NAVIGATION CHIRURGICALE : DE L’ÉVOLUTION À L’APPLICATION - Clinic n° 10 du 01/10/2023
 

Clinic n° 10 du 01/10/2023

 

Dossier

Charles GOSSIÔME  

PH, ancien CCA et ancien interne des hôpitaux de Paris.Chirurgien oral à Saint-Mandé.

La navigation chirurgicale est une technique de guidage permettant d’obtenir un positionnement implantaire fidèle à la planification. Elle permet un guidage passif en temps réel des gestes du praticien, qui reste totalement libre dans l’exécution de la pose de l’implant, ce qui permet d’éventuelles corrections per-opératoires. Il est important de maîtriser les concepts de navigation et spécifiquement ceux de son utilisation en implantologie pour mieux comprendre les limites et les avantages de ce système dans nos interventions.

Le bon positionnement des implants est un critère de succès clinique à court, moyen et long terme. Afin de faire correspondre avec le plus de précision possible la position finale de l’implant avec celle planifiée, plusieurs techniques de guidage ont été développées. Parmi ces techniques, la navigation chirurgicale permet un guidage passif en temps réel des gestes du praticien.

Il est indispensable de se former à ces techniques et surtout de comprendre les principes de fonctionnement de ces nouvelles technologies afin de pouvoir être acteurs dans la conception des solutions qui nous serviront demain.

Cet article a pour but d’expliquer le fonctionnement de cette technique qui repose sur une planification numérique mais également sur la mise en place de nombreux capteurs afin de suivre en direct les mouvements du patient et du praticien pendant l’intervention.

UN PEU D’HISTOIRE

C’est la neurochirurgie qui a contribué au développement de la navigation. En effet, pour les lésions cérébrales profondes, le neurochirurgien doit, lors de sa planification, trouver le point d’entrée et le chemin le plus court sans traverser de zones éloquentes. Une partie du trajet vers la lésion se réalise en aveugle afin d’être le moins invasif possible.

Initialement, le neurochirurgien ne disposait que de techniques limitées comme la stéréotaxie préopératoire : un casque fixé sur le patient qu’on réglait via des coordonnées cartésiennes pour définir la zone d’intérêt (figure 1).

L’émergence des techniques d’imagerie tridimensionnelle telles que l’IRM ou la tomodensitométrie, d’une part, et l’essor du numérique avec le développement des techniques de détection et de suivi de localisation, d’autre part, ont permis le développement de la neuronavigation.

Le premier système de neuronavigation sans cadre a été créé par le Dr Eiju Watanabe en 1987 [1]. Il se composait d’1 bras de détection avec 6 articulations fixées sur une base solide, connecté à un ordinateur qui déterminait la position du bras par rapport aux images CT acquises précédemment. Ensuite, la neuronavigation s’est développée en utilisant des capteurs infrarouges, ce qui a permis une navigation véritablement libérée du « bras chirurgical ».

De nos jours, on retrouve la navigation dans de nombreuses spécialités chirurgicales telles que l’ORL, l’orthopédie et bien sûr la chirurgie orale [2].

L’apparition de la navigation chirurgicale dans le domaine implantaire est relativement récente. En 2001, les systèmes RoboDent et DenX IGI sont créés mais l’utilisation de ces outils est encore peu répandue. Navident (2014) et X-Guide (2015) démocratiseront un peu plus cette technologie [3] (figure 2).

En implantologie, on parle de navigation dynamique ou de robotique passive [4]. En effet, malgré un suivi permanent et en temps réel, le praticien reste complètement en charge de l’exécution de l’acte et d’une éventuelle correction entre la planification et la position finale de l’implant. Le système procure simplement une information via un écran.

UN PEU DE TECHNIQUE

Le tracking

Le tracking est une technologie qui permet de connaître la position et l’orientation dans l’espace d’un objet à un moment donné. Dans le cas de la navigation, nous cherchons à obtenir un suivi des objets en temps réel dans un espace à 3 dimensions. Pour cela, le système doit récupérer 6 informations que l’on nomme les 6 degrés de liberté.

Les 6 degrés de liberté

Le déplacement d’un objet dans l’espace se fait selon un mouvement que l’on peut décomposer suivant 3 translations et 3 rotations. Les 3 axes de translation sont ceux d’un repère orthonormé : longitudinal, transversal et vertical. Les 3 rotations représentent des rotations selon les angles d’Euler (figure 3). Pour cela le système va nécessiter un marqueur.

Les marqueurs

Un marqueur ou fiduciaire est un objet ou une image dont le dispositif de réalité augmentée connait par avance les caractéristiques (figure 4). Cela permet au logiciel de repérer en temps réel ce marqueur et de déterminer sa position et son orientation. Ce marqueur va aider le logiciel à placer et rajouter des informations numériques autour du marqueur. Une image avec de forts contrastes, riche en détails et qui ne possède pas de symétrie est à privilégier [5].

Les capteurs

Il s’agit de la machine qui va récupérer les informations. Les capteurs sont le plus souvent optiques (lumière infrarouge) mais d’autres techniques sont possibles (magnétique ou ultrasonore). En optique, la perception d’un espace en 3 dimensions nécessite 2 images de la même scène. C’est pourquoi le capteur dispose de 2 caméras. Le logiciel de navigation réalise ensuite les calculs de triangulation pour comprendre l’espace dans son champ de vision. Ce système est similaire à celui de la vision humaine.

MISE EN ŒUVRE EN IMPLANTOLOGIE

Les systèmes se présentent pour la plupart sous la forme d’un chariot sur lequel se trouvent un ordinateur pour réaliser les calculs de suivi, un écran retransmettant l’interface du logiciel ainsi qu’un bras orientable avec les capteurs optiques. La mise en œuvre de la navigation chirurgicale nécessite plusieurs étapes (figure 5).

• Pour assurer un champ de vision le plus libre possible, le capteur optique est généralement placé au-dessus du champ opératoire où il y a moins de risques d’obstruction. Dans ce champ de vision, plusieurs marqueurs vont être disposés et calibrés.

• Un marqueur est fixé sur le patient. La reproductibilité de la position de ce marqueur est essentielle car il devra être remis exactement au même endroit au temps radiologique et au temps chirurgical afin que le guidage soit précis et valide. Si le marqueur change de position, la calibration du système est faussée. Chez le patient denté, le capteur peut être fixé sur l’arcade dentaire via une gouttière thermoformée. En cas d’édentement complet, le marqueur est vissé dans l’os alvéolaire.

• Un marqueur est également fixé sur le contre-angle. Il est ensuite nécessaire de calibrer les forets : c’est un autre marqueur sous forme de plaque qui permet de réaliser cette étape.

• Le foret est ensuite positionné sur des repères anatomiques pour confirmer la bonne calibration des instruments.

• Chaque mouvement de l’intervention est ainsi suivi en temps réel et retransmis au praticien.

• Lorsque le foret se rapproche du site implantaire souhaité, le système fournit un affichage en forme de cible pour guider le chirurgien. Cette interface permet de trouver avec précision la position prévue du point d’impact et d’ajuster l’angulation. Enfin, une jauge informe de la profondeur de l’ostéotomie.

La navigation est donc une chirurgie déportée : le regard du praticien se porte sur l’interface du logiciel et non plus sur le site chirurgical. Cette particularité demande une courbe d’apprentissage afin de s’habituer à cette manière de travailler [6] (figure 6).

UN PEU D’AVENIR

La navigation chirurgicale a bénéficié des progrès techniques de ces dernières décennies et profitera sans nul doute de nouvelles améliorations telles qu’un tracking plus fiable et plus précis, une calibration plus automatisée via des algorithmes plus performants et des capteurs de plus en plus miniaturisés pour une meilleure ergonomie. En ce qui concerne les logiciels, on peut imaginer une interface de plus en plus intuitive, avec une probable utilisation de la réalité augmentée pour ne plus déporter son regard de nos interventions.

C’est pourquoi les praticiens doivent se former à ces nouvelles techniques et comprendre les principes de fonctionnement de ces technologies pour être des acteurs incontournables de leur conception car nous serons les futurs utilisateurs de ces solutions numériques.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Thomas NWD, Sinclair J. Image-guided neurosurgery: History and current clinical applications. J Med Imaging Radiat Sci 2015;46:331-342. [doi.org/10.1016/j.jmir.2015.06.003]
  • 2. Sukegawa S, Kanno T, Furuki Y. Application of computer-assisted navigation systems in oral and maxillofacial surgery. Jap Dent Sci Rev 2018;54:139-149. [doi.org/10.1016/j.jdsr. 2018.03.005]
  • 3. Campan P. Navigation chirurgicale en chirurgie implantaire. Séance de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire à l’Académie Nationale de Chirurgie, 20 janvier 2021.
  • 4. Lavallee S. Matching of medical images for computer and robot assisted surgery. IEEE EMBA Conf 1991;39-40.
  • 5. Mandelaris GA, Stefanelli LV, DeGroot BS. Dynamic navigation for surgical implant placement: Overview of technology, key concepts, and a case report. Compend Contin Educ Dent 2018;39:614-622.
  • 6. Block MS, Emery RW, Lank K, Ryan J. Implant placement accuracy using dynamic navigation. Int J Oral Maxillofac Implants 2017;32:92-99.[doi.org/10.11607/jomi.5004]