INCITATION AU SEVRAGE TABAGIQUE : COMMENT L’ODONTOLOGISTE PEUT-IL AIDER SON PATIENT ?
 

Clinic n° 09 du 01/09/2023

 

Parodontie

Sophie-Myriam DRIDI*   Clément AMELINE**   Charles MICHEAU***  


*PU-PH, Institut de Médecine bucco-dentaire Riquier, CHU Nice. Département de Parodontologie, UFR Odontologie, Université Nice Côte d’Azur.
**Interne en Médecine bucco-dentaire, Institut de Médecine bucco-dentaire Riquier, CHU Nice. UFR Odontologie, Université Nice Côte d’Azur.
***Ancien AHU, UFR Odontologie, Université Paris Cité. Exercice libéral en Parodontologie et Implantologie orale à Paris.

En matière de lutte contre le tabagisme, le rôle de l’odontologiste ne doit pas se limiter à la détection et à la prise en charge des pathologies orales liées au tabac. En tant que professionnel de santé à part entière, il doit aussi s’impliquer, d’une part, dans la prévention à l’initiation au tabac pour les non-fumeurs, d’autre part, dans la prévention des récidives pour les anciens fumeurs et, enfin, dans l’incitation au sevrage pour les fumeurs.

En effet,...


Résumé

L’incitation professionnelle à l’arrêt du tabac est une attitude responsable, efficace et appréciée des patients. Par conséquent, le clinicien doit identifier les patients fumeurs dès la première consultation et tout mettre en œuvre pour le guider vers la voie du sevrage. Nous proposons une conduite à tenir que nous avons pu éprouver en milieu hospitalier comme en cabinet de ville. Celle-ci est complétée par le témoignage de l’un de nos collègues libéraux.

En matière de lutte contre le tabagisme, le rôle de l’odontologiste ne doit pas se limiter à la détection et à la prise en charge des pathologies orales liées au tabac. En tant que professionnel de santé à part entière, il doit aussi s’impliquer, d’une part, dans la prévention à l’initiation au tabac pour les non-fumeurs, d’autre part, dans la prévention des récidives pour les anciens fumeurs et, enfin, dans l’incitation au sevrage pour les fumeurs.

En effet, de nombreux auteurs ont mis en avant l’influence non négligeable que pouvaient exercer les odontologistes vis-à-vis des patients addicts au tabac ou risquant de l’être.

Bien que les caractéristiques individuelles des non-fumeurs, anciens fumeurs ou fumeurs varient en fonction de nombreux critères suivant le pays d’origine des sujets (croyances, pratiques culturelles, niveaux socio-économiques, environnement…), des données semblent pourtant se confirmer d’une étude à une autre [1-5] :

- la plupart des patients sont sensibilisés aux principaux effets néfastes du tabac sur la santé générale et buccodentaire. Cette prise de conscience est plus importante chez les non-fumeurs comparés aux fumeurs, chez les adultes jeunes et instruits ;

- la majorité des patients se dit réceptive aux informations relatives au tabac qui sont délivrées par les dentistes traitants et perçoit positivement cette implication ;

- la plupart des patients se dises prêts à arrêter de fumeur sur les conseils des dentistes traitants, surtout si ces derniers montrent les effets du tabac dans la cavité buccale ;

- la plupart des patients se dises prêts à consulter un médecin pour s’engager dans le sevrage si les dentistes les incitent à le faire ;

- seule une minorité des patients se dit mal à l’aise ou irritée lorsque les dentistes traitants abordent la question du tabagisme et peu de patients déclarent vouloir changer de praticien le cas échéant.

Or, il ressort également des études que la plupart des chirurgiens-dentistes ne délivrent aux patients fumeurs que des explications sur les effets néfastes du tabagisme sans proposer une aide pragmatique au sevrage. Hormis le manque de valorisation de leur travail et les contraintes de temps, cette attitude peut aussi s’expliquer par l’absence de recommandation professionnelle spécifique à l’odontologie.

Afin de remédier à cette problématique, chaque praticien peut toutefois s’inspirer des stratégies d’aide habituellement proposées aux médecins généralistes et utiliser les outils de sensibilisation qui leur sont destinés.

Dans cette optique, nous proposons une démarche thérapeutique fondée sur notre expérience clinique, laquelle s’est enrichie au fil du temps grâce aux échanges professionnels que nous avons pu établir avec nos collègues tabacologues, et qui est sous-tendue par quelques messages clés délivrés par ces derniers et la Haute Autorité de santé [6] (encadré 1). Ainsi, il nous paraît essentiel d’identifier dans un premier temps le statut tabagique de chacun de nos patients avant de mettre en œuvre une conduite à tenir adaptée aux principales situations cliniques.

IDENTIFICATION DU PATIENT FUMEUR

L’identification du statut tabagique d’un patient s’effectue dès l’entretien médical. Si cette identification ne peut pas être menée à bien à la première consultation, celle-ci peut être poursuivie lors d’une séance de soin ultérieure. Cette première étape comprend deux temps : le premier consiste à évaluer l’état de santé du patient et le deuxième son niveau de consommation tabagique et sa motivation à l’arrêt (figure 1).

Évaluer l’état de santé du fumeur

L’objectif pour le praticien est de s’enquérir de la présence éventuelle ou des antécédents de pathologies générales et orales liées au tabagisme : maladie cardiovasculaire ou respiratoire, cancer, épisodes d’infections candidosiques, maladie parodontale d’évolution rapide…

De même, il est primordial qu’il s’informe sur l’état psychologique du fumeur et sur l’existence ou non d’une ou de plusieurs autres addictions pouvant exacerber celle du tabagisme.

L’histoire personnelle du patient doit aussi être analysée :

- le tabagisme des parents ? Un enfant de parents fumeurs a plus de risque de fumer dès l’âge critique de l’adolescence, notamment en raison du tabagisme passif (part environnementale). Cette donnée est importante à expliquer au patient/parent qui ne souhaite pas que son histoire se répète !

- consommation tabagique du conjoint ? L’aide du conjoint fumeur peut être efficace s’il décide également de s’engager vers le sevrage. D’un autre côté, ce conjoint peut représenter un obstacle en cas de refus ;

- nombre de tentatives d’arrêt et circonstances justifiant les rechutes ?

Seule la prise en compte de toutes ces données médicales permet d’entrevoir une prise en charge personnalisée du patient fumeur.

Évaluer la dépendance au tabac et le stade de motivation à l’arrêt du fumeur

La deuxième phase de la démarche diagnostique consiste à cerner, d’une part, le niveau de dépendance au tabac du patient fumeur et, d’autre part, son état psychique face au sevrage.

Niveau de dépendance au tabac

Le test de Fagerström est un moyen simple et efficace qui permet d’évaluer la dépendance à la cigarette d’un sujet afin d’adapter en parallèle les conseils professionnels pour l’aide au sevrage [7, 8]. Ce test se présente sous la forme d’un questionnaire écrit qui peut être utilisé de deux façons. La version longue comporte 6 questions, que le patient peut remplir dans la salle d’attente, chez lui ou en présence du praticien à son bureau (cf. article de Roméo et Martelli dans ce même numéro). À chaque réponse cochée correspond une note chiffrée. L’addition des notes aboutit à un score final de dépendance à la cigarette qui varie de 0 à 10, du plus faible au plus élevé. La version courte du test de Fagerström ne comprend que les deux questions 1 et 4 de la version longue, particulièrement révélatrices de la dépendance à la cigarette. Cette dernière version paraît donc plus adaptée à l’exercice d’un odontologiste car son interprétation en présence du patient est aisée et rapide (tableau 1). La question 1 évalue le temps entre le réveil et la consommation de la première cigarette ; la question 4 le nombre de cigarettes fumées par jour.

Plus ce temps est court et plus le nombre de cigarettes est élevé, plus la dépendance physique à la nicotine est forte et plus le sujet a besoin d’aide pour arrêter de fumer.

De surcroit, la prise en compte du nombre de cigarettes fumées par jour permet également d’estimer, au premier abord, le type de dépendance dont souffre le fumeur :

- si celui-ci fume moins de 5 cigarettes par jour, sa dépendance est plutôt comportementale ;

- si celui-ci fume entre 5 et 20 cigarettes par jour, sa dépendance est psycho-comportementale ;

- si celui-ci fume plus de 20 cigarettes par jour, sa dépendance est double, physique et psycho-comportementale.

État psychique face au sevrage

Parmi les outils pédagogiques permettant d’évaluer la motivation d’un fumeur à arrêter de fumer, le modèle de Prochaska et DiClemente est l’un des plus usité [9]. Ce modèle transthéorique suppose qu’une personne souffrant d’une addiction passe par 7 stades de changement comportemental avant d’être sevrée.

Ainsi, connaître le stade de préparation à l’arrêt dans lequel se trouve un sujet fumeur revient à estimer son niveau de motivation.

• Le stade 1, ou étape de pré-intention/pré-contemplation, correspond au fumeur qui n’a pas encore envisagé d’arrêter : celui-ci ne ressent que les bénéfices de son addiction et pense être à l’abri de tous les problèmes ou se montre détaché vis-à-vis des méfaits de la substance qu’il consomme.

• Le stade 2, ou étape de l’intention/contemplation, correspond au fumeur qui pense à arrêter mais qui est encore ambivalent. Le patient est cette fois bien conscient des risques pour sa santé mais il hésite encore à se sevrer car il reste attaché aux bénéfices de la substance addictive.

• Le stade 3, ou étape de préparation/détermination, correspond au fumeur qui a pris la décision d’arrêter et qui a mis en place une stratégie de sevrage. Le fumeur prend davantage en compte les inconvénients de l’addiction que ses avantages.

• Le stade 4, ou étape de l’action, est celle où le sujet est en cours d’arrêt et a modifié son hygiène de vie.

• Le stade 5 est l’étape du maintien : le fumeur confirme son choix d’être ancien-fumeur.

• Le stade 6 définit l’étape de la rechute, qui est considérée par les tabacologues comme faisant partie du processus normal du changement du comportement.

• Le stade 7 marque la réussite finale de ce processus, c’est-à-dire le sevrage consolidé.

CONDUITES À TENIR FACE À UN PATIENT FUMEUR

En fonction de la synthèse diagnostique, il est possible de distinguer 3 situations principales (figure 2) :

- le patient est prêt à se sevrer (phase de décision/préparation du modèle de Prochaska et DiClemente) ;

- le patient souhaite se sevrer mais pas dans l’immédiat (phase d’intention/contemplation du modèle de Prochaska et DiClemente) ;

- le patient ne souhaite pas se sevrer ou n’a plus envie d’essayer (phase de pré-intention/pré-contemplation du modèle de Prochaska et DiClemente).

Proposition d’une conduite à tenir face à un patient prêt à se sevrer

Grâce aux campagnes de sensibilisation, il arrive qu’un patient fumeur soit convaincu de la nécessité d’arrêter de fumer dès la première consultation, d’autant plus qu’il se sait atteint d’une pathologie orale dont l’évolution est influencée par le tabagisme. Cette situation est la plus confortable pour le praticien. En plus d’encourager et de rassurer le patient sur son soutien et sa disponibilité, l’odontologiste a les compétences pour prescrire un traitement de substitution nicotinique (TSN), notamment lorsque la dépendance du fumeur est faible ou modérée.

Dans le cas contraire, il est préférable d’orienter le patient vers un médecin généraliste ou spécialiste en fonction de son état de santé et/ou des comorbidités existantes. Par ailleurs, il est recommandé de s’enquérir régulièrement, lors des séances de réévaluation ou de suivi buccodentaire, de la persistance de la phase d’arrêt. Ces moments d’échange avec le patient, devenu ancien-fumeur, sont propices car ils permettent de prévenir les rechutes (la dépendance persiste après un arrêt).

Toutefois, si le patient avoue une rechute, il convient de dédramatiser la situation (une rechute n’est pas un échec mais seulement une étape du processus de sevrage) et de tenter avec lui de comprendre les raisons de ce faux pas.

Proposition d’une conduite à tenir face à un patient qui souhaite se sevrer mais pas dans l’immédiat

Un fumeur peut être motivé pour arrêter définitivement de fumer sans pour autant se sentir capable d’y parvenir. Plusieurs raisons sont régulièrement avancées par le sujet pour justifier cette incapacité [2, 3] :

- mauvaise perception des risques du tabagisme sur la santé générale et/ou buccodentaire ;

- attitude résignée face au tabagisme ;

- manque de connaissances sur les traitements permettant un sevrage accompagné ;

- manque de connaissance vis-à-vis des bénéfices du sevrage tabagique ;

- manque de ressources personnelles ou de confiance en soi ;

- manque de soutien ou conjoint fumeur ;

- environnement professionnel exposé au tabagisme.

En première approche, certaines personnes préfèrent réduire leur consommation de tabac.

Au cours de l’entretien médical, il est alors opportun de s’enquérir des motifs qui justifient cette incapacité à arrêter complétement, afin de mieux rebondir sur chaque point précisé par le patient en apportant des réponses et des solutions thérapeutiques adaptées. Cette approche professionnelle peut demander du temps et de l’énergie. Elle peut donc être envisagée progressivement sur plusieurs séances de soin.

Pour le praticien, l’objectif final est double.

• D’une part, cela permet de rassurer la personne fumeuse pour mieux l’orienter vers un sevrage définitif. Lorsque le fumeur est peu dépendant à la nicotine, l’arrêt progressif du tabagisme est une solution qui est reconnue efficace. Lorsque le fumeur est dépendant, l’innocuité de la prise concomitante de tabac, d’un suivi psychologique et/ou d’un médicament d’arrêt est parfaitement admise par les tabacologues [10]. Ce mode d’arrêt progressif aboutit à des taux d’abstinence comparables comparé au mode d’arrêt brutal. Il peut être proposé chez les adultes fumeurs, installés dans un tabagisme important depuis des années, assez anxieux et manquant de confiance en soi face à une première tentative d’arrêt [11]. Mais, dans ce cas, la personne fumeuse doit être informée que ses chances de réussite sont conditionnées par un suivi régulier qui doit être assuré par un tabacologue.

• D’autre part, cela permet d’induire une dissonance de façon non agressive, soit lors d’un échange verbal en face à face, soit au fauteuil en montrant directement à l’aide d’un miroir de courtoisie les lésions orales dues au tabac, telles une mélanose gingivale, la perte des papilles au niveau des secteurs antérieurs, une leucoplasie… En effet, l’expérience clinique montre que l’objectivation clinique de ces lésions peut rapidement aboutir à une réelle prise de conscience des méfaits du tabac et, in fine, au déclic tant attendu qui permettra à la personne concernée d’envisager un sevrage définitif.

À côté de ces fumeurs qui souhaitent passer par une étape de transition d’arrêt progressif, d’autres privilégient seulement la réflexion afin de se préparer mentalement à l’idée de ne plus fumer. L’attitude de l’odontologiste doit rester la même : encourager, rassurer, induire ou renforcer une dissonance, expliquer les effets bénéfiques des alternatives thérapeutiques dont ceux de l’arrêt progressif.

En outre, dans tous les cas de figure, il est recommandé de transmettre à la personne fumeuse une brochure sur le tabagisme sur laquelle figurent les numéros et les adresses des sites internet dédiés à l’aide au sevrage tabagique (nous proposons dans ce même numéro une fiche d’information entièrement conçue par des odontologistes). À titre d’exemple, la personne fumeuse peut télécharger « le journal du fumeur », particulièrement didactique et bien conçu, qui est disponible en libre accès sur le site tabac-info-service.fr (figure 3).

Proposition d’une conduite à tenir face à un patient qui ne souhaite pas se sevrer ou n’a plus envie d’essayer

Contrairement à la première situation, celle-ci est la moins confortable pour le praticien car elle le bloque bien souvent dans un schéma thérapeutique de compromis (plusieurs types de chirurgies orales sont, par exemple, contre-indiquées chez les fumeurs, d’une façon relative ou absolue).

Par ailleurs, le patient peut se montrer agacé par nos questions ou nos tentatives pour le convaincre d’arrêter, voire devenir totalement agressif. Il peut aussi ne pas comprendre que nos choix thérapeutiques soient influencés par son tabagisme.

Dans tous les cas de figure, il est essentiel de respecter une attitude professionnelle responsable en délivrant un conseil minimal sur l’intérêt du sevrage tabagique et en montrant directement les atteintes orales liées à la consommation du tabac, tout en expliquant leur processus étiopathogénique. Le patient doit être informé, sans être culpabilisé, des risques qu’il encoure s’il continue de fumer (le consentement éclairé est obligatoire) [11].

De cette façon, l’attitude professionnelle s’inscrit dans une stratégie de réduction des risques.

LES OUTILS UTILES

Plusieurs outils de communication sont proposés pour faciliter l’implication des professionnels de santé dans la lutte contre le tabagisme. Nous proposons d’en citer quelques-uns qui peuvent être affichés ou mis à disposition des patients dans la salle d’attente :

- affiche publicitaire sous la forme de poster anti-tabac ;

- fiche d’information, test long de Fagerström, journal du fumeur ;

- vidéo didactique ;

- informations utiles : soutien téléphonique (ligne Tabac info service : 3989, service gratuit), outils d’auto-support (plusieurs ateliers sont proposés au patient : comment se libérer de sa dépendance ? Comment évaluer sa dépendance ? Comment évaluer son profil ? Comment se motiver ? etc. Pour chaque étape, plusieurs conseils avisés sont délivrés) et annuaire de consultation en tabacologie (site tabac-info-service.fr), adresse du tabacologue installé près de votre cabinet ou avec lequel vous avez l’habitude de travailler.

CONCLUSION

À l’instar des autres professionnels de santé, l’odontologiste se doit d’identifier le statut tabagique de tous ses patients. Il doit également tout mettre en œuvre pour inciter au sevrage tabagique les fumeurs, quel que soit leur stade de motivation. La conduite à tenir doit ensuite être adaptée en fonction de son état de santé, de ses craintes, de son niveau de dépendance à la cigarette et de sa motivation à l’arrêt.

Nous proposons ici une approche diagnostique et interventionnelle de l’incitation au sevrage tabagique. En parallèle, via l’interview de notre collègue parodontiste Philippe Bidault, vous découvrirez une autre manière de procéder (encadré 2).

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Sood P, Narang R, Swathi V, Mittal L, Jha K, Gupta A. Dental patient’s knowledge and perceptions about the effects of smoking and role of dentists in smoking cessation activities. Eur J Dent 2014;8(2):216-223.
  • 2. Patil PU, Vivek S, Chandrasekhar T, Parimi N, Praveen BH, Lingaraj S. Patient receptivity to tobacco cessation counselling and services in a dental teaching institute: A patient review. J Int Oral Health 2015;7(1):22-25.
  • 3. Ravi P, Ivaturi A, Das D, Bhadauria US, Khurana C, Dev M, Priya H. Evaluation of perceptions of tobacco cessation among the individuals attending a tertiary care dental hospital: A mixed methods design. Asian Pac J Cancer Prev 2021;22(9):2749-2755.
  • 4. Beklen A, Yildirim BG, Mimaroglu M, Yavuz MB. The impact of smoking on oral health and patient assessment of tobacco cessation support from Turkish dentists. Tob Induc Dis 2021;19:49.
  • 5. Bangera DS, Takana MT, Gopakumar A, Muttappallymyalil J. Dentists’ perception of health-risk associated with cigarettes and alternative tobacco products: A descriptive study. Nepal J Epidemiol 2022;12(4):1248-1255.
  • 6. HAS. [www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-01/argumentaire_scientifique-_arret_de_la_consommation_de_tabac.pdf]
  • 7. Fagerstrom, K. Determinants of tobacco use and renaming the FTND to the Fagerstrom test for cigarette dependence. Nicotine Tob Res 2012;14:75-78.
  • 8. Fagerström K, Russ C, Ching-Ray Yu M.D, Yunis C, Foulds J. The Fagerström test for nicotine dependence as a predictor of smoking abstinence: A pooled analysis of varenicline clinical trial data. Nicotine Tob Res 2012;14(12):1467-1473. [doi:10.1093/ntr/nts018]
  • 9. Prochaska JO, Velicer WF. The transtheoretical model of health behavior change. Am J Health Promot 1997;12(1):38-48.
  • 10. Dautzenberg B. Le tabagisme : de la clinique au traitement. Paris : Éd MED’COM, 2010;155 p.
  • 11. Baha M, Le faou AL. L’arrêt progressif du tabac en consultation de tabacologie en France entre 2007 et 2010, une option efficace pour les gros fumeurs. Bull Epidémiol Hebd 2015;17-18:315-320.
  • 12. HAS. Sevrage tabagique : des outils pour repérer et accompagner les patients. [has-santé.fr]

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

Encadré 1
EXEMPLES DE MESSAGES FORTS DÉLIVRÉS AUX MÉDECINS GÉNÉRALISTES PAR LA HAS [6]

Concernant les individus fumeurs

• Une prise en charge par un professionnel de santé est préférable à une prise en charge par un non-professionnel de santé.

• Une prise en charge de 1-3 minutes par un professionnel de santé est plus efficace que l’absence de prise en charge.

• Une prise en charge longue est plus efficace qu’une prise en charge courte.

• Une prise en charge répartie sur plusieurs séances ou consultations est plus efficace que délivrée au cours d’une seule consultation.

• Une prise en charge par un médecin est préférable à une prise en charge par un non-médecin.

Encadré 2
INTERVIEW • DR PHILIPPE BIDAULT (exercice libéral limité à la Parodontologie et à l’Implantologie à Paris)

Sophie-Myriam DRIDI : Si le patient est fumeur, est-ce que cela modifie le protocole de votre première consultation ?

Philippe BIDAULT : Oui car le tabac est probablement le facteur de risque le plus étudié et le plus significatif dans les parodontites. Les patients fumeurs sont atteints plus jeunes, les destructions sont plus sévères et les traitements donnent de moins bons résultats. L’arrêt du tabac est donc un point essentiel et ça fait partie des changements de comportement qui sont discutés au début de la prise en charge. Dès la première consultation, j’aborde la question du tabac. Et, il n’est pas rare que j’aie besoin de plus de temps pour la première consultation. Donc, je peux reprogrammer un second rendez-vous pour compléter mon examen et l’entretien avec le patient avant de commencer tout geste technique. C’est essentiel pour bien poser les bases de la relation thérapeutique, en particulier chez un patient fumeur car une grande partie du traitement va dépendre de son changement de comportement.

Si le patient est fumeur, avec ou sans parodontite, je vais toujours demander s’il a déjà arrêté ou non, dans quelles conditions et combien de temps. Je ne limite pas mes questions à la cigarette et je parle aussi des autres formes de tabac (pipe, cigare, cannabis). Donc le questionnaire médical est plus détaillé que chez un patient non fumeur. Concernant plus spécifiquement la consommation de cannabis, je pose systématiquement la question quand je révise le questionnaire médical, même si le patient dit ne pas fumer.

Compte tenu de la place du tabac dans l’étiopathogénie des parodontites, la tentation peut être grande de centrer d’emblée son discours sur cet élément. En général, je ne le fais pas car je pense que cela peut être culpabilisant et bien souvent contre-productif. Le plus souvent, je ne vais développer la problématique du tabac qu’après avoir posé le diagnostic et donné les premières explications sur la parodontite et son traitement.

Les patients fumeurs savent, plus ou moins, que le tabac est un facteur de risque. Ils s’attendent à ce qu’on aborde le sujet et qu’on leur demande d’arrêter. Donc partir sur la question du tabac dès le questionnaire médical ne me semble pas utile. On peut « braquer » le patient et passer à côté des autres informations relatives à la parodontite. À l’inverse, quand on commence par parler de la notion de déséquilibre et d’assainissement, je pense que l’écoute du patient est plus active. Et, idéalement ce doit être le patient qui pose la question du rôle du tabac dans sa pathologie. Certains peuvent même être presque étonnés qu’on n’en parle pas tout de suite.

Mais, c’est un schéma général. Tous les patients ne se ressemblent pas donc, chez un gros fumeur avec une parodontite très sévère, il est certain que je vais très vite parler du tabac et centrer mon discours essentiellement là-dessus. On verra plus tard pour les brossettes et le nombre de séances de soins.

Pour amener le patient à considérer l’arrêt du tabac comme une étape du traitement parodontal, quels sont les points clés de votre entretien ?

Je développe les points suivants.

• Le tabac n’est pas la cause de la maladie mais ça explique que la maladie est plus sévère. Et, je donne des chiffres pour bien fixer les idées : « la perte osseuse progresse 3 à 5 fois plus vite ; un patient fumeur a perdu plus de dents après 50 ans qu’un patient non fumeur ; il y a aussi plus d’abcès… ».

• Je fais donc le lien entre le tabac, le diagnostic et le pronostic. C’est le tabac qui explique que l’atteinte est plus sévère au maxillaire et/ou que le pronostic des dents maxillaires est moins bon que celui des dents mandibulaires.

• J’essaye d’avoir un discours positif, sans culpabiliser. « Oui, le tabac vous apporte du plaisir ou du réconfort, oui c’est une aide importante pour vous. C’est fabriqué dans cet objectif et les industriels savent très bien faire. Oui, c’est souvent difficile d’arrêter et ça ne marche pas toujours du premier coup. Si vous avez déjà essayé et que vous avez repris la cigarette, ce n’était peut-être pas le bon moment ou la bonne méthode pour arrêter mais surtout retenez que vous avez réussi, au moins quelques jours ou quelques semaines. Donc, vous pouvez y arriver ».

• Je montre les signes buccaux spécifiques liés au tabac.

• S’il y a de la mélanose tabagique, je leur montre en soulignant que ce n’est pas anodin que la gencive change de couleur. Si leur peau devenait foncée, ils s’inquièteraient, non ?

• Si ça ne saigne pas alors qu’il y a des poches, je leur montre que je peux « rentrer sous la gencive, qu’il y a une blessure et que pourtant ça ne saigne pas ». C’est un des effets du tabac. Le message sous-jacent étant « vous avez une maladie mais le tabac masque la maladie ». Chez un patient non fumeur, ça saigne alors que, chez vous, ça ne saigne pas. C’est dire l’effet du tabac sur la maladie. Votre corps ne réagit pas de la même façon.

• À l’inverse, si ça saigne, je leur dis que c’est plutôt rare chez un fumeur. Et, par conséquence, ce saignement est le signe que la maladie est sévère et que le système immunitaire est très sollicité.

• Souvent les patients vont associer tabac et colorations des dents mais ils ne font pas nécessairement le lien avec la parodontite, maladie qu’ils ne connaissent pas. Je leur explique que ce ne sont pas les taches sur les dents qui me posent problème mais bien la destruction, la « rétraction » de l’os et de la gencive autour de leurs dents.

• Je bannis certains mots de mon vocabulaire. Par exemple, je ne dis pas « le tabac, c’est mauvais » ou « vous n’avez pas le choix, il faut… ».

Est-ce que vous abordez la question du sevrage tabagique en donnant des conseils ou des prescriptions ?

Oui, je parle des différentes options possibles. Je ne les détaille pas et je ne prescris pas une méthode en particulier. Je veux leur montrer que je ne suis pas dogmatique sur la méthode pour arrêter. J’explique qu’il y a autant de façons d’arrêter que de patients et qu’on peut associer différentes solutions. À chacun de trouver la méthode qui lui convient le mieux et le timing qui lui correspond. Mais il me semble bon que le patient entende que, bien qu’ayant une approche très académique, nous ne sommes pas fermés à la possibilité d’utiliser des techniques « alternatives ». Et, de fait, certains patients vont arrêter avec un traitement médicamenteux ou des substituts alors que d’autres vont être plus réceptifs à l’hypnose, l’acupuncture, la psychothérapie ou même la lecture d’ouvrages dédiés.

• Si je vois que le patient est réceptif, je propose de l’orienter vers un ou plusieurs professionnels de santé avec lesquels je collabore. Je leur recommande aussi de contacter Tabac info service.

• Si le patient n’est pas réceptif et s’il ne me relance pas en me posant des questions sur le tabac, je n’insiste pas et je ne lui donne pas de contact pour le sevrage. Je laisse juste une porte ouverte en lui disant que, s’il est intéressé, je pourrais le conseiller sur ce sujet. Et, systématiquement, pendant le traitement actif et la maintenance, je questionne le patient sur sa consommation et son positionnement par rapport à la question du sevrage. Rares sont les patients qui ne finissent pas à un moment donné par essayer d’arrêter. Le déclic se fait juste à un moment différent.

• Si le patient est dans une position négative en disant qu’il n’est pas question pour lui d’arrêter ou dans certains cas, qu’il ne veut même pas entendre parler du sujet du tabac, je fais court mais je n’élude pas la problématique. Je considère qu’il faut donner l’information et dire qu’on est prêt à en parler plus en détail s’il le souhaite un jour. Je précise alors aussi les limites de nos traitements. « On va pouvoir assainir, réduire l’inflammation mais on ne pourra espérer garder telle ou telle dent ou on ne pourra pas faire tel ou tel traitement ». Par exemple, je ne fais pas de chirurgie plastique parodontale chez un patient fumeur.

Est-ce que vous parlez des autres conséquences du tabac sur la cavité buccale ?

Question délicate et directement en relation avec le profil du patient qu’on vient d’évoquer. Le plus souvent, oui, je vais dire que je leur parle de l’impact du tabac sur la parodontite mais que les effets du tabac ne se limitent pas à cela. Un levier pour introduire cette discussion est de poser des questions sur la consommation d’alcool. C’est la façon que j’ai trouvée d’introduire la notion de risque de lésions précancéreuses et cancéreuses dans la sphère oro-pharyngée chez le patient fumeur.

Concernant le cannabis, j’informe le patient, d’une part, que le cannabis aggrave la parodontite et, d’autre part, que les effets sont encore plus sévères qu’avec le tabac. J’aborde aussi la question du risque carieux car, selon le mode de consommation, certains patients peuvent manger ou boire sucré en fumant et ne se brossent pas les dents après.

Pour conclure, que pensez-vous du rôle du chirurgien-dentiste dans le sevrage tabagique ?

Je n’ai pas de statistique pour appuyer mes propos mais mon retour d’expérience est que l’argument des soins parodontaux et la problématique de la conservation des dents sont des formidables leviers pour accompagner les patients vers le sevrage tabagique. Un patient fumeur peut observer simplement et directement les effets du tabac sur sa santé bucco-dentaire alors qu’il ne le verra pas sur ses poumons ou son cœur ou alors très tardivement. Et, avec une approche positive, centrée sur la maladie et le patient mais pas sur le tabac, il est fréquent que les patients diminuent de façon significative ou arrêtent de fumer. Cela peut prendre une séance comme des années avant que le patient s’engage dans une démarche de sevrage mais ça fonctionne. Nous ne sommes souvent pas les premiers professionnels de santé à aborder cette question mais je suis persuadé que nous avons un rôle central sur ce sujet.