Les interrelations parodontite-maladies chroniques systémiques : le point sur les recommandations aux professionnels de santé et aux patients - Clinic n° 09 du 01/09/2020
 

Clinic n° 09 du 01/09/2020

 

Parodontie

Anas ABOUJRAB*   Marjolaine GOSSET**  


*Master de Santé, parcours Parodontologie
**Université de Paris
***Hôpital Charles Foix, Ivry
****PU-PH Parodontologie
*****Université de Paris
******Hôpital Charles Foix, Ivry

Les connaissances sur les liens entre parodontite et diabète ne cessent de croître et doivent modifier en conséquence notre pratique. La Fédération Européenne de Parodontologie et la Fédération Internationale de Diabétologie se sont unis pour bâtir des recommandations destinés au patient et aux praticiens (dentistes et médecins) : Quelles conséquences pour les soins parodontaux ? Que dire au patient ? Comment travailler avec le médecin ? Vous trouverez ici un résumé...


Les connaissances sur les liens entre parodontite et diabète ne cessent de croître et doivent modifier en conséquence notre pratique. La Fédération Européenne de Parodontologie et la Fédération Internationale de Diabétologie se sont unis pour bâtir des recommandations destinés au patient et aux praticiens (dentistes et médecins) : Quelles conséquences pour les soins parodontaux ? Que dire au patient ? Comment travailler avec le médecin ? Vous trouverez ici un résumé de ces recommandations.

La parodontite sévère est une maladie chronique inflammatoire à impact systémique en raison de la bactériémie chronique de faible intensité et de l'inflammation de bas grade qui lui sont associées. De nombreuses études montrent les interrelations entre les parodontites et des pathologies systémiques telles que le diabète, l'obésité, les pathologies cardiovasculaires, respiratoires ou articulaires. Ceci a conduit à la proposition de recommandations interprofessionnelles par l'European Federation of Periodontology (EFP) et la World Heart Federation (WHF) en ce qui concerne les maladies cardiovasculaires et l'EFP & l'International Diabetes Federation (IDF) en ce qui concerne le diabète. Ces recommandations sont destinées aux médecins, aux professionnels de santé et aux patients, et ont pour objectif d'améliorer le diagnostic précoce, la prévention et le traitement de ces maladies chroniques. Nous présentons dans ce travail une synthèse des recommandations établies pour le diabète afin de faciliter leur application en pratique clinique quotidienne.

La parodontite et les diabètes

Diabète et maladie parodontale, quelle relation ?

Le diabète est un facteur de risque majeur pour les maladies parodontales [1]. La parodontite est reconnue depuis de nombreuses années comme une complication du diabète [2] (tableau 1). En effet, le patient diabétique présente trois fois plus de risques de développer une parodontite par rapport à un patient en bonne santé [3, 4]. De plus, la parodontite peut influencer le taux de glycémie et les complications du diabète.

L'Hba1c, c'est quoi ?

Le taux d'hémoglobine glyquée (HbA1c) est le reflet de l'équilibre glycémique (taux de sucre dans le sang) dans les 2 à 3 mois qui précèdent son dosage. Chez une personne diabétique dont le diabète est contrôlé, ce taux doit être autour de 6,5 % (tableau 2). Un taux supérieur à 7 % indique que le diabète n'est pas contrôlé. Ce taux permet au dentiste d'identifier le risque infectieux du patient, et au médecin d'évaluer le risque de complications du diabète. Il fait référence au contraire de la glycémie qui est le moyen de contrôle quotidien du patient.

Influence de la parodontite sur le diabète

Quelle influence de la parodontite sur le contrôle de la glycémie ?

La parodontite sévère favorise l'hyperglycémie chez les non-diabétiques et les diabétiques. En effet, les personnes non diabétiques atteintes de parodontite ont un taux d'HbA1C plus élevé que les personnes en meilleure santé parodontale [7]. De même, une parodontite sévère a un risque de multiplier par cinq l'HbA1c chez les patients non diabétiques [8]. Enfin, la parodontite sévère est associée à des taux sériques significativement élevés d'HbA1C chez les personnes non diabétiques et chez celles atteintes de diabète [9]. Par conséquent, les personnes atteintes de parodontite sévère ont un risque accru de développer un pré-diabète et un diabète [7].

Quelle influence de la parodontite sur les complications du diabète ?

Il existe de nombreuses comorbidités du diabète (tableau 3), qui peuvent rester longtemps silencieuses. Celles-ci sont influencées par l'équilibre glycémique d'une part, et par la durée d'évolution de la maladie d'autre part. La parodontite sévère augmente les complications chroniques du diabète. Une relation directe entre la sévérité de la parodontite et un risque accru de microalbuminurie (présence en quantité anormale d'albumine dans les urines), d'insuffisance rénale terminale, d'athérosclérose des carotides et de mortalité cardio-rénale a été trouvée [9, 10].

Le traitement parodontal améliore-t-il le diabète ?

Le traitement parodontal non chirurgical est important chez les patients diabétiques non équilibrés de type 2 atteints de parodontite car il contribue au contrôle glycémique, tout en préservant la santé dentaire et parodontale [11]. En effet, le traitement parodontal non chirurgical permet une diminution du taux d'HbA1c de près de 0,36 % et, de ce fait, participe au traitement de la résistance à l'insuline [12]. En ce qui concerne les sujets diabétiques de type 1, nous ne disposons pas à ce jour de résultats avec un niveau de preuve suffisant.

Les antibiotiques (au cours du traitement parodontal non chirurgical adjuvant) permettent-ils de meilleurs résultats sur le contrôle glycémique ?

L'utilisation d'antibiotiques adjuvants au traitement parodontal non chirurgical n'améliore pas la réduction de l'HbA1c chez les patients diabétiques de types 1 et 2 en comparaison du seul traitement parodontal non chirurgical [13, 14].

Le diabète vers la parodontite

Le diabète augmente-t-il le risque de parodontites ?

L'hyperglycémie associée au diabète augmente le risque de développer une parodontite et est également associée à sa sévérité [15, 16]. En outre, on aura de moins bons résultats après un traitement parodontal chez les patients diabétiques non équilibrés [3, 17].

Les mécanismes d'action qui relient le diabète non équilibré à la parodontite mettent en jeu une hyperactivation de la réaction immuno-inflammatoire caractérisée par une hyperproduction de médiateurs pro-inflammatoires (IL-1-β, TNF-α, IL-6, RANKL et stress oxydatif). De plus, une limitation de la cicatrisation et du remodelage tissulaire, en raison des modifications vasculaires et de troubles du métabolisme du collagène, est impliquée. Ces mécanismes expliquent l'augmentation de la destruction parodontale [18, 19] (fig. 1).

Le microbiote parodontal est-il affecté par le diabète ?

Des études indiquent une association entre une altération du métabolisme du glucose dans le prédiabète et le diabète et des changements dans le microbiote parodontal [18]. Une étude récente utilisant un modèle de souris a suggéré que le diabète augmente la dysbiose orale par le biais de la dérégulation de la réponse immunitaire, en impliquant la cytokine pro-inflammatoire IL-17 [20]. Une autre étude rapporte que le microbiote sous-gingival des sujets diabétiques de type 2 sans parodontite est enrichi en bactéries du complexe orange et du complexe rouge en comparaison de la flore de sujets non diabétiques, ce qui suggère un risque plus élevé de développer une parodontite [21].

Le contrôle du diabète améliore-t-il l'état parodontal ?

Il existe des preuves scientifiques que l'amélioration du contrôle du diabète réduit le stress oxydatif, améliore les profils lipidiques et réduit les niveaux de cytokines circulantes. Cependant, il n'y a aucune étude reliant ces changements biologiques à l'amélioration du statut parodontal.

Les recommandations selon le workshop de l'EFP et l'IDF [23]

Quel est le rôle de médecin ?

Le médecin doit :

– informer le patient du risque accru de développer des maladies parodontales ;

– mener un dépistage parodontal systématique avec interrogatoire (questionner quant à l'existence de sècheresse buccale, douleur gingivale, saignement, mobilité dentaire), examiner les dents et les gencives, orienter le patient vers une consultation chez le chirurgien-dentiste si nécessaire ;

– informer les patients diabétiques que s'ils sont atteints d'une parodontite, leur contrôle glycémique peut être plus difficile à réaliser. De plus, ils sont plus à risque d'autres complications du diabète ;

– expliquer que la thérapie parodontale peut avoir un impact positif sur leur contrôle métabolique et les complications de diabète ;

– rappeler la nécessité d'un suivi bucco-dentaire rigoureux ;

– le médecin doit travailler en collaboration avec le dentiste au sujet de la gestion du diabète avant des interventions orales, dont les chirurgies, pour éviter un accident hypoglycémique et considérer son impact potentiel sur la capacité du patient à manger.

Quelles sont les recommandations pour le patient diabétique ?

– Une fois que le diagnostic de diabète a été posé, le patient doit prendre rendez-vous chez le dentiste pour un examen oral ;

– les patients sont invités à réaliser un auto-examen : vérifier s'il y a des symptômes de gingivites ou de parodontites, tels qu'une gencive rouge enflammée, un saignement spontané ou au brossage, un mauvais goût, des mobilités dentaires, des pertes dentaires, des diastèmes et la présence de tartre. Il doit consulter un dentiste le plus tôt possible s'il présente ou remarque ces signes ;

– même en absence de signes de maladies parodontales, le patient doit toujours avoir des examens dentaires annuels dans le cadre de la gestion de son diabète ;

– le patient doit appliquer une technique de brossage efficace (2 fois par jour pendant au moins 2 minutes) et utiliser des brossettes interdentaires pour prévenir les maladies parodontales.

Quel est le rôle de dentiste ?

Le dentiste doit :

– recueillir l'anamnèse médicale (type de diabète, durée de la maladie, présence de complications, traitement du diabète et thérapies concomitantes) ;

– informer les personnes atteintes de diabète qu'elles présentent un risque accru de parodontite. Il faut également les informer que s'ils ont une parodontite, leur contrôle glycémique peut être plus difficile à réaliser, et qu'ils sont plus à risque d'autres complications du diabète ;

– vérifier le contrôle du diabète en demandant aux patients d'apporter une copie de leur dernier résultat d'HbA1c, ou leur demander cette information lors de l'entretien clinique ;

– réaliser un examen oral complet avec une évaluation parodontale complète par sondage, et une évaluation des autres complications buccales potentielles (bouche sèche, stomatodynie, infections à candida et caries dentaires) ;

– traiter rapidement les personnes atteintes de diabète présentant des infections buccales/parodontales aiguës. Si une parodontite est diagnostiquée, elle doit être prise en charge sans délai quel que soit le niveau de contrôle du diabète : un traitement parodontal non chirurgical doit être réalisé, car il peut aider à améliorer le contrôle glycémique ;

– différer le traitement chirurgical parodontal et implantaire si les patients ne présentent pas un contrôle acceptable du diabète. Chez les patients bien contrôlés, les résultats des interventions chirurgicales sont équivalents aux patients non diabétiques ;

– porter une attention particulière aux personnes atteintes d'un diabète mal contrôlé, et présentant en conséquence un risque accru d'infections postopératoires ;

– consulter le médecin sur la procédure prévue et un éventuel changement de posologie du traitement afin de réduire le risque d'hypoglycémie préopératoire pour les patients traités par insuline ou sulfonylurées et si son diabète est mal contrôlé ;

– adresser le patient à son médecin lorsque le diabète n'est pas connu et qu'il présente les symptômes évocateurs de diabète (polydypsie, polyurie, polyphagie, perte de poids inexpliquée) ;

– procéder à la réhabilitation fonctionnelle des patients diabétiques édentés (partiellement ou totalement) pour rétablir une mastication suffisante pour une nutrition adéquate ;

– éduquer les patients à la santé orale pour maintenir celle-ci, en enseignant les bonnes méthodes de brossage, l'utilisation des brossettes interdentaires, et en expliquant le bénéfice de la bonne hygiène orale sur la santé et la prévention de maladie.

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

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