Implant plein - Implant creux : analyse par la méthode des éléments finis - Implant n° 3 du 01/08/1998
 

Implant n° 3 du 01/08/1998

 

Prothèse

Dominique Augereau *   Laurent Pierrisnard **   Michel Barquins ***  


*Ex-assistante à la faculté de chirurgie dentaire Paris-V
**Maître de conférences à la faculté de chirurgie dentaire Paris-V
***Directeur de recherches à l'ESPCI Paris

Dans cette étude, nous évaluons et quantifions le rôle de la configuration géométrique de l'implant (implant plein/implant creux) ainsi que l'orientation de la force occlusale que reçoit l'implant dans la transmission des contraintes à l'os. Cette étude tridimensionnelle utilise la méthode des éléments finis. L'avantage mécanique de l'implant creux (plus grande surface d'ostéointégration) n'est pas démontré et il apparaît que le facteur orientation de la force est déterminant. La charge sollicitant l'implant doit être orientée, dans la mesure du possible, selon son grand axe.

Une des particularités de la prothèse supra-implantaire est l'absence de desmodonte. L'évaluation comparative des contraintes sur des implants et des dents naturelles est une nécessité pour comprendre la spécificité de la réponse de l'os péri-implantaire aux sollicitations de l'implant chargé.

Sous l'application d'une charge occlusale, la dent subit une déflexion due à la compression des fibres desmodontales. Ce micromouvement est limité par :

- les fibres nociceptives du desmodonte qui inhibent la musculature ;

- la présence de l'os qui arrête le mouvement.

Cette dépressibilité du ligament desmodontal permet une diffusion « amortie » des contraintes occlusales [1] au niveau osseux.

Pour les implants, l'absence de ligament a pour conséquence une transmission directe des contraintes à l'os sous-jacent.

Les comportements mécaniques des implants et des structures péri-implantaires face aux charges occlusales dépendent :

- de la configuration géométrique des implants ;

- de la nature, de l'intensité, de la fréquence et de l'orientation des charges occlusales ;

- du matériau implantaire ;

- du type de reconstruction prothétique.

Objectifs de l'étude

Dans cette étude en trois dimensions, nous poursuivons les objectifs suivants :

- comparer les contraintes osseuses générées par deux types d'implants, l'un creux, l'autre plein ;

- hiérarchiser l'influence des paramètres : orientation de la force occlusale et configuration géométrique de l'implant (plein ou creux).

Matériel et méthode

Modélisation par la méthode des éléments finis [2]

La méthode des éléments finis est une méthode numérique informatisée qui permet l'analyse des contraintes dans les solides tridimensionnels de forme complexe. Son principe est de diviser une structure continue réelle en un nombre fini d'éléments de forme géométrique simple et de caractéristiques mécaniques connues. A chaque élément est associé un groupe de propriétés qui détermine les caractéristiques mécaniques propres aux différents matériaux qui le composent. Il s'agit du module de Young et du coefficient de Poisson (tableau I). Dans cette étude, les matériaux sont admis comme isotropes et comme travaillant en élasticité linéaire, c'est-à-dire dans un domaine où les structures reprennent leur géométrie initiale après décharge. On suppose que les éléments sont mécaniquement assemblés uniquement au niveau des nœuds et on définit une fonction d'interpolation qui détermine le déplacement d'un point d'un élément en fonction des déplacements des nœuds de cet élément. Le principe détaillé de cette modélisation est décrit dans un numéro précédent de la présente revue [5].

Matériel et logiciel

Matériel : PC compatible Pentium 166, 48 Mo mémoire RAM, disque dur de 3 Go.

Logiciel : CADSAP®, version française d'Algor®. Vizicad : système complet de CAO et de visualisation permettant le calcul des structures par la méthode des éléments finis.

Structure des modèles

Dans cette étude, nous avons étudié deux types d'implants : sont comparés un implant creux et un implant plein (L = 12 mm et ø = 4 mm) (implants de type ITI-Straumann®) (fig. 1 , 2a et 2b ).

Pour les deux modèles, les unités implantaires (implant + pièce prothétique) sont enchâssées dans une structure osseuse dont la base est encastrée (bloquée dans toutes les directions). La pièce prothétique en titane est fixée dans l'implant.

Les modèles subissent deux types de chargement, l'un axial, l'autre oblique à 45°, de même intensité F = 500 newtons (tableau II). Cette valeur correspond selon Craig [6] à la moyenne des forces maximales que l'appareil stomatognathique peut développer au niveau molaire.

Les figures 3 et 4 illustrent en coupe, suivant le plan YOZ, les deux implants considérés.

Résultats et discussion

Nous nous intéressons à la distribution et à l'intensité des contraintes de traction et de compression au niveau osseux dans les direction Y (mésio-distale) et Z (occluso-apicale). Pour permettre l'analyse de la répartition des contraintes, nous choisissons d'isoler le support osseux du reste du modèle (implant et pièce prothétique sont éliminés). Une coupe dans le plan YOZ permet l'observation des contraintes péri-implantaires. Les figures 5, 6, 7, 8, 9 et 10 , sont donc des représentations planes des distributions de contraintes générées au niveau de la surface concave (observée de face) du support osseux.

Les contraintes observées apparaissent sous forme de plages colorées. A chaque couleur correspond une intensité moyenne de contrainte exprimée en Pa. Les contraintes les plus intenses sont visualisées par des plages de couleur rouge pour les contraintes de traction et par des plages de couleur violette pour les contraintes de compression. L'histogramme, représenté dans la figure 11 , met en évidence que :

- globalement, quelle que soit l'orientation de la charge occlusale, les composantes axiales (direction Z) des contraintes osseuses sont plus intenses que les composantes horizontales (direction Y) ;

- dans chacune des directions, Y et Z, les contraintes de compression sont légèrement plus intenses que les contraintes de traction (colonnes rouges et jaunes plus élevées que les vertes et bleues) ;

- lorsque la charge occlusale est axiale, seules les composantes verticales (direction Z) des contraintes de compression ont des intensités significatives (colonnes de couleur jaune).

Les figures 5 et 6 montrent que, quels que soient les modèles, les régions osseuses cervicales sont très sollicitées. Ce résultat est en accord avec la plupart des auteurs qui mettent l'accent sur l'importance des contraintes cervicales. Clelland et al. [7] n'observent pas de contraintes dans la partie apicale de l'implant et dans le tissu environnant ; les contraintes maximales sont localisées au niveau du col de l'implant. Clift et al. [8] montrent également l'importance des contraintes autour du col de l'implant. Meijer et al. [9] ont étudié la distribution des contraintes autour des implants dentaires ; le pic principal des contraintes survient autour du collet de l'implant, dans la couche corticale osseuse. Lorsque la force est oblique, quel que soit le type d'implant (plein ou creux), quelles que soient leur nature (traction ou compression) et leur direction (Z : axiale ou Y : mésio-distale), les contraintes péri-implantaires sont très nettement plus intenses qu'avec la force axiale. De même, lorsque la force est oblique, les composantes verticales (dans la direction Z) des contraintes osseuses de traction et de compression sont significativement plus intenses que les composantes horizontales (dans la direction Y).

Les figures 7 et 8 correspondant aux contraintes dans la direction Y, montrent que :

- dans la moitié cervicale, la distribution des contraintes est identique pour les deux modèles. En revanche, dans la moitié apicale, les contraintes distribuées par l'implant creux sont nettement plus intenses que celles générées par l'implant plein.

Pour ce qui concerne les contraintes dans la direction Z, les figures 9 et 10 montrent que :

- quels que soient les modèles, les régions osseuses cervicales sont les plus sollicitées ; quels que soient les modèles, les régions osseuses situées du côté de la force occlusale sont sollicitées en traction (plages rouge, orange et jaune) alors que les régions osseuses situées du côté opposé sont sollicitées en compression (plages violette et bleue) ;

- dans la moitié cervicale, la distribution des contraintes est identique pour les deux modèles ;

- les contraintes de compression distribuées par l'implant creux sont plus intenses que celles générées par l'implant plein. Les courbes comparées de la distribution des contraintes osseuses de compression le long de l'axe Z (fig. 12) montrent clairement que, dans la moitié apicale, au niveau correspondant à la « carotte » osseuse, l'implant creux sollicite davantage la région osseuse péri-implantaire. En regard de l'apex, les courbes se rejoignent et les compressions sont moins intenses. Dans la région cervicale, les contraintes sont de même intensité, ce qui se traduit par la superposition des deux courbes.

Conclusions

Cette étude en 3D, réalisée avec la méthode des éléments finis, a pour but de comparer les contraintes osseuses générées par deux types d'implants, l'un plein et l'autre creux et de hiérarchiser l'influence des paramètres, orientation de la force et configuration géométrique de l'implant.

Nous sommes conscients que cette étude ne prend pas en compte un certain nombre de paramètres cliniques importants tels que :

- réponse viscoélastique des structures péridentaires aux efforts occlusaux ;

- effets de fatigue des matériaux dus à la répétition des charges ;

- effets du fluage (influence du temps) ;

- complexité des forces masticatrices...

Les résultats montrent que l'implant creux, par sa configuration géométrique, génère des contraintes osseuses plus intenses que l'implant plein. L'avantage mécanique que procurerait une plus grande surface d'ostéointégration, pour l'implant creux, n'est pas démontré.

Indépendamment de la configuration géométrique de l'implant, il apparaît que l'orientation de la charge est un paramètre déterminant dans la localisation et l'intensité des contraintes induites dans l'os. L'implant doit être orienté axialement par rapport à la direction la plus probable de la force la plus intense qu'il reçoit.

Bibliographie

  • 1. Betito M, Moulin P. Contraintes occlusales en prothèse conjointe supra-implantaire : la gestion implantaire. Cah Prothèse 1997;(99):43-48.
  • 2. Pierrisnard L. Analyse par la méthode des éléments finis, du comportement mécanique des structures péricanalaires et périradiculaires des dents dépulpées et reconstituées soumises à des contraintes occlusales simulées [thèse]. Paris : univ de Paris V,1993.
  • 3. O'Brien W, Ryge G. Les matériaux dentaires. Précis et guide de choix. Traduction : P. Desautels. Montréal : Gaétan Morin, 1987.
  • 4. Burdairon G, Attal JP, Moulin P, Cohen F. Le titane et ses alliages en prothèses. Perspectives. Cah Prothèse 1993;81:91-102.
  • 5. Augereau D, Pierrisnard L. Comportement mécanique des implants et matériau prothétique. Implant 1996;2(1):17-28.
  • 6. Craig R. Restorative dental materials. 9th ed. London : Mosby Year Book,1993.
  • 7. Clelland NL, Ismail YH, Zaki HS, Pipko D. Three-dimensional finite element stress analysis in and around the Screw-Vent implant. Int J Oral Maxillofac Implants 1991 ;6:391-398.
  • 8. Clift SE, Fischer J, Watson CJ. Finite element stress and strain analysis of the bone surrounding a dental implant: effect of variations in bone modulus. Proc Inst Mech Fug Chi 1992 ;206 (4):233-241.
  • 9. Meijer HI, Starmans FJ, Steen WH, Bosman F. Loading conditions of endosseous implant in an edentulous human mandible: three-dimensional finite element study. J Oral Rehabil 1996; 23(11):757-763.