LA PROPRIOCEPTION DESMODONTALE POUR LES NULS - Clinic n° 06 du 01/06/2023
 

Clinic n° 06 du 01/06/2023

 

Proprioception

Marc BERT  

DCD, DSO, Membre de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire. Expert honoraire près la Cour d’Appel de Paris.

Les conséquences cliniques de la proprioception desmodontale sont malheureusement peu connues dans notre profession, en raison souvent d’articles scientifiques très complets mais peu abordables pour le profane au vu de la complexité des notions présentées. Le but de cet article « pour les nuls » est d’essayer de la présenter de la manière la plus claire possible, au prix parfois de certains raccourcis (qui feront froncer les sourcils aux vrais sachants…) qui permettront une...


Résumé

Les récepteurs desmodontaux sont des capteurs sensitifs du nerf trijumeau, véhiculant à 90 m/s les informations recueillies vers le noyau sensitif de ce nerf. Le noyau sensitif du trijumeau, situé au niveau du tronc cérébral, est en contact, par de très nombreux interneurones, avec la plupart des noyaux sensitifs et moteurs des nerfs crâniens qu’il peut activer en réponse à une information reçue par ses capteurs. Son noyau moteur contrôle les muscles élévateurs et les principaux muscles abaisseurs de la mandibule.

La texture du bol alimentaire présent entre les arcades est perçue par les récepteurs desmodontaux, transmise au noyau sensitif du trijumeau qui va commander, par son noyau moteur, la contraction musculaire exactement adaptée à la texture de l’aliment, analyse répétée à chaque cycle masticatoire. Cette action est le plus souvent automatique et régulée par les centres supérieurs du cerveau « limbique » ; elle est parfois aussi volontaire en fonction de la nature gustative de l’aliment et régulée dans ce cas par le cortex.

Les récepteurs desmodontaux permettent de protéger les organes dentaires de la présence d’un obstacle entre les arcades, induisant un réflexe d’ouverture de la bouche par activation des muscles abaisseurs. Ils protègent aussi les dents d’une contraction musculaire prolongée par l’activation du noyau inhibiteur du trijumeau, le noyau supra-trigéminal qui va réduire cette contraction pathologique. Ces récepteurs vont également informer les centres supérieurs de la présence d’une prématurité et induire un « évitement » nécessitant la contraction d’un muscle comme le ptérygoïdien latéral à chaque déglutition à vide, entraînant la contracture de ce muscle à la physiologie non adaptée à un tel niveau de sollicitations. Afin de soulager cette contracture, l’organisme recrute d’autres noyaux moteurs comme le noyau spinal (XIe paire crânienne), provoquant à terme une contracture du muscle sterno-cléido-mastoïdien, puis du muscle trapèze, notion très discutée, mais que la simple connaissance de la proprioception desmodontale permet de valider.

Les conséquences cliniques de la proprioception desmodontale sont malheureusement peu connues dans notre profession, en raison souvent d’articles scientifiques très complets mais peu abordables pour le profane au vu de la complexité des notions présentées. Le but de cet article « pour les nuls » est d’essayer de la présenter de la manière la plus claire possible, au prix parfois de certains raccourcis (qui feront froncer les sourcils aux vrais sachants…) qui permettront une meilleure compréhension, et surtout d’en déduire les applications cliniques, essentielles dans le domaine de l’occlusion. Il n’est pas acceptable que, pour la plupart des praticiens, l’occlusion se traduise par le simple « papier bleu » avec une méconnaissance totale des conséquences, parfois graves, d’une malposition dentaire. La société évoluant vers l’image au détriment du texte, cet article « suit le mouvement » et repose sur de nombreuses illustrations.

Cet article a trouvé ses sources d’inspiration principales dans les publications de Ramfjord, Woda, Fontenelle, Fougeront, Lund et Delmas.

ACTEURS EN PRÉSENCE

Un rappel des acteurs en présence est nécessaire, avant d’en dérouler le fonctionnement.

Le système nerveux de la sphère odonto-stomatologique se compose de récepteurs, de fibres nerveuses sensitives, de centres nerveux et de fibres motrices aboutissant aux muscles.

Récepteurs

Récepteurs desmodontaux

Les récepteurs desmodontaux sont de plusieurs types avec des qualités différentes et complémentaires [1, 2] : adaptables ou non adaptables, sensibles à la vitesse d’application de la stimulation, soumis à un seuil qui est de l’ordre de 1 gramme, sensibles à l’intensité de la force appliquée et capables de détecter de très faibles variations de l’amplitude de la stimulation (figure 1).

Les récepteurs encapsulés sont des corpuscules de Pacini (figure 2) et des récepteurs de Ruffini (figure 3), couplés à des fibres myélinisées A-beta à vitesse de conduction rapide. Les terminaisons libres (figure 4) sont couplées à des fibres C, faiblement myélinisées ou amyéliniques, à vitesse de conduction lente.

Les récepteurs desmodontaux sont en grand nombre pour les incisives et les canines ; leur nombre va en décroissant des prémolaires aux molaires. Ils enregistrent les pressions exercées sur une dent et l’expérimentation clinique montre que, si le patient identifie les perceptions axiales et latérales (sensibilité épicritique et directionnelle) pour les incisives et les canines, il ne peut identifier correctement que les perceptions axiales pour les molaires et les prémolaires (sensibilité seulement épicritique).

Le seuil de sensibilité (tableau 1) est de 1 gramme pour les incisives et les canines [2] et il est plus élevé pour les prémolaires et les molaires, jusqu’à 2 grammes [3].

Woda signale qu’une stimulation mécanique du parodonte évoque, selon son intensité, une sensation de tact, de pression ou de douleur [2]. Cet auteur distingue le seuil absolu (plus petite épaisseur perçue) et le seuil différentiel (plus petite variation d’épaisseur perçue), seuils qui vont permettre l’appréciation, par les récepteurs parodontaux et pendant la mastication, de la texture du bol alimentaire et d’adapter la pression musculaire.

Autres récepteurs

Les récepteurs parodontaux ne sont cependant pas les seuls impliqués dans l’élaboration des sensations de positions mandibulaires, toujours selon Woda : « Par contre, lorsque l’objet est plus volumineux, une anesthésie parodontale ne modifie qu’assez peu l’appréciation de l’épaisseur…, ce qui montre bien que d’autres récepteurs situés dans les muscles manducateurs et surtout dans l’ATM (figure 5) sont, dans cette situation, prédominants » [2].

Les récepteurs situés dans les muscles sont les fuseaux neuro-musculaires et les organes tendineux de Golgi. Il existe également des récepteurs sensitifs dans la gencive (disques de Merkel, corpuscules de Meissner, de Pacini, de Ruffini, terminaisons libres). Mais la principale source de la proprioception buccale chez le patient denté est le récepteur desmodontal, d’où l’intérêt d’être le plus conservateur possible pour les dents…

Fibres sensitives

Les fibres sensitives véhiculant l’information desmodontale sont des fibres dites en T (figure 6). Elles appartiennent, dans leur grande majorité, aux branches maxillaire (V2) et mandibulaire (V3) du nerf trijumeau.

Les corps cellulaires des nerfs appartenant au trijumeau se situent dans le ganglion de Gasser, seul ganglion de ce type intracrânien et situé dans le cavum de Mekel (figure 7).

Le ganglion de Gasser (de son vrai nom, ganglion trigéminal) n’est pas qu’un simple lieu de passage de l’influx nerveux. C’est aussi un lieu d’échanges en raison, d’une part, des dendrites issues des corps cellulaires des différentes branches du nerf les faisant communiquer entre eux et, d’autre part, des nombreux interneurones présents. Cela explique pourquoi une information, surtout lorsqu’elle surcharge un nerf comme dans le cas d’une douleur aiguë, peut se « décharger » vers un autre, créant ainsi le paradoxe bien connu des cliniciens : le patient indique une douleur mandibulaire alors que la carie est maxillaire (figure 8). Le traitement de cette carie maxillaire, après bien des efforts de persuasion de la part du praticien vis-à-vis du patient, soulage la douleur mandibulaire, au grand étonnement dudit patient…

Il existe 4 types de fibres nerveuses sensitives, selon la classification Erlanger-Gasser : A-alpha, A-beta, A-delta et C (tableau 2).

Noyau sensitif du trijumeau

Le noyau sensitif du trijumeau (V3S) peut être comparé au processeur d’un ordinateur. Il analyse en effet les données reçues de tous ses « capteurs » et transmet ses « conclusions » à différents noyaux (dont les noyaux moteurs) qui vont exécuter ses demandes. Le plus souvent, les centres supérieurs sont interrogés.

Selon Woda [2], le complexe sensitif du trijumeau comprend 2 noyaux (figure 9) :

- le noyau spinal qui prolonge la corne dorsale de la moelle épinière. Très étendu, il occupe toute la hauteur du bulbe rachidien. Le noyau spinal est subdivisé en 3 sous-noyaux : caudal, interpolaire et oral ;

- le noyau principal, beaucoup plus petit. Il est situé à l’extrémité rostrale du complexe et est le principal relais de la sensibilité tactile épicritique et de la proprioception.

Il faut noter que le noyau sensitif du trijumeau, d’une grande longueur, est en contact, au niveau du tronc cérébral et par de très nombreux interneurones, avec la plupart des noyaux sensitifs et moteurs des nerfs crâniens (facial, lacrymo-nasal, salivaire…) (figure 10) qu’il peut activer en réponse à une information reçue par ses capteurs [4].

Cette proximité explique que, lorsque le muscle ptérygoïdien latéral (innervé par le trijumeau, Ve paire crânienne) subit une contracture en raison d’une déviation sur le chemin de fermeture causé par une prématurité, le noyau du nerf spinal accessoire (XIe paire crânienne, moteur) peut être sollicité pour aider à soulager cette contracture, entraînant une contracture des muscles qu’il commande (sterno-cléido-mastoïdien et trapèze), constatation souvent faite en clinique.

Il existe 2 autres noyaux impliqués dans la proprioception desmodontale :

- le noyau mésencéphalique, au rôle essentiel dans le réflexe myotatique trigéminal (fermeture réflexe de la bouche, le plus souvent monosynaptique) ;

- le noyau supra-trigéminal, entièrement dévolu à l’inhibition de la contraction des muscles élévateurs de la mandibule, en raison de la différence de puissance entre ces derniers et les muscles abaisseurs de la mandibule.

Noyau moteur du trijumeau

Le noyau moteur principal (appelé aussi noyau masticateur) envoie des fibres motrices vers les muscles de la mastication : muscles élévateurs et muscles abaisseurs sus-hyoïdiens. Les fibres motrices issues du noyau moteur empruntent la racine motrice du trijumeau, structure assez grêle, et rejoignent la branche mandibulaire pour sortir du crâne par le trou grand ovale [4] (figure 11).

Le noyau moteur du trijumeau (V3M) contrôle 8 muscles : le masséter, le temporal, les 2 ptérygoïdiens (latéral, médial), les muscles tenseurs du voile du palais, le digastrique (ventre antérieur), le mylo-hyoïdien et les muscles du marteau.

Fibres motrices du trijumeau

Les fibres motrices ou motoneurones sont divisées en 2 grands groupes selon qu’elles appartiennent aux voies de la motricité volontaire (voies dites pyramidales) ou de la motricité automatique ou réflexe (voies extra-pyramidales).

Il existe 3 types de motoneurones :

- les motoneurones alpha Aa (diamètre : 10 à 18 µm ; vitesse de conduction : 80 m/s) qui innervent les fibres musculaires striées responsables de la contraction ;

- les motoneurones gamma Ag (diamètre : 2 à 8 µm ; vitesse de conduction : 20 m/s) qui innervent les fuseaux neuro-musculaires, ajustant ainsi la sensibilité du muscle à l’étirement ;

- les motoneurones beta Ab (diamètre : 6 à 12 µm) qui innervent les 2 types de fibres.

L’information arrive au muscle par l’intermédiaire de la plaque motrice, zone de jonction synaptique de l’axone du nerf moteur avec une fibre musculaire, permettant la transmission neuro-musculaire et la contraction du muscle (figure 12).

PROPRIOCEPTION DESMODONTALE

La proprioception, ou sensibilité profonde, désigne la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps. Elle fonctionne grâce à de nombreux récepteurs reliés à des centres nerveux, aboutissant à des mouvements qui peuvent être réflexes, automatiques ou volontaires.

La proprioception desmodontale n’est qu’une composante de la proprioception générale de l’organisme. Une pression sur une dent va être enregistrée par les récepteurs desmodontaux et l’information transmise aux centres supérieurs par le premier neurone sensitif ou protoneurone : nerf maxillaire (V2) pour les dents de l’arcade supérieure ou nerf mandibulaire (V3S) pour celles de l’arcade inférieure (figure 13). Il s’agit d’un neurone en T dont le corps cellulaire se situe dans le ganglion de Gasser et constitué de fibres A-beta, fibres nerveuses de moyen calibre (6 à 12 µm), myélinisées, à conduction rapide (50 à 90 m/s), véhiculant uniquement la sensibilité proprioceptive fine. On retrouve également des fibres A-delta (information douloureuse bien localisée, précoce, fibres faiblement myélinisées, conduction : 4 à 40 m/s) et C (douleur de fond, fibres amyéliniques, conduction : 0,5 à 2 m/s).

En fonction de la nature de l’information, le mouvement peut être réflexe, automatique ou conscient (figure 14) :

- le mouvement réflexe, mono-ou bisynaptique, est une réponse immédiate, par exemple de retrait suite à une information algique. Il est lié au cerveau primitif ou reptilien, selon la classification de McLean [5] ;

- le mouvement automatique est régulé par des centres supérieurs situés dans le cerveau « limbique » ou mammalien, deuxième stade de l’évolution de cet organe ;

- le mouvement volontaire est le propre de l’homme et de certains mammifères évolués et est permis par le cortex.

On sait maintenant que les 3 structures cérébrales décrites par McLean [5] ne fonctionnent pas de manière indépendante et ont tissé de nombreuses connexions par lesquelles elles peuvent s’influencer mutuellement. Les voies nerveuses qui vont du système limbique au cortex sont, par exemple, très développées. Mais ce schéma reste particulièrement didactique…

C’est la combinaison de ces 3 mouvements qui va permettre la réalisation d’actes comme la mastication ou la déglutition ainsi que ceux permettant la protection des organes dentaires.

Mastication

La mastication a été initialement décrite pas Creed et Sherrington [6] comme étant une succession de réflexes : la pression du bol alimentaire sur les dents entraîne l’ouverture de la bouche alors que l’étirement des muscles entraîne au contraire sa fermeture. Des études récentes indiquent que c’est un mouvement d’une complexité extrême [7].

La mastication est un mouvement à la fois réflexe et automatique, l’esprit pouvant être occupé par la conversation ou la télévision.

Ce mouvement est cependant parfaitement régulé et, à chaque cycle, adapté à la texture du bol alimentaire (figure 15).

Fougeront et al. [8, 9] écrivent que « la mastication est régulée majoritairement par des systèmes en boucle fermée (feed-back), c’est-à-dire réflexes à partir des récepteurs périphériques, essentiellement les mécanorécepteurs parodontaux et les fuseaux neuromusculaires et, dans une moindre mesure, par des systèmes en boucle ouverte ou anticipatoires (feed-forward), d’action plus rapide mais moins précise que les systèmes rétroactifs. Mais plus la fréquence des cycles masticatoires augmente, plus les contrôles anticipatoires prédominent ». Par exemple, si un bol alimentaire « résistant » est rencontré lors d’un cycle masticatoire, une activité musculaire plus énergique sera préprogrammée pour le cycle suivant, puis modulée par les récepteurs desmodontaux.

Ainsi, ce mouvement est beaucoup plus « sophistiqué », comme l’ont montré Fontenelle et Woda [10] (figure 16), et fait intervenir en plus d’autres récepteurs sensitifs comme ceux issus de la langue (XII) ainsi que de nombreuses structures cérébrales. L’origine de ce mouvement reste cependant l’apanage du récepteur desmodontal.

Ce mouvement est le plus souvent automatique, l’attention étant captée par d’autres événements. Mais, si l’aliment est particulièrement bon (ou particulièrement mauvais…), le cortex est alerté et le sujet l’apprécie d’une manière consciente (ou le rejette brutalement…), avant de retourner à des cycles plus automatiques.

Lorsque le bol alimentaire est suffisamment réduit (et insalivé…), les récepteurs issus du desmodonte et de la langue en informent les centres supérieurs qui déclenchent alors la déglutition, mouvement « ultrasophistiqué ». En effet, comme pour la mastication, il existerait un centre de la déglutition, coordonnant la succession des mouvements nécessaires à sa bonne exécution. En simplifiant à l’extrême, le temps buccal fait intervenir la langue qui plaque le bol alimentaire contre le palais et l’amène par péristaltisme vers l’isthme du gosier. Le temps pharyngien permet à l’épiglotte de venir fermer les voies aériennes et d’ouvrir le sphincter supérieur de l’œsophage. Le temps œsophagien assure le transfert des aliments du sphincter supérieur de l’œsophage jusqu’au cardia grâce à une onde péristaltique qui le parcourt du haut vers le bas.

Mécanismes de défense

Les récepteurs desmodontaux assurent un rôle de défense des structures dentaires lorsque, par exemple, une contraction prolongée risque d’entraîner une pression excessive sur les dents ou lorsqu’un noyau d’olive vient s’interposer entre les arcades lors d’un cycle de mastication.

Contraction prolongée

Une contraction prolongée peut être néfaste pour les dents, le desmodonte ou les muscles masticateurs. L’information ainsi générée par une telle contraction est captée, entre autres, par les récepteurs desmodontaux (figure 17). La réaction musculaire assez lente semble montrer que ce sont plutôt des fibres A-delta à vitesse de conduction réduite (5-40 m/s) qui transmettent l’information, ce qui n’a cependant pas été démontré.

Obstacle interposé

La présence d’un corps dur interposé entre les arcades dentaires fait jouer, à 90 m/s, un système de protection particulièrement « sophistiqué » (figure 18).

Pathologies occlusales

L’intercuspidie maximale est nécessaire pour la déglutition à vide (1 000 à 1 500 fois par jour) et fait agir les muscles élévateurs de la mandibule (masséter, temporal, ptérygoïdien médial), à la physiologie adaptée à ce nombre de contractions. La présence d’un obstacle comme une prématurité dans le cycle normal de fermeture est « captée » par les récepteurs desmodontaux et va entraîner une adaptation de ce cycle par un « évitement » de l’obstacle et la mise en jeu de muscles peu adaptés à un tel nombre de contractions. Si l’évitement est antérieur, c’est le muscle ptérygoïdien latéral qui sera sollicité et inclus, d’une manière automatique, dans le cycle de fermeture. Or ce muscle, nettement moins sollicité habituellement, a une physiologie différente de celle des muscles élévateurs et une plus grande « fatigabilité ». Après 400 à 500 contractions, ce muscle va présenter une contracture, douloureuse et souvent confondue avec une algie de la branche sensitive maxillaire du nerf trijumeau (V2). Par un « cercle vicieux » parfaitement bien décrit par Lund et Lavigne, l’organisme recrute d’autres muscles afin de soulager le muscle endolori [11] (figure 19).

Le noyau du nerf spinal accessoire (XIe paire crânienne, moteur) est ainsi sollicité pour aider à soulager cette contracture, entraînant celle des muscles qu’il commande : sterno-cléido-mastoïdien et trapèze (figures 20 à 22).

En cas d’évitement par rétropulsion, c’est le muscle digastrique qui est sursollicité, son ventre antérieur étant innervé par le trijumeau (V3M).

En clinique, des douleurs du cou et de la nuque sont souvent associées à des troubles occlusaux sans que le lien soit malheureusement fait… Un questionnaire médical correctement réalisé devrait pourtant s’y intéresser avec, lors de l’examen clinique, la palpation systématique du sterno-cléido-mastoïdien…

CONCLUSION

L’extraction d’une dent, avec comme conséquence la perte de ses capteurs trigéminaux, n’est pas un acte anodin. Henri et al. [12], après l’extraction d’une incisive chez le rat, ont noté, par la mise en place de microélectrodes, une réorganisation très importante des aires impliquées dans la sensibilité desmodontale (S1), avec un renforcement neuronal concernant la dent controlatérale, la dent antagoniste et même la langue et les lèvres.

L’étude de la proprioception de la sphère buccale met en évidence le rôle primordial des récepteurs desmodontaux dans la physiologie de la bouche, permettant d’affirmer que la dent est une branche sensitive du trijumeau, le nerf le plus complexe de l’organisme. La bonne gestion d’une occlusion réfléchie et bien comprise va permettre d’éviter des adaptations musculo-articulaires dont le patient n’est plus toujours capable.

On ne peut donc que s’interroger sur l’intégration neurophysiologique d’un implant, dépourvu de ces récepteurs, parmi des organes qui en sont munis… [3, 13].

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Woda A, Fontenelle A. Cinématique : organisation générale du système nerveux. In : Chateau M, ed. Orthopédie dento-faciale, bases fondamentales. Paris : Julien Prélat, 1975.
  • 2. Woda A. Abrégé de physiologie oro-faciale. Paris : Masson, 1983.
  • 3. Bert M, Leclercq P, Martinez JF. L’occlusion en implantologie. Montrouge : EDP Sciences, 2015.
  • 4. Delmas A. Voies et centres nerveux, 10e éd. Paris : Masson, 1975.
  • 5. McLean PD. The three brains. Clin Neurophysiol 1952;4:407-418.
  • 6. Creed RS, Sherrington CS. Reflex activity of the spinal chord. Oxford: Clarendon, 1932.
  • 7. Ramfjord SP, Ash MM. L’occlusion. Paris : Julien Prélat, 1975.
  • 8. Fougeront N, Garnier B, Fleiter B. Automatismes de l’appareil manducateur et fonctions cervicales connexes (2e partie). Med Buccale Chir Buccale 2014;20:253-261.
  • 9. Fougeront N. Neurophysiologie de l’occlusion. Des sciences fondamentales à la pratique clinique. Actual Odonto-Stomatol 2018;290;13p. [doi.org/10.1051/aos/2018043]
  • 10. Fontenelle A, Woda A. Activité tonique et posture de la mandibule : mastication, déglutition. In : Chateau M, ed. Orthopédie dento-faciale, bases fondamentales. Paris : Julien Prélat, 1975.
  • 11. Lund JP, Lavigne GJ, Dubner R, Sessle BJ. Douleurs oro-faciales. Paris : Quintessence International, 2004.
  • 12. Henri EC, Marasco PD, Catania KC. Plasticity of the cortical dentition representation after tooth extraction in naked mole rats. J Comp Neurol 2005;485:64-74.
  • 13. Bert M. Implantologie, bases fondamentales, conséquences cliniques. Montrouge : Parresia éditions, 2020 [en libre accès sur internet : site dentaire365].

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.