Diagnostic de la stabilité d'un implant par l'analyse de sa fréquence de résonance - Implant n° 2 du 01/05/1999
 

Implant n° 2 du 01/05/1999

 

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Lars Sennerby *   Neil Meredith **  


*DDS, PhD
Associate Professor
Dept Biomaterials/Handicap Research
Institute for Surgical Sciences
Göteborg University and Brånemark Clinic
PO Box 412
SE 405 30 Göteborg, Suède
**BDS, Msc, FDS, RCS, PhD
Professor
Dept of restorative Dentistry
Leeds Dental Institute
University of Leeds,
Leeds, Royaume-Uni

La stabilité d'un implant a été longtemps testée expérimentalement par la mesure du couple de dévissage nécessaire à sa dépose, cette technique n'ayant bien entendu aucune application clinique pour nos patients. L'analyse de la fréquence de résonance d'un implant est un test clinique permettant de mesurer sa stabilité lorsqu'il est soumis à des forces de flexion. L'application clinique de cet outil diagnostique ouvre des horizons importants dans les traitements implantaires.

Mesure de la stabilité

La stabilité d'un implant est la manifestation clinique de son ostéointégration ; a contrario, sa mobilité est un signe absolu d'échec. Même si l'on peut cliniquement diagnostiquer la mobilité de l'implant, ce n'est que très récemment que l'on est parvenu à distinguer des différences de stabilité. Comme des implants peu stables ou en voie de perdre leur stabilité présentent de gros risques d'échec, il est probable que le fait de diagnostiquer la stabilité d'un implant ouvre la voie à de nouvelles options thérapeutiques comme prévoir la durée de cicatrisation propre à chaque site implantaire ou anticiper et éviter l'échec de l'implant.

Stabilité de l'implant

Obtenir et maintenir la stabilité des implants sont les conditions préalables au succès clinique et fonctionnel dans la durée d'une prothèse implantoportée [1-3]. Il ressort clairement de la littérature spécialisée que les facteurs liés aux propriétés biomécaniques de l'os se répercutent sur le résultat clinique [4-7]. La stabilité primaire de l'implant obtenue au moment de la pose dépend de la densité et de la qualité de l'os, de la technique chirurgicale employée et de la configuration de l'implant. La densité de l'os et son anatomie varient selon les sites implantaires et les régions des maxillaires. Dans une étude sur le cadavre, Friberg et al. [8] montrent que la mandibule comprend 2 à 3 fois plus d'os cortical que le maxillaire. Par ailleurs, le couple nécessaire à la mise en place d'implants est environ 2 fois plus important à la mandibule qu'au maxillaire. Les auteurs en concluent que la qualité de l'os est déterminée par la quantité d'os cortical compact du site implantaire. La stabilité secondaire de l'implant dépend de la stabilité primaire et de la réaction de l'os, c'est-à-dire formation ou résorption à l'interface os-implant. Des implants placés dans un os cortical dense connaîtront une stabilité primaire élevée qui dans ces cas autorise un délai de cicatrisation bref, voire nul, pour atteindre une stabilité secondaire suffisante ; lorsque l'os est plus mou, il y a lieu de prévoir des périodes de cicatrisation plus longues. Ceci donne la possibilité d'individualiser la durée de cicatrisation, rendant ainsi le traitement implantaire plus court, plus efficace et plus sûr. Cependant, il faut que le praticien soit en mesure de diagnostiquer et d'évaluer la stabilité de l'implant. Actuellement, on ne connaît pas le temps nécessaire à l'obtention d'une stabilité suffisante, propre à assurer sur le long terme le succès fonctionnel d'implants insérés dans un os de qualité médiocre. Il existe une autre inconnue : l'influence de l'acte chirurgical sur la stabilité de l'implant ; il se peut que celle-ci diminue si une réaction de résorption se manifeste après la chirurgie. En pareil cas, une mise en charge prématurée de l'implant peut conduire à l'échec et à un résultat clinique désastreux. Par conséquent, une technique permettant de suivre l'évolution de la stabilité de l'implant serait très appréciée du praticien en l'aidant à individualiser la période de cicatrisation et à optimiser les chances de succès.

Analyse de la fréquence de résonance

Une nouvelle technique d'évaluation clinique de la stabilité d'un implant et de son ostéointégration, l'analyse de la fréquence de résonance (AFR), a été présentée par Meredith et al. [9]. La méthode consiste à relier à l'aide d'une vis, un transducteur en forme de L soit directement à l'implant, soit au pilier transmuqueux (fig. 1). Deux éléments de céramique piézo-électrique sont fixés à la barre verticale du L (fig. 2). L'équipement d'analyse comprend un ordinateur, un analyseur de fréquence et un logiciel dédié. On excite l'un des éléments piézo-céramiques suivant une série de fréquences, plus précisément de 5 à 15 kHz. L'autre élément sert à analyser la réponse du transducteur à la vibration. La première fréquence de résonance de flexion est représentée par un pic sur la courbe de l'amplitude (ordonnée) par rapport à la fréquence (abscisse) (fig. 3). La fréquence de résonance dépend de la rigidité de l'interface os-implant et de la distance du transducteur au premier point de rencontre entre l'os et l'implant [10]. Il y a une relation linéaire entre la hauteur du pilier et la fréquence de résonance, ce qui signifie que l'on peut prendre en compte cette relation si l'on utilise des piliers de hauteurs différentes [10].

La technique est très sensible dans la détection des changements de rigidité de l'interface os-implant comme le montre cette simple expérience in vitro [10]. Un implant est placé dans de la résine photopolymérisable et l'on augmente continûment la fréquence de résonance (FR) pendant le durcissement de la résine (fig. 4). Une expérimentation récente sur l'animal montre une augmentation de la fréquence de résonance - et partant, de la stabilité de l'implant - avec le temps ; ceci reflète la formation d'os, son remodelage et sa maturation à l'interface os-implant [11] (fig. 5). Il est intéressant de noter que les implants à surface rugueuse ne sont pas plus stables que ceux à surface lisse [12] (fig. 6a). Cela contredit les résultats obtenus lors de tests de dépose par application d'un couple ; en effet, les implants rugueux résistent davantage au couple de dévissage que les implants lisses (fig. 6b). Mais l'analyse de la fréquence de résonance est vraisemblablement un test cliniquement plus pertinent car il mesure la stabilité de l'implant quand celui-ci est soumis à une force de flexion.

Mesure clinique de la stabilité d'un implant

On a utilisé l'analyse de la fréquence de résonance pour diagnostiquer la stabilité d'implants extra [13] et intra-oraux [14-16] dans différentes situations, et le recours à cette méthode s'est révélé cliniquement praticable sans un quelconque désagrément pour le patient. La mise en place et la dépose du transducteur prennent normalement une vingtaine de secondes et la mesure proprement dite, une fraction de seconde. L'observateur est frappé par la relation qu'il constate entre densité de l'os et stabilité de l'implant. Des implants posés dans l'os temporal, zone à la corticale compacte, sont plus stables que ceux insérés dans l'os périorbitaire, de nature moins dense [13] (fig. 7). Les premiers résultats montrent que les implants à la mandibule sont plus stables que ceux posés au maxillaire tant à la mise en place qu'au moment du raccordement des piliers 3 à 8 mois plus tard (fig. 8). Cela reflète les différences de rigidité de l'interface os-implant, rigidité liée à la présence de plus d'os cortical à la mandibule. Cependant, le traumatisme chirurgical que subit un os mou qui reçoit un implant peut, avec le temps, modifier la qualité et le degré de rigidité de l'os en rapport avec l'implant, comme le montre une étude récente [14]. On constate qu'il existe une corrélation entre la stabilité primaire et une modification de cette stabilité au fil du temps (fig. 9). Cela signifie que la stabilité d'implants posés dans un os mou augmentera plus que celle d'implants posés dans un os plus dense. On observe aussi que la stabilité d'implants insérés dans un os très dense avec un couple de vissage très élevé diminuera avec le temps (fig. 10). Il semble donc que tout se passe comme si les implants s'orientaient vers un degré semblable de stabilité secondaire quel qu'ait été le niveau de stabilité primaire. La raison de ce phénomène est inconnue pour l'instant mais l'on peut supposer que sous l'influence du traumatisme chirurgical et de facteurs biomécaniques, la nature s'efforce de créer une situation où l'interface est libérée de tout stress et constituée d'un os dense et homogène. Ce résultat s'obtient par formation et maturation d'os autour des implants posés dans un os mou, et par dissipation des contraintes et résorption de l'os autour des implants quand ceux-ci ont été placés dans un os très dense.

Il est intéressant de noter que la stabilité des implants mandibulaires n'augmente pas au cours de la période habituelle de cicatrisation de 3 à 4 mois, et c'est pourquoi on peut s'interroger sur l'opportunité de la technique d'implantation en deux temps en présence d'os dense (fig. 8). L'analyse de la fréquence de résonance a permis également de contrôler la stabilité d'implants posés en un seul temps à la partie antérieure de la mandibule [15]. Même si l'on note une modification de la géométrie de l'os consécutive à une légère résorption marginale, on ne constate au cours des 15 semaines de cicatrisation aucune altération de la stabilité de ces implants mandibulaires (fig. 11). Ceci confirme que l'on peut opter pour une mise en charge immédiate d'implants posés dans un os de densité élevée.

Peut-on prévoir et éviter l'échec de l'implant ?

A ce jour, l'analyse de la fréquence de résonance s'est révélée un instrument de recherche des plus efficaces et nous l'utilisons systématiquement dans nos études cliniques et expérimentales. Cependant, la question se pose de savoir si la technique peut servir d'outil diagnostique afin de prévoir l'échec de l'implant et ainsi, de l'éviter. Un certain nombre d'études multicentriques se déroulent actuellement et l'un des objectifs en est d'explorer cette possibilité. Nous pouvons aujourd'hui présenter quelques cas isolés montrant les potentialités de l'AFR dans cette perspective. Les deux premiers cas illustrent la possibilité de déceler des implants qui vont échouer.

Cas 1

Le patient a reçu 5 implants suivant la méthode en un seul temps chirurgical à la mandibule. Une déhiscence du lambeau mettant à nu l'os au niveau de l'un des implants est apparue une semaine après l'intervention. Cette déhiscence s'est cicatrisée par formation de tissu de granulation après des rinçages à la chlorhexidine. Au bout de 6 semaines, la fréquence de résonance a baissé considérablement alors que cliniquement et radiologiquement l'implant ne présentait aucun signe de mobilité. Neuf semaines plus tard, soit 15 semaines après la pose, l'implant était cliniquement mobile et a été déposé (fig. 12).

Cas 2

Le patient, d'abord traité par une greffe d'os, reçoit par la suite des implants au maxillaire. Les mesures d'AFR effectuées au moment du raccordement des piliers, 6 mois après la pose des implants, révèlent une très faible fréquence de résonance de l'un d'eux malgré son apparente stabilité clinique. Cet implant a échoué quelques semaines après, lors du traitement prothétique (fig. 13).

Dans les deux cas qui suivent, des décisions cliniques ont été prises en fonction des mesures de l'AFR, décisions qui ont probablement permis d'éviter l'échec.

Cas 3

Ce patient, bruxomane, reçoit à la mandibule, totalement édentée, 5 implants mis en place en un temps chirurgical. La cicatrisation primaire s'effectue sans incident et la prothèse adjointe est rebasée 2 semaines après la pose des implants. L'AFR effectuée 6 semaines après la chirurgie indique que la stabilité de 3 implants a diminué notablement. L'inspection de la prothèse adjointe montre clairement que la résine acrylique frotte sur ces implants. On demande au patient de ne plus porter son appareil. Et l'on observe alors une reconsolidation des implants jusqu'au moment de la mise en place de la prothèse sur les implants, 15 semaines après la chirurgie. Un dernier enregistrement réalisé après 15 semaines de fonction montre que deux des implants sont revenus à des niveaux quasi normaux de stabilité (fig. 14).

Cas 4

Quatre implants de 4 mm de longueur sont placés dans l'os périorbitaire en vue d'une prothèse oculaire. L'AFR effectuée 7 mois après indique une très faible valeur de stabilité pour l'implant n° 3. La barre de liaison des implants a été construite de façon à ce que l'implant douteux ne soit pas mis en charge. Un deuxième enregistrement, 9 mois plus tard, montre que cet implant a recouvré une stabilité suffisante et pourrait être utilisé (fig. 15).

Conclusion

Nous arrivons à la conclusion que la méthode basée sur l'analyse de la fréquence de résonance présente un réel intérêt comme outil de diagnostic clinique pour un traitement implantaire sûr et efficace. Cet outil peut servir :

- à évaluer la stabilité primaire et à déterminer la durée appropriée de cicatrisation avant mise en charge de l'implant ;

- à vérifier que l'implant a atteint une stabilité suffisante au moment du deuxième temps chirurgical ;

- à vérifier la stabilité de l'implant pendant la cicatrisation des implants en cas de chirurgie en un seul temps ;

- à contrôler et à suivre les implants à risque.

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