Point de vue sur la crise - Implant n° 1 du 01/02/2005
 

Implant n° 1 du 01/02/2005

 

Éditorial

Xavier Assémat-Tessandier  

Rédacteur en chef

Si l'on en croit certains « experts » en économie de la santé , la crise des professions de santé vient, dans le contexte actuel, d'un exercice nécessairement pluridisciplinaire de la pratique médicale, de l'inadaptation de « l'idéologie dominante chez les professionnels de santé : celle de la médecine libérale ». Selon eux, le libéralisme (économique ?) a de beaux jours devant lui. En revanche, la médecine dite « libérale » est...


Si l'on en croit certains « experts » en économie de la santé , la crise des professions de santé vient, dans le contexte actuel, d'un exercice nécessairement pluridisciplinaire de la pratique médicale, de l'inadaptation de « l'idéologie dominante chez les professionnels de santé : celle de la médecine libérale ». Selon eux, le libéralisme (économique ?) a de beaux jours devant lui. En revanche, la médecine dite « libérale » est mort-née, n'ayant jamais vécu et ne méritant pas de vivre. L'idéologie libérale est celle de « travailleurs » indépendants, jamais contraints de se coordonner, et donc incapables de répondre à la nécessaire coordination des savoirs, dont l'explosion ne permet plus à un seul individu de tout connaître, et donc d'être totalement efficace dans ses prescriptions. Ce terme de « travailleur » a des relents de lutte égalitaire, assez éloignés, pour moi, de la définition de la profession libérale emprunté à mon Petit Larousse : « profession civile non salariée, qui a pour objet un travail intellectuel effectué dans le respect de règles déontologiques ». Je me sens, pour ma part, plus proche de cette définition que de celle d'un OS (ouvrier de santé). Je sais cependant ces experts trop cultivés pour penser que le passage du professionnel de santé libéral au travailleur indépendant (et pas pour longtemps) ne relève pas d'une erreur sémantique, mais sous-tend une idéologie égalitaire totalitaire dont on peut constater les dégâts dans notre système de santé.

Attribuer aux seuls professionnels de santé la responsabilité du déficit de l'assurance maladie m'a toujours paru injuste et dangereux, car se tromper d'objectif a toujours des conséquences catastrophiques sur le long terme. Le discours officiel de dénigrement des professionnels de santé a connu son apogée avec le dogme de la responsabilité du corps médical dans le déficit de la Sécurité sociale : « L'accroissement des dépenses de santé est dû au trop grand nombre de médecins. En diminuant le nombre de médecins, on diminuera les dépenses. » Assez innocemment - mais je ne suis pas un économiste distingué et dogmatique -, il me semblait qu'il valait mieux diminuer le nombre de malades pour diminuer les dépenses...

Ainsi, nous sommes arrivés aujourd'hui à un système qui paie pour tout, et même parfois pour n'importe quoi : les 35 heures, les arrêts de travail de complaisance, les comportements à risques... Ainsi, pour l'assurance maladie, j'ai toujours considéré que la pratique d'une activité ludique n'était pas forcément en rapport direct avec l'activité professionnelle. Il m'a toujours paru évident que la pratique sportive et ses dangers devraient être prise en charge individuellement par l'adepte (une assurance privée liée aux fédérations sportives) et non à la charge de la collectivité.

Il est étrange que d'une solidarité face à la maladie ou à un accident du travail, selon l'esprit originel de la Sécurité sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notre société ait évolué dans la prise en charge de divertissements dangereux. Ce qui est encore plus étonnant, c'est qu'après son attaque contre les professionnels de santé en crise, l'un de nos experts participe activement au déficit de la Sécurité sociale grâce à la pratique, ô combien recommandée par la Faculté, du patin à roulettes. Non content de dénigrer le système qu'il a mis en place (il a été, pendant 5 ans, directeur des hôpitaux), il a tiré de son expérience de patient un livre dont il assure la promotion tout média confondu, pour confirmer son diagnostic : il faut mettre fin à la toute puissance de la médecine et des médecins. Je pense effectivement que la fin programmée des professionnels de santé mettra fin au problème de leur puissance supposée. J'espère toutefois que l'expert patineur contribuera au renflouement de l'assurance maladie, par la rétrocession intégrale des bénéfices de son livre à l'URSSAF, afin de ne pas inciter d'autres sportifs inconscients à chuter plus ou moins brutalement pour vivre une gloire éphémère sur le dos de la Sécurité sociale.

1. La crise de professions de santé, Clinic 2003;24(8) :481.

2. L'Hôpital vu du lit, Pr Jean de Kervasdoué. Éditions Le Seuil.