LE POINT SUR LES FÊLURES CORONAIRES - Clinic n° 10 du 01/10/2023
 

Clinic n° 10 du 01/10/2023

 

Endodontie

Dominique MARTIN*   Romain CHERON**  


*Ancien attaché d’enseignement du DUE d’Endodontologie clinique.
**Membre certifié de l’European Society of Endodontology.
***Exercice limité à l’endodontie à Paris.
****Ancien AHU
*****Biomatériaux et Prothèse, Université de Paris.
******Formateur et co-dirigeant de DentalClub.
*******Exercice libéral à Genève.

Atteinte clinique mal identifiée, la fêlure coronaire n’est pas une pathologie anecdotique. Elle touche un nombre de plus en plus important de patients et laisse souvent désemparés les praticiens qui y sont confrontés. Nous évoquons dans cet article les fêlures coronaires sur dents pulpées situées au niveau des dents cuspidées. Un sujet très ciblé mais dont on retrouve les implications dans de nombreux domaines de la dentisterie regroupées en sept points clés.

DIFFÉRENTS TYPES DE FÊLURES

Selon l’AAE (American Association of Endodontists), on relève trois types de fêlures coronaires :

- fêlure de l’émail ;

- fêlure cuspidienne (figure 1) ;

- fêlure coronaire verticale (figure 2).

L’emplacement, l’orientation et la profondeur de la fêlure ont une influence sur les symptômes, la démarche diagnostique et la prise en charge.

FÊLURES ASYMPTOMATIQUES

Les fêlures coronaires sont asymptomatiques pour 3 raisons possibles : soit parce qu’elles sont à distance de la pulpe [1], soit parce qu’elles ne sont plus sollicitées mécaniquement et ne provoquent donc pas de mouvements hydrodynamiques, soit parce qu’elles ont déjà progressé jusqu’au tissu pulpaire et que celui-ci est nécrosé. Elles sont découvertes lors d’un examen de routine ou à l’occasion du remplacement d’une restauration coronaire. Le diagnostic repose essentiellement sur l’observation clinique. Les restaurations en place, leur étanchéité apparente et leur degré d’adhésion aux parois dentaires doivent être appréhendés afin d’estimer le risque de fêlure. Les restaurations à l’amalgame sont notamment à analyser avec soin du fait du risque élevé de fêlures sous-jacentes souvent invisibles et asymptomatiques. L’absence d’adhésion du matériau aux parois de la cavité, les tensions répétées provoquées par les cycles masticatoires et le grand différentiel de coefficient de dilatation thermique avec les tissus dentaires sont autant d’éléments qui fragilisent les structures dentaires résiduelles.

FÊLURES SYMPTOMATIQUES

Les symptômes débutent par une simple sensation d’inconfort à la mastication survenant de façon intermittente associée à une sensibilité au froid. La pathologie évoluant, le patient ressent de vives et brèves douleurs à la mastication d’aliments durs ou fibreux. Il ne peut pas toujours localiser précisément la dent causale. Si aucune intervention n’est faite à ce stade, les douleurs deviennent irradiantes sur la totalité de l’hémiface et peuvent persister sur une période pouvant aller de quelques mois à quelques années [2].

La fêlure, lorsqu’elle atteint la dentine, ouvre un grand nombre de tubules dentinaires. Lorsqu’une pression est exercée sur la dent, l’écartement et le rapprochement des fragments provoquent des phénomènes hydrodynamiques au sein des tubules dentinaires susceptibles de stimuler les récepteurs pulpaires et entraînent une douleur vive mais de courte durée. En l’absence de traitement, ces tubules vont être colonisés par les bactéries buccales et le tableau clinique peut évoluer vers une inflammation pulpaire chronique. Cette inflammation peut générer des douleurs diffuses et discontinues rendant le diagnostic difficile. Contrairement à une pulpite associée à une cavité de carie qui évolue en quelques jours vers une nécrose pulpaire, l’inflammation évolue ici par alternance de poussées prolifératives et dégénératives [3] et peut persister plusieurs années. Ces douleurs d’origine pulpaire peuvent alors évoquer une algie faciale, devenir chroniques et altérer durablement la qualité de vie du patient [4]. Cette pulpite chronique aboutit à plus ou moins long terme à une nécrose pulpaire.

DIAGNOSTIC

Poser à coup sûr un diagnostic de fêlure coronaire est un exercice difficile : les premiers symptômes sont frustes et intermittents. Ils concernent le plus souvent des dents peu ou non délabrées et ne sont associés à aucun signe clinique ni radiographique facilement identifiable. Un diagnostic précoce est toutefois crucial pour le devenir de la dent et surtout la qualité de vie du patient. La démarche diagnostique repose avant tout sur l’écoute afin de recueillir la description et l’historique de la douleur. Les aides optiques permettent également d’optimiser leur identification. Au stade initial (douleur lors de la mastication), la localisation de la dent causale repose sur la reproduction de la douleur par le test du mordu. Il s’effectue, dent par dent puis cuspide par cuspide, au niveau du secteur incriminé, à l’aide d’une lentille de caoutchouc, d’un coton tige mouillé, d’un enfonce-couronne (figure 3) ou d’un instrument spécifique (Tooth Slooth II) : le patient ressent un soulagement au moment de la mise en pression et une douleur vive au relâchement. Les tests de sensibilité pulpaire viennent ensuite compléter le diagnostic. Une fois la dent localisée, on peut avoir recourt à la transillumination ou à un colorant pour mettre en évidence la fêlure [5] (figure 4).

ÉTIOLOGIE

Il est maintenant admis que l’étiologie principale est le traumatisme des contacts interdentaires répétés provoqués par le bruxisme statique (serrement) [6]. L’inter-cuspidation prolongée sous contrainte entraîne un effet de coin provoqué par les rapports cuspides-fosses. Ces contacts provoquent une compression au niveau des cuspides d’appui et une tension au niveau des fosses et/ou de la crête marginale.

Les forces de tension s’exercent sur une zone anatomique plus faible et il peut en résulter une fêlure provenant de l’écartement des cuspides vestibulaires et linguales. Plusieurs arguments viennent étayer cette hypothèse.

• Les dents les plus atteintes sont les dents les plus postérieures, donc celles qui supportent les pressions occlusales les plus importantes.

• Les molaires mandibulaires sont les dents les plus concernées comparativement à leurs antagonistes. Cela s’explique par la situation de la cuspide mésio-palatine des molaires maxillaires généralement saillantes qui accentue l’effet de coin entre les cuspides vestibulaires et linguales des molaires mandibulaires [7]. Ces dernières étant par ailleurs moins vulnérables grâce au pont d’émail qui traverse la face occlusale. À l’opposé, les prémolaires maxillaires qui ont un sillon occlusal profond sont plus touchées que leurs homologues mandibulaires (figure 5).

À ce facteur occlusal viennent s’ajouter des facteurs biomécaniques liés à la présence de restaurations coronaires sur les dents concernées qui peuvent affaiblir la structure résiduelle. De nombreux facteurs iatrogènes ont été cités comme une préparation cavitaire importante, la différence de coefficient de dilatation thermique entre le matériau d’obturation et celui de la dent, l’expansion retardée des amalgames contaminés par l’humidité au moment de leur mise en place, les produits de la corrosion des composants de l’amalgame qui peuvent diffuser dans les tissus dentaires environnants et provoquer une dénaturation des protéines de la matrice dentinaire. Toutefois, les données épidémiologiques disponibles ne permettent pas d’établir de relation entre le degré de délabrement coronaire et la présence de fêlures ni d’incriminer un matériau d’obturation [2].

OPTIONS DE TRAITEMENT DANS LES SITUATIONS OÙ LA VITALITÉ PULPAIRE EST CONSERVABLE

Le traitement doit tenir compte de deux impératifs contradictoires : assurer la cohésion des fragments afin d’éviter la propagation de la fêlure en direction apicale et préserver autant que faire se peut la structure coronaire résiduelle. Les thérapeutiques adhésives trouvent là des indications spécifiques que ce soit en technique directe ou en technique indirecte.

La conservation de la vitalité pulpaire est décidée en fonction des critères cliniques habituels : l’absence de douleur spontanée irradiante ainsi que la durée pendant laquelle le patient a ressenti les symptômes. On peut raisonnablement supposer que la pulpe d’un patient qui ressent des douleurs à la mastication depuis plusieurs mois présente une capacité de récupération moindre que si les symptômes sont apparus récemment.

Le choix de la restauration est fonction du type de fêlure rencontré.

• Dans le cas d’une fêlure cuspidienne, l’orientation oblique et excentrée de la fêlure sera plutôt un élément favorable car sa propagation ne compromet pas la pulpe et, sur le plan mécanique, l’arrêt de la fêlure peut être gérée par le recouvrement de la cuspide concernée (figure 6).

• Dans le cas d’une fêlure coronaire verticale, la propagation en direction de la racine compromet le pronostic de la dent. Il est impératif dans ces situations d’opter pour un recouvrement total de la face occlusale afin de prévenir l’extension de la fêlure [8] (figure 7).

OPTIONS DE TRAITEMENT DANS LES SITUATIONS OÙ LA DENT DOIT ÊTRE DÉPULPÉE

Lorsque les symptômes et/ou les signes cliniques imposent une intervention endodontique, celle-ci doit être réalisée avec quelques précautions. Le risque en intervenant est de favoriser la progression de la fêlure en direction apicale et de compromettre les possibilités de conservation de l’organe dentaire. La solution la plus sûre est de réaliser un cerclage de la dent avant toute intervention avec une bague de cuivre, une bague d’orthodontie ou une couronne préformée en nickel-chrome (figure 8). Le traitement canalaire est ensuite conduit classiquement en évitant toutefois les effets de coin favorisant la progression de la fêlure comme l’insertion de spreaders lors d’un compactage latéral de gutta-percha. La cavité d’accès coronaire est restaurée par collage en évitant la mise en place de tenons et une restauration prothétique d’usage est mise en place dans les meilleurs délais [9]. Les endocrowns sont également à éviter pour l’effet de coin provoqué par l’insertion de la pièce prothétique dans la chambre pulpaire. Notons enfin que le pronostic mécanique et parodontal doit être évalué avant toute tentative de traitement conservateur et qu’une information éclairée doit être fournie au patient.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Hilton TJ, Funkhouser E, Ferracane JL, Gordan VV, Huff KD, Barna J, et al., National Dental PBRN Collaborative Group. Associations of types of pain with crack-level, tooth-level and patient-level characteristics in posterior teeth with visible cracks: Findings from the National Dental Practice-Based Research Network. J Dent 2018;70:67-73.
  • 2. Cameron CE. Cracked tooth syndrome: Additional findings. J Am Dent Assoc 1976;93(5):971-975.
  • 3. Ricucci D, Siqueira Jr JF, Loghin S, Berman LH. The cracked tooth: Histopathologic and histobacteriologic aspects. J Endod 2015;41(3):343-352.
  • 4. Brynjulfsen A, Fristad I, Grevstad T, Hals-Kvinnsland I. Incompletely fractured teeth associated with diffuse longstanding orofacial pain: Diagnosis and treatment outcome. Int Endod J 2002;35(5):461-466.
  • 5. Martin D, Machtou P. Les fêlures coronaires : symptômes et démarche diagnostic. Rev Odonto Stomatol 2009;38(4):239-249.
  • 6. American Association of Endodontists. Cracked teeth and vertical root fractures: A new look at a growing problem. Endodontics: Colleagues for excellence, 2022.
  • 7. Krell KV, Rivera Em A six-year evaluation of cracked teeth diagnosed with reversible pulpitis: Treatment and prognosis. J Endod 2007;33(12):1405-1407.
  • 8. Signore A, Benedicenti S, Covani U, Ravera B. A 4- to 6-year retrospective clinical study of cracked teeth restored with bonded indirect resin composite onlays. Int J Prosthodont 2007;20(6):609-616.
  • 9. Davis MC, Shariff SS. Success and survival of endodontically treated cracked teeth with radicular extensions: A 2- to 4-year prospective cohort. J Endod 2019;45(7):848-855.

CONGRÈS DE L’ADF

C61 - Séance SOP / Diagnostiquer les fêlures, éviter les fractures

Jeudi 30 novembre 2023 14 h 00 - 15 h 30

Romain Cheron, Dominique Martin

ADFOC DES SAVOIE

Le point sur les fêlures coronaires

Jeudi 14 mars 2024

Dominique Martin

adfocdessavoie@gmail.com