L’HYPERSENSIBILITÉ DENTINAIRE : FACTEURS DE RISQUES ET PRÉVENTION - Clinic n° 10 du 01/10/2023
 

Clinic_Hors série n° 10 du 01/10/2023

 

Prévention

Jean-Christophe MAURIN  

PU-PH, Faculté d’Odontologie de Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1, Université de Lyon. Service de Soins dentaires et d’Odontologie hospitalière, Hospices Civils de Lyon. Laboratoire de Biologie tissulaire et Ingénierie thérapeutique, CNRS, UMR 5305

L’identification précise des facteurs de risques à l’origine des hypersensibilités dentinaires constitue une étape clé pour mettre en œuvre une stratégie thérapeutique visant à prévenir et à cibler au mieux le traitement de cette pathologie. Cette affection concerne des populations de plus en plus jeunes et cette pathologie douloureuse d’étiologie multifactorielle peut affecter la qualité de vie des patients en ayant des répercussions sur le confort et la fonction buccale. Sa prise en charge est un véritable défi compte tenu de la complexité des mécanismes biologiques sous-tendant ces phénomènes encore mal connus.

L’hypersensibilité dentinaire (HD) ou hyperesthésie dentinaire est une situation clinique à laquelle le praticien est quotidiennement confrontée. Depuis quelques années, elle semble toucher une population de plus en plus jeune en affectant sensiblement la qualité de vie [1]. Cette affection se traduit par une symptomatologie douloureuse survenant à la suite de diverses stimulations exercées sur une dentine exposée. En effet, cette dernière a été définie comme étant une douleur brève et aiguë émanant de la dentine exposée en réaction à des stimuli de nature thermique, liée à l’évaporation (volatile), tactile, osmotique ou chimique, et que l’on ne peut imputer à aucune autre forme de défaut ou de pathologie [2].

Différents facteurs étiologiques sont à l’origine de l’exposition de la dentine. Les phénomènes d’abrasion et/ou d’érosion associés aux récessions gingivales engendrent le retrait de l’émail et du cément recouvrant normalement la surface dentinaire. Il est cependant rare qu’un seul facteur soit impliqué dans l’exposition de la dentine. Ces processus résultent donc d’une étiologie multifactorielle associée à des facteurs de risque interindividuels.

Ainsi, une connaissance précise des facteurs étiologiques et des facteurs de risque est nécessaire afin de donner au praticien toutes les clés visant à établir un diagnostic précis et à mettre en place une stratégie thérapeutique efficace.

ÉTIOLOGIE ET FACTEURS DE RISQUE

Deux processus sont essentiels pour engendrer une HD. La dentine doit être exposée (localisation de la lésion) et les tubules dentinaires doivent être ouverts (initiation de la lésion), afin de créer une perméabilité entre le tissu pulpaire et l’environnement oral.

Aucune différence n’a pu être mise en évidence en termes d’hypersensibilité entre la dentine coronaire et la dentine radiculaire. Cependant, le nombre de tubules et leur diamètre augmentent depuis la jonction amélo-cémentaire jusqu’au tissu pulpaire. En termes d’implication clinique, plus la dentine est exposée profondément, plus les mouvements du fluide dentinaire sont rapides, engendrant ainsi une hypersensibilité. À l’inverse, une dentine nouvellement exposée sur une faible profondeur peut engendrer, chez le sujet jeune, des douleurs aiguës lorsque les tubules sont perméables et ouverts.

Suite aux différentes agressions subies par la dent, les capacités de défense de l’organe pulpo-dentinaire, en synthétisant de la dentine tertiaire, visent à réduire la sensibilité. Ainsi, les lésions d’usure de grande étendue, établies sur plusieurs années, sont rarement douloureuses. En revanche, les lésions d’usure s’établissant rapidement chez le patient jeune sont souvent très sensibles.

Récession gingivale

L’étiologie la plus couramment rencontrée est l’exposition de la dentine radiculaire à la suite d’une récession gingivale. Plusieurs causes possibles en sont à l’origine : un parodonte fin, une fine corticale alvéolaire, des déhiscences ou fenestrations de l’os alvéolaire, un traumatisme, des antécédents de traitements orthodontiques, des para-fonctions (bruxisme), des prothèses fixées mal adaptées ou des piercings oraux. Les récessions gingivales concernent le parodonte sain ou sont associées à une maladie parodontale. Elles touchent également les patients ayant ou non une bonne hygiène [3]. Au cours de la maladie parodontale, les remaniements tissulaires consécutifs aux processus physiopathologiques et à l’inflammation engendrent des récessions dans les régions vestibulaires, linguales mais aussi au niveau des zones interdentaires.

L’étiologie des récessions gingivales observées sur un parodonte sain sont liées à de mauvaises habitudes de brossage au cours desquelles le temps de brossage ne serait pas réparti de façon uniforme sur toutes les surfaces dentaires [3]. Par ailleurs, il ne semblerait pas que le brossage à l’aide d’une brosse à dents électrique engendre plus de récessions gingivales qu’un brossage manuel [4]. Enfin, même si le biotype gingival n’est que très rarement mentionné dans les études traitant des hypersensibilités dentinaires, son rôle pourrait ne pas être négligeable dans la survenue des risques de récessions gingivales.

Exposition dentinaire

En dehors des récessions gingivales, l’exposition dentinaire est essentiellement due à la perte d’émail, conséquence de l’apparition de lésions cervicales d’origine non carieuse (LCNC). Ces lésions cervicales d’origine non carieuse résultent de la modernisation de nos sociétés dont les causes sont une modification des comportements alimentaires et des habitudes de brossage [5]. L’étiologie des LCNC est très souvent multifactorielle, impliquant un phénomène d’abrasion, d’érosion et plus rarement des micro-craquelures de l’émail dues à l’abfraction [5] (figures 1 et 2).

• L’abrasion est définie comme étant un phénomène d’usure physique résultant d’un processus mécanique impliquant un objet ou une substance externe. De nombreuses études ont fait part du rôle du brossage et du dentifrice dans la perte d’émail due à l’abrasion. Cependant, il semble que l’abrasion seule n’engendrerait qu’un faible pourcentage d’HD [6]. Ainsi, l’érosion interviendrait également comme cofacteur, conduisant à la perte d’émail et à l’ouverture des tubuli dentinaires. La dentine étant un tissu moins minéralisé que l’émail, sa susceptibilité à l’usure est de ce fait plus importante. L’utilisation d’un dentifrice à faible taux d’abrasivité et d’une brosse à dents adaptée (poils souples) ainsi qu’une méthode de brossage appropriée réalisée deux fois par jour pourraient donc limiter le risque d’usure par abrasion.

• L’érosion est définie comme étant un phénomène d’usure chimique résultant de l’action d’acides extrinsèques ou intrinsèques ou d’agents chélatants sur une surface dentaire dépourvue de plaque dentaire. L’érosion engendrée par les acides extrinsèques semble constituer le principal facteur étiologique des lésions cervicales d’usure. Les acides extrinsèques sont apportés essentiellement par l’alimentation (nourriture et boissons) mais également par quelques médicaments (vitamine C) et certains produits d’hygiène bucco-dentaire (dentifrices abrasifs) [7]. L’érosion intrinsèque est provoquée par le fluide gastrique. Plusieurs causes ont été décrites comme le reflux gastro-oesophagien, les troubles du comportement alimentaire (anorexie/boulimie), l’alcoolisme chronique et la grossesse [3]. Il est toutefois important de noter que différents facteurs biologiques peuvent modifier le comportement des acides à la surface de l’émail. La composition de la salive est également un facteur important à prendre en considération car cette dernière assure un effet protecteur. Ce paramètre pourrait donc expliquer la susceptibilité interindividuelle des patients face à l’érosion.

• L’abfraction (usure de fatigue) est définie comme étant un phénomène d’usure physique résultant de forces de tension ou de cisaillement s’exerçant au niveau de la jonction amélo-cémentaire et provoquant des micro-fractures de l’émail et de la dentine. Pendant longtemps, les lésions d’abfraction ont été considérées comme étant la conséquence d’une occlusion traumatique. Or, de nombreuses dents présentant des troubles occlusaux ne présentent pas d’abfractions. Ainsi, ces lésions pourraient constituer un facteur aggravant dans la génération des LCNC engendrées par l’abrasion et l’érosion [3].

Initiation de la lésion

Pour engendrer une HD, la dentine doit être exposée mais les canalicules dentinaires doivent être ouverts sur le milieu buccal. La dentine exposée peut être naturellement recouverte d’une boue dentinaire (smear layer). Elle est constituée d’ions calcium provenant des débris oraux et des résidus de dentifrice. L’épaisseur de cette boue dentinaire varie entre 1 et 5 µm. En se déposant à la surface de la dentine, elle recouvre et obstrue les canalicules dentinaires. Cependant, sa présence est liée au pH de l’environnement buccal. En effet, un environnement acide entraîne une élimination de cette boue dentinaire. Ainsi, l’érosion engendrée par l’acidité du milieu buccal ainsi que l’abrasion provoquée par l’utilisation de brosses à dents et de dentifrices abrasifs concourent donc à éliminer cette smear layer et à favoriser l’ouverture des canalicules dentinaires conduisant ainsi aux symptômes de l’HD.

Facteurs de risque

Face aux mêmes facteurs de risque et à une même exposition dentinaire, chaque individu réagira différemment à l’HD. L’identification des facteurs de susceptibilité interindividuels reste inconnue. Cependant, quelques éléments sont à considérer comme la composition et le flux salivaire pouvant affecter la formation et le dépôt de la boue dentinaire à la surface de la dentine [3].

La plaque dentaire pourrait également jouer un rôle dans la genèse des symptômes douloureux. En effet, même si son implication directe dans l’HD n’a pas été démontrée, la formation de la plaque dentaire à la surface de la dentine exposée ainsi que l’infiltration des bactéries à l’intérieur des canalicules pourraient engendrer un processus inflammatoire au niveau du complexe dentino-pulpaire.

Enfin, les processus d’éclaircissements dentaires peuvent affecter les patients subissant ce traitement. En diffusant à travers l’émail et la dentine, les molécules de peroxyde d’hydrogène pourraient générer une inflammation pulpaire. Ce processus est généralement réversible et cède entre 1 et 4 jours. Néanmoins, chez les patients souffrant au départ d’HD, la sensibilité ressentie suite aux procédures d’éclaircissement peut être plus sévère et durable dans le temps [8].

PRÉVENTION

Dans le cadre de la prise en charge de l’HD, il est important de réaliser une démarche « clinique et réaliste » fondée sur l’impact sur la qualité de vie de notre patient.

Ainsi, le but de notre traitement visera donc à mettre en place une stratégie thérapeutique permettant une approche globale plus holistique des patients plutôt qu’une vision plus réduite focalisée uniquement sur leurs lésions. La stratégie de prise en charge sera minimalement invasive et suivra un gradient thérapeutique allant de la prévention au traitement au fauteuil en passant par la thérapeutique ambulatoire.

Dans ce contexte, l’approche préventive est fondamentale dans la limitation des risques et dans le succès thérapeutique lors de la prise en charge des hypersensibilités dentinaires.

La thérapeutique préventive doit reposer sur plusieurs éléments.

• Un traitement étiologique, fondé sur :

- une réduction de l’acidité extrinsèque et intrinsèque. Si l’utilisation d’une paille lors de l’ingestion de boissons acides peut limiter le contact avec les surfaces dentaires, le risque d’érosion est tout de même présent pour les dents antérieures. Afin de ne pas favoriser les phénomènes d’abrasion sur un émail ramolli, le brossage des dents doit être légèrement retardé (30 min) après une consommation de boissons ou d’aliments acides. Il peut être conseillé de favoriser la stimulation salivaire en utilisant des chewing-gums ou de neutraliser les acides par un rinçage buccal après l’ingestion. Toute suspicion de RGO doit conduire le praticien à orienter son patient vers un gastro-entérologue ;

- des conseils d’hygiène bucco-dentaire où l’attention sera portée sur la pression de brossage, les mouvements et l’utilisation d’une brosse à dents souple afin de limiter les phénomènes d’abrasion ;

- des conseils visant à éviter les traumatismes gingivaux (cure-dents, stylos, piercing…).

• L’utilisation de produits ambulatoires :

- par application topique de fluor à visée reminéralisante ;

- par l’utilisation d’un dentifrice pour « dents sensibles » deux fois par jour.

Différentes études [9, 10] ont comparé l’efficacité des principales molécules mises à disposition actuellement sur le marché et dont les résultats ont été synthétisés dans le tableau 1.

L’ensemble de ces études tend donc à confirmer que l’utilisation d’arginine présente dans les dentifrices est recommandée dans le cadre des HD. Il est intéressant de noter également que, comparée au fluorure d’étain, l’association arginine et phosphate de zinc semble présenter une supériorité thérapeutique [11]. De la même façon, le potassium oxalate présente une supériorité thérapeutique par rapport au fluorure d’étain. Pour l’ensemble des molécules, la littérature tend à conclure à un manque de preuve quant à leur efficacité en utilisation professionnelle.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. West NX, Sanz M, Lussi A, Bartlett D, Bouchard P, Bourgeois D. Prevalence of dentine hypersensitivity and study of associated factors: A European population-based cross-sectional study. J Dent 2013;41(10):841-851.
  • 2. Addy M, West N. Etiology, mechanisms, and management of dentine hypersensitivity. Curr Opin Periodontol 1994:71-77.
  • 3. West NX, Lussi A, Seong J, Hellwig E. Dentin hypersensitivity: Pain mechanisms and aetiology of exposed cervical dentin. Clin Oral Investig 2013;17(suppl.1):S9-S19.
  • 4. Robinson PG, Deacon SA, Deery C, Heanue M, Walmsley AD, Worthington HV, et al. Manual versus powered toothbrushing for oral health. Cochrane Database Syst Rev 2005(2):CD002281.
  • 5. Milosevic A. Acid erosion: An increasingly relevant dental problem. risk factors, management and restoration. Prim Dent J 2017;6(1):37-45.
  • 6. Addy M. Tooth brushing, tooth wear and dentine hypersensitivity: Are they associated. J Ir Dent Assoc 2006;51(5):226-231.
  • 7. Lussi A, Megert B, Shellis RP, Wang X. Analysis of the erosive effect of different dietary substances and medications. Br J Nutr 2012;107(2):252-262.
  • 8. Albanai SR, Gillam DG, Taylor PD. An overview on the effects of 10% and 15% carbamide peroxide and its relationship to dentine sensitivity. Eur J Prosthodont Restor Dent 2015;23(2):50-55.
  • 9. Schmidlin PR, Sahrmann P. Current management of dentin hypersensitivity. Clin Oral Investig 2013;17(suppl.1):S55-S59.
  • 10. Yang ZY, Wang F, Lu K, Li YH, Zhou Z. Arginine-containing desensitizing toothpaste for the treatment of dentin hypersensitivity: A meta-analysis. Clin Cosmet Investig Dent 2016;8:1-14.
  • 11. Liu Y, Lavender S. Comparative study of dentin occlusion of a new sensitivity toothpaste. J Dent Res 2022;101(Spec Iss B):80