La fin de l'innocence - Implant n° 1 du 01/02/2007
 

Implant n° 1 du 01/02/2007

 

Éditorial

Xavier Assémat-Tessandier  

Rédacteur en chef

Cet éditorial aurait pu s'appeler 20 ans après. En effet, voilà 20 ans, la France découvrait les bases de l'implantologie moderne, avec une technique radicalement différente de ce qui se faisait à l'époque, une documentation scientifique inconnue dans la sphère dentaire, et un recul clinique de près de 20 ans pour les premiers patients traités. L'équipe de P.-I. Brånemark nous a fait basculer du monde obscur des tâtonnements des « pionniers » aux résultats incertains à...


Cet éditorial aurait pu s'appeler 20 ans après. En effet, voilà 20 ans, la France découvrait les bases de l'implantologie moderne, avec une technique radicalement différente de ce qui se faisait à l'époque, une documentation scientifique inconnue dans la sphère dentaire, et un recul clinique de près de 20 ans pour les premiers patients traités. L'équipe de P.-I. Brånemark nous a fait basculer du monde obscur des tâtonnements des « pionniers » aux résultats incertains à celui de la compréhension d'un phénomène permettant un contrôle du traitement et des résultats satisfaisants sur le long terme. Bien sûr, des améliorations étaient nécessaires, et le système a évolué pendant 15 ans pour améliorer les produits, simplifier la procédure et améliorer, de quelques points, les statistiques.

Avec l'avènement du XXIe siècle, l'implantologie est devenue un marché présentant un potentiel de profit inespéré pour celui qui occuperait une place de leader planétaire dans ce secteur. Pour cela, place à l'innovation ; il faut se distinguer de la concurrence par la rapidité de production de nouveautés. Depuis le début de ce siècle, soit 6 ans, les principaux systèmes implantaires ont tous adopté une nouvelle surface pour leurs implants, soit radicalement différente pour certains, soit une « amélioration » de la précédente pour les autres. Par la grâce du marketing, nous sommes rentrés dans l'ère de la nouveauté forcenée. Ce n'est pas un phénomène récent. Rappelons-nous un célèbre comique qui fustigeait les fabricants de lessive nous proposant d'obtenir un linge « plus blanc que le blanc », ce qui débouchait sur une question angoissante : « de quelle couleur va être mon linge ? Car noir, on connaît, blanc aussi, mais plus blanc que blanc ? ».

Il ne s'agit plus d'améliorer un produit ou une technique, mais d'apporter une rupture avec le passé. Vous êtes satisfait du système que vous utilisez, mais aujourd'hui on vous propose mieux, pour un peu plus cher forcément, ou bien même beaucoup plus cher si le mieux atteint le parfait, en attendant la prochaine mouture qui pourrait accéder au plus que parfait, en risquant de se révéler imparfait... Peu importe le résultat, il faut être dans la course, ou disparaître. De toute façon, au cas (fort improbable au demeurant) où vous seriez légèrement rétif à la nouveauté, il est facile de vous contraindre au changement : on arrête la commercialisation, puis la production de l'ancienne gamme. Pas de choix possible, le diktat du progrès est souverain.

Qu'avons-nous à gagner sur ces méthodes acceptées par le plus grand nombre ? Pas grand chose, car dans les années 80, lorsque le système proposé par P.-I. Brånemark assurait au moins 90 % de succès à 10 ans alors que la plupart des systèmes connaissait 50 % d'échecs à 5 ans, il était possible d'opter avec certitude pour une amélioration. Mais lorsque les études montrent des résultats à 95 % de succès à 10 ans, que peut-on gagner de plus ? Atteindre les 99 % de succès avec un système parfait, et pourquoi pas les 110 % avec un système plus que parfait ? Pour l'instant, l'industrie n'a pas osé s'aventurer sur ce terrain, il suffit peut-être d'attendre.

Vingt et un ans est l'âge considéré pour un être humain comme l'accession à la majorité, la sortie de l'insouciance de l'enfance et l'entrée dans la réalité du monde des adultes. L'implantologie « moderne » a atteint ses 21 ans et donc sa majorité. Il semble pourtant qu'elle soit retombée en enfance, car le progrès ultime aujourd'hui semble pour l'industrie et, par conséquent, pour la profession, l'extraction-implantation-mise en charge immédiate avec si possible un implant monobloc. Si on se replonge dans les balbutiements de l'implantologie des années 50 aux années 70, on retrouve les principes énoncés ci-dessus. Est-ce le meilleur moyen d'améliorer les taux de succès ? C'est peu vraisemblable, et sans beaucoup s'avancer, il n'est pas certain que la répétition des erreurs passées soit le plus sûr moyen de progresser.