La dimension prothétique dans l'examen scanner en implantologie - Implant n° 4 du 01/11/1999
 

Implant n° 4 du 01/11/1999

 

Prothèse

Michel Kurc *   Gilles Greux **   François Gochtovtt ***  


*Docteur en chirurgie dentaire
Diplômé universitaire d'implantologie
Attaché - Consultation de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale
**Docteur en chirurgie dentaire
Diplômé universitaire d'implantologie
Attaché - Consultation de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale
***Docteur en chirurgie dentaire
Diplômé universitaire d'implantologie
Attaché - Consultation de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale
Hôpital Cochin
Service de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale
27, fbg Saint-Jacques
75014 Paris

Guide radiologique

Nous proposons d'utiliser comme guides radiologiques des maquettes comportant des dents en céramique du commerce. Ces maquettes préfigurent notre projet prothétique. Elles sont utilisées comme maquettes de simulation esthétique et fonctionnelle et également durant les examens radiologiques (panoramiques et scanners). L'analyse des clichés obtenus nous permettra d'affiner notre étude préimplantaire.

La dentisterie a pour but de restaurer la fonction, l'esthétique, le confort, la phonation et la santé de nos patients. Ces réhabilitations sont d'autant plus difficiles à réaliser avec les techniques traditionnelles que les pertes dentaires sont nombreuses. L'apport de l'implantologie et sa fiabilité reconnues [1] permettent d'aller au-delà des procédés traditionnels tout en apportant la plus grande satisfaction à nos patients. Aussi, intégrer à nos projets prothétiques une étude préimplantaire nous semble désormais incontournable.

Matériel et méthodes

Examen scanner [2-4]

L'examen tomodensitométrique ou scanner permet de réaliser des coupes horizontales et coronales. Par l'intermédiaire d'un logiciel spécifique de reconstruction, il va, à partir des coupes axiales conventionnelles, nous donner des images reconstituées, permettant ainsi d'analyser les structures anatomiques qui nous intéressent. Le scanner réalise une série de coupes horizontales de 1 à 1,5 mm d'épaisseur à l'échelle 1 et espacées de 1 à 1,5 mm. Le nombre de coupes réalisées est prescrit sur un mode radio de profil ou scout view. Il est important de définir avec le radiologue le plan de coupe souhaité. Classiquement, le plan de coupe sera soit parallèle au plan d'occlusion soit parallèle au palais dur pour le maxillaire et parallèle au rebord basilaire pour la mandibule.

L'examen scanner intervenant lors de l'étude préimplantaire, il nous semble indispensable de pouvoir transférer les informations que nous donne cet examen vers les modèles d'étude du patient. Ceci ne peut se faire qu'en utilisant un guide radiologique. Différents types de guides sont utilisés (billes en titane, gutta percha, tubes en alumine, etc.) [5, 6].

Maquettes prothétiques radiologiques

Les maquettes prothétiques radiologiques (MPR), que nous utilisons, incorporent le projet prothétique initial à l'examen scanner. Ces guides radiologiques sont réalisés à l'aide de dents en céramique du commerce, montées sur des bases en cire ou en résine (fig. 1, fig. 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 13).

Réalisation des MPR

- prise d'empreinte ;

- cire d'occlusion et montage en articulateur ;

- montage de dents en céramique sur cire ou résine au niveau des zones édentées (il existe des résines radio-opaques) ;

- essayage esthétique et fonctionnel en bouche.

Port des prothèses lors de l'examen scanner

L'examen est réalisé avec un logiciel de reconstruction spécifique dentaire (type Dentascan) [2-4]. Les coupes axiales devront aller au-delà du bord libre des dents.

Interprétation du scanner

Les images présentées sont en grandeur réelle, permettant une lecture directe, sans cœfficient d'agrandissement. Nous allons utiliser le document radiologique où se trouvent réunis :

- l'incidence axiale, comprenant le repérage et la numérotation des coupes reconstituées ;

- les reconstitutions coronales (perpendiculaires à l'axe du maxillaire) numérotées.

Coupe axiale de référence (fig. 2)

- les dents en céramique doivent apparaître sur le cliché ;

- repérer la ligne numérotée passant par le milieu de la dent ;

- se reporter à la coupe reconstituée correspondante.

Coupe reconstituée correspondante (fig. 3)

- repérer la couronne en céramique ;

- évaluer le rapport dent/os/obstacles anatomiques.

La lecture directe, en utilisant des calques d'implants va permettre : (fig. 4)

- la mesure de la largeur de l'os résiduel dans le sens vestibulo-lingual ou palatin : diamètre de l'implant ;

- la mesure de la longueur exploitable en hauteur : longueur de l'implant ;

- le rapport de la couronne clinique et de la crête dans le sens vestibulo-lingual ou palatin : bras de levier / couronne / implant / angulation et point d'émergence.

Résultats

La résine radio-opaque va permettre d'apprécier :

- l'épaisseur de la fibromuqueuse palatine et vestibulaire ;

- l'intérêt éventuel de cette structure muqueuse prothétique (fausse gencive). Plus elle sera importante, plus une solution de type prothèse fixée sera compromise.

Mise au point et développée par Michel Kurc dès 1990, cette technique est largement utilisée au sein du DU dispensé dans le service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie de l'hôpital Cochin.

Discussion

Intérêts des MPR

Quand la demande ou le souhait prothétique du patient est la réalisation d'une prothèse fixée, l'utilisation des MPR nous donnera les informations nécessaires à la validation, la modification ou la contre-indication de notre projet prothétique.

En pratique, les MPR sont utilisées comme :

- maquettes de simulation esthétique et fonctionnelle ;

- maquettes radiologiques permettant de visualiser les rapports de l'os résiduel et des tissus mous avec le projet qu'elles préfigurent.

Les MPR vont permettre d'analyser les rapports existants entre la couronne clinique idéale et l'os à implanter. L'utilisation de ces maquettes radiologiques facilite l'analyse biomécanique préimplantaire.

Il nous semble important de rappeler les différentes contraintes qui peuvent s'exercer lors de la mastication sur le complexe implanto-prothétique [7].

Les forces, elles, peuvent être divisées en deux catégories :

- les forces verticales de compression et de traction [8]. Les forces de compression ont tendance à appliquer l'implant sur l'os. Les forces de traction, au contraire, tendent à séparer l'implant de l'os ;

- les forces de cisaillement [9] qui sont créées par les mouvements horizontaux de la mandibule.

Les moments :

Rappelons qu'une force qui est appliquée à une distance d'un axe implantaire génère l'apparition d'un moment. On définit alors le moment de flexion comme étant le produit de l'intensité de la force par la distance entre le point d'application de cette force et la face externe de l'implant. Ainsi, plus la distance est importante, plus la contrainte et le moment sont importants.

Le rapport couronne clinique/implant

Dans le sens vertical

Lum [8, 9] étudie le problème du rapport couronne clinique/implant ; il observe que la localisation du point d'application de la charge horizontale par rapport à la crête osseuse est importante, car elle détermine un bras de levier. Pour Saadoun et Legall [10], l'une des causes d'échecs des implants de 10 mm pourrait être due à ce rapport défavorable (fig. 14, 15 et 16).

Dans le sens horizontal

Les forces de compression sont mieux supportées par l'os cortical, les différents éléments de l'implant et l'interface os/implant que les forces de traction et de cisaillement [11]. Aussi, il est préférable que la direction des forces soit proche de celle de l'axe de l'implant. Bert [12] nous indique que « le but de la reconstruction est de faire travailler les implants dans leurs axes, mais avec une tolérance de 10 à 15° dans tous les sens de l'espace ».

Cleveland et Gilat [13] ont réalisé en 1992 une analyse des contraintes à proximité d'un implant de Brånemark en fonction de différentes angulations des piliers. L'amplitude des contraintes augmente significativement avec l'augmentation de l'angulation. Selon Rangert [14], si les forces axiales et latérales se neutralisent dans les grandes reconstructions, ce n'est pas le cas dans les édentements unilatéraux ou bilatéraux postérieurs. Dans ce type d'édentement, pour réduire au maximum les contraintes mécaniques, les implants ne devront pas être parfaitement alignés de manière à recréer un polygone de sustentation qui neutralise les forces latérales. Il ne faut pas également sous-évaluer le nombre d'implants. Pour réduire le porte-à-faux dans le sens vestibulo-lingual ou palatin, il faudra adoucir les pentes cuspidiennes et réduire légèrement les tables occlusales (fig. 17, 18 et 19).

Angulation couronne clinique/implant

L'angulation des implants peut entraîner dans certaines situations une meilleure position des implants par rapport à l'os environnant.

Pour Legall et Saadoun [10], le moyen d'accroître la résistance du complexe implantaire aux forces latérales est de décaler les implants en les positionnant sous les cuspides supportant les guidages fonctionnels et en les orientant comme les racines des dents qu'ils remplacent.

Selon Rangert [14], une inclinaison dans le sens mésio-distal au niveau d'un arrangement de plusieurs implants n'entraîne pas habituellement une augmentation de la charge.

Pour l'auteur, les problèmes apparaissent principalement dans le sens vestibulo-lingual et principalement lorsque les reconstructions prothétiques sont en décalage par rapport à la tête de la fixture, car elles provoquent un moment de flexion (fig. 20, 21 et 22).

Emergence implantaire

La MPR étant la préfiguration du projet prothétique, si celui-ci est confirmé par l'examen scanner, la position idéale du point d'impact chirurgical nous sera donnée de façon précise. Le point d'émergence de l'implant se situera au niveau de la couronne clinique (fosse occlusale) et non dans une embrasure. Dans ce cas bien précis, le guide chirurgical est la suite logique du guide radiologique (fig. 23, 24 et 25). Il faut remarquer qu'on ne transforme pas systématiquement un guide radiologique en guide chirurgical, ce dernier étant l'aboutissement de la réflexion préimplantaire.

Le rapport de la réalisation implanto-prothétique avec les obstacles anatomiques principaux

On étudie principalement :

- le trou mentonnier ;

- le canal dentaire ;

- le rebord basilaire de la mandibule ;

- les fosses nasales ;

- les sinus.

A l'issue de cette technique d'analyse radiologique, sans écarter pour autant les autres éléments d'aide au diagnostic, à savoir :

- l'interrogatoire ;

- l'examen endo-buccal ;

- l'examen exo-buccal ;

- les examens biologiques ;

- les examens radiologiques classiques (rétro-alvéolaires, panoramique, téléradiographie de profil) ;

- le moulage et l'étude de l'occlusion ;

on aboutira à :

une confirmation du projet initial souhaité par le patient ou envisagé par le praticien

Les résultats du scanner avec la MPR valident le plan de traitement envisagé ou le rendent possibles avec certains compromis (moignons angulés, modification de l'axe implantaire, etc.) ;

une transformation du projet prothétique suite à cet examen

Parfois, les résultats du scanner avec la MPR contre-indiquent le plan de traitement envisagé et entraînent l'évolution du projet de prothèse fixée vers une prothèse inamovo-amovible (fig. 26) :

- sur attachements intra-implantaires (Oring, Ceka, Dalla Bona, Zest, etc.) ;

- sur barre rondes et cavaliers ;

- sur barre fraisée et attachements extra-implantaires ;

- sur télescopes type double barre.

Les éléments suivants nous obligent le plus souvent à changer le plan de traitement prothétique initial :

- soutien muqueux (lèvre et joues) incorrect ;

- rapport couronne clinique/implant défavorable ;

- obstacles anatomiques ;

- émergence implantaire trop vestibulée ou lingualée ;

- nombre insuffisant d'implants.

une conservation du projet prothétique initial grâce à la chirurgie osseuse

Le développement des techniques chirurgicales par greffes osseuses, la RTG et l'utilisation de bio-matériaux nous permettent de transformer les sites receveurs d'implants en les adaptant aux nécessités anatomiques. Celles-ci sont réclamées par des réalisations prothétiques qui ne s'accommodent pas toujours de compromis pouvant nuire à la pérennité implanto-prothétique.

Greffes d'apposition (fig. 27, 28 et 29) :

- en largeur ;

- en hauteur ;

- mixte.

Conclusion

Comme nous l'avons démontré, l'utilisation de MPR est désormais incontournable lors des études de cas pour lesquelles l'examen scanner est nécessaire. Le service rendu tant au chirurgien qu'au praticien réalisant les prothèses est trop important pour négliger une technique simple et peu coûteuse qui a le mérite de potentialiser les résultats de l'examen scanner, examen, lui-même, de moins en moins coûteux et de plus en plus utilisé.

Bibliographie

  • 1. Brånemark PI, Zarb GA, Albrekson T. Prothèses ostéointégrées. L'ostéointégration en pratique clinique. Paris : Editions CdP,1988.
  • 2. Lacan A. Scanner dentaire. Paris : Editions CdP, 1992.
  • 3. Pasquet G, Cavezian R, Bel G, Lopez A, Cabanis EA. Propos sur l'imagerie médicale appliquée à l'odontologie et à la stomatologie. Act Odonto Stomatol 1991;175:401-407.
  • 4. Treil J, Escude B, Cavezian R, Pasquet G. L'imagerie en coupes en implantologie. Act Odonto Stomatol 1993;181:73-89.
  • 5. Boralevi S, Nahmias M, Marguerat E. Guide de repérage scanner et guide chirurgical en implantologie. Paris : Editions CdP, 1991.
  • 6. Hilton I, Plemons JM, Watkins P, Sory C. Guide chirurgical opacifié au baryum en tomographie préimplantaire assistée par ordinateur. Rev Int Parodont Dent Rest 1992;12:53-61.
  • 7. Rangert B, Jemt T, Jorneus L. Forces and moments on Brånemark implants. Int J Oral Maxillofac Implants 1989;4(3):241-247.
  • 8. Lum LB, Osier JF. Load transfer from endosteal implants to supporting bone. An analysis using statics. Part two: axial loading. J Oral Implantol 1992;18(4):349-35.
  • 9. Lum LB, Osier JF. Load transfer from endosteal implants to supporting bone. An analysis using statics. Part one: horizontal loading. J Oral Implantol 1992;18(4):343-348.
  • 10. Le gall MG, Lauret JF, Saadoun AP. Mastication forces and implant bearing surface. Pract Periodontics Anesthet Dent 1994;6(9):37-46.
  • 11. Reilly DT, Burstein AH. The elastic and ultimate properties of compact bone tissue. J Biomech 1975;80:393-405.
  • 12. Bert M. Les implants dentaires. Paris : Editions CdP, 1987.
  • 13. Clelland NL, Gilat A. The effect of abutment angulation on stress transfer for an implant. J Prosthodont 1992;1:24-28.
  • 14. Rangert B. Biomécanique des implants de Brånemark. Implant 1995;1:69-72.