Le plan de traitement en omnipratique : vers une approche globale - Clinic n° 07 du 01/07/2019
 

Clinic n° 07 du 01/07/2019

 

Plan de traitement

François LE BIGOT  

Exercice libéralAjaccio

Lorsque nos patients présentent des problèmes dentaires complexes, nous sommes souvent dépassés et confus devant la multitude de choix thérapeutiques possibles. Bien qu'il soit illusoire de créer une formule valable dans tous les cas, il est possible d'acquérir une méthodologie fiable et pérenne. Le défi est alors de faire évoluer notre façon de penser. Un changement de paradigme est nécessaire pour passer d'un modèle curatif, centré sur le traitement d'une maladie et d'un...


Lorsque nos patients présentent des problèmes dentaires complexes, nous sommes souvent dépassés et confus devant la multitude de choix thérapeutiques possibles. Bien qu'il soit illusoire de créer une formule valable dans tous les cas, il est possible d'acquérir une méthodologie fiable et pérenne. Le défi est alors de faire évoluer notre façon de penser. Un changement de paradigme est nécessaire pour passer d'un modèle curatif, centré sur le traitement d'une maladie et d'un symptôme, vers un modèle préventif, centré sur la santé et le bien-être durable de nos patients où nous évaluons la susceptibilité ou le risque de progression de sa maladie [1, 2].

Il est indispensable de réaliser que l'évaluation du risque et le pronostic reposent sur l'état actuel du patient. Le traitement sera donc conçu pour réduire ou minimiser les risques et, ainsi, améliorer le pronostic

La réalisation de cet objectif nécessite un diagnostic précis.

Le projet de soins et sa réalisation dépendent du diagnostic. Ne pas passer par cette étape ou en sous-évaluer l'importance peut mener à tort vers l'abstention thérapeutique, un traitement incorrect ou inadéquat.

Le diagnostic est la clé car seul un patient à risque nécessite un traitement.

Pour mettre en œuvre le système, il est essentiel de comprendre plusieurs définitions [3].

• Diagnostic : détermination de la maladie par l'examen d'indicateurs de la maladie (signes/symptômes) et de facteurs de risque.

• Maladie : la cause des dommages au système biologique. Elle raconte comment et pourquoi les dégâts sont survenus (par exemple, carie, dysfonctionnement occlusal).

• Indicateurs de maladie (signes/symptômes) : les dommages causés par la maladie ou la façon dont une maladie s'exprime. Ce sont les résultats subjectifs/objectifs des antécédents médicaux/dentaires et de l'examen physique (par exemple, cavité dans une dent, attrition, douleur).

• Facteurs de risque : variables qui augmentent la probabilité de contracter une maladie (par exemple, la xérostomie est un facteur de risque de la carie).

• Risque : la probabilité que le système biologique subisse d'autres dommages en raison de la maladie et des facteurs de risque présents.

• Pronostic : prévision de ce qui va arriver au système biologique en fonction du niveau de risque, de l'âge du patient et de ses attentes.

Principe

Une méthodologie, axée sur le diagnostic, du niveau de risque parodontal, biomécanique, fonctionnel et esthétique du patient devrait être le moteur du traitement.

Le processus d'examen est ensuite conçu pour collecter l'ensemble des données essentielles afin de poser un diagnostic dans chaque catégorie. De cette manière, une évaluation des risques spécifiques au patient peut être développée pour chaque catégorie et déterminera son besoin de soins. Le traitement vise ensuite à réduire les risques et à améliorer le pronostic de chaque composant. Plus le risque est élevé, plus la probabilité que le pronostic soit mauvais est grande.

La collecte des données comprend :

• un questionnaire médical (fig. 1) ;

• un questionnaire dentaire (fig. 2) ;

• des photos du visage : lèvres au repos (fig. 3), sourire (fig. 4), sourire forcé (fig. 5) ;

• des photos intra-buccales : en occlusion d'intercuspidation maximale (fig. 6), de l'arcade supérieure (fig. 7) et de l'arcade inférieure (fig. 8) ;

• une radio panoramique ou un statut retro-alvéolaire (fig. 9).

Le risque va être classé en 3 niveaux : élevé, modéré ou faible dans chaque catégorie diagnostique :

• esthétique (fig. 10) ;

• fonction/occlusion (fig. 11) ;

• biomécanique (fig. 12) ;

• parodontologie (fig. 13).

Par exemple, un patient ayant un sourire gingival aura un risque élevé au niveau esthétique ; au contraire, le patient ne découvrant pas ses gencives aura un risque faible.

Dans la section suivante, un cas est présenté pour illustrer ces concepts et montrer comment un clinicien peut intégrer le modèle préventif et ses 4 composants d'évaluation des risques (parodontaux, biomécaniques, fonctionnels et esthétiques) au diagnostic et au traitement d'un patient.

Étude de patient

Cette patiente de 36 ans vient nous voir pour améliorer son sourire et faire un bilan dentaire.

• Diagnostic et évaluation des risques (fig. 14).

• Historique médicale :

– la patiente n'a pas de souci de santé,

– elle déclare juste fumer quelques cigarettes de temps en temps.

• Esthétique :

– diagnostic : hyper-mobilité labiale, composites disgracieux, diastème, éruption passive altérée de 11 et 21,

– risque : élevé (principalement à cause du sourire gingival),

– pronostic avant traitement : mauvais.

• Fonction :

– diagnostic : fonction acceptable,

– risque : faible,

– pronostic avant traitement : bon.

• Biomécanique :

– diagnostic : 17, 24, 27, 28, 37, 44, 46 structurellement compromises, 3 dents extraites suite à des traitements restaurateurs,

– risque : modéré (pour les dents avec des restaurations volumineuses avec perte des crêtes marginales),

– pronostic avant traitement : mauvais.

• Parodontologie :

– risque : faible,

– pronostic avant traitement : bon.

Plan de traitement. Une approche en 10 étapes

Esthétique

• Étape 1 : déterminer la position du bord incisif maxillaire.

Cette décision est fondée sur les objectifs esthétiques du traitement dictés par la position dans le visage.

Le point de référence est la position de la canine maxillaire lèvre au repos (fig. 3). En effet, il y a moins de variabilité dans son exposition au repos qu'avec l'incisive centrale maxillaire [4]. Il est ici bien positionné. Il faudra donc harmoniser les bords libres des 4 incisives par rapport à la pointe canine.

• Étape 2 : déterminer le plan occlusal postérieur maxillaire.

Le plan occlusal postérieur est en harmonie avec la position idéale des dents du secteur antérieur. Il faudra juste remplacer les dents manquantes.

• Étape 3 : déterminer la position du bord incisif de la mandibule.

Les incisives centrales mandibulaires présentent une légère rotation qui ne gêne pas la patiente mais le bord incisif est bien positionné par rapport au visage.

• Étape 4 : déterminer le plan occlusal postérieur mandibulaire.

Les dents postérieures seront reconstruites pour retrouver une occlusion bilatérale simultanée.

• Étape 5 : évaluer la position de la dent intra-arcades.

Les diastèmes maxillaires seront fermés. Nous le validerons esthétiquement par un mock-up avec la patiente (fig. 15).

• Étape 6 : évaluer les tissus gingivaux.

La mobilité de la lèvre maxillaire est importante (supérieure à 8 mm) mais cela ne gêne pas la patiente (fig. 3 et 5). Une option de traitement aurait été des injections de botox pour diminuer la mobilité labiale.

Une élongation coronaire sera réalisée afin d'augmenter la longueur des incisives maxillaires et d'améliorer le rapport longueur/largeur [5] (fig. 16).

Fonction

• Étape 7 : traitement fonctionnel.

La patiente ayant une fonction acceptable et comme il n'est pas nécessaire de changer la dimension verticale pour des raisons fonctionnelles ou esthétiques, il a été décidé une restauration en OIM.

Biomécanique

• Étape 8 : traitement biomécanique.

La dent 28 sera extraite, les dents 47, 34 et 36 seront couronnées.

Les dents absentes au maxillaire seront remplacées par des bridges, la solution implantaire ayant été écartée pour des raisons financières.

Les 4 incisives maxillaires vont être restaurées par des facettes.

Parodontologie

• Étape 9 : gestion de la gencive/perte d'attache.

La patiente ne présente aucun signe ni aucun facteur de risque de maladie parodontale.

• Étape 10 : améliorations /préoccupations.

Le rapport longueur/largeur des incisives maxillaires n'est pas idéal mais rallonger les dents au niveau bord libre aurait conduit à des dents trop longues lèvre au repos et rallonger dans le sens cervical aurait conduit à exposer la jonction émail-cément et à coller des facettes sur le cément.

Évaluation des risques après traitement (fig. 17 et 18)

• Esthétique : le risque est toujours élevé eu égard à l'hyper-mobilité labiale :

– risque : élevé ; pronostic : bon.

• Fonction :

– risque : faible ; pronostic : bon.

• Biomécanique :

– risque : faible ; pronostic : bon.

• Parodontologie :

– risque : faible ; pronostic : bon.

Conclusion

Cette patiente a été traitée avec une approche systématique visant à réduire le risque de progression de la maladie.

Cela nécessite toutefois un changement de paradigme pour passer d'un modèle curatif à un modèle préventif.

Remerciements

L'auteur voudrait remercier le laboratoire Allegre pour son travail.

Liens d'intérêts :

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

  • [1] Kois JC. New challenges in treatment planning: incorporating the fundamentals of patient risk assessment. Part 2. J Cosmet Dent 2011;27:110-121.
  • [2] Kois JC. New challenges in treatment planning: shifting the paradigm toward risk assessment and perceived value.Part 1. J Cosmet Dent 2011;26:62-69.
  • [3] Huff C. A sytematic method for accurate functional diagnosis. Compendium 2017;38(5).
  • [4] Misch CE. Guidelines for maxillary incisal edge position-a pilot study: the key is the canine. J Prosthodont 2008;17:130-134.
  • [5] Bakeman E, Kois JC. Myths vs. realities considerations in esthetic crown lengthening. J Cosmet Dent 2014;30:54-62.