La réhabilitation orale à l'aide d'implants chez le patient à risque - Implant n° 1 du 01/02/1999
 

Implant n° 1 du 01/02/1999

 

Ve journée internationale du cercle franco-libanais d'implantologie et de parodontologie

Implant a suivi

May Feghali *   Fadi Abillamaa **   Fadi Daher ***  


* C.E.S. Parodontie-Prothèse
D.U.E.C.S.P. Parodontie-Implantologie

** Chirurgien-dentiste
*** Chirurgien-dentiste

Le cercle franco-libanais d'implantologie et de parodontologie conviait cette année le Pr Daniel van Steenberghe de l'Université de Leuven en Belgique pour animer cette journée consacrée à la réhabilitation orale à l'aide d'implants chez le patient à risque. Les sujets traités étaient essentiellement axés sur la détermination des facteurs de risque associés à la chirurgie implantaire orale, l'identification des patients à risque et la manière dont le risque est évalué dans la réhabilitation à l'aide d'implants.

Les facteurs de risque associés à la chirurgie implantaire orale

L'acte chirurgical

La notion de risque est évoquée très tôt au niveau de l'acte chirurgical lui-même. Si le patient a un problème systémique au niveau de la coagulation, s'il est hémophile ou autre, l'alternative du traitement prothétique classique doit être évoquée et un temps de réflexion s'impose avant de proposer au patient un traitement chirurgical implantaire.

La qualité osseuse

La qualité osseuse représente un facteur essentiel dans le succès de l'ostéointégration. La qualité d'un tissu osseux est évaluée en fonction de sa teneur en calcium. Le calcium fixé dans l'os contribue à sa rigidité biomécanique. A titre de rappel, 250 mg de calcium sont libérés par le corps humain par jour, ce qui dénote un remodelage osseux assez important. Chaque année, 10 % de l'os squelettique est remplacé. La plus grande masse calcique se situe entre 30 et 40 ans, âge à partir duquel elle commence à diminuer. Les études de Brånemark montrent une diminution du taux de succès sur les patients implantés âgés de plus de 70 ans. Il est important de signaler qu'à partir de cet âge, d'autres facteurs, systémiques ou autres, peuvent intervenir. Il a été proposé dans certaines publications que les patients portés à recevoir des implants endo-osseux doivent bénéficier d'un apport calcique ou de l'apport de certaines vitamines, en particulier la vitamine D. Ceci a été et reste couramment pratiqué sans aucun fondement scientifique.

Le déficit calcique est généralement rencontré chez les patients âgés et chez les patients irradiés. Chez ces patients, on peut administrer du Ca++ sous forme de Ca Cl2 pendant quatre mois, à raison de 1 g deux à trois fois par jour.

La prescription de calcium sera donc indiquée chez cette catégorie de patients :

- patient très âgé ;

- patient irradié ;

- patiente ménopausée sans thérapie de substitution.

Chez la patiente ménopausée qui profite d'une thérapie de substitution avec une fixation suffisante du calcium, l'apport supplémentaire de calcium est déconseillé. Dans le cas opposé, il est préférable de retarder l'intervention chirurgicale de deux à trois mois, le temps que cet apport supplémentaire de Ca fasse son effet.

Patients traités aux diphosphonates

Les diphosphonates sont des molécules qui ralentissent la libération du Ca fixé dans le tissu osseux. Elles sont prescrites chez les patients atteints d'ostéoporose. La prise de ce médicament semble favoriser l'échec implantaire. En effet, le blocage du Ca fixé entraîne un arrêt du remodelage osseux. Un cas est rapporté par Stark et Epker en 1995 [1]. Ceux-ci ont observé, après la pose de cinq implants dans la région symphysaire chez une patiente de 75 ans traitée aux diphosphonates, une perte des cinq implants, accompagnée d'une radioclarté péri-implantaire. Cette radioclarté est distincte de celle rencontrée dans les péri-implantites d'origine inflammatoire ou de celle rencontrée suite à une surcharge occlusale.

La densité osseuse

La densité osseuse est définie comme le rapport du volume osseux entre les trames de l'os trabéculaire et les espaces médullaires. Un os très alvéolé est peu dense. Le problème de la densité osseuse est surtout évoqué dans les régions maxillaires, ce qui n'est pas le cas pour la région symphysaire. Dans l'étude du Pr. Ulm et al. réalisée en 1997 [2], on remarque qu'il existe des différences de 65 % dans le volume trabéculaire osseux (minimum 7,6 %, maximum 73,6 %). Cette densité osseuse doit être idéalement évaluée avec précision afin d'améliorer le pronostic de la stabilité primaire de l'implant et ce, quelle que soit la région. La technique publiée en 1995 par Klinge et al. [3] consiste à prélever une mince carotte du site implantaire, puis à l'observer au microscope afin de déterminer en préopératoire la masse osseuse. Actuellement, on s'oriente vers des méthodes moins invasives, qui ne sont pas aussi précises mais qui s'avèrent suffisantes : la radiographie scanner.

Depuis peu, Friberg et al. [4] utilise un système assez complexe qui permet de mesurer la densité osseuse rencontrée lors de la pose d'un implant. Cette mesure permet de déterminer le délai d'intégration nécessaire avant la mise en charge de l'implant. Elle permettrait également d'adapter à chacun de nos patients un programme de mise en fonction approprié, plus ou moins traumatisant.

Le manque de volume osseux

En cas de volume osseux insuffisant, l'augmentation du volume osseux se fait par l'apport de greffons autogènes prélevés sous forme de blocs au niveau de l'os iliaque ou du menton. Dans les résultats à dix ans, on ne parle pas de taux de survie, mais d'un taux de succès de 95 % (absence de perte osseuse, implant immobile). Lorsqu'on évalue ceci dans une perspective de risque, on constate que malgré les 95 % de taux de succès, la notion de risque reste évoquée vu la lourdeur des interventions. Les techniques en sandwich qui consistent à interposer le greffon osseux lors d'une ostéotomie type Lefort I sont assez lourdes et doivent généralement être justifiées par une correction du rapport intermaxillaire inversé. Ces techniques sont d'autant plus discutées qu'elles donnent des résultats nettement inférieurs à ceux retrouvés dans les autres techniques. En comparant la technique de greffe en onlay avec la technique Lefort I par interposition, Isaksson [5] relève un même taux de succès pour les greffes inlays et onlays, ce taux étant supérieur à celui rencontré dans la technique Lefort I (tableau I).

Pour maintenir le volume osseux obtenu suite à la greffe, une stimulation intra-osseuse s'avère nécessaire. Afin d'éviter le risque de résorption, Brånemark préconise de poser les implants en même temps que la greffe prélevée à l'os iliaque. Les piliers seront posés à neuf mois de l'implantation et les surcharges mécaniques, minutieusement contrôlées. Il est important pour améliorer le pronostic de la greffe à la mandibule de pratiquer des perforations au niveau de la corticale. La qualité du résultat peut être évaluée lors de la pose des piliers. La notion de risque est également en rapport avec l'assiduité des contrôles postopératoires annuels. Dans l'équipe de van Steenberghe [6], 80 % des patients reviennent tous les ans.

Les patients à risque

Le patient irradié

Des arguments scientifiques considérables prouvent à présent que, suite à une irradiation, la vascularité décroît avec les années. Paradoxalement, la plupart des praticiens avaient tendance à attendre un grand nombre d'années avant d'implanter afin de favoriser une meilleure cicatrisation ou d'éviter des techniques chirurgicales lourdes chez un patient dont la durée de survie risquait d'être restreinte à trois ou cinq ans.

La radiothérapie ne représenterait plus de contre-indication pour la pose des implants. Toutefois, des règles d'asepsie rigoureuses doivent être respectées et tout risque d'échauffement écarté. Des études réalisées par Jisander et al. en 1997 [7] montrent un taux de survie élevé des implants chez les patients irradiés, quelles que soient la localisation ou la dose de rayonnement (tableau II).

Les patients soumis à une radiothérapie supérieure à 50 Gy étaient traités par l'oxygène hyperbare (OBH). D'autres études rétrospectives sur dix ans, réalisées par Keller et al. en 1997 [8] sur des implants posés dans la région symphysaire, ne montrent aucune ostéoradionécrose. Cette ostéoradionécrose serait plus remarquée dans la zone mandibulaire qu'au maxillaire, vu la vascularité plus réduite de la mandibule. L'étude du Pr. Brånemark vient réconforter ce raisonnement, dans la mesure où il note un taux de succès de 99 % (17 des 19 patients ont eu une prothèse fixe et les autres une prothèse overdenture).

Le problème semble se poser différemment chez les patients greffés. En effet en 1997, le Pr. van Steenberghe a remarqué un taux de succès de 94 % sur des patients greffés et implantés qui ont été suivis sur une période de dix ans (tableau III).

Il est important de signaler que ce même taux de succès est obtenu chez les patients non greffés. Le taux s'élève à 95 % au niveau des inlays sinusiens. Le taux de succès le moins élevé est relevé chez les patients qui ont subit une radiothérapie. Chez ces patients qui sont greffés et par la suite implantés, on note un taux de succès inférieur à 50 %. Ceci prouve que le patient irradié est un patient à risque lorsqu'il s'agit d'implant accompagné d'une greffe.

Le traitement à l'oxygène hyperbare

L'effet de l'irradiation sur le tissu osseux se résume par une réduction de la vascularité et secondairement par un remodelage ralenti du tissu osseux et un déficit calcique. L'oxygène est synonyme de vascularité : l'apport d'OHB induit sur l'os et les tissus mous une prolifération des capillaires et des fibroblastes, une synthèse du collagène et une angiogénèse des capillaires. Un taux minimal d'oxygénation est nécessaire pour assurer une bonne ostéointégration.

Le protocole d'administration de l'oxygène hyperbare proposé par Granström et Tjellstrom en 1992 [9] représente une nouvelle approche dans le traitement des patients irradiés : 20 séances de traitement à l'OHB (2-2,4 atmosphères) en préopératoire et dix séances le plus tôt possible après l'intervention. Des études in vitro ont montré l'effet bénéfique sur l'ostéointégration de l'apport d'oxygène hyperbare. Le recours à cette technique n'est cependant pas justifié dans le cas d'un os normal qui n'a pas été irradié.

Les maladies systémiques

La sclérodermie

L'équipe du Pr. Van Steenberghe a traité deux patients atteints de sclérodermie sans que cela ne pose de problème au niveau de l'ostéointégration. Ce syndrome ne semble pas constituer une contre-indication pour la pose des implants oraux.

La maladie de Sjögren

La maladie de Sjögren ne semble pas avoir d'incidence sur le comportement du tissu osseux. La même équipe a traité une patiente qui en était atteinte. Les troubles salivaires qui en découlent semblent cependant affecter la cicatrisation des tissus mous, surtout au niveau du recouvrement des implants.

Comment évaluer le risque ?

Lors de la mise en fonction

Un nombre augmenté d'implants n'améliore pas le pronostic de la réhabilitation prothétique implanto-portée. Ce pronostic dépendrait plutôt de la qualité de l'ostéointégration. Un délai d'ostéointégration bien respecté pourrait donc représenter un facteur essentiel dans le succès à long terme des implants. Brånemark souligne que le remodelage osseux prend normalement 18 mois avant d'atteindre son équilibre. Notre mise en charge qui démarre avec la mise en place des piliers, se fait à quatre ou six mois de l'implantation. Dans ces conditions, nous considérons être loin d'un remodelage osseux parfait. La meilleure qualité de l'ostéointégration, obtenue au bout des 18 mois, permettra de surcharger la reconstruction prothétique antérieure des deux portes-à-faux droit et gauche. Une étude menée avec le Pr. Brånemark sur 80 patients dont 40 édentés complets, traités par un bridge sur quatre ou six implants de même diamètre montre un taux de succès équivalent pour les reconstructions portées sur quatre ou six implants.

Comment vérifier si l'interface est suffisamment préparée à supporter les forces masticatoires ? Le scanner ne représente pas un moyen efficace, car l'image métallique de l'implant ne permettra pas d'avoir une image nette et précise de l'interface.

En revanche, le Périotest® représente un moyen électronique fiable qui permet d'évaluer la rigidité de l'interface implant-tissu osseux. Plus la réponse est négative, plus l'interface est rigide. L'équipe de van Steenberghe a réussi à démontrer qu'une corrélation parfaite existe entre la position de l'implant et sa rigidité. Un contact bicortical assure une meilleure rigidité de l'implant et permet une mise en charge plus rapide. En l'absence de contact cortical, on a une valeur positive et quand le contact est monocortical, la valeur est légèrement négative. Si les valeurs sont négatives, le bridge est réalisé sans porte-à-faux et il est conseillé au patient d'être prudent. A six ou huit mois, on redépose le bridge et on remesure le Periotest®. Une diminution des valeurs est généralement observée. Des mesures effectuées deux ou trois ans après montrent des valeurs qui continuent à baisser. Ce test permet - d'année en année - d'évaluer la rigidité des implants dans l'os. En revanche, le test de couple de dévissage reste contesté et déconseillé.

Bibliographie

  • 1. Starck WJ, Epker BN. Failure of osseointegrated dental implants after diphosphonate therapy for osteoporosis: a case report. Int J Oral Maxillofac Implants 1995;10: 74-78.
  • 2. Ulm CW, Kneissel M, Hahn M, Solar P, Matejka M, Donath K. Characteristics of the cancellous bone of edentulous mandibles. Clin Oral Impl Res 1997;8:125-130.
  • 3. Klinge B, Johansson CB, Albrektsson T, Hallsrom H, Enghdahlt. A new method to obtain biopsies at implant sites peri-operatively: technique and bone structure. Clin Oral Impl Res 1995;6:91-95.
  • 4. Friberg B, Sennerby L, Roos J, Johansson P, Strid CG, Lekholm U. Evaluation of bone density using cutting resistance measurements and microradiography. Clin Oral Impl Res 1995;6:164-171.
  • 5. Isaksson S. Evaluation of three bone grafting techniques for severely-resorbed maxillae in conjunction with immediate endosseous implants. Int J Oral Maxillofac Implants 1994;9:679-688.
  • 6. Van Steenberghe D, Bolender C, Henry P, Higuchi K, Linden U. The applicability of osseointegrated oral implants in the rehabilitation of partial edentulism : a prospevtive multicenter study on 558 fixtures. Int J Oral Maxillofac Implants 1990;5: 272-281.
  • 7. Jisander S, Grenthe B, Alberius P. Dental implant survival in the irradiated jaw : a preliminary report. Int J Oral Maxillofac Implants 1997;12:643-648.
  • 8. Keller EE, Tolman DE, Zuck SL, Eckert SE. Mandibular endosseous implants and autogenous bone grafting in irradiated tissue: a 10-year retrospective study. Int J Oral Maxillofac Implants 1997;12:800-813.
  • 9. Granström G, Tjellström A. Titanium implants in irradiated tissue: benefits from hyperbaric oxygen. Int J Oral Maxillofac Implants 1992;7:15-25.

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