Good enough - Implant n° 3 du 01/08/2004
 

Implant n° 3 du 01/08/2004

 

Éditorial

Xavier Assémat-Tessandier  

Rédacteur en chef

Un phénomène récent s'est emparé du monde de l'implantologie : le culte de la nouveauté. Nouvel implant, nouvelle surface, nouveau composant prothétique, nouvelle vis, un système implantaire qui ne propose pas une nouveauté par trimestre devient ringard, voire obsolète. Il semble que l'innovation a définitivement pris le pas sur l'évolution. La plupart d'entre nous sommes noyés sous cette avalanche d'informations difficile à gérer, impossible à vérifier, et dans lesquelles les...


Un phénomène récent s'est emparé du monde de l'implantologie : le culte de la nouveauté. Nouvel implant, nouvelle surface, nouveau composant prothétique, nouvelle vis, un système implantaire qui ne propose pas une nouveauté par trimestre devient ringard, voire obsolète. Il semble que l'innovation a définitivement pris le pas sur l'évolution. La plupart d'entre nous sommes noyés sous cette avalanche d'informations difficile à gérer, impossible à vérifier, et dans lesquelles les arguments commerciaux semblent prendre le pas sur les preuves scientifiques. Ainsi, des sociétés dont les produits visaient une notion d'excellence, fondée sur des recherches cliniques (5 à 10 ans) qui permettaient d'assurer au patient une sécurité sur le long terme, modifient profondément leur système en présentant quelques études avec des résultats à 1 an pour lancer leur « nouvel » implant. Qu'est-ce qui a provoqué cette mode scientifico-marketing du culte du changement ?

Une explication pourrait venir de l'importance commerciale du marché implantaire nord-américain. En effet, les Américains ont, en termes de consommation, des comportements totalement différents de ceux des Européens : un produit est jugé sur son apparence extérieure et son prix ; la notion d'excellence qui est la référence en Europe leur sont étrangère. Ceci vient du système qu'ils ont inventé : la qualité sous forme de statistiques du produit « good enough » (suffisant), système qui accepte dès le départ de gérer l'imperfection , un certain nombre de défauts restent acceptables si cela permet de diminuer le prix du produit. Cela rend le produit éphémère pour un Européen, pour qui la qualité est synonyme de perfection et d'excellence ; pour un Américain, la qualité est, en revanche, une adéquation entre le prix du produit et l'usage auquel il est destiné. Ce système du « good enough » est une démarche logique dans un pays où il a fallu produire vite, beaucoup et bien. Cependant, elle implique également la notion de renouvellement bien plus fréquent, sans que le consommateur n'y trouve à redire.

Il souhaite même avoir le dernier modèle de voiture, le dernier ordinateur, et surtout que cela se voit. Produire un bien de consommation pour qu'il dure 10, 20 ou 30 ans est une aberration bizarre, qui ne deviendra jamais un argument de vente.

Appliqué au domaine de l'implantologie le « good enough » explique cet engouement soudain pour le changement, la nouveauté à tout prix, l'innovation sans étude à moyen terme. Mais comme tout système a ses effets pervers, il faut garder à l'esprit que l'éphémère n'est pas vécu de la même façon des deux côtés de l'Atlantique. Je doute que pour l'instant, nos patients soient disposés à remplacer leurs implants tous les 10 ans pour bénéficier à tout prix des avantages dispensés par le nouveau modèle, ce qui Outre-Atlantique semble presque normal pour la très grande majorité de la population.

Deux points doivent être soulignés :

- l'innovation scientifique est indispensable, mais sur le matériel ostéointégrable, elle devrait s'appuyer sur des études cliniques multicentriques au minimum à moyen terme (5 ans) avant sa mise sur le marché pour assurer la sécurité des patients (souvenons-nous, par exemple, des implants en céramique, des surfaces TPS, de certains revêtements d'hydoxyapatite, aujourd'hui abandonnés). Dans le cas contraire, il faut être conscient que nous devenons des expérimentateurs sur nos patients transformés en cobayes ignorant les risques potentiels auxquels ils sont exposés ;

- l'évolution d'un système reste indispensable pour éliminer ses éventuels défauts, et un système qui ne se modifie pas et ne publie pas d'études sur son évolution clinique, n'est pas forcément synonyme de qualité scientifique.

Ainsi, nous nous trouvons pris entre deux maux : dresser un rempart contre tout changement pour être sûr de ne pas prendre de risque et passer à côté d'une innovation apportant une amélioration décisive à nos traitements, ou céder aux sirènes tentatrices du discours commercial des services marketing de nos fournisseurs. Seule, l'actualisation permanente de nos connaissances nous permet de trouver le juste milieu entre l'ignorance et l'inconscience afin d'évaluer le risque de l'innovation.

1. Meurer S. La tête et le cœur. Interview d'A. Asensio. AJ 2003;613:90-93.