Un cas de fracture implantaire - Implant n° 1 du 01/03/2002
 

Implant n° 1 du 01/03/2002

 

Dossier clinique

Paul Mattout *   Catherine Mattout **  


*Docteur ès sciences odontologiques
Parodontologie - implantologie exclusives
**Docteur ès sciences odontologiques
Parodontologie - implantologie exclusives
GEPI (Groupe d'études en parodontologie et implantologie)
224, avenue du Prado
13008 Marseille

Les fractures d'implants sont rares mais, lorsqu'elles se produisent, elles posent de réels problèmes aux praticiens et aux patients. L'analyse de la littérature met en évidence deux causes principales de fracture : le défaut de fabrication et les prothèses comportant des extensions. Le cas d'une fracture implantaire survenue cinq années après la pose d'une prothèse avec extension mésiale est rapporté. L'étude clinique est complétée par une observation en microscopie électronique à balayage du fragment implantaire déposé.

Tous les auteurs s'accordent à dire que, en présence de fractures implantaires, les difficultés sont grandes pour les praticiens qui doivent traiter ces cas. Fort heureusement, ces fractures sont aujourd'hui relativement rares [1]. Tolman et Laney [2] rapportent un taux de 0,17 % de fracture (3 implants sur 1 778).

Les fractures peuvent être dues à un défaut dans la fabrication de l'implant ou dans la conception prothétique. À notre connaissance, il n'a été rapporté aucun cas de fracture d'implant de Brånemark due à un défaut de fabrication. Ainsi Balshi [1], faisant état de 8 implants de Brånemark fracturés, montre dans son analyse microscopique qu'il n'y a jamais eu défaut de fabrication.

La deuxième cause de fracture semble plus probable. Il s'agit de raisons liées aux parafonctions et à la prothèse : les extensions et/ou les surcharges occlusales, les dévissages de prothèses. Rangert et al. [3] rapportent des fractures implantaires qui, dans la majorité des cas, surviennent dans les zones postérieures sur des bridges avec extensions ou chez des patients bruxomanes. Piatelli et al. [4] suggèrent l'association de plusieurs causes : para-fonctions, résorption osseuse, diamètre insuffisant des implants dans les sites postérieurs.

La présente publication rapporte le cas d'une fracture implantaire sur un site molaire maxillaire. L'évaluation clinique a été complétée par une observation en microscopie électronique à balayage (MEB).

Cas clinique

Historique du cas

Monsieur A. présentait une maladie parodontale de l'adulte et des lésions osseuses terminales sur la 2e prémolaire et la 1re molaire maxillaires gauches (Fig. 1). Ces deux dents ont été extraites (Fig. 2) et, après 11 mois de cicatrisation et analyse radiographique au scanora, la mise en place d'implants a été programmée. Deux implants de Brånemark (Nobel Biocare) de 4 mm × 10 mm ont été posés en position de 1re et de 2e molaire selon le protocole habituel.

Après une période d'ostéointégration de 6 mois, des piliers de cicatrisation ont été mis en place et un bridge implanto-porté a été réalisé (Fig. 3 et 4). Ce bridge comportait un élément mésial en extension.

Pendant les quatre années qui ont suivi la mise en fonction du bridge implanto-porté, le patient a été contrôlé lors des séances de maintenance trimestrielles. Les examens cliniques et radiographiques n'ont montré aucun signe pathologique (Fig. 5).

Lors de la 5e année de contrôle, l'examen clinique et radiographique était toujours satisfaisant (Fig. 6). Cependant, 5 mois plus tard, le patient s'est présenté spontanément au cabinet pour des saignements et une sensibilité autour de l'implant le plus antérieur. Une lésion osseuse a été décelée à l'examen radiographique (Fig. 7).

Le dévissage du bridge a mis en évidence une fracture de cet implant à mi-hauteur, et le fragment implantaire fracturé a été retiré avec le bridge (Fig. 8). Une intervention à lambeau a été réalisée afin d'extraire le fragment implantaire restant toujours ostéointégré (Fig. 9 et 10). Il a été déposé à l'aide d'un trépan prévu à cet effet. La mise en place d'un implant de plus large diamètre et d'un implant supplémentaire a été envisagée après cicatrisation gingivale.

Traitement

Un mois plus tard, l'implantation n'était pas réalisable dans ce site où le délabrement osseux s'avérait trop marqué (Fig. 11). Une greffe osseuse autogène et une membrane ont permis une reconstruction osseuse et la mise en place, 6 mois plus tard, d'un implant de 5 × 8 mm dans le site de l'implant fracturé. Un implant de 3,75 × 10 mm a également été positionné en position de 2e prémolaire (Fig. 12).

Après 4 ans de fonction, l'examen radiographique a montré des implants bien ostéointégrés (Fig. 13).

Observations au microscope électronique à balayage (MEB)

Le fragment implantaire ostéointégré a été prélevé avec son enveloppe osseuse et traité pour une étude en microscopie électronique à balayage.

Préparation de la pièce biopsique : le fragment implantaire prélevé était entouré d'une paroi osseuse dans laquelle il était ostéointégré. Cet ensemble a été plongé, immédiatement après prélèvement au trépan, dans de l'alcool à 40° et préparé pour l'étude au MEB. La pièce biopsique a été fixée au glutaraldéhyde à 2 %, déshydratée à l'acétate d'amyle puis passée au point critique. Enfin, cette pièce a été métallisée par un bombardement d'or de 600 Å d'épaisseur grâce à un appareil à pulvérisation cathodique. Le prélèvement a alors été fixé sur un plot, puis observé au MEB, type JEOL 35CF avec une résolution de 60 Å.

Le bloc section montrait, sur sa face externe, un os qui semblait sain et dense (Fig. 14 et 15). La portion d'implant incluse dans cet os était bien ostéointégrée jusqu'au bord même de la partie fracturée (Fig. 16 et 17).

Au niveau de l'apex de l'implant, il était noté également un contact intime de l'os sur la surface implantaire (Fig. 18). Sur la section fracturée de l'implant, on n'observait ni porosité ni défaut pouvant expliquer une cause liée à la fabrication de l'implant.

Un hiatus était présent par endroits entre le titane et l'os, probablement dû aux surcharges occlusales occasionnées par l'extension prothétique (Fig. 19). En revanche, entre les spires implantaires, on pouvait observer la prolifération osseuse et la parfaite intégration du titane dans l'os (Fig. 20 et 21). Sur aucune zone de l'implant, il n'a pu être observé de tissu conjonctif.

Discussion

Balshi [1] a relevé trois causes possibles de fractures implantaires : la conception et le matériau de l'implant, une mauvaise adaptation prothétique et une surcharge biomécanique.

Il a examiné en microscopie électronique 8 implants de Brånemark® fracturés (3,75 mm de diamètre) sur 4 045 implants en fonction depuis 5 ans. Il n'a trouvé ni porosité ni défaut dans le titane.

Une observation intéressante avait été faite par Morgan et al. [5] sur des implants déposés sur des patients bruxomanes. Ils ont observé des striations typiques de fatigue du titane, très éloignées des fractures obtenues in vitro sur des implants en surcharge.

Quatre cas de fracture implantaire ont été rapportés par Piatelli et al [4]. en 1998. Ces auteurs ont attribué ces fractures à une perte osseuse autour de l'implant précédant la fracture. La perte du support osseux provoquait une augmentation de la fatigue du titane au niveau apical du défaut, une craquelure au fond d'une spire puis une fracture de l'implant.

Pour éviter ces fractures, on peut recommander les précautions suivantes : placer des implants supplémentaires (un implant par racine absente), éviter les extensions, choisir, lorsque la largeur de la crête le permet, des implants de large diamètre. Les patients bruxomanes doivent porter des gouttières ; les contacts travaillant et non travaillant seront évités [6]. Certains auteurs ont également proposé de décaler dans le sens vestibulo-lingual la position des implants, évitant ainsi de les placer en ligne pour une meilleure stabilité à long terme [7].

Dans le cas que nous présentons, aucun signe de perte osseuse n'était visible 5 mois avant la fracture. Cette fracture peut être attribuée à un nombre insuffisant d'implants et à la présence d'une extension mésiale. Jemt et Lekholm [8] ont rapporté un plus grand nombre de fractures sur des reconstructions supportées par deux implants dans les secteurs postérieurs. Ce nombre diminue avec trois implants ou plus.

On sait également que, d'un point de vue biomécanique, les extensions augmentent le risque de complication [3]. Dans le cas présenté, cette extension et donc cette surcharge biomécanique ont abouti à la fatigue du titane qui s'est d'abord craquelé puis fêlé, entraînant une fracture de l'implant puis une résorption osseuse. Il est fort possible qu'une craquelure soit apparue bien avant la fracture. En effet, l'observation au MEB de la partie sectionnée de l'implant montre du tissu osseux qui recouvrait l'implant et avait donc colonisé l'hiatus créé par la craquelure (Fig. 16). Cette observation laisse supposer que la fêlure de l'implant a persisté plusieurs mois, le temps de la colonisation osseuse, avant d'aboutir à la fracture.

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BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Balshi TJ. An analysis and management of fractured implants. A clinical report. Int J Oral Maxillofac Implants 1996;11:660-666.
  • 2. Tolman DE, Laney WR. Tissue-integrated prosthesis complications. Int J Oral Maxillofac Implants 1992;7:477-484.
  • 3. Rangert B, Krogh PHJ, Langer B, Van Roekel N. Bending overload and implant fracture. A retrospective clinical analysis. Int J Oral Maxillofac Implants 1995;10:326-334.
  • 4. Piatelli A, Piatelli M, Scarano A, Montesani L.Light and scanning electron microscopic report of four fractured implants. Int J Oral Maxillofac Implants 1998;13:561-570.
  • 5. Morgan MJ, James DF, Pilliar RM. Fractures of the fixture components of an osseointegrated implant. Int J Oral Maxillofac Implants 1993;8:409-414.
  • 6. Brägger U. Technical failures and complications related to prosthetic components of implant systems and different type of suprastructures. Procedures of the 3rd European Workshop on Periodontology. Ittingen, 1999.
  • 7. Purton DG, Carter GM, Hunter KM. Success and failure in partial edentulism treated with implant-supported bridges. New Zealand Dent J 1994;90:98-102.
  • 8. Jemt T, Lekholm U. Oral implant treatment in posterior partially edentulous jaws: a 5 years follow-up report. Int J Oral Maxillofac Implants 1993;8:635-640.