CORRECTION DE BÉANCES ANTÉRIEURES MINIMES PAR CORONOPLASTIES CHEZ L’ADULTE : DÉCISION THÉRAPEUTIQUE - Clinic n° 05 du 01/05/2023
 

Clinic n° 05 du 01/05/2023

 

Occlusodontie

Audrey LO YING PING*   Olivier ROBIN**  


*Interne en Médecine buccodentaire, UFR Odontologie Lyon.
**PU-PH, UFR Odontologie Lyon. UF Dysfonctions orales, Service d’Odontologie, CHU de Lyon.

Dans les cas de béances antérieures minimes, un traitement par coronoplasties peut représenter une alternative au traitement orthodontique. La décision thérapeutique doit prendre en compte l’étiologie de la béance, l’existence éventuelle de parafonctions et les résultats d’une simulation préalable sur des modèles d’étude avec, dans tous les cas, la signature d’un consentement éclairé par le patient.

La correction des béances antérieures représente un véritable défi thérapeutique, avec un risque de récidive important [1]. Les étiologies sont multiples, notamment squelettiques (rotation mandibulaire postérieure), dentaires (égression des dents postérieures), parafonctions (dyspraxie linguale), port de gouttières occlusales iatrogènes. Le traitement le plus classique, surtout dans les cas de béances importantes, est le traitement orthodontique avec ou sans chirurgie orthognathique associée.

Dans les cas de béances minimes, un traitement par coronoplasties peut représenter, dans certaines conditions, une alternative possible au traitement orthodontique [2-4].

Cette approche est illustrée par la présentation de deux cas cliniques qui ont abouti à des décisions thérapeutiques différentes. La décision thérapeutique doit, en effet, prendre en compte l’étiologie de la béance, l’existence éventuelle de parafonctions (dyspraxie linguale notamment) et les résultats d’une simulation préalable sur des modèles d’étude avec, dans tous les cas, la signature d’un consentement éclairé par le patient.

PREMIER CAS

Motif de la consultation

Madame P., 24 ans, interne en médecine, est adressée par son chirurgien-dentiste pour une béance occlusale apparue depuis quelques mois. Le motif de la consultation est essentiellement d’ordre fonctionnel avec une gêne importante à la mastication et la sensation d’avoir des contacts dentaires uniquement sur « les dents du fond ».

Interrogatoire et examen clinique

L’anamnèse médicale ne révèle aucun problème de santé, ni traitement médical en cours.

Mme P. nous informe qu’elle a suivi un traitement orthodontique à l’âge de 12-14 ans et qu’elle porte une gouttière occlusale depuis 1 an en raison d’un bruxisme nocturne. Elle a cependant remarqué que sa gouttière ne recouvrait pas ses dents de sagesse (38 et 48).

L’examen clinique ne montre aucun dysfonctionnement musculo-articulaire.

L’examen occlusal révèle, en revanche, l’existence d’une béance occlusale presque totale, avec des contacts presque uniquement sur les dents de sagesse (figure 1).

La béance au niveau incisif est d’environ 2,5 mm. On note, par ailleurs, l’absence de 4 prémolaires, extraites dans le cadre du traitement orthodontique, et un onlay sur 36.

Hypothèses étiologiques

Trois hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l’apparition de cette béance.

• Une récidive du traitement orthodontique qui, d’après les souvenirs de la patiente, aurait été réalisé notamment pour corriger une béance antérieure. Cette information n’a cependant pas pu être vérifiée, en l’absence du dossier orthodontique de l’époque.

• L’égression des dents de sagesse, non recouvertes par la gouttière de bruxisme. Cette hypothèse est renforcée par l’impression de la patiente que la béance est apparue depuis le port de cette gouttière.

• Une rotation mandibulaire postérieure, conséquence d’une résorption condylienne idiopathique [5]. Cette hypothèse a cependant été écartée suite à la réalisation d’une radiographie panoramique qui a montré une anatomie condylienne normale (figure 2). La résorption condylienne idiopathique correspond à une atteinte dégénérative agressive des condyles survenant à l’adolescence, au cours de la période de croissance. Aucun antécédent d’une telle pathologie n’a été rapporté par la patiente.

Compte tenu de ces différents éléments, l’hypothèse que nous avons retenue est l’égression des dents de sagesse provoquée par le port d’une gouttière de bruxisme iatrogène [6].

Proposition et décision thérapeutiques

L’objectif thérapeutique était de rétablir une occlusion dentaire fonctionnelle afin de retrouver des conditions masticatoires efficaces et de fermer la béance.

Un avis orthodontique a été sollicité et a confirmé la possibilité de corriger la béance par un traitement orthodontique. Cependant, la patiente a refusé cette option, ne souhaitant pas se réengager dans un nouveau traitement orthodontique.

Une alternative par coronoplasties lui a alors été proposée, en précisant qu’elles seront préalablement simulées sur des modèles en plâtre et ne lui seront proposées que dans le cas où elles permettraient d’atteindre l’objectif fixé tout en étant respectueuses de l’intégrité dentaire (elles ne concerneraient que l’émail et un petit nombre de dents).

La patiente s’est montrée très favorable à cette alternative et a donné son accord pour effectuer la simulation.

Simulation des coronoplasties sur les modèles en plâtre

Après prise d’empreinte des deux arcades dentaires à l’alginate et enregistrement de la relation intermaxillaire, les modèles sont montés sur un articulateur semi-adaptable (Quick Master LAB 40) et les contacts occlusaux visualisés à l’aide d’un papier à articuler (figures 3 à 5). Les meulages sont effectués sur les modèles en plusieurs temps, jusqu’à l’obtention d’une occlusion satisfaisante (contacts répartis sur la quasi-totalité des dents et fermeture de la béance). La chronologie des retouches, avec le numéro des dents concernées, est notée au fur et à mesure.

Reproduction des coronoplasties sur la patiente

Les résultats de la simulation ont été présentés à la patiente en lui expliquant qu’un résultat satisfaisant a pu être obtenu avec des corrections minimes, compatibles avec le maintien de l’intégrité dentaire. Rassurée par cette simulation et la visualisation du résultat obtenu, la patiente a donné son accord pour la reproduction des coronoplasties sur ses dents.

Au préalable, il lui a été demandé de signer un formulaire de consentement éclairé et d’acceptation du traitement proposé (figure 6).

Ce consentement prévoyait notamment une consultation auprès d’un(e) orthophoniste, afin de bilanter et de corriger une éventuelle interposition linguale, facteur de risque reconnu d’entretien des béances [7].

La réalisation des coronoplasties, selon la chronologie établie lors des simulations, a permis de reproduire le schéma occlusal obtenu sur les modèles, avec un recouvrement incisif d’environ 1 mm (figure 7).

À la fin de la séance, une empreinte a été prise pour la confection d’une gouttière occlusale à la mandibule qui a été posée la semaine suivante.

Un premier contrôle à 3 mois a permis de vérifier le maintien du résultat acquis, sans signe de récidive de la béance et sans apparition d’une sensibilité dentinaire. La patiente nous a fait part de sa grande satisfaction, notamment en ce qui concerne le recouvrement d’une efficacité masticatoire très appréciable. Elle nous a également informé avoir consulté une orthophoniste qui a diagnostiqué l’absence d’interposition et de dyspraxie linguale, ce qui constitue un élément très favorable pour le pronostic. Elle a cependant accepté de suivre quelques séances de rééducation myofonctionnelle, procédé qui a montré son intérêt pour diminuer les risques de récidive de la béance [8].

Un contrôle à 6 mois a confirmé la parfaite stabilité des résultats occlusaux obtenus (figure 8).

Discussion

Dans le cas de Mme P., le résultat obtenu avec les coronoplasties peut être considéré comme satisfaisant, conforme aux simulations effectuées et aux attentes de la patiente. Cette option thérapeutique a, en effet, permis de fermer la béance et de retrouver une occlusion équilibrée et fonctionnelle, tout en évitant un traitement orthodontique, conformément à sa demande.

Plusieurs facteurs sont en faveur d’un pronostic favorable dans ce cas : la faible importance de la béance (2,5 mm au niveau incisif), l’étiologie probable de la béance (égression des dents de sagesse due au port d’une gouttière occlusale iatrogène) et l’absence d’interposition et de dyspraxie linguale révélée par le bilan orthophonique.

Un suivi régulier est cependant nécessaire, un risque de récidive n’étant pas à exclure à plus long terme.

DEUXIÈME CAS

Motif de la consultation

Mme L., 26 ans, étudiante, consulte pour une sensation de contacts occlusaux non équilibrés entre les côtés droit et gauche, associée à des tensions cervicales permanentes qui l’obligent à porter une gouttière occlusale la nuit.

Interrogatoire et examen clinique

L’anamnèse médicale ne révèle aucun problème de santé, ni traitement médical en cours.

Comme dans le premier cas, la patiente indique avoir suivi un traitement orthodontique entre 12 ans et 15 ans, qui a permis de fermer une béance antérieure. Elle rapporte également l’existence d’un bruxisme du sommeil.

L’examen occlusal révèle l’existence d’une béance antérieure de canine à canine, dont l’importance est d’environ 3 mm (figure 9).

Hypothèse étiologique

Dans ce cas, l’hypothèse d’une récidive de la béance, qui avait été corrigée orthodontiquement à l’adolescence, peut être avancée, d’autant qu’il existe une habitude d’interposition linguale dont la patiente a conscience.

Proposition et décision thérapeutiques

La patiente a consulté deux orthodontistes qui ont confirmé la possibilité de fermeture de la béance et la correction des éventuels problèmes dento-squelettiques associés, par un traitement orthodontique, avec une chirurgie orthognathique pour l’un et sans chirurgie pour l’autre. Compte tenu de la lourdeur du traitement, la patiente n’a pas souhaité se réengager dans un nouveau traitement orthodontique, surtout s’il doit nécessiter une chirurgie orthognathique.

Il lui a donc été proposé d’étudier la faisabilité d’un traitement par coronoplasties, avec pour objectifs de fermer la béance et de retrouver des contacts occlusaux plus équilibrés, conditions qui pourraient réduire ses tensions musculaires cervicales.

À la différence du cas précédent, l’existence de contacts occlusaux sur les molaires et les prémolaires laisse prévoir la nécessité de retoucher un plus grand nombre de dents pour fermer la béance (figure 10).

Cette première analyse a été confirmée par la simulation des coronoplasties qui a nécessité des retouches sur les molaires et les prémolaires, sans pour autant permettre une fermeture complète de la béance (figures 11 à 13). Les coronoplasties auraient permis de restaurer des contacts occlusaux plus équilibrés mais la fermeture de la béance aurait nécessité des coronoplasties qui n’étaient plus compatibles avec le respect de l’intégrité dentaire.

Après présentation de ces résultats à la patiente et discussion avec elle, il a été décidé de ne pas entreprendre le traitement. L’existence d’une habitude d’interposition linguale représentait, par ailleurs, un élément défavorable pour le pronostic, avec un risque important de récidive de la béance qui n’aurait pas été fermée complètement. Le cas de Mme L. relève d’un traitement orthodontique.

CONCLUSION

Dans les cas de béances occlusales minimes, le traitement par coronoplasties sélectives peut représenter une alternative possible aux traitements orthodontiques [2, 3]. Il représente, en effet, une solution rapide et peu invasive, tout en évitant la lourdeur et le coût d’un traitement (chirurgico-) orthodontique qui, bien que représentant a priori la solution « idéale », n’est jamais à l’abri d’une possible récidive, y compris avec une chirurgie orthognathique associée [9, 10].

Comme l’illustrent les deux cas cliniques présentés, la décision thérapeutique doit prendre en compte différents facteurs :

- l’étiologie de la béance : favorable dans le cas de Mme P. (égression des dents de sagesse induite par le port d’une gouttière occlusale iatrogène) mais défavorable dans le cas de Mme L. (récidive d’une béance uniquement antérieure traitée orthodontiquement à l’adolescence) ;

- la présence éventuelle de dyspraxies comme l’interposition linguale [7] : absente dans le cas de Mme P. mais présente dans le cas de Mme L. L’interposition linguale représente un facteur de risque important d’une possible récidive. Il est donc essentiel, dans ce type de traitement, de vérifier l’absence d’une telle dyspraxie, si besoin en prenant un avis auprès d’un(e) orthophoniste ;

- l’importance de la béance et des coronoplasties à réaliser : ce type de traitement ne peut s’appliquer qu’à des béances minimes, inférieures à 3 mm au niveau incisif, recouvrement compris. Sa faisabilité doit toujours être évaluée par une simulation préalable, afin de vérifier que les objectifs fixés pourront être atteints dans le respect de l’intégrité dentaire (coronoplasties uniquement amélaires et faible nombre de dents concernées). La réalisation de retouches occlusales directement sur les dents du patient, sans étude préalable, peut conduire à de sérieuses désillusions.

Toute coronoplastie est, par ailleurs, contre-indiquée sur les dents symptomatiques (affection pulpaire ou parodontale). Dans tous les cas, la responsabilité du praticien étant engagée, l’accord préalable du patient devra être obtenu par la signature d’un formulaire de consentement éclairé.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 10. Teittinen M, Tuovinen V, Tammela L, Schätzle M, Peltomäki T. Long-term stability of anterior open bite closure corrected by surgical-orthodontic treatment. Eur J Orthod 2012;34(2):238-243.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.