 70).

• Érosion/infiltration et corrections des micro-pertes de substances par méthodes directes sur l’ensemble des dents mandibulaires incriminées par les lésions débutantes (fig. 71 à 78).

Conclusion

L’érosion/infiltration est une méthode « jeune » qui, en moins d’une dizaine d’années, a prouvé son efficacité dans la stabilisation des lésions carieuses débutantes et dont le cadre d’indications s’est vu largement augmenté dans le traitement des dyschromies. Le système Icon® associé aux moyens restaurateurs conventionnels apporte des perspectives de traitements pour nos patients toujours plus performantes dans la préservation tissulaire. L’efficacité des traitements par érosion/infiltration combinés ou non aux résines composites reste cependant à prouver sur le long terme.

Liens d’intérêts :

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.

Bibliographie

  • [1] Gugnani N, Pandi IK, Gupta M, Josan R. Caries infiltration of noncavited white spot lesions: a novel approach for immediate esthetic improvement. Contemp Clin Dent 2012;3:199-202.
  • [2] Ismail AI, Sohn W, Tellez M, Amaya A, Sen A, Hasson H, Pitts NB. The International Caries Detection and Assessment System (ICDAS): an integrated system for measuring dental caries. Community Dent Oral Epidemiol 2007;35:170-178.
  • [3] Sarkis H, Ghaleb M, Dabbagh S, Harouny E. White spot lesions: resin infiltration technique. Int Arab J Dent 2017;8:9-14.
  • [4] Paris S, Hopfenmuller W, Meyer-Lueckel H. Resin infiltration of caries lesions: an efficacy randomized trial. J Dent Res 2010;89:823-826.
  • [5] Altarabulsi MB, Alkilzy M, Petrou MA, Splieth CH. Clinical safety, quality and effect of resin infiltration for proximal caries. Int J Paediatr Dent 2014;15:39-44.
  • [6] Doméjean S, Ducamp R, Léger S, Holmgren C. Resin infiltration of non-cavited caries lesions: a systematic review. Med Princ Pract 2015;24:216-221.
  • [7] Kielbassa AM, Ulrich I, Werth VD, Schüller C, Frank W, Schmidl R. External and internal resin infiltration of natural proximal subsurface caries lesions. A valuable enhancement of the internal tunnel restoration. Quint Int 2017;48:357-368.
  • [8] Martignon S, Ekstrand KR, Gomez J, Lara JS, Cortes A. Infiltrating/sealing proximal caries lesions. A 3-year randomized clinical trial. J Dent Res 2012;91: 288-292.
  • [9] Altarabulsi MB, Alkilzy M, Splieth CH. Clinical applicability of resin infiltration for proximal caries. Quint Int 2013;44:97-104.
  • [10] Bak SY, Kim YJ, Hyun HK. Color change of white spot lesions after resin infiltration. Col Res Appl 2013;39:506-510.
  • [11] Yetkiner E, Wegehaupt F, Wiegand A, Attin R, Attin T. Colour improvement and stability of white spot lesions following infiltration, micro-abrasion, or fluoride treatments in vitro. Eur J Orthodont 2014;36:595-602.
  • [12] Yuan H, Li J, Chen L, Cheng L, Cannon RD, Mei L. Esthetic comparison of white-spot lesion treatment modalities using spectrometry and fluorescence. Angle Orthod 2014;84:343-349.
  • [13] Mazur M, Westland S, Guerra F, Corridore D, Vichi M, Maruotti A, et al. Objective and subjective aesthetic performance of Icon® treatment for enamel hypomineralization lesions in young adolescents: a retrospective single center study. J Dent 2018;68:104-108.
  • [14] Attal JP, Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G. L’infiltration en profondeur. Un nouveau concept pour le masquage des taches de l’émail. Partie I. L’Information Dentaire 2013;19:74-79.
  • [15] Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G, Attal JP. L’infiltration en profondeur. Un nouveau concept pour le masquage des taches de l’émail. Partie II. Traitement d’une fluorose sévère. L’Information Dentaire 2014;19:18-23.
  • [16] Attal JP, Atlan A, Denis M, Vennat E, Tirlet G. L’infiltration en profondeur. Un nouveau concept pour le masquage des taches de l’émail. Partie III. Traitement d’une MIH sévère. L’Information Dentaire 2014;19:1-6.
  • [17] Sandoval P, Vogel R, Henriquez D, Knösel M. Management of post-orthodontic white-spot-lesions: clinical handling of the resin infiltration technique (Icon®, DMG). Int J Odontostomat 2016;10:29-33.
  • [18] Denis M, Atlan A, Vennat E, Tirlet G, Attal JP. White defects on enamel: diagnosis and anatomopathology. Two essential factors for proper treatment (part 1). Int Orthod 2013;11:139-165.
  • [19] Attal JP, Atlan A, Denis M, Vennat E, Tirlet G. White defects on enamel: diagnosis and anatomopathology. Two essential factors for proper treatment (part 2). Int Orthod 2014;12:1-31.
  • [20] Borges AB, Caneppele TMPF, Masterson D, Maia LC. Is resin infiltration an effective esthetic treatment for enamel development defects and white spot lesions? A systematic review. J Dent 2017;56:11-18.
  • [21] Paris S, Schwendicke F, Keltsch J, Dörfer C, Meyer-Lueckel H. Masking of white spot lesions by resin infiltration in vitro. J Dent 2013;41:28-34.
  • [22] Borges AB, Caneppele TMF, Luz M, Pucci CR, Torres CRG. Color stability of resin used for caries infiltration after exposure to different staining solutions. Operative Dentistry 2014;39:1-8.
  • [23] Eckstein A, Helms HJ, Knösel M. Camouflage effects following resin infiltration of postorthodontic white-spot lesions in vivo: one-year follow-up. Angle Orthodontist 2015;85:374-380.
  • [24] Knösel M, Eckstein A, Helms HJ. Durability of esthetic improvement following Icon resin infiltration of multibracket-induced white spot lesions compared with no therapy over 6 months. A single-center, split-mouth, randomized clinical trial. Am J Orthod Dentofacial Orthop 2013;144:86-96.
  • [25] Fonseca NMAH, Publio JC, Hernandes DKL, Barros TEP, Borelli L, Alves N. Minimally invasive technique to mask white spot lesion with resin infiltration (Icon®, DMG). J Dent & Oral Disord 2016;2:1-3.
  • [26] Greenwall L. White lesion eradication using resin infiltration. Int Dent 2013;3:54-62
  • [27] Wiegand A, Stawarczyk B, Kolakovic M, Hämmerle CHF, Attin T, Schmidlin PR. Adhesive performance of a caries infiltrant on sound and demineralised enamel. J Dent 2011;39:117-121.
  • [28] Tirlet G, Chabouis HF, Attal JP. Infiltration, a new therapy for masking enamel white spots: a 19-month follow-up case series. Eur J Esthet Dent 2013;8:178-188.
  • [29] Körner P, Gedaily ME, Attin R, Wiedemeier D, Attin T, Tauböck TT. Margin integrity of conservative composite restorations after resin infiltration of demineralized enamel. J Adhes Dent 2017;19:483-489.
  • [30] Kumar H, Palamara JEA, Burrow MF, Manton DJ. An investigation into the effect of a resin infiltrant on the micromechanical properties of hypomineralised enamel. Int J Paediatr Dent 2017;27: 399-411.
  • [31] Torres CRG, Rosa PCF, Ferreira NS, Borges AB. Effect of caries infiltration technique and fluoride therapy on microhardness of enamel carious lesions. Operative Dentistry 2012;37:363-369.
  • [32] Taher NM, Alkhamis HA, Dowaidi SM. The influence of resin infiltration system on enamel microhardness and surface roughness: an in vitro study. The Saudi Dental Journal 2012;24:79-84.
  • [33] Mueller J, Yang F, Neumann K, Kielbassa AM. Surface tridimensional topography analysis of materials and finishing procedures after resinous infiltration of subsurface bovine enamel lesions. Quint Int 2011;42:135-147.
  • [34] Krämer N, Khac NHNB, Lücker S, Stachniss V, Frankenberger R. Bonding strategies for MIH-affected enamel and dentin. Dent Mat 2018;34:331-340.
  • [35] Chay PL, Manton DJ, Palamara JEA. The effect of resin infiltration and oxidative pre-treatment on microshear bond strength of resin composite to hypomineralised enamel. Int J Paediatr Dent 2014;24:252-267.

Articles de la même rubrique d'un même numéro