Clinic n° 09 du 01/09/2020

 

Dermatologie buccale

Philippe LESCLOUS  

Un patient de 48 ans consulte en raison d'une gêne esthétique et fonctionnelle occasionnée par la présence d'un accroissement gingival généralisée évoluant depuis 5 mois : « j'ai la gencive qui enfle docteur ! » (fig. 1, 2, 3).

Antécédents

On retrouve à l'entretien avec le patient un antécédent de...


Un patient de 48 ans consulte en raison d'une gêne esthétique et fonctionnelle occasionnée par la présence d'un accroissement gingival généralisée évoluant depuis 5 mois : « j'ai la gencive qui enfle docteur ! » (fig. 1, 2, 3).

Antécédents

On retrouve à l'entretien avec le patient un antécédent de greffe rénale il y a 3 ans, pour lequel il prend deux immunosuppresseurs : du tacrolimus et de l'acide mycophénolique ; associé à une hypercholestérolémie traitée par de la pravastatine (anti-cholestéroliémiant) et une hypertension artérielle traitée par nebivolol (bétabloquant). Le patient rapporte aussi une hépatite B chronique traitée par entecavir (anti-viral) depuis plusieurs années.

Ce patient ne fume pas et n'a aucune allergie connue.

Examen clinique

L'examen exo-buccal est sans particularité. Les aires ganglionnaires sont libres.

L'examen endo-buccal met en évidence des édentement partiels maxillaire et mandibulaire non compensés. On note par ailleurs la présence d'un accroissement gingival généralisé au niveau des papilles interdentaires s'étendant vers les surfaces dentaires. Par endroit, il recouvre même une partie des couronnes des dents concernées. La gencive hypertrophique est rose et ferme, avec une surface lisse, érythémateuse et oedématiée notamment au niveau du secteur antérieur maxillaire. La gencive attachée au niveau des zones édentées est d'allure saine.

Ces lésions sessiles papillaires en saillie (0,3 à 0,5 cm de diamètre) engendrent une gêne esthétique et fonctionnelle (phonation, mastication), et rendent l'hygiène bucco-dentaire difficile pour le patient (présences de gingivorragies et douleurs au brossage).

Démarche diagnostique

L'entretien avec le patient et les caractéristiques cliniques des lésions permettent de s'orienter rapidement vers une hyperplasie gingivale de nature bénigne d'origine médicamenteuse. En effet, le patient est traité par trois molécules susceptibles d'engendrer de tels accroissements : le tacrolimus et l'acide mycophénolique ainsi que le nebivolol.

Les diagnostics différentiels à évoquer en priorité sont :

• la fibromatose gingivale héréditaire (isolée ou associée à un syndrome),

• les neurofibromatoses,

• les gingivopathies liées à des troubles hormonaux,

• les carences en vitamine C (scorbut),

• les gingivites granulomateuses.

Aucune de ces orientations diagnostiques n'est retenue en première intention suite à l'entretien médical avec le patient et compte tenu de son traitement médicamenteux comportant plusieurs molécules potentiellement inductrices d'accroissement gingival.

Il ne faut par ailleurs jamais oublier d'évoquer une étiologie maligne, notamment les manifestations d'une hémopathie (leucémie ou lymphome). Dans les cas d'hypertrophie gingivale associée à des troubles hématologiques, la gencive est molle, érythémateuse, très œdématiée et saigne abondamment, ce qui n'est pas le cas ici.

Prise en charge

Devant une hyperplasie supposée d'origine médicamenteuse, le traitement chirurgical n'est pas réalisé d'emblée. En effet, une modification du traitement médicamenteux potentiellement inducteur doit être étudiée. Pour cela, le praticien doit se concerter avec le médecin traitant du patient.

Ici, il n'a pas été possible de changer les immunosuppresseurs en raison du rapport bénéfice/risque défavorable. Il a donc été décidé de substituer le nebivolol par du perindopril (inhibiteur de l'enzyme de conversion) réputé moins inducteur d'accroissement gingival.

De plus, un contrôle de l'inflammation gingivale doit être réalisé dès ce premier temps car l'inflammation gingivale est un facteur aggravant ce phénomène. Un traitement parodontal non chirurgical et une prescription de bains de bouche antiseptiques à la chlorhexidine ont été associés pour réduire cette inflammation.

La consultation post-opératoire à un mois retrouvait une évolution favorable des lésions hyperplasiques avec une persistance d'un accroissement gingival, moins important, au niveau papillaire entre les dents 11/12 et 41/42 (fig. 4).

Selon la sévérité et l'ancienneté des lésions, l'hypertrophie gingivale persiste parfois malgré un contrôle de l'inflammation efficace et la modification du traitement en cause ; la chirurgie plastique gingivale peut alors être indiquée. Dans ce cas, le patient ne rapportait plus aucune gêne et il ne souhaitait pas de gingivectomie correctrice.

La nécessité d'une surveillance semestrielle à vie fut expliquée au patient afin d`intercepter toute récidive et de maintenir une hygiène dentaire favorable.

À retenir 

Les accroissements gingivaux médicamenteux sont définis dans la classification des maladies parodontales (Chicago 2017) sous l'appellation de maladies gingivales induites par la plaque bactérienne. Les principaux médicaments associés aux accroissements gingivaux sont: les inhibiteurs calciques, les bétabloquants, les anticonvulsivants (phénytoïne) et les immunosuppresseurs (notamment la ciclosporine A).

L'accroissement gingival apparaît généralement 1 à 3 mois après le début de la prise du médicament associé. L'hyperplasie gingivale est souvent localisée au niveau des secteurs antérieurs et les zones vestibulaires. Ce phénomène débute au niveau des papilles interdentaires, puis se développe vers les surfaces dentaires. Les zones édentées ne sont généralement pas touchées.

En cas d'inflammation gingivale légère, la gencive hypertrophique est rose et ferme, avec une surface qui peut être lisse, piquetée ou granuleuse. En présence d'inflammation plus sévère, la gencive devient œdématiée, rouge foncé, voire violacée, avec une surface parfois ulcérée et saignant au moindre contact.

Dans les cas sévères, elle peut être responsable d'une gêne esthétique et fonctionnelle, et rend l'hygiène bucco-dentaire difficile pour le patient.

À lire

  • Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Courrier B, Samson J. La muqueuse buccale : de la clinique au traitement. Paris : Med'Com, 2009.