Revue de littérature
Corinne Touboul * Patrick Missika ** Patrick Exbrayat ***
*Diplôme universitaire d'implantologie chirurgicale et prothétique de Paris VII
Secrétaire adjointe de la Société odontologique de Paris
Secrétaire de la Société française d'implantologie 165, avenue Victor-Hugo - 75016 Paris
**MCU-PH, Université Paris VII (Denis-Diderot)
Responsable de l'unité d'implantologie chirurgicale, Service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu
***Maître de conférences
Praticien hospitalier, Faculté d'odontologie de Lyon
Dans leur ouvrage de référence, Brånemark et al. [1] avaient confié à Kasemo et Lausmaa la rédaction du chapitre sur la sélection du métal et les caractéristiques de surface. Le titane fut le matériau retenu pour l'excellente combinaison de ses propriétés biologiques et de ses propriétés mécaniques. Les auteurs décrivirent le procédé d'usinage et le recouvrement rapide et spontané de la surface par une couche...
Dans leur ouvrage de référence, Brånemark et al. [1] avaient confié à Kasemo et Lausmaa la rédaction du chapitre sur la sélection du métal et les caractéristiques de surface. Le titane fut le matériau retenu pour l'excellente combinaison de ses propriétés biologiques et de ses propriétés mécaniques. Les auteurs décrivirent le procédé d'usinage et le recouvrement rapide et spontané de la surface par une couche d'oxydes de titane (TiO2, TiO, Ti2O3) dont le rôle est (d'après Larsson) essentiel pour l'ostéointégration [2]. Les étapes de nettoyage aux ultrasons et d'autoclavage furent également examinées. Ces processus ont servi de référence pour la fabrication de nombreux systèmes implantaires. Il est intéressant de noter qu'à l'époque déjà, les auteurs proposèrent des variantes aux méthodes de préparation de surface : par exemple, l'oxydation anodique que nous retrouvons aujourd'hui avec les implants les plus récents commercialisés par la firme Nobel Biocare.
Pourquoi cette évolution au niveau de l'état de surface ? Initiée par quelques systèmes implantaires, cette modification semble se généraliser à presque tous les implants à l'heure actuelle.
Jaffin et Berman [3] ont relevé 35 % d'échecs pour un os de type IV. Même si Bahat a modulé ces résultats [4], il est clair qu'un taux d'échec plus élevé est constaté lorsque l'os est de moins bonne qualité.
Brunette [5] et Chehroudi [6] ont par ailleurs remarqué que les irrégularités de surface (sillons dus à l'usinage) influencent le comportement cellulaire. Cela a probablement été le point de départ des nombreuses recherches sur l'état de surface pour savoir si la qualité de l'ostéointégration peut être améliorée en modifiant l'état de surface des implants.
Une étude de Wennerberg et al. [7] sur la surface d'implants, tous bruts d'usinage, a mis en évidence une très grande différence de rugosité d'un implant à l'autre.
Pour augmenter cette rugosité de surface des implants, deux solutions ont été proposées : traitement de la surface par addition ou par soustraction.
Des gouttelettes de titane en fusion sont projetées à la surface de l'implant sur une épaisseur de 0,2 à 0,3 mm [8].
L'implant est plongé dans un bain électrolytique [9] dans lequel l'implant joue le rôle d'anode. Une couche d'oxydes de titane se développe à la surface de l'implant par transport ionique. L'épaisseur de la couche d'oxydes varie en fonction de différents paramètres (potentiel, composition de l'électrolyte, température, temps...). On peut ainsi obtenir une épaisseur d'oxydes qui augmente progressivement du col à l'apex de l'implant (Fig. 1). La surface présente des pores ouverts plus ou moins larges et sans aspérités. L'adhésion de cette couche d'oxydes au corps de l'implant est efficace.
Il semblerait que la présence d'une couche d'oxydes épaissie et une structure microporeuse favorisent la réponse osseuse (différenciation et croissance de cellules osseuses) [2].
La surface est bombardée par des particules de titane ou d'oxyde d'alumine de taille plus ou moins importante [10] pour obtenir une surface à rugosité contrôlée (Fig. 2a, 2b, 2c, 2d et 2e).
L'implant est plongé dans un bain d'acide fluorhydrique-acide nitrique ou d'acide chlorhydrique-acide sulfurique [11, 12].
Lorsque le titane est sablé, il arrive que des particules persistent à la surface. Le traitement par mordançage permet alors d'éliminer les particules résiduelles [13].
A. Wennerberg a rédigé sa thèse [14] sur l'évaluation et l'optimisation des surfaces implantaires. Avec ses collaborateurs, elle a largement contribué à clarifier les méthodes de mesure de la rugosité [7, 15-17]. Cette approche quantitative s'appuie essentiellement sur ses travaux.
Cette méthode est simple et recourt à un profilomètre de contact. Celui-ci est constitué d'un stylet déplacé sur la surface de l'implant [16] et couplé à un système d'enregistrement. La taille du stylet limite l'analyse des irrégularités de surface (Fig. 3). De plus, les implants en forme de vis ne permettent pas une utilisation directe de ce profilomètre. Des maquettes planes expérimentales doivent être utilisées [17].
• Profilométrie par balayage au laser confocal
Un rayon laser remplace le stylet, et la lumière réfléchie du spot laser est captée simultanément dans les 3 plans de l'espace [16]. Cette méthode, qui ne permet de mesurer que des petites surfaces (4 mm2 maximum), convient parfaitement aux implants oraux.
• Microscope à balayage par sonde Ce microscope est doté d'une pointe aiguë et enregistre son interaction avec la surface de l'échantillon. Le niveau de résolution des mesures est très élevé. Toutefois, cette méthode n'est pas appropriée pour les implants en forme de vis. Le recours à des maquettes expérimentales de même état de surface est nécessaire.
Pour éviter les erreurs dans la mesure de la rugosité de surface, il faut tenir compte de plusieurs éléments qui peuvent interférer, voire fausser les mesures.
Il en existe deux :
- à dominante directionnelle (dite anisotrope) : l'usinage induit l'état de surface. On obtient des valeurs différentes selon que l'on mesure les profils dans le sens du fraisage ou dans un plan perpendiculaire (Fig. 4) ;
- sans dominante directionnelle (dite isotrope) : quelle que soit la direction, les irrégularités sont orientées de manière aléatoire. Les surfaces sablées, mordancées, oxydées sont isotropes.
Lorsqu'elle est trop importante, elle peut également conduire à une représentation de la rugosité sous-évaluée par rapport à la réalité (Fig. 5) [17].
Ces paramètres se surajoutent les uns aux autres. Pour pouvoir mesurer la rugosité, les paramètres forme et ondulation doivent être préalablement éliminés (Fig. 6a).
Pour éliminer l'inconvénient représenté par la forme, on subdivise la surface à évaluer en une suite de petits segments rectilignes (Fig. 6b et 6c).
Pour éliminer l'inconvénient représenté par l'ondulation, des filtres sont utilisés (Fig. 7a, 7b, 7c, 7d et 7e).
Ces paramètres sont multiples : ne sont cités ici que ceux qui sont évoqués le plus souvent dans la littérature.
• Ra : c'est la rugosité linéaire moyenne de toutes les hauteurs (pics et vallées) à partir d'une ligne médiane (Fig. 8). La Ra est très insuffisante pour décrire la surface : il est possible pour une même Ra (déviation en hauteur) d'avoir une distribution spatiale totalement différente (Fig. 9).
• Sa : c'est la hauteur moyenne à partir d'un plan moyen. Ce paramètre de rugosité est tridimensionnel : c'est l'équivalent de la Ra, mais en 3D.
• Sm : ils décrivent la distance horizontale entre les irrégularités (Fig. 10).
Ils incluent des informations spatiales et de hauteur (Fig. 11).
Selon Wennerberg et Albrekts-son [16] :
• La caractérisation de la topographie est fortement influencée par les instruments et les techniques de mesure.
• Un dessin en forme de vis génère des problèmes techniques pour les instruments de mesure. Le moyen d'y remédier est de pratiquer des mesures à chaque niveau des spires (flanc, vallée, pic).
• La forme, l'ondulation et la rugosité n'ont pas été bien comprises par de nombreux auteurs.
• Plusieurs auteurs utilisent des instruments inappropriés (prévus au départ pour des implants cylindriques ou plats) qui conduisent à des résultats erronés.
• Pour pouvoir comparer les valeurs d'une étude à l'autre, il faudrait standardiser la procédure de mesure, la normaliser, ce qui n'est pas le cas actuellement.
• Enfin, il y a peu de corrélation entre les études animales et les résultats cliniques. Or, grand nombre de résultats ont été obtenus sur l'animal [18, 19].
Aussi, ils incitent à une lecture critique des travaux publiés en recherchant :
- les données à la fois quantitatives et qualitatives ;
- les descriptions spatiale et verticale ;
- la description des paramètres utilisés ;
- le dispositif de mesure, la taille de l'échantillon mesuré, le type de filtre utilisé.
Selon Kieswetter et al. [20], la composition, la topographie et la rugosité de la surface influencent l'énergie de surface. Cette dernière a une action directe sur :
- l'adsorption des protéines (en particulier, celles responsables de l'adhésion telles la fibronectine et la laminine) ;
- la prolifération et, de manière moins certaine, la différenciation cellulaire ;
- la production de matrice extracellulaire (notamment collagénique) ;
- la calcification.
Plusieurs études chez l'animal (in vitro et in vivo) ainsi que chez l'homme ont mis en évidence ces avantages. Elles sont récapitulées dans les Tableaux I, II et III .
Inconvénients des implants à surface rugueuse (Tableau IV)
D'après ces publications, l'augmentation de rugosité de surface semble apporter une augmentation de la surface de contact os/implant et du couple de dévissage de l'implant ainsi qu'une ostéointégration plus rapide. Tous ces éléments plaident en faveur d'une mise en charge de plus en plus précoce. Cette démarche repose également sur la qualité de la stabilité primaire des implants et ne peut être considérée à ce jour comme le protocole standard. Par ailleurs, la meilleure stabilité primaire de l'implant et la meilleure ostéointégration dans les os de type IV constituent un point très important, car cette situation clinique est fréquente dans notre pratique. L'augmentation du taux de succès grâce à l'optimisation d'un état de surface est un acquis majeur.
Martinez et al. proposent une approche très intéressante dans ce domaine avec un protocole spécifique pour le placement des implants dans un os de faible densité dans lequel l'état de surface, mais aussi la technique opératoire jouent un rôle [43].
Mais si la stabilité primaire de l'implant est incontestablement améliorée par un certain degré de rugosité, faut-il craindre pour autant un risque accru de péri-implantite, dû à une plus grande accumulation de plaque dentaire au niveau de spires exposées ? Des travaux récents de Wennerberg et al. montrent une corrélation entre l'accumulation de plaque bactérienne et la rugosité de surface, mais pas entre la réponse inflammatoire et la rugosité [44].
Quoi qu'il en soit, la prudence s'impose en attendant d'autres publications.
À ce jour, nous ne pouvons pas transposer les résultats publiés sur les implants standard aux implants rugueux, car les études manquent de recul clinique.
Il est certainement intéressant de combiner plusieurs états de surface au niveau des implants. C'est ce que la plupart des fabricants d'implants proposent à l'heure actuelle (Fig. 14a, 14b, 14c, 14d, 14e, 14f, 14g, 14h, 14i). Il faudrait pouvoir réaliser une étude comparative objective, à l'issue de laquelle pourrait se dessiner l'état de surface de l'implant idéal.