Collage de restaurations dentaires en céramique : de la théorie à la pratique - Clinic n° 11 du 01/11/2019
 

Clinic n° 11 du 01/11/2019

 

Biomatériaux

François BODIC*   Edouard LANOISELÉE**   Éric CHABERLIN***  


*MCU-PH, Nantes
**Responsable du DU de restauration dentaire esthétique, Nantes
***Pratique privée, Nozay (44)
****Coordinateur du DU de restauration dentaire esthétique, Nantes
*****Ancien AHU des centres de soins d'enseignements et de recherche dentaire de Nantes
******Pratique privée, Nozay (44)
*******Ancien AHU des centres de soins d'enseignements et de recherche dentaire de Nantes
********Pratique privée, Nantes (44)

Le chêne et le roseau (Jean de La Fontaine)

« Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin »

Nous connaissons la fin : le chêne trop rigide finit déraciné par le vent, le roseau lui plie mais ne rompt pas !

Léonard de Vinci nous conseillait d'aller prendre nos leçons dans la nature. L'important étant d'observer...


Le chêne et le roseau (Jean de La Fontaine)

« Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin »

Nous connaissons la fin : le chêne trop rigide finit déraciné par le vent, le roseau lui plie mais ne rompt pas !

Léonard de Vinci nous conseillait d'aller prendre nos leçons dans la nature. L'important étant d'observer pour comprendre, l'imitation qui en résulte n'est pas obligatoirement la copie conforme de l'originale. En matière de fixation de nos prothèses, l'évolution est évidente depuis l'avènement du collage moderne.

Si nous observons une dent, l'émail particulièrement rigide et cassant est lié à la dentine grâce à la jonction amélo-dentinaire qui absorbe une partie des contraintes et évite sa fracture (la dentine et l'émail sont complémentaires) [1]. La dent elle-même n'est pas fixée à l'os par une liaison rigide (contrairement à l'implant) ; les fibres desmodontales, par leurs orientations, amortissent les forces et la retiennent. La nature a prévu des liaisons plus ou moins souples pour amortir un certain nombre de forces et garder l'intégrité des éléments en présence.

Pour restaurer les dents délabrées, les ciments de scellement nous ont apporté des solutions durables pour la fixation des prothèses mais l'échec de cette fixation aboutit souvent à l'extraction de la dent restante. Nous savons qu'une liaison trop rigide entre la prothèse et son support est souvent synonyme, à terme, de fractures et/ou de descellement (fig. 1).

Les ciments de scellement trop durs perdent donc de leur intérêt au profit de colles ayant un comportement viscoélastique qui absorbent une partie des contraintes exercées par la fonction [2] et miment (sans la copier) la jonction amélo-dentinaire.

Le professeur Degrange avait saisi toute l'importance de cette évolution en nous parlant de « révolution silencieuse ».

L'industrie, bien avant nous, a su faire confiance au collage (aéronautique...). Aujourd'hui, la dentisterie moderne, sous l'impulsion des bio-émulateurs, évolue elle aussi de plus en plus vers le collage.

Les composites de restauration tous comme les éléments prothétiques (inlay, onlay, overlay, couronnes, bridges...) peuvent être collés dans de nombreuses situations. Pour coller sans rétention mécanique, nous devons donc nous aussi avoir confiance dans ce mode de fixation (fig. 2 à 6).

« Aujourd'hui, on peut affirmer que l'on peut tout coller, mais pas avec n'importe quoi et surtout pas en s'y prenant n'importe comment. » Michel Barquins, Le collage : un moyen ancestral, moderne et durable d'assemblage.

Avoir confiance dans le collage est chose. Choisir le système approprié à la situation clinique en est une autre. En effet, depuis l'avènement du mordançage total, les colles se sont multipliées et nous pouvons nous sentir perdus face à la multitude de choix [3].

Colles sans potentiel adhésif

Elles se comportent comme des composites de restauration, un bonding faisant le lien entre la dent et le composite, et nécessitent une préparation de la dent et de la pièce prothétique. Il existe plusieurs possibilités pour la mise en œuvre du bonding :

• M&R 3 : (Mordançage & Rinçage en 3 étapes) mordançage, rinçage, primer, bonding ;

• M&R 2 : (Mordançage & Rinçage en 2 étapes) mordançage, rinçage, primer et bonding dans le même flacon ;

• SAM 2 : (Système AutoMordançant en 2 étapes) primer acide, bonding ;

• SAM 1 : (Système AutoMordançant en 1 étape) tout en un.

Pour les SAM 2 et SAM 1, le mordançage préalable de l'émail augmente les valeurs d'adhésion. Mais, aujourd'hui, les systèmes MR 3 restent les plus performants dans les résultats obtenus. Ils permettent la réalisation de l'immediat dentin sealing (IDS) ou « hybridation dentinaire immédiate » [4] avec une meilleure protection de la dentine ainsi qu'une qualité et une pérennité du joint de collage augmentées [5]. Mais leur mise en œuvre doit être particulièrement rigoureuse pour obtenir des valeurs élevées de collage à la dentine, ce qui les rend opérateur-dépendants.

Ces colles, comme le bonding qu'elles nécessitent, existent essentiellement sous trois formes : photo-polymérisable, chémo-polymérisable et duale (chémo-photo-polymérisable). Elles contiennent donc, dans leur matrice organique, un ou plusieurs activateurs de polymérisation en fonction de leur mode de polymérisation. Les colles duales sont souvent préférées pour la « sécurité » qu'elles sont censées apporter sur la polymérisation « complète », même dans des zones où la photo-polymérisation n'est pas possible du fait de la dispersion de la lumière liée à l'épaisseur des matériaux utilisés en restauration indirecte. Mais la chémo-polymérisation des colles duales est souvent inférieure à celle obtenue par photo-polymérisation (fig. 7).

Le choix du système de polymérisation de la colle dépend de plusieurs facteurs :

• l'épaisseur de la restauration à coller (on dit couramment que l'épaisseur de la céramique ne doit pas dépasser 2 mm pour une photo-polymérisation efficace) ;

• la translucidité du matériau (un matériau haute translucidité laisse mieux passer la lumière) ;

• la teinte et la saturation (pour une même teinte entre A1 et A3 on perd en moyenne 15 % de profondeur de polymérisation ; plus la saturation est élevée moins la lumière pénètre en profondeur) ;

• la qualité et la puissance de la lampe à photo-polymériser (longueur d'onde de 380 à 540 nm pour couvrir le spectre des différents photo-initiateurs, avec une puissance minimale à la sortie de l'embout de 1000 mw/cm2 et un temps de polymérisation efficace à pleine puissance de 20 secondes) ;

• l'accessibilité des différentes interfaces où la colle est interposée

Colle avec potentiel adhésif

Elles nécessitent une préparation de la dent et de la pièce prothétique mais pas de bonding. Ce sont des colles non chargées contenant des molécules MDP et 4-méta. La colle présentant la plus grande viscoélasticité et étant la plus apte à amortir les contraintes est le Super-Bond®.

Colles auto-adhésives

Elles ne nécessitent aucune préparation de la dent ou des surfaces prothétiques. Elles sont d'utilisation très simple (comme un ciment de scellement) mais donnent souvent des résultats mécaniques encore inférieurs aux précédentes (l'innovation et les évolutions sont permanentes dans le domaine du collage). Elles nécessitent donc une tenue mécanique de l'élément prothétique à fixer sur son support dentaire et sont particulièrement adaptées au collage de la zircone.

Colles universelles

De nouvelles colles viennent depuis les années 2010 complémenter cet arsenal : les colles universelles. Elles sont considérées comme plus tolérantes à l'humidité. On peut réaliser avec ces colles un mordançage sélectif de l'émail ou un mordançage total ou, encore, les utiliser comme les systèmes auto-mordançants. Leur bonding est un tout en un avec lequel il n'y a pas de risque de sur-mordançage de la dentine. La couche hybride obtenue est plus fine que pour les M&R 3 et les M&R 2. L'IDS est réalisable avec ces colles.

Quelle que soit la colle utilisée elle doit permettre l'étanchéité, une rétention efficace, la biocompatibilité et une pérennité de la restauration. Son utilisation doit être possible dans les conditions actuelles d'exercice des cabinets d'omni-pratique et abordable pour des praticiens non spécialistes de l'esthétique et du collage. Un champ opératoire (digue unitaire ou multiple) isolant de l'humidité est systématiquement mis en place. L'absence d'un champ opératoire isolant efficacement de l'humidité doit encore être considérée comme une contre-indication au collage.

Les composites de collage ne sont pas fondamentalement différents des composites de restauration. Ils sont constitués d'une matrice organique, de charges et d'un agent de couplage. La quantité de charges est diminuée de manière à rendre ces composites plus fluides pour faciliter la mise en place de la pièce prothétique.

Leurs propriétés esthétiques se sont beaucoup améliorées au cours de la dernière décennie et ils offrent pour la plupart un panel de couleurs et de viscosités séduisant pour leur utilisation. Ils présentent des valeurs de collage répondant à nos exigences cliniques et des résultats esthétiques particulièrement intéressants dans le cadre de la biomimétique.

La viscosité influe non pas sur la mouillabilité mais sur la cinétique de contact (étalement de la colle sur le substrat) La rugosité s'avère favorable à l'adhésion [6].

Le contact intime entre l'adhésif et le substrat (le mouillage) améliore l'adhésion. Plus l'énergie superficielle du substrat est supérieure à la tension superficielle de l'adhésif, plus le mouillage sera favorable, d'où l'importance des traitements de surface visant à augmenter celle-ci.

Ces éléments nous permettent de penser que les composites de restauration chargés peuvent être utilisés pour le collage d'éléments prothétiques au même titre que des colles peu ou non chargées. Les deux grandes difficultés seront alors :

• la mise en place de l'élément prothétique du fait de la viscosité du composite (temps de mise en place augmenté, évacuation des excès) ;

• l'accès de toutes les interfaces à la photo-polymérisation.

Ces problèmes ont aujourd'hui leur solution grâce à l'évolution des préparations (plus économes en tissus dentaires) et à l'utilisation préalable de composites restituant en grande partie la dentine et diminuant l'épaisseur des reconstitutions céramiques.

Nous allons donc illustrer ces possibilités cliniquement à travers trois collages réalisés l'un grâce à une colle universelle, l'autre avec un composite de restauration fluide et le dernier avec un composite de restauration classique. Dans chaque cas nous chercherons à établir la liste des avantages et des inconvénients de la technique utilisée.

Réalisation clinique : préparation, conditionnement, collage

Préparation initiale de la dent en vue de recevoir l'élément prothétique en céramique (inlay, onlay, overlay, couronne).

Comblement des contre-dépouilles (fig. 8).

Toutes les étapes comportant du collage (reconstitution en composite et IDS) dans la préparation de la dent sont réalisées sous digue (fig. 9 et 10).

Préparation de la céramique pour le collage

La préparation dépend du type de céramique utilisée. Nous n'aborderons pas le cas de la zircone pour laquelle le collage tel que nous le décrivons dans ces cas cliniques est peu adapté.

Dans tous les cas, la préparation de la céramique reste identique si nous n'utilisons pas de zircone.

Mordançage à l'acide fluorhydrique dont la durée est fonction de la céramique utilisée (création de l'irrégularité de surface favorable au collage) ; passage de la céramique dans un bac à ultrasons pour éliminer les résidus d'acide et les précipités/résidus carbonates ou emploi de l'acide orthophosphorique après rinçage puis séchage et application d'un silane (fig. 11 à 19).

On peut aujourd'hui éviter l'utilisation de l'acide fluorhydrique (dangereux pour la santé, pénètre la barrière cutanée sans érosion et sans laisser de trace) par l'utilisation du Monobond Etch and Prime (Ivoclar-Vivadent®) : acide et silane dans le même flacon (une seule étape), mise en place du produit sur la céramique en frottant 20 secondes puis laisser agir 40 secondes, rinçage abondant et séchage.

Une fois la céramique conditionnée, l'intrados ne doit plus être touché car toute pollution diminuera la qualité du collage.

Préparation de la dent pour le collage

Comme nous l'avons déjà précisé, la pose d'un champ opératoire (digue) pour isoler la dent est indispensable à la réussite du collage, la digue restant le meilleur moyen d'être à l'abri de l'humidité.

Sablage avec de l'oxyde d'alumine (27 μm) pour réactiver l'IDS et le composite et éventuellement éliminer les résidus de temporisation (fig. 20 et 21).

Rinçage et séchage pour éliminer les particules restantes.

Mordançage à l'acide phosphorique (facultatif pour les colles universelles) : 15 secondes émail puis 15 secondes émail + dentine. Rinçage abondant puis passage de la surface avec de la chlorhexidine aqueuse (anti-oxydant permettant une moindre dégradation du joint de collage et de fibres de collagène de la couche hybride) (fig. 22).

Application du bonding (protocole en fonction du type choisi M&R 3, M&R 2, universel) (fig. 23).

Avec la colle universelle choisie, la surface est frottée avec le bonding pendant 20 secondes, puis étalée et figée à l'air et photo-polymérisée 20 secondes (fig. 24).

Tant que la colle n'est pas polymérisée, la pièce prothétique doit être maintenue sous pression constante ; les excès sont retirés au pinceau ou après un flash de polymérisation avec un bistouri (fig. 25 et 26).

L'ensemble des étapes de mise en place par collage de l'élément prothétique demande une grande rigueur.

CAS CLINIQUE

Cas no 1 : Utilisation d'une colle universelle (fig. 27 à 32).

CAS CLINIQUE

Cas no 2 : Collage avec un composite fluide (fig. 33 à 37).

CAS CLINIQUE

Cas no 3 : Collage par utilisation d'un composite de restauration.

Un premier essayage de la pièce prothétique est effectué avant la pose du champ opératoire pour vérifier et, éventuellement, corriger les points de contacts inter-proximaux. L'intrados de la céramique est ensuite conditionné pendant la pose de la digue. Après un nettoyage de la dent par aéro-polissage à l'oxyde d'alumine (50 micromètres), la pièce est réessayée (fig. 38).

L'aéro-abrasion devrait suffire pour réactiver la couche adhésive (IDS) mise, le jour de la préparation, sur toute la surface dentaire. Cependant, pour ne pas prendre le risque d'avoir des zones de dentine mises à nu par les particules d'oxyde d'alumine, les étapes d'hybridation avec un MR 3 sont reprises, la seule différence étant que le bonding n'est pas polymérisé. Cette étape permet aussi d'assurer (fig. 39) le collage sur les marges amélaires qui ont été « ravivées » à la fraise après l'IDS. Les dents adjacentes sont protégées par la mise en place d'un morceau de matrice métallique en ruban.

Un composite de restauration micro-hybride ou nano-hydride a été préalablement réchauffé à une température de 55 oC (Ena Heat de Micerium). Pour ce cas, du composite G-aenial anterior A3 en tips a été utilisé. Le composite réchauffé est déposé sur la surface dentaire. Il ne coule pas et la pièce, posée, tient seule en place, sans pression digitale ou instrumentale. Plusieurs minutes sont alors disponibles pour éliminer les excès de composite qui fusent au fur et à mesure que la pièce est mise sous pression (fig. 40 à 44).

Conclusion

Ces différentes techniques de collage répondent à toutes les situations cliniques que nous pouvons rencontrer. Plus le composite de collage utilisé est chargé et plus la couleur et la stabilité du joint seront durables dans le temps. Dans chaque situation, l'expérience du praticien et sa connaissance des matériaux utilisés sont indispensables pour éviter les erreurs de protocole. Le collage est parfaitement fiable mais ne tolère aucun compromis.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

  • [1] Imbeni V, Kruzic JJ, Marshall GW, Marshall SJ, Ritchie RO. The dentin-enamel junction and the fracture of human teeth. Nat Mater 2005;4:229-232.
  • [2] Nakabayashi N, Kojima K, Masuhara E. The promotion of adhesion by the infiltration of monomers into tooth substrates. J Biomed Mater Res 1982;16:265-273.
  • [3] Degrange M. Les adhésifs qui requièrent un mordançage préalables sont-ils obsolètes ? Inf Dent 2007;4:119-124.
  • [4] Pashley EL, Comer RW, Simpson MD, Horner JA, Pashley DH, Caughman WF. Dentin permeability: sealing the dentin in crown preparations. Oper Dent 1992;17:13-20.
  • [5] Choi YS, Cho IH. An effect of immediate dentin sealing on the shear bond strength of resin cement to porcelain restoration. J Adv Prosthodont 2010;2:39-45.
  • [6] Cognard J. Science et technologie du collage. Presses polytechniques et universitaires romandes. Lausanne, 2000.