Reconstructions maxillaires préimplantaires : critères de choix du site donneur osseux - Implant n° 4 du 01/11/1998
 

Implant n° 4 du 01/11/1998

 

Chirurgie

Benoît Philippe  

Stomatologiste, chirurgien maxillo-facial 91, bd Haussmann, 75008 Paris drphilip@club.internet.fr

L'auteur présente les critères qui guident pour lui le choix du site donneur osseux en chirurgie reconstructrice pré-implantaire du maxillaire. Ce choix est basé sur l'examen clinique de la perte de substance squelettique, les constatations peropératoires et l'examen scanner pré- et postopératoire systématique. L'utilisation des logiciels d'exploitation des acquisitions scannographiques, permettant le contrôle quantitatif et qualitatif de la greffe ainsi que la simulation, sont appelées à jouer un rôle prépondérant.

Bien qu'il s'agisse d'une technique relativement nouvelle, la reconstruction du capital osseux par autogreffe osseuse afin de permettre la mise en place des implants endo-osseux est désormais une démarche chirurgicale établie. L'ostéointégration des implants au sein du greffon a été clairement démontrée [1, 2]. L'os autogène, vivant déjà ossifié, est le matériau le plus fiable en chirurgie reconstructrice préimplantaire. « L'ostéointégration se définissant comme le contact direct entre l'implant et l'os vivant, il est plus sûr actuellement de préparer l'ostéointégration des implants avec un os vivant déjà ossifié (qui n'aura besoin que d'être revascularisé) plutôt qu'avec un biomatériau dont l'ossification par revascularisation reste aléatoire ». [3]

Concernant la séquence implantaire, nous préférons la mise en place différée des implants au sixième mois, car elle permet d'intervenir dans un climat serein sur un os stable et de réunir les conditions idéales pour la mise en place des fixtures, répondant ainsi aux impératifs esthétiques et fonctionnels de la prothèse.

Dès lors, seul le choix du site donneur (pariétal, iliaque ou mentonnier) est pour nous le point qui prête réellement à discussion. Les autres sites (péroné notamment) permettant la levée de lambeaux micro-anasthomosés et composites (osseux, musculaires et cutanés), utilisés pour la réhabilitation orale des patients victimes des séquelles des traumatismes balistiques ou des résections pour cancer n'entrent pas dans le cadre de cette série. Rendre compte de notre expérience et vérifier la validité des critères que nous avons choisi concernant le choix du site donneur en chirurgie préimplantaire conventionnelle sont les objectifs de ce travail.

Matériel et méthode

Quarante-deux patients, présentant un manque de volume osseux du maxillaire, ont été traités. 15 greffons mentonniers, 10 greffons pariétaux et 18 greffons iliaques ont été prélevés. Parce qu'une lyse osseuse étendue, contre-indiquant la mise en place des implants, a été constatée dans un cas de greffe iliaque, une patiente a subi deux greffes iliaques successives à six mois d'intervalle.

33 appositions vestibulaires ont été réalisées. Parmi elles :

- 21 appositions vestibulaires isolées (dont 15 limitées et 6 étendues). Dans les 15 cas d'appositions vestibulaires limitées (inférieures à quatre dents), nous avons utilisé l'os mentonnier. Dans les 6 cas d'appositions étendues (supérieures à quatre dents), nous avons utilisé soit l'os pariétal (4 cas) soit l'os iliaque (2 cas). Nous préférons les appositions vestibulaires aux interpositions verticales (rendues possibles par une ostéotomie dans le sens de la crête) parce que, dans notre expérience, les résultats concernant le gain osseux sont satisfaisants, leur exécution est rapide et leur morbidité nulle ;

- 12 appositions vestibulaires latérales combinées à des greffes sinusiennes iliaques.

Vingt-et-un patients ont subi une augmentation de hauteur du capital osseux des régions postéro-latérales (sinus). Nous avons recours à deux techniques opératoires :

- les appositions endo-sinusiennes sous-muqueuses (10 patients) : le rétablissement du capital osseux est obtenu grâce au montage solide par ostéosynthèse d'un greffon iliaque dans sa forme massive (bloc mono- ou bicortical), taillé sur mesure à l'anatomie du sinus [4] (fig. 1 et 2) ;

- les comblements sinusiens (11 patients) : le bas-fond sinusien est comblé par un broyat cortico-spongieux d'origine pariétale ou iliaque disposé sous la muqueuse antrale. Lorsque l'os iliaque est utilisé, nous privilégions l'os cortical dans ce broyat afin d'augmenter la densité de la greffe. Une lame osseuse horizontale stabilisée grâce à deux encoches antérieure (dans le pilier canin) et postérieure (dans la tubérosité) assure la contention du montage [3] (fig. 3 et 4).

Chez 15 patients, nous avons utilisé l'os iliaque :

- 9 patients ont subi une greffe bilatérale ;

- 6 patients ont subi une greffe unilatérale.

Parmi ces 15 patients, l'os iliaque a été utilisé dix fois dans sa forme massive mono- ou bicorticale et six fois, broyé (une patiente a subi deux greffes iliaques successives à six mois d'intervalle).

Chez 6 patients, nous avons utilisé l'os pariétal broyé :

- 1 patiente a subi un comblement bilatéral ;

- 5 patients ont subi un comblement unilatéral.

Au total :

- 33 appositions vestibulaires ont été pratiquées : os mentonnier (15 cas), os pariétal (4 cas) et os iliaque (14 cas) ;

- 31 sinus ont été traités : 24 par de l'os iliaque (dans sa forme massive ou broyée), 7 par de l'os pariétal broyé ;

- 11 patients ont subi une greffe sinusienne unilatérale ;

- 10 patients ont subi une greffe sinusienne bilatérale ;

- 11 patients ont subi un comblement sinusien uni- ou bilatéral ;

- 10 patients une apposition endosinusienne uni- ou bilatérale.

Concernant le site receveur, un scanner est réalisé systématiquement en préopératoire afin de préciser les caractéristiques du déficit osseux (dimensions, forme).

Une panoramique dentaire et une téléradiographie de profil sont prescrits systématiquement avant tout prélèvement mentonnier. Selon la densité osseuse observée, un scanner est éventuellement prescrit.

Un scanner de la voûte est réalisé avant toute indication de prélèvement pariétal afin d'apprécier au mieux l'épaisseur de la voûte et de vérifier l'absence de tout danger anatomique. Il est interprété avec prudence, car seules les premières coupes parfaitement orthogonales au site de prélèvement donnent la valeur réelle de l'épaisseur de la voûte. L'obliquité croissante des coupes par rapport à la voûte engendre un agrandissement des images et une surestimation de l'épaisseur du pariétal.

Aucun examen radiographique de la hanche n'est prescrit avant un prélèvement iliaque. Un second scanner pratiqué au cours du cinquième mois permet l'étude quantitative et qualitative des greffes.

Depuis un an et demi, l'utilisation systématique du logiciel Simplant nous permet la simulation et le contrôle de la greffe ainsi que la simulation implantaire (intérêt du guide chirurgical radio-opaque).

Les implants sont placés au sixième mois sous anesthésie locale avec le guide chirurgical modifié si besoin selon les informations fournies par l'utilisation du logiciel de simulation :

- en cas d'augmentation de hauteur dans les secteurs postéro-latéraux (cavités sinusiennes), la hauteur totale moyenne obtenue (crête résiduelle plus greffon) est de 18 mm et la longueur moyenne des implants est de 15 mm. Trois implants sont placés en moyenne dans chaque secteur postéro-latéral ;

- en cas d'augmentation d'épaisseur de la crête, la largeur moyenne à l'orifice d'émergence des implants est de 6 mm, la longueur moyenne des implants est de 13 mm. Cent-vingt implants ont été placés, 118 vissés et 2 impactés. Les implants sont des implants en titane pur dans 100 % des cas. Six implants sur 120 (5 %) et cela, chez quatre patients, ont été perdus.

Chez trois patients, 5 implants n'étaient pas ostéointégrés lors de leur mise en fonction :

- une patiente, ayant subi une apposition vestibulaire d'origine iliaque, a perdu un implant vissé sur quatre ;

- une patiente, ayant subi une apposition vestibulaire d'origine iliaque, a perdu deux implants impactés sur quatre (il convient de noter que les deux autres, vissés, étaient ostéintégrés) ;

- une patiente, ayant subi une apposition vestibulaire d'origine pariétale, a perdu deux implants vissés sur huit.

Chez un patient ayant subi une apposition endosinusienne endonasale d'origine iliaque, un implant vissé sur trois a été perdu après six mois de mise en fonction.

Chez tous les patients, la prothèse est réalisée après six mois de mise en nourrice. Dans tous les cas, la prothèse est démontable reposant sur des inlaycores transvissés. Le second étage, solidarisé, est systématiquement scellé provisoirement ou claveté. Le recul maximal est de cinq ans, le recul minimal de deux mois.

L'âge minimal est 16 ans (cas d'une apposition vestibulaire avec de l'os mentonnier), l'âge maximal est 67 ans (cas d'un comblement sinusien avec de l'os pariétal).

Dès le début de cette série, plusieurs critères nous ont semblé décisifs pour orienter le choix du site donneur. Parmi eux, nous avons distingué successivement :

- le volume, la forme, la localisation exacte sur l'arcade de la perte de substance osseuse (il peut s'agir d'un manque d'épaisseur de crête alvéolaire ou d'un manque de hauteur de la crête) ;

- le volume disponible sur le site donneur pressenti ;

- la résistance aux phénomènes de la résorption et la qualité de l'ancrage offert aux implants (quel type d'os faut-il utiliser [cortical ou spongieux] et quel site faut-il privilégier ?) ;

- la morbidité sur le site donneur ;

- les données propres au patient (âge, terrain).

Résultats et discussion

Volume, forme, localisation de la perte de substance osseuse maxillaire et volume osseux disponible sur le site donneur

Appositions vestibulaires limitées inférieures à quatre dents (15 patients)

Chez ces 15 patients, nous avons toujours pu assurer, grâce au prélèvement mentonnier, une épaisseur de crête satisfaisante (largeur totale de la crête supérieure ou égale à 5 mm) (fig. 5, 6 et 7). Néanmoins il nous a paru préférable de pratiquer l'ostectomie au disque ou à la scie plutôt qu'à la fraise boule du fait de la perte osseuse importante engendrée par la partie travaillante de cet instrument. Dans un cas sur quinze où la symphyse était très dense, le prélèvement s'est révélé particulièrement laborieux. La répétition et la difficulté des manœuvres d'ostectomies (notamment en ce qui concerne la face profonde cachée du greffon) ont causé une récolte décevante nécessitant un montage économe du greffon. La constitution de la symphyse (épaisseur des corticales, importance et densité du réseau des travées architecturales au sein du spongieux) est étudiée avec soin sur le panoramique dentaire, la téléradiographie de profil, voire le scanner [5].

Appositions vestibulaires étendues supérieures à quatre dents (6 patients)

• Dans quatre cas sur six, l'os pariétal (étudié au scanner) d'une épaisseur suffisante et de constitution normale (la diploé, bien individualisée, assure un clivage de la table externe atraumatique sans fracture) pour un prélèvement sans risque nous a permis d'obtenir une largeur de crête satisfaisante (supérieure ou égale à 5 mm). Parfois, sa courbure naturelle a facilité la bonne coaptation entre le greffon et le site receveur. Ailleurs, il a été possible, en fragmentant le greffon pariétal et en le positionnant selon sa face concave (endocranienne) ou convexe (exocranienne), d'épouser les différentes courbures du maxillaire : convexité antérieure (pour le segment de l'arcade compris entre les prémolaires) ou concavité des régions latérales (en regard du pied des malaires) (fig. 8).

• Dans 2 cas sur 6, où le scanner crânien nous a montré une voûte trop fine ou l'absence de diploé contre-indiquant le prélèvement pariétal, l'os iliaque dans sa composante corticale a permis d'obtenir en peropératoire une épaisseur de crête satisfaisante.

Augmentations de hauteur des secteurs postéro-latéraux (sinus) (21 patients)

• Lorsque l'épaisseur de la voûte a autorisé un prélèvement sans risque, le site pariétal unilatéral nous a toujours permis d'assurer les comblements sinusiens unilatéraux (cinq cas) et le comblement bilatéral des sinus de petit volume (un cas).

• Chez six patients nécessitant une greffe sinusienne unilatérale, mais où l'épaisseur de la voûte était insuffisante, le prélèvement iliaque nous a permis d'augmenter la hauteur osseuse de la manière souhaitée.

• Chez neuf patients nécessitant une greffe sinusienne bilatérale de grand volume, seuls des prélèvements pariétaux bilatéraux auraient permis le comblement des deux vastes cavités sinusiennes. En pratique, pour raccourcir la durée globale de l'intervention et pour diminuer la morbidité lors des manœuvres du double prélèvement pariétal, nous avons privilégié le prélèvement iliaque.

Au total :

- devant une apposition vestibulaire limitée à quatre dents maximum, l'os mentonnier est toujours suffisant pour obtenir une épaisseur de crête satisfaisante. Cependant, les manœuvres d'ostectomie comme celles de la taille du greffon prélevé doivent être économes ;

- à condition que l'anatomie de la voûte autorise un prélèvement pariétal sans risque, le site pariétal permet la réalisation des appositions vestibulaires étendues, des comblements sinusiens unilatéraux et des comblements sinusiens bilatéraux de petit volume. En revanche, lorsque l'épaisseur de la voûte et sa constitution nous ont semblé insuffisantes pour pratiquer un prélèvement sans risque, nous avons préféré utiliser le site iliaque. Cette attitude devrait certainement diminuer en connaissant l'anatomie et la valeur réelle de l'épaisseur de la voûte en pré-opératoire ;

- le site iliaque permet la reconstruction de tous les types d'atrophie osseuse du maxillaire rencontrés. Son volume disponible est classiquement inépuisable. Cependant, l'épaisseur de l'aile iliaque diminuant très rapidement sous la crête, un prélèvement sur une vaste surface est nécessaire en cas de gros besoins.

Résistance aux phénomènes de la résorption

Elle a été appréciée (aspect qualitatif et aspect quantitatif) pour l'ensemble des patients au sixième mois lors de la mise en place des implants.

Contrôle clinique

Seules peuvent être étudiées les appositions vestibulaires visibles, les greffes endosinusiennes échappant au contrôle de la vue. Nous avons tenté d'apprécier les caractéristiques géométriques des appositions (longueur, largeur) en les comparant avec celles notées lors du montage. Concernant l'épaisseur du greffon, le contact ou non entre les têtes des vis d'ostéosynthèse et la face vestibulaire du greffon nous a semblé un bon témoin pour juger d'une éventuelle résorption. L'utilisation systématique de la photographie macroscopique intrabuccale peropératoire, confrontée aux résultats du scanner, nous a permis de conserver une iconographie de référence visant à diminuer au maximum le caractère subjectif de l'appréciation visuelle.

Contrôle scanner

Il permet d'étudier tous les types de greffes visibles (appositions vestibulaires) ou invisibles (greffes endosinusiennes). Pour chaque type de greffes, nous avons successivement étudié : les contours (réguliers ou non), le contact entre la greffe et le site receveur, les contacts entre la greffe et le matériel d'ostéosynthèse (qu'il s'agisse des vis d'ostéosynthèse ou des fils d'acier) et la densité.

L'étude chiffrée, réellement objective, des situations cliniques peropératoires et lors du sixième mois, comparée aux données du scanner, est difficile en pratique.

Plusieurs facteurs sont la cause d'imprécisions :

- les arêtes du greffon d'apposition facilement repérables lors du montage sont émoussées et en partie effacées au sixième mois par les phénomènes de remodelage ;

- il est impossible de comparer la situation clinique peropératoire d'une greffe endosinusienne et son scanner de contrôle ;

- l'absence, jusqu'il y a peu de temps encore, d'un logiciel disponible sur le marché capable de mesurer de manière interactive toutes les données géométriques et de densité de la greffe.

Appositions vestibulaires

L'os mentonnier (15 cas)

La symphyse est constituée principalement d'os cortical très dur (sa densité est comprise entre 800 et 1 600 unités Hounsfield) et d'os spongieux en faible quantité, lui aussi très dense, difficile à prélever et peu malléable du fait des nombreuses travées architecturales qui le traversent.

Parmi ces quinze cas, aucun cas de résorption des greffons n'a été constaté. Les têtes de vis sont au contact du greffon témoignant d'une stabilité de l'épaisseur au milieu de la greffe (zone susceptible de contenir les implants). En revanche, les phénomènes de remodelage sont évidents comme en témoigne la disparition des arêtes et des angles vifs, l'intégration générale du greffon (initialement plat et en léger surcontour) avec les contours généraux de l'arcade (convexité générale) (fig. 9 et 10). Bien plus dans 2 cas sur 15, un meulage secondaire à un an a été nécessaire pour diminuer une voussure légèrement palpable, placée sous l'aile du nez et jugée gênante par les patients.

L'os pariétal (4 cas)

L'os pariétal est constitué majoritairement d'os cortical extrêmement dur. Sa densité osseuse est très élevée, se situant aux alentours de 1 500- 1 600 unités Hounsfield pour la corticale externe contre 700, voire 900 pour la diploé. Le spongieux intermédiaire (au sein de la diploé), lui aussi très dense, est largement minoritaire, souvent même absent. Son origine embryologique est membraneuse, commune à celle du maxillaire. Concernant la résistance aux phénomènes de la résorption, toutes les remarques faites à propos de l'os mentonnier sont identiques (fig. 11, 12 et 13).

L'os iliaque (14 cas)

Le volume de l'os disponible (cortical ou spongieux) est important et en général compatible avec tous les types envisagés de reconstructions. Abondamment corticalisé dans sa portion juxtacrestale, la densité diminue rapidement vers la profondeur au profit de l'os spongieux. Celui ci est de faible densité, malléable et facilement modelable.

Dès le sixième mois, la résorption est constante et retrouvée dans 100 % des cas. Elle est importante, nous l'estimons entre 30 et 60 % du volume initial et inversement proportionnelle à la densité. Les appositions corticales pures résistent mieux que les appositions cortico-spongieuses. La résorption touche l'ensemble du greffon de manière diffuse et centripète sur son aire (fig. 14, 15 et 16). Cette résorption est maximale au voisinage de la crête, près de la future émergence cervicale des implants.

L'avivement de la corticale, classiquement indiqué pour favoriser les échanges avec le périoste et favoriser la revascularisation du greffon, semble être un facteur aggravant de la résorption.

Comblements sinusiens

L'os pariétal (6 cas)

Aucune lyse osseuse ou résorption n'a été constatée.

L'os iliaque (15 cas)

Des phénomènes de nécrose précoce du greffon ont été constatés aux environs du 45e jour dans trois cas sur quinze. Le tableau clinique est celui d'une cellulite aiguë de la face : unilatérale dans sa forme typique, réalisant une tuméfaction de la joue, douloureuse, rapidement progressive avec asthénie et fièvre cédant rapidement après drainage chirurgical sous anesthésie locale, assèchement des cavités par des lavages répétés et antibiothérapie (fig. 17 et 18). Chez deux autres patients sur quinze, la nécrose est silencieuse du fait de l'existence d'une fistule spontanée dans le vestibule favorisant l'évacuation des séquestres à bas bruit. Le diagnostic est tardif lors du bilan scanner du sixième mois.

Dans dix cas sur quinze, aucun phénomène de nécrose ou de lyse osseuse n'a été retrouvé sur le scanner au sixième mois qu'il s'agisse de comblement par de l'os iliaque broyé ou qu'il s'agisse d'apposition endosinusienne avec de l'os iliaque, utilisé dans sa forme massive mono- ou bicorticale (fig. 19, 20, 21 et 22).

Ancrage (ou densité) offert aux implants

Les données concernant la densité fournies par le scanner sont les plus fiables. Néanmoins, certains problèmes subsistent. Sur les supports conventionnels (films argentiques) et, malgré une acquisition extrêmement fiable des données (les images sont une reconstruction mathématique des structures traversées par un faisceau de rayons X), l'interprétation de la densité osseuse par le clinicien est appréciée par la lecture d'une gamme de gris, méthode approximative quant à la lecture. Pour objectiver la densité osseuse, nous utilisons désormais le logiciel Simplant . Il nous permet de vérifier de manière automatique et interactive la densité osseuse dans tous les points possibles de la greffe et de simuler la mise en place des implants. Cliniquement, l'ancrage peut être apprécié (très subjectivement) grâce aux forces développées par l'opérateur pour réaliser le forage des sites implantaires et pour pratiquer si besoin le taraudage des fûts. Actuellement, aucune méthode objective ne peut être proposée puisqu'il n'existe pas de moteurs dont le couple est contrôlé et enregistré lors des manœuvres de forage. En revanche, à propos des manœuvres de taraudage, le couple est indiqué dans la majorité des moteurs proposés aux implantologistes. Encore faut-il que l'étude soit effectuée par le même opérateur utilisant un seul type d'instrumentation (moteur, forets, tarauds).

La densité osseuse de tous les patients présentés dans cette série n'ayant pu être étudiée systématiquement avec le logiciel Simplant et les conditions chirurgicales de mise en place des implants n'étant pas reproductibles, nous ne donnons notre expérience qu'à titre indicatif.

L'échelle des densités mesurées par scanner, exprimées en unités Hounsfield (UH), s'étend de - 100 UH pour l'air à 3 000 pour le calcium pur, en passant par la densité de l'eau (0 UH), celle de l'os spongieux (- 100 à 600 UH) ou celle de l'os cortical (600 à 2 000 UH).

Appositions vestibulaires et os mentonnier (15 cas)

La densité osseuse de la crête reconstituée, appréciée sur les films scanners conventionnels, est de type cortical dans tous les cas de cette série (15 cas). Lors des manœuvres de forage, la greffe mentonnière est plus dense que l'os maxillaire, ayant tendance à renvoyer le foret vers la portion maxillaire de la crête reconstituée (fig. 23). Après quelques tentatives infructueuses de mise en place des implants sans taraudage préalable (qu'il s'agisse d'implants auto-taraudants ou non), les fûts implantaires ont toujours été taraudés dans nos appositions mentonnières entre 35 et 45 newtons.

Appositions vestibulaires et os pariétal (4 cas)

Toutes les remarques concernant l'os mentonnier restent valables. Les données cliniques recueillies lors de la mise en place des implants, de l'observation de la densité sur les films scanner conventionnels ainsi que l'étude de la densité avec le logiciel Simplant confirment un os encore plus corticalisé dont la densité est très élevée (1 500 - 1 600 unités Hounsfield) (fig. 24 et 25).

Lors des manœuvres de taraudage, indispensable du fait de la dureté de la nouvelle crête, le couple nécessaire à la mise en place des implants se situe à 45 newtons.

Appositions vestibulaires et os iliaque (14 cas)

L'analyse porte sur 2 cas d'apposition isolée et 12 cas d'apposition associée à une greffe sinusienne. La médiocrité de l'ancrage offert aux implants (densité) est évidente tant au niveau radiographique qu'au niveau clinique. Peropératoirement, l'os est tendre sous l'instrument (rugine ou curette), le forage est facile et le taraudage inutile. Parmi les deux cas d'apposition isolée, une patiente a perdu deux implants sur quatre qui n'étaient pas ostéointégrés au moment de la mise en fonction. Ces deux résultats décevants nous ont fait abandonner l'os iliaque en apposition vestibulaire antérieure de première intention.

Pour les 12 cas d'apposition associée à une greffe sinusienne, les mêmes phénomènes ont été observés. Un patient sur 12 a perdu un implant postérieur sur trois après six mois de mise en fonction.

Greffes sinusiennes avec de l'os iliaque (15 cas)

En dehors des cas ayant présenté une nécrose précoce (5 cas sur 15) et ayant fait reporter la mise en place des implants, l'ancrage, offert aux implants lors de leur mise en place, a été jugé satisfaisant. Lorsque l'os iliaque est utilisé en bloc mono- ou bicortical (10 patients), les différentes résistances au forage (correspondant aux densités successives de la crête maxillaire et du greffon mono- ou bicortical franchies par le foret) sont aisément ressenties par l'opérateur. Le taraudage des fûts peut être nécessaire selon l'épaisseur de la ou des lames corticales à franchir par les implants. Sur les films scanners conventionnels les différentes densités du squelette reconstitué sont bien visibles (fig. 20).

Lorsque l'os iliaque est utilisé broyé (5 patients), la résistance aux manœuvres de forage et la densité du broyat observée (supérieure à celle de la crête résiduelle et finement hétérogène témoignant du caractère broyé de la greffe) augmentent en fonction du taux d'os cortical (fig. 22, 26 et 27). Dans ce type de reconstruction, nous n'avons pas réalisé le taraudage des fûts. Grâce au logiciel Simplant, il a été possible d'apprécier la densité comprise entre 600 à 800 unités Hounsfield.

Greffes sinusiennes et os pariétal broyé (6 cas)

La résistance aux forces de forage est significative et le taraudage souvent nécessaire. Sur les examens scanners conventionnels, la densité osseuse du squelette reconstitué se rapproche de celle d'un os cortical. Lorsque cela a été possible, nous avons constaté une densité de 800 unités Hounsfield.

Morbidité sur le site donneur

Site mentonnier (15 prélèvements)

Aucune déformation de la symphyse mentonnière (ligne du profil) n'a été remarquée (la symphyse médiane est toujours laissée en place lors du prélèvement).

Plusieurs incidents ont cependant été observés :

- chez tous les patients : un œdème modéré mais constant, résolutif au bout de cinq à dix jours ;

- deux patients ont présenté un hématome cervical inesthétique durant six jours ;

- deux patients ont signalé une « lourdeur du menton » régressive au bout de trois mois. Une hypo-esthésie labio-mentonnière bilatérale résolutive au bout de deux mois a été constatée dans cinq cas, mais aucune anesthésie labio-mentonnière même transitoire, n'a été constatée ;

- dans un cas, nous avons constaté une déhiscence de la cicatrice muqueuse, traitée par de simples bains de bouche.

Site pariétal (10 prélèvements)

- Les suites opératoires sont simples sans douleurs ni gêne fonctionnelle. Aucune cicatrice ni dépression inesthétique n'a été signalée.

- Une patiente a mentionné des dyesthésies, déclenchées par le froid, au voisinage de la cicatrice durant une période de trois mois.

- Nous n'avons pas observé d'hématome du cuir chevelu, mais un redon non aspiratif est systématiquement mis en place.

Les complications neurologiques sont théoriquement toujours possibles, mais sont rarement signalées dans la littérature [6- 8].

Dans une étude récente, Hémar, Herman et al. signalent sur 71 prélèvements pariétaux : neuf expositions de la dure-mère, trois hémorragies peropératoires (granulations de Pacchioni), deux hématomes du cuir chevelu et une perte de connaissance inexpliquée avec un scanner cérébral normal à la 48e heure.

Kline et Wolfe, utilisant l'os pariétal en chirurgie plastique et reconstructrice crânio-maxillo-faciale, n'ont constaté aucune complication neurologique sur une série de 586 prélèvements.

Site iliaque (18 prélèvements)

- Aucune déformation ou cicatrice inesthétique n'est à déplorer au niveau de la crête iliaque. Les structures anatomiques sont reconstituées, avec soin, plan par plan (toit osseux, périoste et insertions musculaires, muscles, tissus graisseux, tissus sous-cutanés, peau). Un fin surjet au prolène 4.0 assure un résultat esthétique satisfaisant pour les patients.

- Les douleurs (principal reproche fait au prélèvement iliaque) sont absentes ou modérées dans 40 % des cas. Nous constatons qu'il s'agit, le plus souvent, de sujets à la corpulence fine et à la musculature abdominale peu développée. Malgré un abord de la crête respectueux des structures anatomiques et une désinsertion musculaire minimale (limitée au seul versant abdominal de la crête, laissant intactes les insertions musculaires de la cuisse), des douleurs d'intensité moyenne pendant un mois sont signalées dans 40 % des cas. Chez 20 % des patients restant, les douleurs sont vives, créant une impotence fonctionnelle réelle, nécessitant l'usage de cannes. Nous constatons une corpulence forte ou moyenne et/ou une musculature abdominale développée dans ces deux dernières populations. Afin de supprimer les douleurs durant la période d'hospitalisation, un fin cathéter extramusculaire est placé lors du prélèvement. Ce cathéter permet de délivrer à la demande du patient et, sous contrôle médical, des antalgiques retards in situ [9- 11].

- Dans un cas sur dix-huit, nous avons noté une anesthésie totale lentement régressive au bout de 12 mois sur le territoire du nerf fémoro-cutané.

- Dans trois cas sur dix-huit, nous avons constaté un hématome patent cliniquement. Dans deux cas sans voussure apparente, l'hématome s'est drainé spontanément à la quarante-huitième heure par l'orifice de sortie du redon. Dans deux cas, l'hématome s'est manifesté à la fin de la première semaine par l'apparition de sciatalgies rapidement progressives, rebelles aux thérapeutiques usuelles avec ou sans voussure en regard de la zone cicatricielle (un cas). La ponction directe a permis l'évacuation de l'hématome et supprimé son cortège douloureux. Dans ces deux cas, un prélèvement bicortical avait été réalisé.

- Dans un cas sur dix-huit, nous avons constaté un iléus réflexe d'une durée de dix jours.

Le patient

Âge

Chez l'enfant et chez l'adolescent en phase de croissance, les prélèvements mentonnier et iliaque sont contre-indiqués. Parce que 100 % de la croissance de la voûte (qui suit celle de l'encéphale) est terminée vers 7-8 ans, il est possible de pratiquer dès cet âge un prélèvement pariétal. Pour notre part, nous préférons reporter les interventions chez nos jeunes patients et attendre la fin de la croissance.

Terrain

Les variations anatomiques du squelette ou diverses pathologies locales, régionales ou générales recherchées systématiquement lors du bilan initial sont susceptibles de modifier le choix du site donneur. Ces pathologies peuvent être la cause d'une morbidité accrue sur le site de prélèvement ou sur l'état général. Citons pour mémoire :

- à propos des prélèvements mentonniers : un foyer septique dentaire ou paradentaire, une lésion kystique ou vasculaire ;

- à propos des prélèvements iliaques : une hernie inguinale connue ou méconnue, une ostéoporose importante et son cortège fracturaire ;

- à propos des prélèvements crâniens : un terrain convulsif ou migraineux, des antécédents d'hématomes intracrâniens.

La chirurgie pré-implantaire étant considérée comme une « chirurgie de confort », ces précautions sont d'une grande actualité…

Psychisme

Les motivations du patient (réalistes ou irréalistes), ses réactions suscitées par une information exhaustive fournies par l'opérateur sur les éventuels incidents ou complications, liées à la chirurgie, sont étudiées avec soins. Concernant le site pariétal, la « nouveauté » et l'« originalité » relative de cette localisation peuvent mener le patient ou son entourage à réclamer un autre site donneur. Ces désirs du patient, pourtant bien légitimes, ne constituent pas pour nous un critère de choix.

Conclusion

En l'absence d'étude multicentrique et de statistiques significatives, les conclusions, présentées ici, sont personnelles et auto-évaluées. Les critères, que nous avons retenus, nous semblent indispensables pour choisir le site donneur osseux le plus adapté au problème posé et assurer la reconstruction du volume squelettique la plus fiable. Concernant la résistance aux phénomènes de la résorption et la qualité de l'ancrage offert aux implants, des études scanners étendues sur plusieurs années (les implants mis en fonction) et confrontées aux études histologiques (difficiles à réaliser une fois la réhabilitation terminée), sont indispensables.

L'utilisation de logiciel d'exploitation des données scanners (Simplant) , permettant la simulation de la greffe, le contrôle qualitatif et quantitatif de la reconstruction (de manière précise, automatique et interactive) et la simulation implantaire, nous semble une avancée décisive.

L'os mentonnier est indiqué dans les appositions vestibulaires limitées. Nous n'avons pas observé de résorption, mais des phénomènes de remodelage. La morbidité sur le site donneur est faible. L'os pariétal est indiqué dans les appositions vestibulaires étendues, dans les comblements sinusiens unilatéraux ou bilatéraux de petit volume. Nous n'avons pas retrouvé de résorption. La morbidité sur le site donneur est pratiquement nulle. Quelquefois, cependant, du fait de la faible épaisseur de la voûte, le volume disponible est insuffisant, nécessitant un prélèvement bilatéral ou un prélèvement iliaque. L'os iliaque est indiqué dans les comblements sinusiens bilatéraux ou dans les défauts osseux majeurs. Il est contre-indiqué dans les augmentations d'épaisseur de la crête par apposition vestibulaire. La résorption y est constante, variant entre 30 et 60 % du volume initial. Elle y est fréquente et d'importance variable dans les greffes sinusiennes (33 % des cas) imposant la plus grande prudence et la mise en place différée des implants.

(1) Simplant. Codimage. Chemin Poilroux, 13100 Aix-en-Provence. Tél. : 04 42 21 30 79. Fax : 04 42 21 24 70. codimage@aol.com

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