Dossier clinique
CES de biologie buccale
CES de parodontologie
DU de parodontie et d'implantologie (Paris VII)
60, rue de Londres
75008 Paris
Depuis les implants usinés de Brånemark, l'état de surface des implants a nettement évolué. Les surfaces rugueuses améliorent le contact avec le tissu osseux, ce qui optimise la stabilité primaire.
De nombreuses études montrent une fiabilité de la mise en charge immédiate. Celles-ci sont, pour la plupart, réalisées à la mandibule. Qu'en est-il du maxillaire ?
Cet article montre qu'il est possible de planifier des extractions multiples maxillaires avec le remplacement simultané par des implants mis en charge immédiatement.
Né de recherches entreprises en 1952 par l'équipe de Brånemark, le concept de l'ostéointégration préconisait une mise en nourrice implantaire de 3 à 6 mois à la mandibule et de 6 à 9 mois au maxillaire[1, 2], afin de protéger les implants de l'occlusion, de réduire le risque d'infection et de prévenir une invagination épithéliale en vue d'éviter une encapsulation fibreuse[3].
Ces délais n'ont d'ailleurs jamais pu être vérifiés expérimentalement et ont été établis de façon empirique[4]. Ils se sont imposés comme de véritables dogmes à ne pas transgresser. Pour certains auteurs, la mise en nourrice ne repose sur aucune réalité scientifique, mais correspond plutôt à une précaution thérapeutique[5].
Depuis quelques années, les protocoles chirurgicaux cherchent à diminuer le laps de temps entre l'extraction et la mise en place de la prothèse implantaire. Il est vrai que tout en reconnaissant la rigueur de la démarche suédoise, il semble légitime d'espérer des protocoles de travail moins longs.
Cette nouvelle approche a consisté tout d'abord à placer les piliers de cicatrisation au 1er temps chirurgical. Elle a évolué vers le concept de l'extraction-implantation immédiate[6] dont l'aboutissement est aujourd'hui la mise en charge immédiate. Contrairement au protocole originel, ce nouveau protocole permet de réaliser la prothèse implantaire immédiatement après la pose d'implant, ou 24 à 72 heures après.
Rappelons que les principes de l'ostéointégration ont été décrits dans le cadre de traitements des patients complètement édentés par restaurations implanto-portées vissées sur des implants à surface lisse[7]. De nos jours, les implants sont autotaraudants avec des surfaces rugueuses, permettant un contact plus intime avec le tissu osseux pour une meilleure stabilité primaire et une meilleure ostéointégration.
En chirurgie orthopédique, des attelles externes ou des dispositifs mécaniques transfixiants permettent l'immobilisation et une remise en fonction immédiate du membre fracturé[8, 9]. La mise en charge immédiate des implants dentaires n'est peut-être pas si différente, s'il est possible d'obtenir une immobilité complète de l'ensemble implant/restauration dans un os de bonne résistance mécanique. Toutefois, comme en orthopédie, cela exige que des forces inférieures au seuil de résorption et/ou de résistance osseuse soient appliquées à la prothèse[10, 11].
De nombreuses études montrent une fiabilité de la mise en charge immédiate de 4 à 6 fixtures en titane, reliées par une superstructure rigide, puisque les résultats sont sensiblement équivalents à la technique de base[12 - 16].
Bien que la plupart des études ne concernent que la mandibule, il est important de connaître les principes de base qui doivent s'appliquer tant à la mandibule qu'au maxillaire : la stabilité primaire, la rigidité de la connexion et l'absence d'extension du bridge provisoire.
En termes d'échecs, Tarnow et al.[14] obtiennent des résultats comparables entre une mise en charge immédiate et un protocole en 2 temps, et les observent chez les patients dont la prothèse provisoire a été démontée.
Selon Brånemark[7], la stabilité primaire est la plus élevée dans les premiers jours après la pose d'implants. Avec le temps, elle diminue pour être remplacée par l'ostéointégration.
Il existe donc une phase critique où la stabilité primaire suit une courbe descendante sans que l'ostéointégration puisse prendre le relais. Le remaniement osseux induit une période critique entre 3 et 5 semaines.
En outre, quelle que soit la densité osseuse, il est indispensable de s'abstenir de tout démontage d'éléments prothétiques provisoires durant cette période[14].
L'analyse préopératoire de la densité osseuse permet de poser l'indication de la technique et d'intervenir dans de bonnes conditions de sécurité. La valeur de stabilité primaire à atteindre n'est pas nettement clarifiée, le sens clinique et la qualité de la chirurgie restent des paramètres incontournables. Bien qu'il existe des moyens d'appréciation de la densité osseuse comme l'évaluation densitométrique au scanner (indice Hounsfield) ou la mesure du couple de forage (contre-angle dynamométrique), l'appréciation du couple final d'insertion sert de référence, car c'est une indication fiable de la stabilité initiale de l'implant[18, 19]. Ce paramètre dépend de la densité osseuse, de la forme de l'implant et de la préparation du site implantaire.
La plupart des auteurs parlent d'une valeur référence de 35 Ncm et recommandent parfois de sous-préparer le site receveur pour visser l'implant à la main[18, 20 - 23] en prenant garde d'éviter tout traumatisme chirurgical par échauffement et compression osseux.
On retiendra que la mise en oeuvre de préparations osseuses adaptées et l'utilisation d'implants coniques peuvent augmenter la stabilité primaire[24]. De plus, l'utilisation de surface modifiée comme le TiUnite® est fortement recommandée, car la surface anodique oxydée favorise la stabilité primaire par son pouvoir ostéo-attracteur.
Plusieurs auteurs insistent sur la nécessité d'accorder la plus grande attention à la rigidité du système prothétique, car il faut dans tous les cas limiter les micromouvements à l'interface os/ implant[12, 14, 25, 26].
Un système prothétique rigide fixé immédiatement influence la cicatrisation osseuse en réduisant les micromouvements.
Pourquoi éviter les micromouvements ? L'ostéointégration est perturbée par les micromouvements qui peuvent provoquer une encapsulation fibreuse. Il ne faut donc pas gêner les réactions vasculaires et inflammatoires initiales pour faciliter la prolifération des cellules progénitrices, l'adhésion des cellules, puis l'ossification[27].
Certes, il est difficile d'apprécier les micromouvements d'un point de vue clinique, mais selon Jemt[25, 26], les micromouvements sont inférieurs avec une prothèse fixée par rapport à une prothèse mobile rebasée qui exerce des forces nocives incontrôlées.
Le principe de « l'union fait la force » nous conduit donc à relier les implants de façon rigide pour contenir toute mobilisation préjudiciable.
Pour Tarnow et al.[14], le bridge provisoire ne doit pas comporter d'extensions. En cas d'extensions, les forces sur l'implant proche de l'extension sont doublées. L'implant terminal est celui qui subit la plus grande force. Sa stabilité primaire doit donc être optimale.
L'ajustage du bridge provisoire est contrôlé radiographiquement, puis il est vissé avec un couple de serrage de 10 Ncm.
De par l'absence de proprioception et de résilience desmodontale, il est impératif de diminuer l'intensité de la charge sur les implants[28]. Le patient a en général une telle confiance qu'il multiplie le coefficient de mastication, et les forces sont donc plus importantes sur les implants que sur les dents. La conicité des implants permet de mieux répartir les forces le long du corps de l'implant[29]. Oublions les forces axiales, car en bouche, il existe des forces de directions différentes, à commencer par celles horizontales de la langue, des lèvres et du bol alimentaire.
La force appliquée sur une prothèse implanto-portée est très difficile à mesurer ; elle se définit par son intensité et par sa direction. La morphologie et la taille des couronnes influencent directement le niveau des contraintes au niveau du col de l'implant. Ainsi, des pentes cuspidiennes trop prononcées peuvent entraîner une augmentation des contraintes au niveau de l'implant et/ou de la vis de pilier. De même, plus la largeur vestibulo-linguale de la couronne est importante, plus le bras de levier s'appliquant au niveau du col de l'implant sera élevé. C'est pourquoi, il est préférable de « prémolariser » les prothèses implanto-portées dans les secteurs postérieurs, et de s'assurer d'une fonction de groupe en latéralité avec des faces occlusales pas trop larges (intérêt du regular platform), car les contacts en latéralité sont responsables des contraintes de flexion[28].
Des contrôles occlusaux précoces sont indispensables à 24 ou 48 heures, puis à 15 jours, 1, 3 et 6 mois pour procéder à des ajustements occlusaux et éviter le risque d'une surcharge de la prothèse. Il est également conseillé d'éviter de mastiquer des aliments durs et de croquer pendant 6 semaines, afin de rétablir une fonction masticatrice normale. Enfin, les modifications des tensions régnant dans les régions osseuses concernées doivent être prises en compte. Le patient doit retrouver progressivement et lentement une mastication normale[28].
La mise en charge de la prothèse le jour même de la pose des implants, ou quelques jours plus tard, permet la réduction du temps de traitement, le rétablissement immédiat de l'esthétique et de la fonction d'occlusion. Elle offre ainsi un avantage psychologique important au patient qui peut reprendre sa vie sociale et professionnelle très rapidement.
C'est une solution très séduisante qui tire profit du haut potentiel ostéogénique du site d'extraction. Cependant, son application nécessite un allongement de la séance clinique puisque la prothèse provisoire est réalisée au cours de l'intervention[28].
M. D., âgé de 68 ans était en bonne santé et non fumeur. La valeur résiduelle des dents restantes ne permettait pas d'envisager des restaurations fiables pour le long terme. L'atteinte parodontale était avancée, terminale dans les secteurs postérieurs maxillaires, et la conservation des dents antérieures nous aurait conduit à réaliser des greffes osseuses intra-sinusiennes ainsi qu'une restauration prothétique antérieure sur parodonte réduit à mauvais pronostic. Les dents 12 et 13 avaient une valeur intrinsèque faible de par les reconstitutions prothétiques anciennes et iatrogènes, avec un tenon radiculaire sur 13 atteignant le niveau de l'alvéolyse, et associées à une mobilité de classe 2 du bloc incisivo-canin.
La décision d'extraire ces dents a été prise avec le patient. Un protocole de mise en charge immédiate a été envisagé. Après un abcès parodontal au niveau de 16 et 17 (atteinte endo-parodontale), il a été décidé d'extraire 16, 17, 18 et 26 dans un premier temps (Fig. 1 à 4). Le Dentascan a permis une analyse du volume osseux (Fig. 5 à 10).
Dans un deuxième temps, les dents restantes ont été extraites. Une incision crestale a permis d'accéder aux alvéoles, et les dents ont été extraites délicatement pour ne pas léser les corticales externes. Dans les secteurs esthétiques, les corticales vestibulaires des racines naturelles sont en effet généralement très fines et fragiles. Les alvéoles ont été curetés, puis rincés avec une solution contenant de l'eau oxygénée (Fig. 11).
Au total, 6 implants coniques NobelSpeedy TiUnite® de 4 mm de diamètre et de 11,5 mm de longueur ont été choisis et placés en position 11-21-24-25-14-15. Les implants placés en 25 et 15 ont été positionnés de façon à émerger en 16 et 26. Les sites implantaires ont été sous-préparés sans passage du foret d'évasement. D'un point de vue clinique, la valeur du couple d'insertion au moment de la chirurgie est un outil permettant d'apprécier la stabilité primaire. Le moteur indiquait 35 Ncm pour chaque implant.
Le nombre optimal d'implants pour une restauration complète est une question délicate. On est amené à penser que la sécurité est assurée en augmentant le nombre d'implants et que la répartition des charges est meilleure. Cependant, l'adaptation de la prothèse est plus difficile.
Selon différentes études[30, 31] et bien qu'on manque de référence pour le traitement maxillaire, 4 implants à la mandibule et 6 implants au maxillaire semblent suffire pour une restauration complète. Mais aucune étude scientifique ne donne de protocoles concernant le nombre d'implants à placer, leur disposition sur l'arcade, les critères de densité osseuse, et la charge maximale qu'un implant peut supporter. En fait, rien ne nous permet au départ de dire si la situation est à risque ou pas.
Les piliers définitifs Multi-Unit droits ont été vissés sur les implants, et une empreinte aux élastomères en double mélange a été réalisée à l'aide de transferts vissés sur chaque pilier.
Au retrait de l'empreinte, une réplique a été placée dans chaque transfert, et le modèle de laboratoire est coulé en plâtre (Fig. 12 et 13).
Une prothèse en résine acrylique préalablement préparée a été évidée en regard des émergences implantaires, et a servi pour l'enregistrement du RIM (Fig. 14 à 16).
La connexion aux implants a ensuite été préparée au laboratoire, et la prothèse sans extension a été vissée sur les implants, puis contrôlée radiographiquement (FIG. 17 et 18).
Le réglage de l'occlusion est déterminant. Il a été effectué et contrôlé à 1 semaine, puis 1 fois par mois. La restauration ne devait pas être démontée.
Après 6 semaines, l'ostéointégration était suffisante pour commencer les étapes prothétiques définitives. Les piliers pouvaient éventuellement être changés si la hauteur du rebord gingival s'était modifiée.
Une nouvelle empreinte aux élastomères a été prise et un nouveau modèle de travail a été obtenu.
Notons que selon la préférence du praticien et le degré d'ouverture buccale, les deux techniques d'empreinte pick-up ou twist-lock peuvent être utilisées (présentation ici d'une empreinte avec repositionnement) (Fig. 19 à 21). Seule la passivité de l'armature atteste la qualité de l'empreinte et de son traitement.
L'absence de mobilité de l'implant n'autorisant aucune compensation d'adaptation, l'adaptation des éléments prothétiques doit être passive, c'est-à-dire sans contraintes[28].
L'innovation technique que représentent la conception et la fabrication assistée par ordinateur (CFAO) permet à chaque connexion d'être la plus fiable possible avec le maximum de passivité. En effet, pour obtenir une passivité de l'armature avec les infrastructures coulées en or, on a souvent recours à des soudures secondaires compte tenu des déformations bien connues de la cire, des revêtements ou des coulées d'alliages. Ces soudures secondaires représentent des zones de fractures potentielles pour le long terme.
La CFAO a permis de pallier ces inconvénients. Les risques de fractures sont nuls ou considérablement réduits comme le prouvent Örtop et Jemt[32, 33] qui démontrent, à 3 ans, une absence totale de fracture d'armature par rapport à une prothèse à armature coulée.
Outre les avantages mécaniques du système Procera®, il y a une réelle cohérence métallique sur le plan biologique puisque tous les étages sont en titane et sa légèreté apporte un confort
incontestable.
Aucune section ni soudure n'étant envisageables au niveau de l'armature en titane, une clé en plâtre a dû être testée en bouche pour valider la précision du modèle de travail. La clé a été mise en place sur les piliers, et le serrage des tiges-guides ne doit pas provoquer de fracture du plâtre (Fig. 22 et 23).
Au laboratoire, la maquette réalisée a été envoyée en Suède pour être scannée par la société Nobel Biocare. Un bloc en titane a été usiné par fraisage numérique et contrôlé par ordinateur.
De retour au laboratoire, les dents prothétiques et la fausse gencive ont alors pu être montées. La prothèse de 10 éléments en résine a alors été terminée au laboratoire après validation du montage esthétique. Le titane a été sablé pour recevoir la résine (Fig. 24 à 27).
L'avantage de la résine est d'être réparable et de permettre une réalisation facile des puits d'accès aux vis, sans risquer la fracture du matériau sous de faibles épaisseurs. La prothèse a alors été vissée en bouche à un couple de 15 Ncm (Fig. 28 à 29).
L'occlusion doit être contrôlée régulièrement à 1 semaine, 15 jours, 1, 3, puis 6 mois. Il est en effet démontré que la surcharge occlusale peut être une cause de perte osseuse péri-implantaire[34].
Les patients sont motivés par la rapidité de ce traitement, mais il faut rester vigilant en raison du faible recul clinique, même si les études donnent des résultats très encourageants. Existe-t-il un risque que nous ignorons et un temps pour les complications ?
De toute évidence, la stabilité primaire est le facteur primordial, et le pronostic semble bon quand les implants sont reliés entre eux à l'aide d'une prothèse rigide.
La pression d'un traitement toujours plus court ne doit pas altérer notre jugement et nous faire prendre des risques. Les exigences d'une maintenance régulière sont d'une grande importance et on ne peut s'en affranchir par le biais de l'ostéointégration.
Remerciements à Christophe Hue pour la réalisation prothétique.
PROCERA® - NOBEL SPEEDY TIUNITE® - MULTI-UNIT - NOBELBIOCARE - 80, AVENUE DES-TERROIRS-DE-FRANCE - 75007 PARIS CEDEX 12 - TÉL. : 01 53 33 89 10 - FAX : 01 53 33 89 33 -