Dossier clinique
Docteur en chirurgie dentaire
Diplômé universitaire en chirurgie et prothèse implantaire, Faculté de Lyon
Pratique exclusive en implantologie
75, chemin de Plaisance 83200 Toulon
Dans les années 1960, l'enfouissement total de l'implant, nécessitant deux temps chirurgicaux, est préconisé par l'école suédoise. La mise en place en un seul temps chirurgical est décrite dans les années 1970 par l'école suisse. Ces deux approches thérapeutiques présentent des résultats cliniques fiables et reproductibles à long terme.
Au milieu des années 1990, la mise en place des implants enfouis avec une vis de cicatrisation est proposée, éliminant ainsi le deuxième temps chirurgical.
Récemment, depuis les années 2000, la mise en place d'une prothèse provisoire immédiate non fonctionnelle en édentation unitaire le même jour que la mise en place chirurgicale de l'implant est décrite. Cette proposition simplifie le protocole chirurgical et facilite la réalisation prothétique. Les indications, les principes chirurgico-prothétiques, les avantages, les limites et les risques de cette technique nouvelle sont rappelés dans cet article.
Le traitement des édentements unitaires au moyen d'un implant concerne de plus en plus de patients chaque année. Cette option thérapeutique justifiée par des succès cliniques obtenus à long terme [1-3] constitue la solution la plus fiable et la plus conservatrice lorsque les dents adjacentes sont intactes [4]. Une des tendances de l'implantologie moderne consiste à rendre l'ensemble des techniques chirurgicales et prothétiques plus simples en diminuant le nombre d'étapes chirurgicales ou en limitant par exemple le nombre de composants prothétiques et en facilitant leur manipulation [5, 6].
Une nouvelle approche thérapeutique pour la réhabilitation de l'édentement unitaire permet d'éviter l'étape de la temporisation en réalisant une prothèse provisoire immédiate non fonctionnelle (sous-occlusion) le même jour que la mise en place chirurgicale de l'implant [7-12].
Il est toutefois important de signaler que la temporisation immédiate en édentement unitaire est une proposition clinique récente et n'a pas fait l'objet de nombreuses études expérimentales et cliniques. La plus grande prudence s'impose vis-à-vis d'une technique nouvelle [13, 14].
L'ostéointégration est possible à condition de suivre avec rigueur le protocole clinique [15, 16]. Une parfaite coordination entre la chirurgie, la prothèse et le laboratoire est indispensable [16, 17] .
D'un point de vue biomécanique, la temporisation immédiate après la pose des implants est différente chez le patient totalement édenté et chez le patient partiellement édenté (unitaire) [15, 18].
• Chez le patient totalement édenté, la temporisation impose une mise en charge immédiate. Les implants ont une charge mécanique directe grâce à une prothèse immédiate fixe ou amovible mise en occlusion équilibrée et fonctionnelle.
Tardieu et Missika parlent de « mise en charge complète » [18]. D'autres auteurs décrivent une « mise en charge fonctionnelle précoce » [19].
• Chez le patient partiellement édenté (unitaire), la temporisation entraîne une mise en fonction immédiate [14, 15]. Le ou les implants ont une charge mécanique indirecte grâce à une prothèse fixe non fonctionnelle en sous-occlusion [20]. Le ou les implants subissent l'action mécanique des forces musculaires (langue, joues, lèvres) lors de la phonation et de la mastication.
Cette mise en temporisation immédiate peut être réalisée dans un site osseux cicatrisé ou consécutivement à une technique d'extraction/implantation immédiate [12, 18, 21].
Les implants dentaires en titane (système Brånemark®) sont utilisés avec succès comme piliers de prothèses partielles fixées depuis plus de 37 ans. Les travaux de Brånemark [22] ont permis d'appliquer l'implantologie aux édentements complets et partiels de façon reproductible et avec succès [23-25].
Ces études s'appuient sur l'utilisation du protocole chirurgical en deux temps, impliquant la connexion du pilier lors d'une deuxième intervention chirurgicale après une période de cicatrisation initiale des fixtures enfouies.
L'équipe suédoise a préconisé l'enfouissement complet des implants pour :
- obtenir l'ostéointégration ;
- limiter le risque d'infection ;
- empêcher la migration des cellules épithéliales ;
- minimiser le risque d'une mise en charge précoce excessive, durant la période initiale de cicatrisation [22].
Les implants étaient mis en place dans des sites osseux cicatrisés et leur mise en charge était différée après un certain délai de cicatrisation de 3 à 6 mois. Une telle période sans mise en charge était considérée comme une condition préalable indispensable pour l'obtention de l'ostéointégration [23, 24].
De nombreux auteurs ont mis en évidence que le délai de cicatrisation n'est pas toujours nécessaire pour obtenir une bonne ostéointégration. Selon eux, il est possible, sous certaines conditions cliniques, d'utiliser immédiatement des implants dans les sites alvéolaires postextractionnels [26-29].
Par ailleurs, le non-enfouissement des implants était la règle appliquée depuis le début des années 1970 par l'équipe suisse de Schroeder [30]. Les travaux de Buser et al. sur les implants ITI® [31] ont également révélé qu'il n'est pas nécessaire d'enfouir les implants pour obtenir une ostéointégration.
La fiabilité des résultats obtenus a encouragé le développement de ce principe et, au cours des dix dernières années, le protocole chirurgical original de Brånemark a connu plusieurs modifications. Ainsi, un nombre important d'études publiées montre les succès cliniques d'un protocole chirurgical en un seul temps avec le système Brånemark® [32, 33].
Les résultats de Becker et al. [32] montrent un taux de succès cumulé de 94,2 % à 1 an. Les implants ont été posés dans des arcades totalement ou partiellement édentées, dans des sites unitaires et dans des sites immédiatement après extraction.
Actuellement, les surfaces rugueuses de la nouvelle génération d'implants ont été expérimentées dans des études animales qui révèlent des valeurs de couple de dépose augmentées, indiquant l'existence d'une liaison solide à l'interface os/implant [34-36].
L'évolution des états de surface des implants, de leur configuration externe a permis d'augmenter leur stabilité primaire et de raccourcir les délais de mise en charge en améliorant la cicatrisation osseuse [37, 38].
Une étude récente d'Ericsson et al. [10] porte sur le protocole en un seul temps et la mise en charge précoce non fonctionnelle de couronnes unitaires. Au total, 14 patients présentant chacun un édentement unitaire ont reçu leurs implants et des piliers prothétiques ont été connectés durant le même temps chirurgical. Immédiatement après, une empreinte a été prise et une couronne provisoire en occlusion centrée légère, sans contacts latéraux, a été fabriquée et mise en place dans les 24 heures. Trois à six mois après, les prothèses provisoires immédiates ont été remplacées par des restaurations prothétiques définitives. Deux implants ont été perdus pendant la période d'observation. Après une période de 36 mois, aucun autre échec implantaire et aucune perte osseuse marginale n'ont été observés.
L'étude d'Ericsson et al. [10] met en évidence un taux d'échec de 14,3 %. Aussi, la plus grande prudence s'impose vis-à-vis d'une nouvelle technique.
Maló et al. [9] ont effectué une étude rétrospective sur 49 patients traités avec 94 implants Brånemark® répartis aussi bien au maxillaire supérieur qu'à la mandibule. Les implants ont été mis en fonction immédiatement le jour même de la chirurgie par le biais de couronnes unitaires ou de prothèses partielles fixes provisoires non fonctionnelles.
La période d'observation a varié entre 6 et 46 mois. Au total, 4 implants ont été perdus durant la première année ; ceux-ci avaient été placés dans des sites d'extraction immédiate. Les 90 autres implants se sont montrés stables à tous les autres contrôles cliniques.
Maló et al. [9] en concluent : « Le taux de survie cumulatif de 96 % à 1 et 2 ans indique que la mise en fonction immédiate des implants utilisés dans la zone esthétique des deux arcades peut représenter un concept viable. »
De nombreux auteurs [39-41] montrent que « la mise en charge immédiate n'est pas responsable d'une mauvaise cicatrisation tissulaire et ne semble pas compromettre le processus d'ostéointégration ».
D'autres auteurs [42-44] indiquent que « la quantité de micromouvements durant la phase initiale de cicatrisation à l'interface os/implant est d'une grande importance pour obtenir l'ostéointégration ».
La présence de micromouvements dépassant un seuil critique de tolérance d'environ 100 µm serait à l'origine de l'échec implantaire. L'ostéointégration est donc possible à condition de limiter les micromouvements sur les implants pendant la phase initiale de cicatrisation osseuse (6 semaines) [43-46].
La mise en charge par le biais d'une prothèse fixée rigide chez le patient totalement édenté à la mandibule semble favorable et présente de bons résultats thérapeutiques [47, 48].
La temporisation immédiate sur implant en présence d'un édentement unitaire ou partiel de petite étendue ne représente pas une vraie charge prothétique, car la prothèse transitoire est en sous-occlusion [9, 10, 16].
Au niveau chirurgical, la quantité et la qualité osseuses sont des facteurs capitaux pour l'application d'une technique de mise en charge précoce non fonctionnelle. Pour de nombreux auteurs [11, 12, 14-16] une stabilité implantaire primaire optimale est indispensable pour la mise en place d'une prothèse provisoire immédiate non fonctionnelle.
Si la stabilité primaire de l'implant n'est pas optimale, on optera pour une mise en charge différée de l'implant, et une autre méthode de temporisation doit être réalisée (bridge collé, prothèse amovible).
Cet ancrage est plus facilement obtenu en présence d'un os dense [11, 15].
Afin d'optimiser cette stabilité primaire, il est recommandé :
- d'utiliser des implants d'une longueur supérieure à 10 mm [11, 12, 21] ;
- de réaliser une technique chirurgicale précise [7, 11] ;
- de proscrire l'utilisation de tarauds et privilégier les implants autotaraudants [20] ;
- en présence d'un os peu dense, réaliser une condensation osseuse latérale [20] ;
- d'utiliser des implants à surface rugueuse [34-36, 46] ;
- d'utiliser des implants à diamètre implantaire large. Des implants avec un col plus large que le corps seront plus indiqués [38].
Pour tirer pleinement profit de cette technique, le praticien devra s'assurer que l'implant est idéalement situé, ce afin de faire coïncider l'axe implantaire et l'axe prothétique [11].
• Au niveau prothétique, l'absence de parafonctions (bruxisme) est un élément favorable pour la mise en place d'une temporisation immédiate.
• Le type d'occlusion du patient doit être complètement analysé. Une occlusion défavorable peut entraîner l'échec de la cicatrisation osseuse :
- types I et II division 1 favorables à une technique de temporisation immédiate ;
- types III et II division 2 moins favorables et plus délicats à gérer. Un certain nombre de principes permettent d'appliquer ce protocole :
• Mise en place du pilier usiné en titane avec un serrage à 27 Ncm à l'aide d'une clé dynamométrique. Le diamètre et l'émergence du pilier seront prévus selon l'anatomie de la dent à remplacer [20].
• Scellement provisoire de la prothèse immédiate non fonctionnelle.
• Vérification finale de l'occlusion: la prothèse immédiate non fonctionnelle doit être en parfaite sous-occlusion ; aucun contact en protrusion et en latéralité ne doit être présent [15, 20].
• Il est conseillé au patient d'éviter toute pression sur la zone implantée pour ne pas perturber le processus d'ostéointégration durant les 2 mois qui suivront l'intervention. Une alimentation liquide ou semi-liquide est conseillée au patient pendant 1 semaine. Ensuite, le patient peut manger normalement sans solliciter le site implanté [15, 20].
• Surveillance postopératoire rigoureuse : l'occlusion et la stabilité de la prothèse non fonctionnelle sont vérifiées à 15 jours, 1 mois et 2 mois, selon le délai de cicatrisation tissulaire. Des contrôles radiographiques pendant cette période seront effectués afin de vérifier le niveau osseux marginal et l'ajustage du pilier et de la supra-stucture prothétique.
• La prise de l'empreinte définitive peut être réalisée après 3 mois de cicatrisation en présence de conditions tissulaires idéales. Sinon, un délai de cicatrisation plus important sera conseillé.
L'utilisation de la technique de mise en charge précoce non fonctionnelle est détaillée à travers les 3 cas cliniques suivants.
Une patiente, âgée de 40 ans, sans antécédent médical, présente une absence de la première molaire inférieure droite. L'examen clinique ne révèle aucune pathologie particulière et les dents adjacentes au segment édenté sont indemnes de toutes lésions. L'ensemble des examens radiographiques, rétro-alvéolaire et panoramique (Fig. 1), scanner, révèle la présence d'un volume osseux disponible au-dessus du canal alvéolaire inférieur compatible avec la mise en place d'un implant de large diamètre.
- anesthésie locale ;
- mise en place chirurgicale d'un implant large enfoui de 4,5 mm de diamètre et de 13 mm de longueur (MicrothreadTM ST) (Fig. 2 et 3) ;
- vissage du pilier définitif unitaire ST à 27 Ncm à l'aide d'une clé dynamométrique (Fig. 4 et 5) ;
- sutures du lambeau d'accès ;
- prise d'empreinte immédiate (Fig. 6 et 7) ;
- ajustement en sous-occlusion de la couronne provisoire dans un délai de 24 heures et scellement provisoire (Fig. 8 et 9).
• Elle a eu lieu 4 mois après le scellement d'une couronne de type céramo-métallique à l'aide d'un ciment provisoire et après que l'occlusion, les points de contact interdentaires et la teinte aient été contrôlés (Fig. 11).
• Une radiographie rétro-alvéolaire a été effectuée pour visualiser l'adaptation de la prothèse définitive et l'absence d'excès éventuel de ciment au niveau du sulcus péri-implantaire (Fig. 12).
Une patiente, âgée de 30 ans, sans antécédent médical, présente une fracture horizontale de l'incisive centrale supérieure droite. Face aux doléances esthétiques de la patiente qui souhaite combler la perte de son incisive le plus vite possible, nous lui proposons la réalisation d'une mise en charge précoce non fonctionnelle consécutivement à une technique d'extraction/implantation immédiate. Nous lui demandons aussi d'éviter impérativement toute force de mastication sur cette future prohèse en sous-occlusion qui n'est qu'une « façade » (Fig. 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21 et 22).
Un patient, âgé de 70 ans, extrêmement motivé, en bonne santé générale présente une fracture radiculaire longitudinale de l'incisive latérale supérieure droite supportant une restauration céramo-métallique. Comme pour le cas précédent, nous lui avons proposé de placer une couronne provisoire en sous-occlusion, le jour même de l'extraction et de la pose de l'implant (Fig. 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31).
La synthèse des connaissances actuelles et l'évaluation du risque d'échec permettent une adaptation clinique des nouvelles techniques chirurgicales et prothéiques à notre disposition. Cette approche thérapeutique doit être prudente, guidée par la notion de terrain et des règles biomécaniques prothétiques en évitant tout traitement irréversible.
Dans les cas présentés, la réalisation d'une temporisation immédiate a plusieurs avantages [15, 20] :
- un gain de temps dans la chronologie globale du traitement ;
- une réponse immédiate à la demande esthétique du patient ;
- une satisfaction psychologique immédiate pour le patient ;
- une gestion immédiate des tissus péri-implantaires ;
- une adaptation définitive des tissus en un seul temps chirurgical ;
- une diminution du coût (suppression de la temporisation par l'intermédiaire d'une prothèse amovible ou d'un bridge collé). En conclusion, pour les remplacements unitaires, lorsqu'un support occlusal complet de l'arcade est disponible [10], il est possible de mettre l'implant en charge précocement.
Cependant, il est capital de respecter avec une extrême rigueur le protocole thérapeutique en vue d'obtenir une stabilité initiale optimale des implants, cela pour diminuer la quantité de micromouvements à l'interface os/ implant [9] (un os de type IV, un volume osseux insuffisant ou une stabilité aléatoire de l'implant indiquera une mise en charge différée).
Les indications de la temporisation immédiate en édentation unitaire sont précises. L'ostéointégration dépend de la rigueur du travail chirurgical et prothétique ; une parfaite coordination entre la chirurgie, la prothèse et le laboratoire est indispensable [16, 17].
La technique de mise en charge précoce non fonctionnelle obéit donc à des règles et des protocoles opératoires rigoureux qui demandent une bonne expérience clinique.
Remerciements : au laboratoire de prothèse Bioconcept à Toulon qui a réalisé les prothèses dentaires.
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