BRUXISME ET IMPLANTS : QUELLE APPROCHE CLINIQUE ADOPTER ? - Clinic n° 06 du 01/06/2023
 

Clinic n° 06 du 01/06/2023

 

Prothèse

Implantaire

Alice HAUTEFEUILLE*   Emmanuel D’INCAU**   Radhia BENBELAID***  


*AH Prothèse et Troubles fonctionnels oro-faciaux, Groupe Charles-Foix Pitié Salpêtrière. Exercice libéral à Versailles.
**MCU-PH, UFR Sciences odontologiques, UMR 6033 SANPSY, Université de Bordeaux. Service de Médecine bucco-dentaire, CHU de Bordeaux.
***MCU-PH, UFR Odontologie, Université Paris Cité. Département Réhabilitation orale et troubles fonctionnels oro-faciaux, GH APHP Pitié-Salpêtrière - Charles-Foix. Exercice libéral à Malakoff.

Le bruxisme est une activité répétitive des muscles masticateurs, exercée durant l’éveil et/ou le sommeil, le plus souvent de manière non consciente et caractérisée par le serrement et le grincement des dents. Il touche 8 à 32 % de la population adulte (selon les études et les populations) et peut avoir des conséquences fonctionnelles et esthétiques sur la sphère oro-faciale, notamment sur les prothèses implanto-portées. Le développement de la prothèse implanto-portée a...


Résumé

Le bruxisme est souvent considéré comme une contre-indication relative à un traitement par prothèses implanto-portées.

L’objectif de cet article est de faire une synthèse de la littérature sur la place du bruxisme dans les échecs implanto-prothétiques et de proposer un guide de prise en charge de ces patients.

Les études rétrospectives et méta-analyses sélectionnées concluent qu’il est peu probable que le bruxisme soit un facteur de risque des complications biologiques mais qu’il pourrait en être un pour les complications mécaniques. Les études prospectives ne montrent pas de différences significatives sur la survenue de complications mécaniques chez les patients avec et sans bruxisme. Par la difficulté à poser un diagnostic avéré de bruxisme et la présence de nombreux facteurs de confusion, aucune étude n’a pu prouver de lien de cause à effet entre bruxisme et complications implanto-prothétiques. Cependant, les auteurs préconisent de prendre en considération la présence d’un bruxisme (veille et/ou sommeil) dans nos conceptions implanto-prothétiques. Le guide proposé reprend les éléments de prise en charge de ces patients spécifiques.

Le bruxisme est une activité répétitive des muscles masticateurs, exercée durant l’éveil et/ou le sommeil, le plus souvent de manière non consciente et caractérisée par le serrement et le grincement des dents. Il touche 8 à 32 % de la population adulte (selon les études et les populations) et peut avoir des conséquences fonctionnelles et esthétiques sur la sphère oro-faciale, notamment sur les prothèses implanto-portées. Le développement de la prothèse implanto-portée a contribué à améliorer la qualité de vie des patients par son caractère fixe permettant d’optimiser l’efficacité masticatoire et de rassurer le patient. Dans ce contexte, se pose la question de la prise en charge d’un patient avec bruxisme pour lequel la compensation d’édentement(s) est envisagée au moyen de prothèses implanto-portées.

Cet article traite du diagnostic et des conséquences du bruxisme, de son impact biomécanique sur les prothèses implanto-portées et leur pronostic. Pour synthétiser les éléments de la recherche bibliographique, un guide de prise en charge de ces patients est proposé.

CRITÈRES DIAGNOSTIQUES ET CONSÉQUENCES DU BRUXISME

Le diagnostic du bruxisme repose généralement sur un entretien et un examen clinique.

L’entretien clinique est composé d’une anamnèse guidée par le praticien et de questionnaires d’auto-évaluation, par exemple : « Quelqu’un vous a-t-il déjà dit que vous grinciez des dents la nuit ? Est-ce que le matin, au réveil, vos tempes ou vos mâchoires sont douloureuses ? ».

L’examen clinique, à la fois exobuccal et endobuccal, permet de repérer les signes et symptômes liés à la présence d’un bruxisme. Sur le plan dentaire (figure 1), on retrouve des lésions d’usure par attrition, des fêlures, des fractures et des conséquences sur le complexe pulpo-dentinaire (pulpolithe, résorptions, nécrose aseptique, rétraction pulpaire) ; au niveau parodontal (figure 2), des hypertrophies osseuses, des exostoses, des tori ; au niveau musculosquelettique, des contractures musculaires lors des phases de grincement et une surcharge articulaire lors des phases de serrement. Il ne faut pas oublier la douleur associée à des éventuelles fêlures ou fractures dentaires par exemple ou à des contractures musculaires, qui sont aussi des conséquences du bruxisme et un motif de consultation de nos patients [1, 2].

Sur la base des connaissances actuelles, la polysomnographie (PSG) est considérée comme l’outil diagnostic de référence. Elle permet une évaluation précise des phases de sommeil et d’éveil en associant électromyographie (EMG), électroencéphalographie (EEG), électrocardiographie (ECG) et enregistrements audio-visuels. Cependant, ses limites résident dans le besoin d’hospitalisation du patient, son coût et sa disponibilité limitée puisque réservée aux patients avec une forte présomption de troubles du sommeil ou de la respiration et/ou à des fins de recherche clinique.

Par conséquent, les dispositifs de diagnostic portables pour mesurer l’activité électromyographique des muscles masticateurs sont utilisés comme alternatives dans le diagnostic du bruxisme du sommeil. Leur utilisation est facile, peu chère et plus disponible que la PSG, bien que l’interprétation des résultats soit difficile de par l’absence de distinction entre le bruxisme et les autres activités oro-faciales comme la déglutition, la toux, la parole, les mimiques [3, 4]…

En 2018, Lobbezoo et al. [5] proposent une mise à jour de la classification du bruxisme en fonction des outils diagnostiques (figure 3). Un possible bruxisme de veille/sommeil repose sur une auto-évaluation positive, seulement. Un probable bruxisme de veille/sommeil repose sur un examen clinique positif, avec ou sans une auto-évaluation positive. Enfin, un bruxisme de veille/sommeil avéré repose sur une technique instrumentale positive, avec ou sans une auto-évaluation positive et/ou un examen clinique positif.

Bien que le bruxisme ait de nombreuses répercussions délétères, il apparaît progressivement que le bruxisme de sommeil serait un événement physiologique permettant la lubrification des structures oro-pharyngées par l’augmentation du flux salivaire notamment en fin de cycle, au moment de la déglutition. Il jouerait donc un rôle protecteur contre les reflux gastro-œsophagiens (RGO) et la xérostomie [4].

De plus, il protégerait de l’obstruction les voies respiratoires supérieures. En effet, lors d’un épisode de bruxisme, l’activation des muscles abaisseurs de la mandibule, suivie d’une protrusion mandibulaire, entraînerait l’ouverture des voies respiratoires, diminuant ainsi les risques d’apnées obstructives du sommeil [1, 4, 6].

BRUXISME ET IMPLANTS : QUE NOUS DIT LA LITTÉRATURE ?

Le ligament parodontal fournit aux dents une possibilité d’adaptation aux charges fonctionnelles, ce qui n’est pas le cas des implants pour lesquels les contraintes subies sont directement transmises au complexe os/implant. La durée, la direction, l’intensité et la fréquence des forces étant modifiées par le bruxisme, il pourrait jouer un rôle plus ou moins délétère sur les restaurations implanto-portées [3].

Il existe encore aujourd’hui une grande controverse dans la littérature concernant le rôle du bruxisme dans les échecs des restaurations implanto-portées. C’est l’objet de cette revue systématique de la littérature réalisée en 2021. La question clinique posée pour cette recherche est : « Dans le cadre d’une réhabilitation prothétique implantaire, les patients avec un diagnostic de bruxisme présentent-ils plus de risques de complications que les patients sans bruxisme ? ».

L’antériorité des articles recherchés a été fixée à 2014. Une recherche PubMed a été effectuée selon l’équation suivante : (dental implants) OR (oral implants) OR (dental restorations) AND (mechanical risk factors) OR (biological risk factors) OR (implant failures) AND (bruxism).

Parmi les 64 articles trouvés entre 2014 et 2020, 2 revues systématiques, 2 méta-analyses, 4 études prospectives et 7 études rétrospectives ont finalement été retenues.

À noter qu’une recherche récente sur PubMed avec la même équation a été réalisée et n’a pas apporté d’éléments nouveaux. Le tableau 1 résume les résultats de cette analyse.

Les études prospectives de Coltro et al. [7] en 2018 et de Koenig et al. [8] en 2019 ne montrent pas de différences significatives quant à la survenue de complications mécaniques (c’est-à-dire affectant l’intégrité de l’implant et/ou de la prothèse implanto-portée : par exemple, fracture, dévissage…) chez les patients avec bruxisme et sans bruxisme.

Les études de 2017 [9] et 2020 [10] de l’équipe de Thymi ont montré la difficulté de mener des études prospectives sur le sujet et ce pour 3 raisons :

- le recrutement des participants pour une étude prospective nécessite un engagement long de la part des participants et des critères de sélection stricts ;

- la présence de nombreux facteurs de confusion qui, s’ils étaient tous pris en compte, réduirait encore un peu plus la taille des échantillons ;

- la présence d’échecs dans les enregistrements du bruxisme de sommeil par EMG. L’obtention d’un diagnostic avéré est difficile car la PSG est couteuse et consommatrice de temps.

Cela explique la présence dans la littérature de bien plus d’études rétrospectives qui présentent davantage de biais.

Selon les études menées par Chrcanovic et al. de 2016 à 2020 [11-16], le bruxisme jouerait un rôle dans la genèse des complications mécaniques des restaurations implanto-portées. Cependant, les auteurs soulèvent le manque d’informations dû à la nature rétrospective des études et les nombreux facteurs de confusion.

Enfin, les méta-analyses de Chrcanovic et al. [17] en 2015 et de Zhou et al. [18] en 2016 ainsi que les revues systématiques de Manfredini et al. [19] en 2014 et de Do et al. [20] en 2020 concluent qu’il est peu probable que le bruxisme soit un facteur de risque des complications biologiques (c’est-à-dire affectant les tissus mous et osseux péri-implantaires : par exemple, mucosite, peìri-implantite) tandis qu’il pourrait en être un des complications mécaniques.

Il s’avère donc complexe de répondre de manière univoque à la question posée de par :

- la difficulté à poser un diagnostic avéré de bruxisme ;

- la présence de nombreux facteurs de confusion à prendre en compte : risque biologique lié au tabagisme ou à la prise de médicaments, risques biomécaniques comme le type d’implant, le type osseux, le port ou non d’orthèse, etc. ;

- la durée et les coûts élevés de ces études.

Aucune étude n’a pu prouver de lien de cause à effet entre bruxisme et complications implanto-prothétiques même si l’on s’oriente vers un effet contributif du bruxisme dans l’apparition de ces complications.

Dans ce contexte, comment conduire un traitement par prothèse implanto-portée chez un patient présentant un bruxisme tout en minimisant les risques de complications et d’échecs ?

Cette question est à l’origine de la construction d’un guide de prise en charge de ces patients.

PRISE EN CHARGE DU BRUXISME CHEZ UN PATIENT CANDIDAT AU TRAITEMENT IMPLANTO-PROTHÉTIQUE

Comment prendre en charge, de manière non médicamenteuse, le patient avec bruxisme pour lequel la solution implantaire est indiquée ? Où s’arrête notre rôle de chirurgien-dentiste dans cette prise en charge ?

Quel que soit le patient, il conviendra de réaliser une étude pré-implantaire considérant les éléments collectés au cours de l’entretien (pathologies systémiques éventuelles et traitements associés), de l’examen clinique exobuccal et endobuccal (espace prothétique, état parodontal, usures dentaires…), des examens radiologiques 2D et 3D (sinus, position du nerf alvéolaire inférieur, anatomie des structures osseuses), des éventuels examens biologiques (diabète, troubles de la coagulation) et de l’analyse des modèles d’étude (analyse occlusale, wax-up). Dans le cas d’une étude de faisabilité validée pour un patient avec diagnostic de bruxisme, une prise en charge de sa para-fonction s’impose pour la réussite et la pérennité de son traitement implanto-prothétique, et ce, à chaque étape du traitement.

En raison de l’absence d’études fiables sur l’intérêt ou l’efficacité de médicaments dans le traitement du bruxisme, de leurs nombreux effets secondaires (pharmacodépendance, hypotension, aggravation du bruxisme…) et de leur utilisation sur une courte durée chez des patients avec un bruxisme sévère [3], le choix a été fait ici de ne pas les considérer dans notre prise en charge.

THÉRAPIE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE (TCC)

Le praticien doit encourager le patient avec bruxisme à une réduction des habitudes nocives dans le cadre d’une alliance thérapeutique par une auto-rééducation cognitivo-comportementale. Contrairement aux moyens pharmacologiques, cette technique de gestion du bruxisme, bien que consommatrice de temps clinique (plusieurs séances, souvent longues), est non invasive et relativement simple à mettre en place. Concernant son efficacité, aucune étude ne montre un niveau de preuve suffisant et l’efficacité sera conditionnée par la qualité de l’alliance thérapeutique qui implique éducation thérapeutique par le praticien et bonne observance de la part du patient. Manfredini et al. [22] en 2015 et Amorim et al. [23] en 2018 soulignent la nature non nocive des TCC et recommandent de l’inclure dans toute prise en charge du bruxisme.

Aujourd’hui, il semble bien établi que l’hyperactivité musculaire due au bruxisme trouve son origine au niveau du système nerveux central. Il est donc possible d’agir sur celui-ci au moyen de la thérapie cognitivo-comportementale.

Elle a pour objectif de modifier une praxie par une prise de conscience en rendant le patient acteur de sa prise en charge. Elle permet une diminution du bruxisme et non sa suppression complète et dépend pleinement de la coopération du patient [1, 3].

Dans les faits, le praticien informe le patient sur ce qu’est le bruxisme et sur ses conséquences et l’aide à identifier quel type de bruxisme est présent (veille/sommeil, serrement/grincement).

Des conseils comportementaux lui sont donnés concernant :

- l’hygiène de vie au quotidien : éviter les chewing-gums, les aliments et boissons acides susceptibles d’aggraver les usures dentaires et les produits excitants tels que l’alcool, le café… ;

- la diminution des contraintes émotionnelles en apprenant à mieux gérer le stress ;

- la phase de sommeil : positions latérales à privilégier pour une meilleure ventilation et une meilleure ergonomie ;

- la phase d’éveil : le patient est invité à diminuer les contraintes physiques en « décollant les dents », c’est le cercle vertueux (figure 4) de Duminil et Orthlieb [3].

Ces conseils comportementaux peuvent être associés à des techniques de biofeedback (rétroaction sensorielle). Ce sont des alertes sensorielles qui attirent l’attention du patient sur ses activités musculaires indésirables pour renforcer sa prise de conscience et déclencher le cercle vertueux (figure 4).

Ce renforcement proprioceptif peut prendre plusieurs formes de rappels :

- visuels : gommette sur l’ordinateur ou sur le portable ;

- de situation : passage d’une porte ;

- électroniques : application smartphone comme celle développée par Manfredini (BruxApp) ou stimulation électrique (inhibition des muscles masticateurs par l’application d’une stimulation électrique de faible intensité lorsqu’ils deviennent actifs, c’est-à-dire lors d’épisode de bruxisme) [24].

QUELLE EST NOTRE PLACE DE CHIRURGIEN-DENTISTE DANS UNE TELLE PRISE EN CHARGE ?

Le praticien doit faire preuve d’empathie et d’écoute active pour accompagner le patient et le mettre en confiance. La TCC allant au-delà de notre pratique habituelle, il convient à chacun de savoir reconnaître ses limites dans cette prise en charge et adresser à d’autres spécialistes quand cela devient nécessaire.

De plus, certaines situations demandent l’intervention d’autres disciplines que celle de la sphère cognitive et comportementale. En effet, le bruxisme peut être concomitant à d’autres pathologies générales, troubles du sommeil… Il sera alors nécessaire de mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire (figure 5) coordonnée par le médecin traitant.

Afin d’aider le praticien dans l’orientation de cette prise en charge, des questionnaires comme l’EDAS21 (Échelle Dépression, Anxiété, Stress) ou l’ISI (Index de Sévérité de l’Insomnie) peuvent être réalisés.

Cette prise en charge du bruxisme est à débuter avant le traitement implantaire et jusqu’à la pose des prothèses implanto-portées. Un suivi rigoureux devra par la suite être entrepris pour assurer la pérennité du traitement.

Une fois l’alliance thérapeutique patient-praticien débutée, il faudra faire en sorte, au moment de la conception implantaire et prothétique, de minimiser les risques de complications biologiques et mécaniques qui viendraient s’additionner à ceux induits par le bruxisme.

RECOMMANDATIONS AU NIVEAU IMPLANTAIRE

Nombre, position et orientation des implants

Concernant le nombre d’implants, il est recommandé de placer 1 implant pour chaque dent manquante chez un patient avec bruxisme. Cela est fonction de la situation clinique et du risque biologique. Multiplier le nombre d’implants permet de mieux répartir les contraintes. À l’inverse, si le nombre d’implant diminue, les contraintes exercées sur chaque implant augmentent. Les implants doivent être placés de manière à être perpendiculaires à la courbe de Spee dans le plan sagittal et à la courbe de Wilson dans le plan frontal pour permettre une répartition optimale des contraintes sur les implants au moment de la conception prothétique. Un alignement des implants est recommandé pour diminuer les charges non axiales et faciliter la mise en œuvre prothétique [12, 26-28].

Diamètre et longueur implantaire

Les implants de plus grand diamètre ont une plus grande surface pour dissiper les contraintes et sont plus résistants à la fracture. L’augmentation du diamètre de l’implant dissipe mieux les contraintes que l’augmentation de la longueur de l’implant [26, 29, 30].

Matériau et état de surface implantaire

Concernant le matériau, du titane de haut grade (4 et 5), mécaniquement le plus résistant, sera utilisé. Les surfaces implantaires modérément rugueuses obtenues par soustraction (sablage et/ou mordançage) seront préférées pour leur grande mouillabilité et leur ostéo-intégration optimale. Enfin, des procédures de greffes osseuses peuvent être nécessaires dans des cas de faibles qualité ou de faible quantité osseuse, responsables d’un grand nombre d’échecs implantaires [14, 31].

RECOMMANDATIONS AU NIVEAU PROTHÉTIQUE

Mise en charge, connexion et matériau prothétique

Il n’est pas recommandé de charger immédiatement ou précocement (6 à 8 semaines après la chirurgie) les implants chez les patients avec bruxisme. En effet, cela ne ferait qu’introduire un facteur de risque d’échec supplémentaire. Il est donc préférable de faire une mise en charge différée des implants (3 à 6 mois). Les connexions internes offrent une meilleure répartition des contraintes occlusales en centralisant le stress le long de l’axe implantaire. Les piliers devront être droits et l’adaptation implantaire et prothétique excellente afin de résister aux contraintes fonctionnelles et para-fonctionnelles. Sinon, le risque de dévissage, de descellement ou de fracture des composants sera augmenté. La céramique (dont les zircones) est le principal matériau pour les prothèses fixes sur implants, offrant une meilleure esthétique et une résistance à l’usure plus élevée par rapport à la résine utilisée auparavant [3, 28, 29, 32].

Sceller ou transvisser ?

Aucune étude à long terme ne privilégie l’une ou l’autre option chez les patients avec bruxisme. Chacune présente ses avantages et ses inconvénients et le choix se fera en fonction de la situation clinique. Cependant, on retiendra que la solution transvissée permet une facilité de réintervention, potentiellement plus fréquente chez les patients avec bruxisme. Aussi faudra-t-il s’assurer que l’ensemble prothétique est passif lors de la mise en place [3, 33, 34].

Solidariser ?

La solidarisation permet d’obtenir, d’une part, une répartition plus uniforme des charges entre les piliers et une contrainte moindre sur l’os péri-implantaire et, d’autre part, une facilité de mise en œuvre. Le bridge cantilever est à éviter car l’extension prothétique va agir comme bras de levier au niveau du pilier le plus distal. Ceci se traduit par un risque accru de perte osseuse marginale autour de l’implant le plus distal, qui pourrait être augmenté davantage en présence d’une surcharge telle que celle induite par le bruxisme [28, 29, 35].

Gestion de l’occlusion

Lors du réglage de l’occlusion, des contacts ponctuels aussi proches que possible du centre de l’implant doivent être obtenus. Les pans cuspidiens devront être conçus de manière à limiter les contraintes latérales dans le respect de la fonction de calage qui assure la pérennité de l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) [3, 27, 28, 32, 36].

La fonction canine sera privilégiée par rapport à la fonction de groupe qui peut générer des contraintes excessives sur les composants du système implanto-prothétique.

L’ORTHÈSE DE LIBÉRATION OCCLUSALE

L’orthèse de libération occlusale (figure 6) devra être en résine dure ou semi-rigide.

En effet, les orthèses rigides ou semi-rigides sont plus faciles à régler, évitent les mouvements dentaires et sont plus efficaces sur le long terme. Dans le cas de patients avec bruxisme et porteurs d’implants, une orthèse de libération occlusale rigide ou semi-rigide contribue à répartir de manière optimale et à rediriger verticalement les forces dues aux grincements et serrements des dents durant la nuit.

Les principes occlusaux suivants devront être respectés : surface plane (sans indentations avec des contacts fins et de même intensité), recouvrement du bord libre de l’ensemble des dents (permettant d’assurer un maintien complet de l’arcade et d’éviter les égressions), stabilité contrôlée (l’insertion doit se faire sans forcer).

Une fois le traitement par prothèse implanto-portée terminé, le port de l’orthèse est indispensable, en association avec les techniques comportementales et dans des périodes particulièrement intenses émotionnellement pour le patient. L’orthèse est non pas un moyen thérapeutique du bruxisme mais un moyen de protection des dents et des restaurations prothétiques [1, 3, 27-29, 37].

SUIVI ET MAINTENANCE

Il est nécessaire d’engager avec le patient un suivi régulier pour assurer la pérennité du traitement. Le patient doit être informé et avoir accepté (rôle du consentement éclairé) la possibilité de complications techniques qui peuvent générer des coûts supplémentaires de maintenance des réhabilitations implanto-prothétiques [28]. Duminil et Orthlieb [3] préconisent un suivi environ tous les 3 mois pendant 2 ans, tous les 6 mois pendant 5 ans, puis tous les ans par la suite.

CONCLUSION

Cette analyse de la littérature a permis de comprendre la difficulté d’obtenir des résultats à haut niveau de preuve concernant une relation de cause à effet entre le bruxisme et les complications implanto-prothétiques. Il semble cependant que les études orientent leurs conclusions vers un impact du bruxisme sur les taux de succès de telles restaurations.

Le praticien devra donc anticiper au mieux d’éventuelles complications, d’où le guide de prise en charge proposé (encadré 1) qui pourrait servir de support pédagogique lors de le formation initiale ou continue des chirurgiens-dentistes. Ce protocole est à adapter en fonction de la situation clinique de chaque patient.

Il est à retenir que, pour diminuer les facteurs de risque biomécaniques lors de la prise en charge de ces patients, le praticien devra adapter les stratégies d’accompagnement et proposer un suivi régulier.

Le chirurgien-dentiste devra :

- savoir dépister le type de bruxisme présent (manifestation circadienne, intensité) ;

- identifier ses limites dans la gestion du bruxisme et mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire.

Enfin, un bruxisme primaire sévère ou secondaire dont la gestion est trop difficile (mauvaise observance du patient, présence de pathologies somatiques et/ou psychiatriques) peut fortement compromettre le succès d’une telle thérapeutique. Il est donc parfois nécessaire de reconsidérer la solution implantaire au profit d’autres solutions prothétiques.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Laluque JF, Brocard D, d’Incau E, éds. Comprendre les bruxismes. Paris : Quintessence Publishing, 2016.
  • 2. Manfredini D, De Laat A, Winocur E, Ahlberg J. Why not stop looking at bruxism as a black/white condition? Aetiology could be unrelated to clinical consequences. J Oral Rehabil 2016; 43(10):799-801.
  • 3. Duminil G, Orthlieb JD, Bolla M, Carra MC, Conio M. Le bruxisme. Paris : Espace ID, 2015; 336p.
  • 4. Beddis H, Pemberton M, Davies S. Sleep bruxism: An overview for clinicians. Br Dent J 2018; 225(6):497-501.
  • 5. Lobbezoo F, Ahlberg J, Raphael KG, Wetselaar P, Glaros AG, Kato T, et al. International consensus on the assessment of bruxism: Report of a work in progress. J Oral Rehabil 2018;45(11):837-844.
  • 6. Lobbezoo F, Jacobs R, De Laat A, Aarab G, Manfredi D. Kauwen op bruxisme. Diagnostiek, beeldvorming, epidemiologie en oorzaken. Ned Tijdschr Tandheelkd 2017;124(6):309-316.
  • 7. Coltro MP, Ozkomur A, Villarinho E, Teixeira E, Vigo A, Shinkai R. Risk factor model of mechanical complications in implant-supported fixed complete dentures: A prospective cohort study. Clin Oral Implants Res 2018;29(9):915-921.
  • 8. Koenig V, Wulfman C, Bekaert S, Dupont N, Le Goff S, Eldafrawy M, et al. Clinical behavior of second-generation zirconia monolithic posterior restorations: Two-year results of a prospective study with ex vivo analyses including patients with clinical signs of bruxism. J Dent 2019;91:103229.
  • 9. Thymi M, Visscher CM, Yoshida-Kohno E, Crielaard W, Wismeijer D, Lobbezoo F. Associations between sleep bruxism and (peri-) implant complications: A prospective cohort study. BDJ Open 2017;3:17003.
  • 10. Thymi M, Visscher CM, Kirov D, Lobbezoo F. Associations between sleep bruxism and (peri-) implant complications: Lessons learned from a clinical study. BDJ Open 2020;6:2.
  • 11. Chrcanovic BR, Kisch J, Albrektsson T, Wennerberg A. Bruxism and dental implant failures: A multilevel mixed effects parametric survival analysis approach. J Oral Rehabil 2016;43(11):813-823.
  • 12. Chrcanovic BR, Kisch J, Albrektsson T, Wennerberg A. Analysis of risk factors for cluster behavior of dental implant failures. Clin Implant Dent Relat Res 2017;19(4):632-642.
  • 13. Chrcanovic BR, Kisch J, Albrektsson T, Wennerberg A. Bruxism and dental implant treatment complications: A retrospective comparative study of 98 bruxer patients and a matched group. Clin Oral Implants Res 2017; 28(7):e1-e9.
  • 14. Chrcanovic BR, Kisch J, Albrektsson T, Wennerberg A. Factors influencing the fracture of dental implants. Clin Implant Dent Relat Res 2018;20(1):58-67.
  • 15. Chrcanovic BR, Kisch J, Larsson C. Retrospective evaluation of implant-supported full-arch fixed dental prostheses after a mean follow-up of 10 years. Clin Oral Implants Res 2020; 31(7):634-645.
  • 16. Chrcanovic BR, Kisch J, Larsson C. Retrospective clinical evaluation of 2- to 6-unit implant-supported fixed partial dentures: Mean follow-up of 9 years. Clin Implant Dent Relat Res 2020; 22(2):201-122.
  • 17. Chrcanovic BR, Albrektsson T, Wennerberg A. Bruxism and dental implants: A meta-analysis. Implant Dent 2015;24(5):505-516.
  • 18. Zhou Y, Gao J, Luo L, Wang Y. Does bruxism contribute to dental implant failure? A systematic review and meta-analysis. Implant Dent Relat Res 2016;18(2):410-240.
  • 19. Manfredini D, Poggio C, Lobbezoo F. Is bruxism a risk factor for dental implants? A systematic review of the literature: Bruxism and dental implants. Clin implant Dent Relat Res 2014; 16(3):460-469.
  • 20. Do TA, Le HS, Shen YW, Huang HL, Fuh LJ. Risk factors related to late failure of dental implant. A systematic review of recent studies. Int J Environ Res Public Health 2020;17(11):3931.
  • 21. Papaspyridakos P, Bordin T, Kim YJ, El-Rafie K, Pagni SE, Natto Z, et al. Technical complications and prosthesis survival rates with implant-supported fixed complete dental prostheses: A retrospective study with 1- to 12-year follow-up. J Prosthodont. 2020;29(1):3-11.
  • 22. Manfredini D, Ahlberg J, Winocur E, Lobbezoo F. Management of sleep bruxism in adults: A qualitative systematic literature review. J Oral Rehabil 2015;42(11):862-874.
  • 23. Amorim C, Espirito Santo A, Sommer M, Marques A. Effect of physical therapy in bruxism treatment: A systematic review. J Manip Physiol Ther 2018;41(5):389-404.
  • 24. Guaita M, Högl B. Current treatments of bruxism. Curr Treat Options Neurol 2016;18(2):10.
  • 25. Camoin A, Tardieu C, Blanchet I, Orthlieb JD. Le bruxisme du sommeil chez l’enfant. Archives de Pédiatrie 2017;24(7):659-666.
  • 26. Duyck J, Oosterwyck H, Sloten J, Cooman M, Puers R, Naert I. Magnitude and distribution of occlusal forces on oral implants supporting fixed prostheses: An in vivo study. Clin Oral Implants Res 2000;11(5):465-475.
  • 27. Lobbezoo F, Brouwers JEIG, Cune MS, Naeije M. Dental implants in patients with bruxing habits. J Oral Rehabil 2006;33(2):152-159.
  • 28. Sarmento H, Dantas R, Pereira-Cenci T, Faot F. Elements of implant-supported rehabilitation planning in patients with bruxism. J Craniofac Surg 2012;23(6):1905-1909.
  • 29. Manfredini D, Bucci M, Sabattini V, Lobbezoo F. Bruxism: Overview of current knowledge and suggestions for dental implants planning. Cranio 2011;29(4):304-312.
  • 30. Eazhil R, Swaminathan SV, Gunaseelan M, Kannan GV, Alagesan C. Impact of implant diameter and length on stress distribution in osseointegrated implants: A 3D FEA study. J Int Soc Prev Community Dent 2016;6(6):590-596. [www-ncbi-nlm-nih-gov.ezproxy.u-paris.fr/pmc/articles/PMC5184395/]
  • 31. de la Rosa Castolo G, Guevara Perez S, Arnoux PJ, Badih L, Bonnet F, Behr M. Mechanical strength and fracture point of a dental implant under certification conditions: A numerical approach by finite element analysis. J Prosthet Dent 2018;119(4):611-619.
  • 32. Komiyama O, Lobbezoo F, De Laat A, Iida T, Kitagawa T, Murakami H, et al. Clinical management of implant prostheses in patients with bruxism. Int J Biomater 2012;2012:369063.
  • 33. Hamed M, Abdullah Mously H, Khalid Alamoudi S, Hossam Hashem A, Hussein Naguib G. A systematic review of screw versus cement-retained fixed implant supported reconstructions. Clin Cosmet Investig Dent 2020;12:9-16.
  • 34. Tonella B, Pellizzer E, Ferraço R, Falcón-Antenucci R, Carvalho P, Goiato M. Photoelastic analysis of cemented or screwed implant-supported prostheses with different prosthetic connections. J Oral Implantol 2011;37(4):401-410.
  • 35. Guichet D, Yoshinobu D, Caputo A. Effect of splinting and interproximal contact tightness on load transfer by implant restorations. J Prosthet Dent 2002;87(5):528-535.
  • 36. Göre E, Evlioglu G. Assessment of the effect of two occlusal concepts for implant-supported fixed prostheses by finite element analysis in patients with bruxism. J Oral Implantol 2014;40(1):68-75.
  • 37. Lobbezoo F, Zaag J, Selms MKA, Hamburger HL, Naeije M. Principles for the management of bruxism. J Oral Rehabil 2008;35(7):509-523.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

ENCADRÉ 1
GUIDE DE PRISE EN CHARGE

ÉTUDE PRÉ-IMPLANTAIRE ET BRUXISME

1. Entretien clinique : demande du patient, pathologies, allergies, médicaments, contexte socio-professionnel, habitudes.

2. Examen clinique : palpation masséters, usures dentaires, évaluation muqueuse site implantaire, examen inter-arcade, occlusion dynamique/statique, DVO.

→ Diagnostic (probable) de bruxisme : distinction veille/sommeil, sévérité

3. Examens radiologiques : rétro-alvéolaires, panoramique (sinus, nerf alvéolaire inférieur), CBCT (volume osseux).

4. Examens biologiques en cas de diabète, trouble de la coagulation ou autres pathologies systémiques.

5. Modèles d’études : réalisation de wax-up : la prothèse guide la chirurgie.

6. Devis et consentement éclairé.

PRISE EN CHARGE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE

→ À débuter avant le traitement implanto-prothétique

1. Informer et accompagner : prise de conscience du bruxisme et auto-contrôle → le patient est acteur de sa prise en charge.

2. Conseils comportementaux : hygiène de vie (sport, éviter chewing-gum, produits excitants : tabac, alcool…), sommeil (posture latérale), éveil (cercle vertueux), gestion du stress, biofeedback.

3. Prise en charge pluridisciplinaire : psychologue/psychiatre, kinésithérapeute, médecine du sommeil (suspicion SAHOS), sophrologie, yoga…

RECOMMANDATIONS AU NIVEAU IMPLANTAIRE

• Nombre : 1 implant par dent manquante (dans la mesure du possible).

• Position : implants perpendiculaires aux courbes de Spee et Wilson, alignés entre eux.

• Diamètre : le plus large possible.

• Matériau : titane de haut grade (4 ou 5).

• Surface : modérément rugueuse obtenue par soustraction (mordançage ou sablage).

• Considérer une faible densité osseuse comme risque d’échec : envisager la greffe osseuse au niveau du site implantaire.

RECOMMANDATIONS AU NIVEAU PROTHÉTIQUE

• Mise en charge : différée (3 à 6 mois ou plus).

• Pilier et système de connexion : connexion interne, pilier droit.

• Matériau prothétique : céramo-métallique ou céramique (esthétique peu importante pour le patient).

• Sceller ou transvisser : à choisir en fonction de la situation clinique mais le transvissage facilite la réintervention (plus fréquente chez les patients avec bruxisme).

• S’assurer d’une parfaite passivité de l’ensemble prothétique.

• Privilégier la solidarisation en cas de prothèse implanto-portée plurale.

• Éviter tout phénomène de porte-à-faux : bridge cantilever, couronne trop large par rapport au diamètre implantaire.

• Réglage de l’occlusion : Prendre en compte le ressenti du patient

- favoriser une fonction canine ;

- contacts ponctuels au centre de l’implant ;

- pans cuspidiens les plus plats possibles (dans le respect de l’OIM) ;

limiter les contacts en latéralité.

L’ORTHÈSE DE LIBÉRATION OCCLUSALE

• Rigide ou semi-rigide transparente.

• Plane, sans indentations.

• De préférence au maxillaire.

• 1 à 1,5 mm d’épaisseur.

• Contacts simultanés, fins et de même intensité.

• Désocclusion postérieure avec guide antérieur effectif.

• Recouvrement du bord libre de l’ensemble des dents.

• Stabilité et insertion/désinsertion sans forcer.

• Port discontinu (seulement en période de tensions émotionnelles).

→ Moyen de PROTECTION et pas moyen thérapeutique

SUIVI ET MAINTENANCE

• Tous les 3 mois pendant 2 ans, tous les 6 mois pendant 5 ans puis tous les ans.

• Contrôle du bruxisme : fréquence, intensité, observance de l’auto-contrôle, remotivation si besoin.

• Contrôle des restaurations implanto-portées : examen clinique (parodontal, mobilité, hygiène, occlusion) et radiologique (perte osseuse).

• Contrôle de l’orthèse : usure, équilibration, fréquence de port, confort (ressenti du patient et absence de blessures).