Réflexions sur les innovations en implantologie - Implant n° 1 du 01/03/2001
 

Implant n° 1 du 01/03/2001

 

Tribune

Patrick J   Henry  

Prosthodontist
Director
The Brånemark Center
Level 3
64 Havelok Street
West Perth 6005, Western Australia

L'utilisation clinique d'implants dentaires a pris un essor considérable ces dernières années, et de nouvelles applications continuent de voir le jour.

Parallèlement, la création de nouveaux systèmes implantaires ont introduit des approches conceptuellement différentes du traitement par l'utilisation de protocoles modifés. En conséquence, il est nécessaire que les questions fondamentales concernant le succès à long terme, la durée et l'efficacité de ces nouveaux...


L'utilisation clinique d'implants dentaires a pris un essor considérable ces dernières années, et de nouvelles applications continuent de voir le jour.

Parallèlement, la création de nouveaux systèmes implantaires ont introduit des approches conceptuellement différentes du traitement par l'utilisation de protocoles modifés. En conséquence, il est nécessaire que les questions fondamentales concernant le succès à long terme, la durée et l'efficacité de ces nouveaux systèmes implantaires soient constamment remises en question.

Les questions actuelles concernant les règles de base en matière de santé et de bien-être exigent que les patients soient suffisamment protégés, à la fois par les règlements de la collectivité et les recherches des professionnels avant que de nouveaux systèmes implantaires soient utilisés. Le temps nécessaire pour la recherche et le développement dans un nouveau domaine de santé est long et requiert des moyens financiers considérables, en hausse constante. Les organismes de contrôle et de régulation doivent certifier que la sécurité et l'efficacité des techniques de soins, telles que les implants dentaires, sont documentées et remplissent leurs revendications. Un tel agrément est indispensable avant la commercialisation d'un système implantaire. Cependant, le respect des exigences du contrôle réglementaire n'implique pas qu'il soit exempt de contre-indications et d'inconvénients pour le consommateur. Ce qu'il signifie, en revanche, c'est que, étant d'intérêt général, il a reçu l'autorisation de mise sur le marché. Malheureusement, très peu d'utilisateurs finals du produit, qu'ils soient dentistes ou patients, connaissent les exigences profondes inhérentes à l'application d'un agrément précommercial et les ramifications que ce dernier fait naître.

Le dentiste, éventuellement, peut décider du type d'implant à utiliser en pratique clinique. Ce processus de décision clinique devrait impliquer la stratégie d'utilisation par une approche fondée sur des preuves manifestes, afin d'assurer une véritable qualité de soins et une diminution des conséquences en cas de négligence d'entretien. Cela est particulièrement vrai lorsque le traitement est entrepris pour des patients identifiés comme étant à haut risque. Alors qu'il y a pléthore de données à court ou moyen terme concernant les taux de réussite de plusieurs systèmes implantaires, les données à long terme comparant et opposant les divers avantages et inconvénients des différents systèmes n'existent pas : des critères adaptés à l'expérience clinique collective doivent encore être définis. La stratégie d'utilisation pour une approche fondée sur des preuves, consistant à effectuer des recherches appropriées dans les publications médicales comme prérequis d'une décision clinique, n'est pas encore chose courante. La plupart des dentistes se fient à leur seul sens clinique, à leur opinion subjective, à la promotion du produit par le fabricant pour décider du choix d'un système implantaire ou d'un protocole clinique. Ils ne tiennent pas compte des données publiées et font le plus souvent grande confiance à la publication d'un cas clinique qu'ils considèrent comme la référence professionnelle. Aux États-Unis en 1992, le groupe de travail de la médecine fondée sur la preuve a suggéré que l'approche fondée sur la preuve et les divers supports utilisés pour véhiculer l'information ne diminuent en rien la nécessité et la valeur de l'expérience clinique et des intuitions interprétées comme étant le prétendu « sens clinique ».

Les données cliniques offrent de nombreuses utilisations potentielles, et le clinicien ainsi que les organismes professionnels commencent à se rendre compte de leur valeur. Elles peuvent aider à la fois le clinicien et le patient dans la décision clinique. Les références fondées sur la preuve, et développées systématiquement, peuvent non seulement créer un lien important dans le transfert d'informations, mais elles peuvent également jouer un rôle dans la qualité des soins en diminuant le risque des conséquences par négligence d'entretien. S'intéresser à ces questions et à d'autres sujets conduit à développer des références supplémentaires et meilleures en matière de pratique clinique. Il existe une recherche animale et clinique suffisante sur de nombreuses techniques implantaires. Si on l'associe au sens clinique, cet ensemble de connaissances peut aboutir à des recommandations cliniques valables débouchant sur des soins appropriés.

Les facteurs qui régissent l'ostéointégration ont été définis il y a 20 ans par Brånemark et Albrektsson. Il s'agit, selon les descriptions classiques, de la biocompatibilité du matériau implantaire, de la conFiguration de l'implant, de la microstructure de surface, de l'état du site receveur, de la gestion du protocole chirurgical et de la mise en charge prothétique. Ces critères ont résisté à l'expérience du temps ; ils ont été acceptés comme étant totalement valides et continueront de l'être sans aucun doute. Il n'en reste pas moins que bon nombre des principes fondamentaux ont été contestés et que des protocoles modifiés sont apparus. Il est opportun que les critères soient réévalués, en particulier dans le contexte actuel marqué par des changements rapides où, malheureusement, la vitesse et l'étendue des progrès ont conduit à une situation dans laquelle les essais cliniques sérieux à long terme ne pourront être complétés avant que les protocoles en voie de révision soient dépassés aux yeux de certains cliniciens.

Il en résulte que de nombreuses techniques et de nombreux protocoles sont toujours distribués avec peu ou pas de documentation scientifique.

Le titane est toujours fondamentalement considéré comme un excellent matériau en termes de biocompatibilité, et des études ont été réalisées en vue d'obtenir un matériau plus résistant en apportant des modifications minutieuses au procédé de fabrication. La conFiguration de la vis au niveau macroscopique bénéficie toujours d'une large approbation et, bien que d'autres conFigurations aient fait l'objet d'une certaine popularité, rien ne démontre à ce jour que l'implant en forme de vis présente un risque conceptuel. Les discussions sur l'état de surface continuent de fleurir, et les progrès techniques ont permis d'obtenir une grande variété de surfaces nouvelles. Il est évident que les surfaces doivent être élaborées afin d'améliorer leur capacité bioactive, soit de façon inhérente (résultant de la nature de la préparation de surface), soit électivement (en élaborant une microstructure qui peut véhiculer et relarguer divers agents biologiques à l'interface os/implant). L'interface peut ainsi être améliorée, modifiée ou contrôlée selon le protocole à mettre en œuvre. Il semble maintenant certain que cela deviendra une réalité dans un proche avenir et permettra un formidable bond en avant.

L'état du lit receveur tant sur le plan local que général continue de faire l'objet d'une extension du champ des applications. L'amélioration concernant l'augmentation du site implantaire a connu un essor rapide grâce aux techniques visant à l'ostéopromotion et à l'augmentation du site. Ces techniques ont conduit à une prolifération météorique de produits alloplastiques utilisés indépendamment et en association avec de l'os autogène, afin de promouvoir une modification tridimensionnelle du site receveur destinée aux restaurations prothétiques et esthétiques. Les expériences cliniques ont identifié un certain nombre de facteurs de risque associés à des taux d'échec élevés. Un os de faible densité, les greffes osseuses, l'irradiation, les traitements immunosuppresseurs et certains états pathologiques sont généralement reconnus comme en faisant partie. Par ailleurs, certaines conditions ont été identifiées comme constituant des contre-indications relatives pouvant compromettre les résultats thérapeutiques, notamment le bruxisme, l'alcoolisme, le tabagisme et l'ostéoporose. Dans certains cas, les taux de succès peuvent être maîtrisés par l'application de protocoles modifiés. Ces facteurs sont applicables à tous les systèmes implantaires, bien qu'un certain effort ait été fait pour suggérer que certains implants puissent comparativement donner de meilleurs résultats dans des conditions identiques. L'exemple des implants revêtus d'hydroxyapatite placés dans un os de faible densité l'illustre. Cependant, les avantages à court terme mis en évidence par l'expérimentation animale n'ont pas été confirmés par les résultats des expériences cliniques à long terme. Les études multicentriques n'ont pas établi de relation de cause à effet définitive et, à ce jour, le sens clinique, la prudence ainsi que des discussions approfondies et franches en termes d'information/consentement sont souhaitables avant d'appliquer un traitement de façon routinière à des patients à haut risque, et ce, indépendamment du système implantaire et des arguments du fabricant.

Simultanément, le développement des protocoles chirurgicaux a permis à un plus grand nombre de patients de bénéficier de ces traitements, ce qui n'était pas envisageable il y a encore dix ans.

D'un côté, les techniques procurant l'accès à un plus grand volume osseux pour permettre la pose d'implants - telles que le repositionnement latéral du nerf dentaire inférieur et les élévations de sinus - ont élargi les options thérapeutiques.

De l'autre côté, les techniques utilisant des situations anatomiques existantes présentant une morbidité réduite et une invasion minimale des structures anatomiques en place sont apparues. Il y a également un intérêt croissant pour faire des implantations dans d'autres sites anatomiques pour éviter la greffe osseuse, par exemple les sites ptérygomaxillaires et l'implant zygomatique. Ces localisations et ces techniques présentent des taux de succès élevés. La chirurgie en un temps n'est plus contestée, car elle est maintenant bien documentée, aussi est-elle recommandée soit de façon routinière, soit pour des cas précis, par la plupart des fabricants.

Les protocoles concernant la mise en charge prothétique ont récemment fait l'objet d'un intérêt considérable. Les questions concernant les mises en charge immédiate, différée, progressive et fonctionnelle modifiée dominent le débat. Il est impératif qu'attention, sagesse et prudence soient mobilisées dans ce domaine. Il est urgent d'établir des définitions universellement acceptées sur les différents types de mises en charge et sur leurs critères d'application. Ce domaine est empreint de difficultés et essentiellement fondé sur de la pseudo-science. Il ne fait aucun doute que dans certaines situations bien maîtrisées pour des cas choisis avec précaution, la mise en charge immédiate des implants peut donner des résultats prévisibles et couronnés de succès. Un nombre croissant de preuves s'accumule progressivement pour étayer cet état de fait.

Cependant, l'évaluation de questions telles que « Où en sommes-nous ? » et : « D'où sommes-nous partis ? » pourrait nous amener à réfléchir de façon plus mesurée. L'avènement de l'ostéointégration a historiquement sorti la dentisterie implantaire de l'âge de l'ignorance et a annoncé une ère thérapeutique nouvelle fondée sur des bases scientifiques. La dentisterie implantaire a été imprévisible, avec pour résultat de graves complications chez de nombreux patients malheureux. Le point sur l'état actuel de ce domaine s'est essentiellement orienté vers la chirurgie en un temps, la mise en charge immédiate et les prothèses scellées définitivement. L'ostéointégration a introduit des concepts de protocoles chirurgicaux prévisibles, avec une mise en charge après ostéointégration et des prothèses démontables. Il semblerait que la boucle soit maintenant bouclée. Il est opportun de nous poser la question suivante : est-ce que notre enthousiasme n'est pas en train d'assombrir notre meilleur jugement ? Il est certain que nous devons scientifiquement étendre le champ d'investigation et élargir nos horizons. Cependant, cela doit se faire selon une progression logique, justifiée et fondée sur des preuves. Sinon, l'histoire pourrait bien se répéter. Alors que de nombreuses données à court et moyen terme se sont accumulées concernant les taux de succès de plusieurs systèmes implantaires, il apparaît que des données à long terme comparant et opposant les divers avantages et inconvénients entre différents systèmes n'existent pas et qu'il est nécessaire de définir des critères justes et applicables à l'expérience clinique collective. L'élargissement des domaines d'application dépend de progrès continus en termes de composants implantaires, d'élaboration de protocoles chirurgicaux, de techniques ostéopromotrices justifiées et de techniques d'augmentation du site. De nombreuses tentatives thérapeutiques en sont encore largement au stade de l'étude pilote, et des études cliniques prospectives à long terme sont nécessaires pour documenter les résultats de façon satisfaisante et déterminer les domaines les plus prometteurs de la recherche future.

La pratique implantaire contemporaine doit s'appuyer sur des principes fondés sur des preuves, sinon notre avenir risque d'être sérieusement compromis.