ET SI C’ÉTAIT SALIVAIRE ? APPROCHE CLINIQUE DES PATHOLOGIES DES GLANDES SALIVAIRES DE LA FACE VENTRALE DE LA LANGUE ET DU PLANCHER BUCCAL - Clinic n° 09 du 01/09/2022
 

Clinic n° 09 du 01/09/2022

 

Médecine

Bucco-dentaire

Antoine DUBUC*   Clément CAMBRONNE**   Sara LAURENCIN-DALICIEUX***   Charlotte THOMAS****   Sarah COUSTY*****  


*Docteur Junior, Département de Chirurgie orale. Faculté de Chirurgie dentaire. Service d’Odontologie, CHU de Toulouse. CERPOP, UMR 1295.
**CCU-AH, Département de Chirurgie orale. Faculté de Chirurgie dentaire de Toulouse. Service d’Odontologie, CHU de Toulouse.
***DDS, PhD. MCU-PH en Parodontologie. Faculté de Chirurgie dentaire de Toulouse. CERPOP, UMR 1295.
****AHU, Département de Parodontologie. Faculté de Chirurgie dentaire de Toulouse.
*****Professeure, Département de Chirurgie orale. Dermatologie de la Muqueuse buccale, CHU Toulouse.

La région pelvi-linguale et la face ventrale de langue sont des régions riches en glandes salivaires, qu’elles soient accessoires, réparties de manière diffuse dans la muqueuse buccale, ou principales, avec l’abouchement de canaux salivaires à des ostia identifiables lors de l’examen clinique. La pathologie salivaire est polymorphe et peut se traduire par des modifications de volume et de couleur de la muqueuse de recouvrement. L’objectif de cet article est de présenter...


Résumé

Des glandes salivaires sont réparties dans les régions pelvi-linguale, du plancher et de la face ventrale de la langue. Les glandes salivaires principales sublinguales et submandibulaires occupent le plancher buccal et s’abouchent au niveau du plancher buccal antérieur. Le muscle mylohyoïdien divise le plancher buccal en 2 zones, supra-mylohyoïdienne et sous-mylohyoïdenne. Les glandes submandibulaires sont sous-mylohyoïdienne, pour leur majeure partie.

De nombreuses glandes salivaires accessoires sont réparties dans le plancher buccal antérieur, la région pelvi-linguale et au niveau de la face antérieure de la langue. Ces glandes salivaires peuvent être le siège de pathologies multiples et polymorphes. Les infections des glandes salivaires sont souvent la conséquence d’une lithiase réalisant l’obstruction plus ou moins totale du canal salivaire. Des dilatations ou des sténoses non lithiasiques sont également possibles. Elles vont ralentir, voire stopper l’écoulement salivaire et permettre une surinfection du canal et/ou de la glande elle-même. Ces infections sont le plus souvent d’origine bactérienne. La pathologie lithiasique, non infectieuse, est également fréquente, en particulier pour les glandes submandibulaires. Les glandes salivaires peuvent être le siège de pathologies tumorales bénignes et malignes. Nous détaillons dans cet article, plusieurs cas cliniques représentant des pathologies salivaires multiples.

La région pelvi-linguale et la face ventrale de langue sont des régions riches en glandes salivaires, qu’elles soient accessoires, réparties de manière diffuse dans la muqueuse buccale, ou principales, avec l’abouchement de canaux salivaires à des ostia identifiables lors de l’examen clinique. La pathologie salivaire est polymorphe et peut se traduire par des modifications de volume et de couleur de la muqueuse de recouvrement. L’objectif de cet article est de présenter simplement les caractéristiques cliniques des pathologies les plus fréquentes intéressant les glandes salivaires de la face ventrale de langue et du plancher antérieur. Les grands principes de prise en charge sont mentionnés.

RAPPELS ANATOMIQUES

La région pelvi-linguale contient des glandes salivaires principales (glandes submandibulaires et glandes sublinguales) ainsi que des glandes salivaires accessoires (tableau 1) (figures 1 et 2) [1].

La pathologie des glandes salivaires est riche [2-5]. Elle regroupe des pathologies tumorales (bénignes et malignes) et non tumorales (obstructives, inflammatoires, infectieuses, développementales, auto-immunes).

PATHOLOGIES NON TUMORALES DES GLANDES SALIVAIRES

Cas clinique n° 1

Un patient de 30 ans, sans antécédent médical particulier, consulte pour l’apparition d’une grosseur sous-mandibulaire gauche. Il décrit des épisodes douloureux récidivants dans cette même zone, à l’alimentation. Il n’y a pas d’altération de l’état général. L’examen clinique exobuccal rapporte une adénopathie sous-mandibulaire gauche. L’examen clinique endobuccal retrouve une tuméfaction pelvi-linguale gauche et une suppuration à l’ostium de la glande sublinguale gauche (figure 3). Un examen radiologique tridimensionnel montre une opacité sur le chemin du canal de Wharton (figure 4). Le diagnostic de lithiase est posé. La lithiase occupe une position haute dans le canal, dans le tiers proximal. L’exérèse de la lithiase est réalisée par voie endobuccale (figures 5 et 6).

Cas clinique n° 2

Une patiente de 84 ans, sans antécédent médical particulier, consulte pour l’apparition, une semaine auparavant, d’une volumineuse tuméfaction sous-mandibulaire gauche. Il existe une altération de l’état général associant une dysphagie ainsi qu’une fébricule (38,7 °C). L’examen exobuccal montre un érythème cutané en regard de la tuméfaction localisée en sous-mandibulaire (figure 7). Cette dernière est souple à la palpation. L’examen endobuccal retrouve un canal de Warthon gauche tuméfié et inflammatoire. La palpation du plancher buccal met en évidence un sillon entre le rempart alvéolaire lingual et la tuméfaction et fait apparaître du pus à l’ostium du canal de Wharton (figure 8).

Le tableau clinique évoque une sialadénite suppurée et nécessite la prescription d’une imagerie, ici un examen tomodensitométrique injecté (figures 9 et 10). Celui-ci met en évidence une lésion hypodense et bien circonscrite d’environ 2 × 3 cm évoquant un sialocèle. Au sein de cette collection salivaire est retrouvée une lithiase mesurant 3 × 4 mm. Un drainage ainsi qu’une marsupialisation de ce sialocèle sont programmés sous anesthésie générale permettant également, dans le même temps, une exérèse de la lithiase (figure 11).

Les calculs salivaires ou sialolithiases sont des concrétions composées de phosphate de calcium pouvant réduire, voire obstruer le flux salivaire. Ils sont à l’origine d’épisodes inflammatoires ou infectieux intéressant les canaux excréteurs (sialodochite), voire la glande salivaire en elle-même (sialadénite). Cette atteinte lithiasique affecte essentiellement la glande submandibulaire (83 %). Les lithiases affectant les glandes sublinguales ou les glandes salivaires accessoires sont beaucoup plus rares et ne représentent que 7 % des cas [6]. Les atteintes peuvent être uniques ou multiples, uni ou bilatérales. Les lithiases peuvent affecter tant les conduits intra-glandulaires qu’extra-glandulaires.

Alors que la découverte peut être fortuite, la présence de sialolithiase [7] est souvent associée à des épisodes de gonflements intermittents pouvant même évoluer vers un épisode infectieux entraînant des écoulements purulents et une inflammation du canal de Wharton. Ce processus suppuratif aigu est lié à la stase salivaire favorisant la colonisation bactérienne et les infections ascendantes. L’obstruction totale du canal excréteur est à l’origine de coliques salivaires. On retrouvera à l’examen clinique une persistance extra-orale de la tuméfaction glandulaire, douloureuse, indurée. La symptomatologie sera exacerbée par les repas du fait de l’absence d’écoulement du flux salivaire.

Le traitement de ces pathologies lithiasiques repose en première intention sur l’exérèse de la lithiase qui peut survenir spontanément mais nécessitera la plupart du temps une intervention. Le traitement de référence aujourd’hui repose sur la sialendoscopie [8, 9] qui permettra le retrait de la lithiase et le lavage de la glande et du canal excréteur à distance d’une infection. Une approche combinée, associant chirurgie et sialendoscopie (vidéo 1), peut être envisagée selon la position du calcul. En cas d’échec des traitements précédents, une exérèse de la glande sera proposée.

La sialadénite fait référence à un épisode inflammatoire ou infectieux affectant une glande salivaire. Les sialadénites d’origine infectieuse ou virale sont les plus fréquentes. Les pathologies auto-immunes telles que le syndrome de Gougerot-Sjögren sont également à considérer face à un tableau de sialadénite. Les infections bactériennes aiguës sont généralement liées à une infection ascendante de la glande par le microbiote oral.

Les propriétés antibactériennes de la salive ainsi que le flux salivaire évitent la colonisation bactérienne et protègent des infections bactériennes. Ces infections bactériennes peuvent affecter toutes les glandes et les patients de tout âge. La parotide reste la glande salivaire la plus fréquemment atteinte d’infection bactérienne aiguë. L’atteinte des glandes submandibulaires est possible mais est souvent associée à une pathologie lithiasique. Enfin, l’atteinte des glandes salivaires accessoires est, quant à elle, extrêmement rare.

Face à une sialadénite bactérienne, le patient présente une tuméfaction douloureuse de la glande salivaire impliquée, généralement associée à une inflammation des tissus avoisinants et à un écoulement purulent à l’ostium du canal excréteur. Le traitement repose sur une antibiothérapie et sur des massages réguliers pour rétablir le flux salivaire.

Enfin, une chronicisation de ces infections peut subvenir, notamment en cas de stase salivaire ou de réduction du flux salivaire.

PATHOLOGIES PSEUDO-TUMORALES ET KYSTIQUES DES GLANDES SALIVAIRES

Cas clinique n° 3 : mucocèle

Un patient de 27 ans, sans antécédent particulier, consulte pour une tuméfaction récidivante de la face ventrale de la langue (figure 12). Plusieurs épisodes ont été rapportés par le patient et se sont résolus spontanément associés à un écoulement visqueux.

L’examen clinique retrouve un nodule sous-muqueux de la face ventrale de la langue, bleuté, latéralisé à droite, fluctuant à la palpation mais sans modification de la muqueuse de recouvrement. Face à ce mucocèle, une exérèse de la glande salivaire accessoire et du pseudo-kyste associé est réalisée [10].

Les mucocèles sont liés à des traumatismes intéressant le conduit excréteur des glandes salivaires accessoires ayant pour conséquence une extravasation du liquide salivaire. Il est cliniquement associé à une tuméfaction d’aspect kystique visible et superficiellement localisée et bleutée. Généralement localisés sur la face interne des lèvres, les mucocèles ou ranulas peuvent être également retrouvés au niveau de la face ventrale de la langue. Ces affections ont tendance à se rompre et à récidiver, ce qui impose une exérèse chirurgicale complète incluant la glande salivaire associée.

Cas clinique n° 4 : grenouillette

Un adolescent de 14 ans, sans antécédent médico-chirurgical particulier, consulte pour une gêne localisée au niveau du plancher buccal, apparue 48 heures auparavant. Le patient rapporte une gêne à l’élocution mais pas de douleur. Il précise également des épisodes itératifs de gonflement, à ce même endroit, mais moins volumineux et disparaissant spontanément.

L’examen exobuccal est normal. L’examen endobuccal montre une tuméfaction sublinguale gauche, lisse, bleutée. La palpation de la glande submandibulaire gauche fait sourdre une salive claire à l’ostium du conduit submandibulaire. Il existe un sillon libre avec la table linguale mandibulaire, en regard (figure 13).

Le diagnostic retenu est celui de « grenouillette sub-linguale » [11]. Une grenouillette se forme par extravasation salivaire sous-muqueuse. Un traumatisme du canal excréteur est fréquemment l’élément étiologique initial. La collection salivaire peut se rompre spontanément mais le taux de récidive est important. La prise en charge nécessite dans certains cas une imagerie tomodensitométrique afin de préciser les extensions profondes de la grenouillette, à travers le muscle mylo-hyoïdien. L’exérèse de la glande est parfois nécessaire.

PATHOLOGIES TUMORALES DES GLANDES SALIVAIRES

Les tumeurs des glandes salivaires sont des pathologies rares [4, 12]. Ce groupe hétérogène de pathologies englobe environ 3 à 5 % des carcinomes de la tête et du cou et seulement 0,5 % de l’ensemble des tumeurs malignes correspondant à ces types. Pourtant, il s’agit d’un diagnostic à ne surtout pas écarter face à une atteinte du plancher buccal ou de la face ventrale de la langue.

Cas clinique n° 5

Une femme de 66 ans, sans antécédent médico-chirurgical particulier, consulte pour des douleurs persistantes du plancher buccal droit. Elle présente une intoxication tabagique à 40 paquets/année, sans consommation d’alcool associée. La douleur est apparue 4 ans auparavant, avec une augmentation de l’intensité récente.

L’examen clinique exobuccal est sans particularité. L’examen clinique endobuccal met en évidence une lésion mixte du sillon pelvi-lingual droit, en regard de la zone édentée de 44 et s’étendant sur 2 cm (figures 14 et 15). Après analyse anatomopathologie, le diagnostic de carcinome adénoïde kystique est retenu.

Les pathologies tumorales des glandes salivaires regroupent tout d’abord des atteintes bénignes essentiellement représentées par l’adénome pléomorphe. Cette pathologie est rare au niveau des glandes salivaires de la face ventrale de langue ou du plancher buccal, les localisations les plus fréquentes étant parotidienne et palatine [13, 14].

Il existe également des atteintes malignes dont les 3 diagnostics les plus souvent retrouvés sont le carcinome adénoïde kystique, le carcinome muco-épidermoïde et le carcinome à cellules acineuses.

L’exérèse chirurgicale est le traitement de choix pour les tumeurs résécables. Dans le cas de pathologies tumorales malignes des glandes salivaires, la chimiothérapie n’a pas fait la preuve de son efficacité quel que soit le stade (y compris métastatique). Des études cliniques sont en cours concernant les nouvelles thérapies ciblées. Leur utilisation devrait faire l’objet d’études cliniques, notamment avec les nouveaux cytostatiques. Le grade histologique est important pour le pronostic et la thérapie. La chirurgie reste le pilier du traitement lorsque des marges négatives peuvent être atteintes. La radiothérapie améliore le contrôle locorégional des tumeurs présentant des caractéristiques à haut risque.

CONCLUSION

La face ventrale de la langue ainsi que le plancher buccal peuvent être le siège de nombreuses pathologies, du fait de la variété des tissus composant ces régions : tissu musculaire, tissu glandulaire, muqueuse de recouvrement peu kératinisée… L’examen attentif de ces régions est nécessaire et doit être systématique et faire partie de l’examen clinique de routine.

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Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

Vidéo 1

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