Prothèse
Mithridade Davarpanah* Henry Martinez**
*Département de parodontologie
Institut de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale
Hôpital Pitié-Salpêtrière 47-83, boulevard de l'Hôpital 75651 Paris Cedex 13
**Ancien assistant hospitalo-universitaire
Université de Paris-VII (Denis-Diderot)
Service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu
Unité d'implantologie 5, rue Garancière 75006 Paris
Les différents concepts prothétiques sur implants pour le traitement d'un édentement total sont :
- la prothèse amovible complète supra-implantaire (PASI) ;
- le bridge « sur pilotis » ou prothèse complète fixée implanto-portée ;
- le bridge complet implanto-porté.
Différents critères doivent être évalués pour réaliser le choix prothétique le plus adapté : la demande prothétique et esthétique du patient, le volume et la qualité osseuse résiduelle, le rapport interarcades et l'analyse esthétique et fonctionnelle.
L'obtention d'un résultat satisfaisant est fréquemment plus complexe au maxillaire qu'à la mandibule en raison de conditions anatomiques souvent défavorables. En effet, répondre à la demande esthétique, phonétique et fonctionnelle du patient est plus difficile en présence d'une perte tissulaire. Un nouveau concept prothétique (prothèse amovo-inamovible implanto-portée ou prothèse double barre) peut pallier ces inconvénients.
The different option designs of implant-supported prosthesis for the treatment of total edentulism are :
- implant-supported overdentures ;
- complete fixed osseointegrated prosthesis ;
- complete osseointegrated bridge.
Different criteria must be estimated in order to make the best adapted prosthetic choice : the prosthetic and aesthetic demand of the patient, the volume and the residual bone quality, the inter-arch relation and the aesthetic and functional analysis.
Obtaining a satisfactory result is frequently more complex on the maxilla than on the mandible because of anatomical conditions which are often unfavourable. Indeed, to answer the aesthetic, phonetic and functional demand of the patient is more difficult in presence of a tissue loss. A new prosthetic concept (clip retention removable prosthesis or double bar prosthesis) can make up for these drawbacks.
L'option implantaire en dentisterie s'est progressivement imposée comme une thérapeutique fiable et prévisible. Le bridge sur pilotis, ou prothèse complète fixée implanto-portée, fut le premier concept prothétique préconisé par l'école suédoise pour le traitement d'un édentement total. De nombreuses études ont confirmé l'excellent pronostic à long terme de ce type de prothèse [1-11]. D'autres concepts prothétiques comme la prothèse amovible supra-implantaire (PASI) et le bridge complet implanto-porté ont ensuite été proposés pour le traitement des édentements totaux [12-15]. Chaque concept prothétique présente des indications très précises. Le but de cet article est de présenter les différents paramètres permettant de guider le choix implantaire chez l'édenté total.
Le choix du concept prothétique et du nombre d'implants chez l'édenté total dépend de la demande prothétique et esthétique du patient, du volume osseux résiduel, de la qualité osseuse, du rapport interarcades et de l'analyse esthétique et fonctionnelle [16]. Un entretien entre le chirurgien et le praticien prothésiste permet d'établir, à partir du projet prothétique, le nombre et le type d'implants ainsi que leur position. Un guide chirurgical doit être élaboré pour préciser toutes ces informations.
Les examens cliniques et radiographiques permettent d'effectuer le diagnostic préimplantaire chez l'édenté total. Le cliché panoramique et les modèles d'étude montés sur articulateur en relation centrée, avec une dimension verticale d'occlusion (DVO) correctement déterminée, apportent les premiers éléments nécessaires au choix thérapeutique [17-18]. La prévision du résultat esthétique et fonctionnel est une des clés du succès thérapeutique. La prothèse complète existante ou la prothèse transitoire de diagnostic confirme la DVO et objective l'espace prothétique disponible pour les différents composants chirurgicaux et prothétiques [19]. Cette même prothèse sans fausse gencive donne une prévisualisation du résultat final et du soutien de la lèvre dans le sens vestibulo-lingual. Les problèmes esthétiques et phonétiques se rencontrent essentiellement au maxillaire [17]. Ils doivent être évalués lors du diagnostic préimplantaire. Le choix de l'option prothétique va dépendre avant tout du degré de résorption du maxillaire [20]. Devant une résorption intermédiaire, la mise en place d'une fausse gencive est parfois nécessaire si l'on désire éviter l'aspect de dents longues. En présence d'une résorption maxillaire avancée, un résultat fonctionnel et esthétique satisfaisant ne peut souvent être obtenu qu'avec une prothèse amovible supra-implantaire [21].
Le volume osseux résiduel (Fig. 1, 2 et 3) va déterminer le nombre, le diamètre et la longueur des implants. L'évaluation de l'ancrage implantaire total (surface d'ostéointégration) est fondamentale pour le choix prothétique. Un ancrage implantaire important (au minimum 6 implants au maxillaire et 4 à la mandibule) permet d'envisager un concept prothétique fixé [22]. L'utilisation d'un nombre important d'implants d'une longueur supérieure à 10 mm optimise le pronostic à long terme des prothèses fixées. À la mandibule, un nombre moins important d'implants peut être envisagé pour les PASI. De 2 à 4 implants symphysaires permettent en effet d'obtenir un excellent résultat. En revanche, un minimum de 6 implants d'une longueur ≥ à 10 mm est nécessaire au maxillaire [16].
En présence d'une crête osseuse peu résorbée, tous les concepts prothétiques peuvent être envisagés car le nombre d'implants n'est pas limité. Si la crête résiduelle a une résorption modérée ou avancée, le choix prothétique s'orientera soit vers une prothèse complète implanto-portée, soit vers une PASI. Une reconstruction osseuse doit être envisagée si le patient présente une résorption osseuse extrême [20-21].
Le scanner permet d'évaluer la qualité osseuse (dense, normale et faible). À la mandibule, la présence d'une corticale osseuse assure une bonne stabilité primaire des implants. En revanche, une mauvaise qualité osseuse caractérise fréquemment le maxillaire [15]. Différentes études montrent un taux d'échec implantaire plus important au maxillaire qu'à la mandibule chez l'édenté total. Pour les PASI, un taux d'échec implantaire maxillaire important (25 %) a été rapporté, particulièrement si le nombre d'implants est insuffisant (inférieur ou égal à 4) [23]. Ces résultats ont permis de reconsidérer complètement les concepts biomécaniques pour les PASI. Autrefois, 4 implants maxillaires étaient conseillés comme ancrage pour la réalisation d'une PASI [12, 24]. Des publications récentes préconisent, pour ce type de concept prothétique, un nombre d'implants similaire à celui d'une prothèse totale implanto-portée (au moins 6 implants d'une longueur supérieure ou égale à 10 mm) [19-25]. L'utilisation d'implants avec un état de surface rugueux et une forme évasée permet aussi d'optimiser la stabilité primaire et de limiter les échecs [26].
La relation interarcades des bases osseuses (Fig. 4, 5a et 5b) est un paramètre fondamental pour le choix thérapeutique [16, 17]. Elle conditionne surtout la position des implants et le type de prothèse à réaliser. Le modèle de résorption osseuse des deux arcades est opposé : centripète au maxillaire et centrifuge à la mandibule. Ce type de résorption entraîne à long terme une disharmonie importante des bases osseuses, qui est plus marquée chez le patient complètement édenté qui présentait au départ un rapport dentaire et osseux de classe II ou III. Il est donc essentiel de déterminer la classe squelettique chez l'édenté total, surtout en présence d'une résorption importante ne permettant pas le placement des implants sur toute l'arcade [27]. Les cantilevers postérieurs de longue portée augmentent le risque de complications et d'échecs implantaires [21]. En présence d'un rapport interarcades de classe I, l'option thérapeutique est déterminée par le volume osseux résiduel et la demande prothétique du patient.
Devant une classe II, l'importance de la mésio-position du maxillaire par rapport à la mandibule doit être évaluée. L'analyse du sourire et la demande esthétique du patient guident aussi le choix thérapeutique. Une angulation distalée des implants maxillaires antérieurs et mésialée des implants mandibulaires est le plus souvent impossible à réaliser. Une compensation prothétique d'un décalage des bases doit alors être envisagée. Si le décalage est modéré, une prothèse complète fixe implanto-portée (bridge « sur pilotis ») peut être envisagée. Une PASI est le traitement de choix en présence d'un décalage important [17].
En présence d'une disto-position du maxillaire par rapport à la mandibule (classe III), les impératifs esthétiques, fonctionnels et l'importance du décalage guident le choix prothétique. Devant un volume osseux adéquat, une angulation plus antérieure des implants maxillaires et un concept prothétique approprié permettent de diminuer, voire de corriger, le décalage squelettique. En présence d'un volume osseux réduit, seul le concept prothétique peut compenser ce décalage. La PASI est le traitement de choix en présence d'un décalage important [16]. Une correction orthognatique est indiquée si le décalage des bases osseuses est extrême (classe II ou III) [20, 21].
Le concept de ce type de prothèse est similaire à celui des restaurations fixées conventionnelles. Un maximum d'implants doit être placé sur toute l'arcade.
La structure prothétique peut être soit transvissée, soit scellée sur des éléments intermédiaires. Ces derniers (faux moignons ou piliers) sont transvissés sur les implants.
Ce type de prothèse présente les avantages de la prothèse fixée traditionnelle dento-portée. Si les paramètres de choix sont respectés, le résultat esthétique et le confort pour le patient sont très satisfaisants. L'entretien pour le patient est similaire à celui des dents naturelles.
Un soutien approprié des lèvres et un résultat esthétique et phonétique satisfaisant sont difficiles à obtenir en présence d'un volume osseux inadéquat. La gestion d'un décalage interarcades est impossible à réaliser avec ce type de prothèse.
À la mandibule, l'utilisation de 4 à 6 implants peut être envisagée dans le secteur antérieur (entre les trous mentonniers). Au maxillaire, un minimum de 6 implants (longueur supérieure à 10 mm) est conseillé. Idéalement, 8 implants doivent être placés de prémolaire à prémolaire (en avant des sinus maxillaires). Une prothèse totale fixée implanto-portée réalisée sur une infrastructure métallique est transvissée sur les piliers. Les parties distales de la prothèse sont en extension. Une arcade ovoïde permet un positionnement des implants en demi-cercle. Cette répartition implantaire est très favorable sur le plan biomécanique et permet d'envisager des cantilevers distaux plus longs [16]. La longueur de ces derniers est calculée en fonction de la distance séparant les 2 implants les plus distaux. Une arcade rectangulaire associée à des émergences des nerfs mentonniers mésiales oblige à un positionnement implantaire en ligne droite. Cette répartition des implants contre-indique les cantilevers importants [16].
Ce type de prothèse est indiqué devant une résorption modérée des crêtes osseuses et lorsque le bridge implanto-porté ne peut être réalisé de façon satisfaisante. Cette prothèse est fixe, le palais est complètement dégagé et le confort pour le patient est satisfaisant. En revanche, l'entretien peut être difficile. Les inconvénients souvent rapportés au maxillaire sont un soutien inadéquat des lèvres, des problèmes phonétiques et un résultat esthétique non satisfaisant.
Le concept prothétique est similaire à celui des prothèses amovibles conventionnelles. La stabilité et la rétention sont assurées par la prothèse et les implants, la sustentation l'est par la surface d'appui ostéomuqueuse. La prothèse est stabilisée sur les implants à l'aide de connexions axiales de type mécanique, magnétique ou par des barres de conjonction de formes et longueurs variables. Dans les années 1980, il était conseillé de placer 4 implants dans la région antérieure au maxillaire. De nos jours, il est fortement recommandé d'envisager un nombre d'implants plus important. Un minimum de 6 implants d'une longueur supérieure ou égale à 10 mm est conseillé. À la mandibule, de 2 à 4 implants symphysaires (longueur ≥ 10 mm) permettent d'obtenir un excellent résultat.
Ce type de prothèse doit être retiré et nettoyé quotidiennement par le patient.
Les avantages de ce concept prothétique sont une parfaite stabilité de la prothèse, un résultat esthétique satisfaisant et un entretien personnel facilité.
Trois concepts prothétiques supra-implantaires peuvent être envisagés chez l'édenté total : le bridge complet implanto-porté, la prothèse fixée implanto-portée (bridge « sur pilotis ») et la PASI. Le choix prothétique se fera en fonction de la demande du patient, du volume osseux résiduel, de la qualité osseuse, du rapport interarcades et de l'analyse esthétique et fonctionnelle [1, 17, 20, 21]. La plupart des études rapportent des taux de succès très importants pour les bridges « sur pilotis » maxillaires et mandibulaires et pour les PASI à la mandibule [4, 6-8, 12, 14, 15]. Au maxillaire, les bridges « sur pilotis » et les PASI ont fait l'objet d'un nombre peu élevé d'études. Aucune étude longitudinale à long terme n'a été publiée sur les bridges complets implanto-portés (concept prothétique conventionnel sur implants). Le nombre de mandibules édentées traitées (différents concepts prothétiques) est supérieur à celui des maxillaires [3, 6, 11, 15, 28-30]. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette disproportion. En effet, la première application clinique de l'ostéointégration a été le bridge « sur pilotis » à la mandibule. Par ailleurs, la demande du patient est plus fréquente à la mandibule qu'au maxillaire.
Pour les prothèses fixées implanto-portées (bridges « sur pilotis »), les taux de succès implantaire rapportés (durée de 1 à 10 ans) varient de 87 à 100 % à la mandibule et de 79 à 96 % au maxillaire (études rapportant un nombre d'implants supérieur à 99). Ces taux de succès diminuent pour des durées comprises entre 10 et 15 ans [16]. Les taux de succès prothétique (durée de 1 à 10 ans) varient de 96 à 100 % à la mandibule et de 90 à 100 % au maxillaire. Ils sont stables pour des durées de 10 à 15 ans [31]. Les cantilevers importants (supérieurs à 12 mm) doivent être évités.
Pour les PASI, les taux de succès implantaire rapportés (durée de 1 à 10 ans) varient de 93 à 96 % à la mandibule et de 61 à 84 % au maxillaire [16] (études rapportant un nombre d'implants supérieur à 99). Les taux de succès prothétique (durée de 1 à 8 ans) varient de 89 à 100 % à la mandibule et de 72 à 92 % au maxillaire (études rapportant un nombre de prothèses supérieur à 43). Les taux de succès implantaire et prothétique sont nettement plus importants à la mandibule qu'au maxillaire [31].
Une qualité et un volume osseux insuffisants sont à l'origine d'un taux d'échec plus important pour les PASI que pour les autres types de prothèses. Plusieurs études ont présenté un taux d'échec implantaire supérieur pour des os de faible densité ou avec des implants courts [12, 14, 15, 30, 32-35].
Le rapport entre les bases osseuses résiduelles est aussi un facteur important pour le choix du concept prothétique. Un bon rapport interarcades permet de choisir entre les différentes options prothétiques. Un décalage interarcades modéré peut être géré avec une solution fixée, une angulation inversée des implants antérieurs permettant de compenser le décalage [16]. Cependant, au maxillaire, une position palatine des implants peut entraîner des complications esthétiques, phonétiques et rendre l'entretien difficile [17]. La PASI est la meilleure solution pour un décalage osseux important. Cependant, les cantilevers importants (supérieurs à 12 mm) doivent être évités. Dans les cas extrêmes, une chirurgie de reconstruction osseuse préimplantaire s'impose [20-21]. La gestion d'un édentement total est en général plus complexe au maxillaire qu'à la mandibule [36]. En effet, répondre à la demande esthétique, phonétique et fonctionnelle du patient est assez difficile en présence d'une perte tissulaire. Au maxillaire, un résultat esthétique inadéquat (bridge « sur pilotis »), des troubles de la phonation et un soutien insuffisant de la lèvre sont synonymes d'échec prothétique pour le patient. Un concept prothétique alternatif (prothèse amovo-inamovible implanto-portée ou prothèse double barre) décrite par Lothigius et al. [37] peut répondre à ces inconvénients. Si la perte osseuse est importante, la PASI donne un résultat esthétique satisfaisant.
Les échecs fonctionnels rapportés sont les troubles de la phonation, un soutien insuffisant de la lèvre supérieure, une gêne de position de la langue et des rétentions alimentaires [10, 38, 39]. Une prononciation difficile de certaines lettres (S et T en particulier) est fréquente avec les bridges implanto-portés maxillaires [38]. La fuite d'air (entre la réalisation prothétique et le palais) peut créer des difficultés phonétiques majeures. Cependant, ces troubles disparaissent généralement après une période 40] d'adaptation phonétique de 3 mois . Pour certains patients, une meilleure adaptation de la structure prothétique au palais ou la mise en place d'une fausse gencive est nécessaire à l'amélioration des problèmes de phonation. Toutefois, ces modifications rendent l'hygiène et l'entretien plus difficiles. Au niveau mandibulaire, les prothèses implanto-portées sont dans la grande majorité des cas bien tolérées [41].
Différents paramètres interviennent pour sélectionner le concept prothétique et le nombre d'implants chez l'édenté total (Tableau 1). L'analyse de ces paramètres permet de choisir l'option thérapeutique la plus adaptée au patient. La réalisation de prothèses complètes fixées au maxillaire est plus complexe qu'à la mandibule en raison de conditions anatomiques souvent défavorables. Quel que soit le concept prothétique retenu, le cahier des charges suivant doit être rempli :
- confort du patient ;
- stabilité de la prothèse (pour les PASI) ;
- obtention d'une phonation et d'une mastication fonctionnelles ;
- rendu esthétique satisfaisant ;
- hygiène buccale facilitée au quotidien.