Méthode d'évaluation de l'adaptation des structures prothétiques vissées dans le système Brånemark : le « Test Téflon » - Implant n° 3 du 01/08/1999
 

Implant n° 3 du 01/08/1999

 

Dossier technique

Gérard Paul *   Gérard Alibert **   Bernard Vignal ***   Alain Watremez ****  


*Docteur en chirurgie dentaire
7, rue Général Perrier 30000 Nîmes
**Docteur en chirurgie dentaire
***Docteur en chirurgie dentaire
****Docteur en chirurgie dentaire

De nombreuses études ont montré la fiabilité des systèmes implantaires avec lesquels on constate relativement peu d'échecs graves. L'importance de l'inadaptation des pièces prothétiques sur les piliers implantaires et la difficulté de réalisation des contrôles conventionnels ont contribué à rechercher et développer une méthode simple de contrôle de l'adaptation : le « Test téflon ». Les propriétés physiques particulières de ce matériau permettent de matérialiser les défauts d'adaptation entre zéro et cent microns et d'en garder une image stable dans le temps. La méthode décrite permet de visualiser facilement l'adaptation d'une prothèse implantaire sur son modèle de travail ou en bouche et d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Des tests de reproductibilité ont permis de contrôler la fiabilité de la méthode.

Selon Brånemark [1], l'objectif principal des systèmes implantaires est de rétablir la fonction de façon durable par un bon ancrage osseux appelé « ostéointégration » et le maintien de celui-ci dans le temps. Nous savons depuis les études d'Adell en 1981 [2] et 1990 [3], confirmées par celles de Quirynen en 1991 [4] que le nombre d'échecs est très faible. Le manque d'adaptation passive des prothèses sur implants est vraisemblablement une des causes principales des problèmes rencontrés, notamment les dévissages. T. Jemt montre en 1991 [5] que, sur 391 prothèses totales fixées sur 2199 implants, seulement 0,5 % des prothèses et 1,9 % des fixtures ont posé des problèmes durant la première année, avec une incidence plus marquée au maxillaire qu'à la mandibule. Jemt et Linden [6] ont aussi étudié en 1992 les taux d'échecs sur 127 prothèses partielles fixées qui n'étaient que de 0 % pour les prothèses et de 1,4 % pour les fixtures.

Lors d'une étude en Suède en 1994, Carlson [7] nous indique que plus de 28 % des 600 prothèses de plus de deux ans ont dû être rectifiées (13 %), réparées (60 % résine et 10 % armature), refaites complètement (3 %) ou reprises pour des problèmes phonétiques ou autres (8 %). Dans cette étude seulement, 0,3 % des implants ont été perdus.

Torsten Jemt a mené en 1996 [8] une étude sur la précision de l'adaptation en bouche et sur modèle par un procédé tridimentionnel assez complexe. Il a constaté que l'imprécision entre modèle de travail et pièce prothétique pouvait aller jusqu'à plusieurs centaines de microns ; l'étude de Carlson en 1994 [9] évoque des contraintes importantes dans le métal.

Malheureusement, nous n'avons que peu de moyens de contrôle simples et efficaces de l'adaptation de nos prothèses, le manuel de réalisation prothétique (Système Brånemark) ne développant pas particulièrement le sujet [10].

Il semblerait que les seuls signes pouvant évoquer un problème soient a posteriori des signes comme le dévissage de la vis en or et sa fracture, le dévissage de la vis de pilier et sa fracture. Selon Rangert, en 1995 [11], il se peut aussi que l'image radiologique de résorption osseuse autour d'un implant vienne précéder une fracture de celui-ci.

Une méthode simple de contrôle de l'adaptation a donc été développée. Le but de cette méthode est de mettre en évidence les défauts d'adaptation des pièces prothétiques sur les fixtures de Brånemark par un système simple, reproductible et archivable que l'on puisse rendre systématique.

De nombreux praticiens utilisant le système Brånemark s'accordent à dire que la principale difficulté de réalisation réside dans la maîtrise des phénomènes de contraction et de dilatation des métaux qui sont mis en œuvre lors de l'élaboration de cette prothèse [12].

Malgré l'utilisation de revêtements compensateurs et de métaux spécifiques, lorsque la technique prothétique impose d'importantes montées en température, nous constatons fréquemment des déformations qui rendent la pièce finale inadaptée. C'est notamment le cas lorsque le matériau cosmétique est de la céramique et que le bridge a été coupé et soudé. Même les céramiques dites « basse fusion » nécessitent d'être montées sur des opaques classiques à haute température et ne résolvent donc pas le problème. Un des intérêts du système Brånemark est d'avoir un contact pilier/pièce prothétique « usiné/usiné », ce qui théoriquement est la meilleure solution, mais c'est en réalité un contact « usiné/usiné chauffé » dont nous disposons.

Rappelons qu'une élévation de température d'environ 1000 degrés porte le cylindre en or à la limite de sa température de fusion, provoquant une modification profonde de sa structure. Nous n'évoquerons pas les multiples difficultés techniques auxquelles nos prothésistes de laboratoire sont journellement confrontés. Nobel Biocare a parfaitement conscience de ces problèmes et travaille depuis plusieurs années sur un système tout titane, avec des soudures au laser et un usinage de la pièce prothétique, le système « Procera » [13].

Matériels et méthode

Nous avons donc imaginé d'interposer, lors du serrage entre le pilier ou sa réplique et le cylindre en or, un film de téflon, polymère du tétrafluoroéthylène (PTFE) de 100 microns. Ce matériau excessivement ductile se trouve, en cas d'adaptation parfaite, intégralement découpé et éliminé par le contact entre les pièces usinées.

Les propriétés du téflon sont faciles à mettre en évidence par l'expérience suivante : une bande de téflon de quelques centimètres est plaquée contre un négatoscope. Le téflon adhère alors parfaitement au plexiglas par effet statique ; nous constatons également que le matériau légèrement translucide a une teinte grisbeige différente de sa couleur blanche habituelle, cette teinte grise étant due à sa translucidité. Si nous touchons légèrement le matériau avec un ongle ou un instrument, nous nous rendons compte que le moindre contact laisse une trace nettement visible. C'est cette propriété que nous allons utiliser (fig. 1).

L'inconvénient de ce matériau est qu'il est très difficile à manipuler. Son utilisation se fera donc par l'intermédiaire d'un œillet en plastique sur lequel le ruban sera tendu. Le centre de l'œillet est percé d'un trou de 2 mm à la pince à digue (fig. 2). Ce dispositif sera nommé : « Test Téflon » ou « TT ». A l'utilisation, lorsque le contact entre la pièce prothétique et le pilier est optimal après serrage, le métal est visible sur toute la circonférence du cylindre en or, à travers le film de téflon complètement chassé (fig. 3).

L'examen par transparence des traces d'appui laissées par les cylindres en or sur le téflon sera quantifié par le partage de la circonférence en six secteurs angulaires dénommés : « HEXA ».

Les « HEXA » dans lesquels nous aurons constaté que le téflon a été découpé seront reportés sur une fiche de saisie à l'aide d'un feutre indélébile. Les « TT » sont positionnés sur le modèle (fig. 4), les traits de couleur - par convention - verte sont vestibulaires, c'est-à-dire à l'extérieur perpendiculairement à l'arcade, la perforation déterminant le centrage du « TT » sur le pilier. La pièce prothétique est alors positionnée délicatement en prenant soin de ne pas déplacer les « TT » afin de ne pas obtenir d'enregistrement parasite (fig. 5). La pièce prothétique est ensuite retirée très soigneusement dans l'axe d'insertion (fig. 6). Plusieurs types de serrage peuvent être réalisés, le plus habituel étant le serrage à 10 Ncm. Le test téflon est collé sur un ruban adhésif et reporté sur un schéma dentaire transparent posé sur un négatoscope (fig. 7 et 8). La technique est directement transposable en bouche (fig. 9, 10, 11 et 12). Les seules contre-indications relatives sont l'enfouissement des piliers et leur trop grande proximité. Il est possible d'effectuer le test pilier après pilier.

Résultats

Nous déterminerons les zones d'inadaptation : ce sont celles dans lesquelles le téflon n'a pas été sectionné quelle qu'en soit l'épaisseur. Les zones d'adaptation sont les zones où nous voyons, grâce à une loupe binoculaire de grossissement 4, que le téflon a été éliminé par écrasement. Seules les zones d'adaptation seront notées au stylo feutre sur le transparent. Sur l'exemple de transparent présenté, pour un serrage en bouche de 10 Ncm (test en bouche de couleur rouge par convention), nous avons une adaptation de six « HEXA » pour tous les piliers sauf pour F 34 qui n'a que cinq « HEXA » d'adaptation (fig. 13).

Dans un autre cas en bouche sur piliers EsthetiCone (système Brånemark), l'adaptation est de six « HEXA » pour tous les piliers (fig. 14 et 15).

Discussion

Lorsque ce test de contrôle de l'adaptation a été développé, il a été voulu simple et facilement réalisable par tous. Il s'est avéré que le matériau utilisé, le téflon en l'occurrence, était peu pratique à manipuler, car très électrostatique. Le support œillet en plastique résolvait toutefois en grande partie ce problème. La manipulation réclame quand même un minimum d'entraînement. L'épaisseur du matériau d'interposition étant de 100 microns, les erreurs supérieures seront matérialisées, mais pas quantifiées.

L'analyse des résultats permet, en comparant les diverses séries, de contrôler les empreintes, de juger de la qualité de la coulée et de vérifier si le fait de couper et de souder améliore les résultats. Le test peut être adapté à de nombreuses situations qui seront développées dans de prochaines publications. L'expérience, à ce jour, semble montrer une très bonne qualité des empreintes avec la réalisation de maître-modèles, particulièrement fiables et, à l'opposé, des techniques de métallurgie peu reproductibles et de précision médiocre qui incitent à mettre en œuvre des méthodes de correction de l'adaptation par double étage collé type Aparicio [14] ou Witkowski [15].

Conclusion

L'intérêt de ce test est de donner la « photographie » ou plus exactement la « piézographie » de l'adaptation réelle de la pièce prothétique sur les fixtures et de pouvoir la conserver. Il n'est pas possible de savoir, pour l'instant, si le manque d'adaptation des pièces prothétiques est préjudiciable au devenir des implants, mais il semble toutefois intéressant de ne pas ignorer ce problème.

(1) Nobel Biocare, 80, avenue des Terroirs-de-France, 75607 Paris Cedex 12. Tél. : 01 53 33 89 10. Fax : 01 53 33 89 33.

Bibliographie

  • 1. Brånemark PI, Zarb G, Albrektsson T. Tissue-integrated prothesis osseointegration in clinical dentistry. Chicago : Quintessence Publishing Co, 1985.
  • 2. Adell R, Leckholm U, Rockler B, Brånemark PI. A 15-year study osteointegrated implants in the treatement of edentulous jaw. Int J Oral Surg 1981;10:387-416.
  • 3. Adell R, Eriksson A, Leckholm U, Brånemark PI, Jemt TA. A long-term follow-up study of osseointegrated implants in the treatment of totally-edentulous jaws. Int J Oral Maxillofac Implant 1990;5:347-358.
  • 4. Quirynen M, Naert I, van Steenberghe D et al. The cumulative failure rate of the Brånemark system in the overdenture, fixe partial, and the fixe protheses design: a prospective study on 1273 fixtures. J Head Neck Pathol 1991;10:43-53.
  • 5. Jemt T. Failures and complications in 391 consecutively-inserted fixed protheses supported by Brånemark implants in edentulous jaw : a study of treatment from the time of prothesis placement to the first annual checkup. Int J Oral Maxillofac Implants 1991;6(3):270-276.
  • 6. Jemt T, Linden B, Lekholm L. Failures and complications in 127 consecutively-placed fixed partial protheses supported by Brånemark implants: from prosthetic treatment to first annual checkup. Int J Oral Maxillofac Implants 1992;7(1):40-44.
  • 7. Carlson B. Prosthodontic complications in osseointegrated dental implant treatment. Int J Oral Maxillofac Implants 1994;9(1):90-94.
  • 8. Jemt T. In vivo measurements of precision of fit involving implant-supported protheses in the edentulous jaw. Int J Oral Maxillofac Implants 1996;11(2):151-158.
  • 9. Carlson L. Built-in strain and unto-ward forces are the inevitable compagnons of prosthetic misfit. Nobelpharma News 1994;8(2):4.
  • 10. Nobelpharma AB. Manuel de réalisation prothétique, 1992.
  • 11. Rangert B. Biomécanique des implants de Brånemark. Implant 1995;1(1):63-74.
  • 12. White G. Osseointegrated dental technology. London : Quintessence Publishing Co, 1993.
  • 13 Bergendal B, Palmquist S. Laser-welded titanium frameworks for fixed protheses supported by osteointegrated implants: a 2-year multicenter study report. Int J Oral Maxillofac Implants 1995;10(2):199-206.
  • 14. Aparicio C. A new method to routinely achieve passive fit of ceramometal protheses over Brånemark osseointegrated implants. A two-year report. Int J Periodont Rest Dent 1994;14(5).
  • 15. Witkowski S. Adaptation passive des suprastructures implanto-portées. Techniques de réalisation. Cah Prothèse 1994;3:45-56.