Mise en charge immédiate - Implant n° 1 du 01/02/2003
 

Implant n° 1 du 01/02/2003

 

Repères

Opinions

Franck Renouard  

Docteur en chirurgie dentaire
Paris V

La diminution de la période entre la pose d'un implant et sa mise en charge effective est devenue un objectif en implantologie orale. Les délais de 3 et 6 mois initialement définis par Brånemark sont aujourd'hui remis en cause. Il est possible de réduire, voire même parfois de supprimer, ce que l'on a appelé (à tort) la phase de cicatrisation osseuse. Face à cette évolution du concept même de l'ostéointégration, certains se réjouissent en appréciant l'amélioration du confort...


La diminution de la période entre la pose d'un implant et sa mise en charge effective est devenue un objectif en implantologie orale. Les délais de 3 et 6 mois initialement définis par Brånemark sont aujourd'hui remis en cause. Il est possible de réduire, voire même parfois de supprimer, ce que l'on a appelé (à tort) la phase de cicatrisation osseuse. Face à cette évolution du concept même de l'ostéointégration, certains se réjouissent en appréciant l'amélioration du confort pour le patient ; d'autres, au contraire, continuent à mettre en doute cette possibilité en mettant en avant l'absence de recul et le caractère aléatoire de cette technique.

Comparaison avec la chirurgie orthopédique

Il est bien de regarder ce qui se passe dans d'autres spécialités médicales que la dentisterie. Quand un chirurgien orthopédique répare une fracture, il s'appuie sur les mêmes bases biologiques que le chirurgien implantaire qui veut « accrocher » un implant dans l'os. Un des paramètres concourant au succès de ces interventions est l'absence de micromouvements au niveau de l'interface os/os ou os/implant. Le cas échéant, il se produit la formation de tissus fibreux aboutissant à une pseudarthrose. Mais cela ne veut pas dire qu'au nom de la sacro-sainte règle de l'immobilisation, le chirurgien va interdire toutes contraintes (pression, traction et flexion) sur la région fracturée. Ainsi, un patient plâtré pour faciliter la consolidation de l'avant-bras n'aura certainement pas le droit de porter une valise, mais rien ne l'empêchera de porter un stylo ou un livre. En fait, il ne faut pas considérer l'immobilisation des fragments comme étant un état de fait incontournable ; il faut évaluer le rapport qui existe entre la résistance du système de consolidation et la charge appliquée (l'intensité et sa direction). Certains os qui ne travaillent qu'en compression ne sont pas nécessairement bloqués quand ils présentent des fractures ou des fêlures. Cela n'empêche pas la formation du cal osseux de réparation. Un autre paramètre important rentrant dans les choix thérapeutiques du chirurgien est le potentiel de cicatrisation du patient. L'âge, la prise régulière de certains médicaments, un passé infectieux de la zone à opérer sont autant de paramètres que le chirurgien prend en compte avant d'établir son plan de traitement.

La grande différence entre le chirurgien orthopédiste et le chirurgien implantaire est que le premier peut contrôler la charge appliquée que ce soit dans sa direction ou dans son intensité. Ainsi, il est possible de n'autoriser au départ que certains mouvements, puis de définir un programme de remobilisations et de réutilisation progressive du membre fracturé et enfin proposer l'aide d'un kinésithérapeute. En dentisterie, la mise en charge progressive est plus délicate et le praticien ne peut qu'éviter le contact occlusal et recommander au patient de ne manger que des choses tendres pendant une période généralement de 2 mois. Il faut bien reconnaître que cela reste empirique et aléatoire.

Cependant, il est quand même possible de faire un parallèle entre la pratique de la chirurgie orthopédique et implantaire.

Mise en charge immédiate en dentisterie (ou temporisation immédiate)

Pour bien comprendre la mise en charge immédiate en dentisterie, on peut utiliser cette lapalissade : « Un implant ou un ensemble d'implants peuvent être considérés comme immobiles tant que la force qui leur est appliquée ne les mobilisent pas. » Cela revient à dire que tant que la stabilité mécanique est supérieure aux forces appliquées, le processus de cicatrisation n'est pas compromis. C'est pourquoi cela a été une erreur d'appeler phase de cicatrisation osseuse la période comprise entre la pose de l'implant et la pose de la prothèse. Cette formule laissait entendre que la cicatrisation osseuse ne pouvait s'opérer que dans l'absence totale de stimuli alors qu'il est montré que dans un protocole de mise en charge immédiate, le processus de cicatrisation osseux se produit quand même, et que probablement un certain niveau de stimulation accélère le processus de cicatrisation osseuse.

La base de la mise en charge immédiate est donc la recherche d'une très bonne stabilité primaire de l'implant. Cela peut être obtenu par une préparation osseuse adaptée [1] et/ou en réunissant plusieurs implants pour donner une structure monobloc rigide [2]. À ce stade, il paraît cependant nécessaire de faire la différence entre la mise en charge d'un implant, c'est-à-dire sa mise en occlusion et ce que l'on pourrait appeler la temporisation immédiate, à savoir la pose d'une couronne ou d'une prothèse fixe en sous-occlusion.

Dans le cas d'édentements unitaires ou de petite étendue, il est préférable de ne pas mettre les couronnes en occlusion pendant une période de 5 à 8 semaines. Dans la mesure où la fonction n'est pas restaurée dans son intégralité, il est préférable de parler de mise en temporisation immédiate plutôt que de mise en charge immédiate. En revanche, des bridges de plus grande étendue et a fortiori des bridges complets sont mis en charge dès le jour de la pose et l'on peut alors parler de mise en charge immédiate.

Protocole (Fig. 1, 2, 3, 4, 5 et 6)

Quel que soit le type d'édentement, le protocole de mise en charge ou de mise en temporisation immédiate est le même :

1. examen clinique et examen radiographique complémentaires recherchant :

- les contre-indications médicales à la pose d'implant ou les facteurs de risque pour la cicatrisation osseuse (tabac, prise de médication au long cours telle que corticoïde, antimitotique…) ;

- les situations anatomiques rendant impossible la pose d'implant dans un axe compatible avec la réalisation d'une prothèse provisoire transvissée ;

- les situations anatomiques qui nécessitent le recours à des techniques d'augmentation de crêtes ;

- les contextes occlusaux particuliers : bruxisme important, espace interarcades réduit (classe II-2 d'Angle), absence de protection canine pour la pose d'un bridge latéral postérieur, etc. ;

- une densité osseuse très faible qui rend improbable la stabilité initiale suffisante du ou des implants ;

- l'absence de maladie parodontale en phase aiguë ;

2. la mise en place de l'implant se fait de façon traditionnelle en privilégiant un axe permettant la pose d'une prothèse provisoire transvissée. La préparation osseuse doit être sous-dimensionnée pour permettre une très bonne stabilité initiale. Idéalement, le couple nécessaire pour placer l'implant doit être supérieur ou égal à 40 Ncm en fin d'insertion ;

3. une empreinte est prise immédiatement après la chirurgie ou au plus tard dans les quelques jours qui suivent la chirurgie. Il est montré que la stabilité de l'implant décroît progressivement pendant les 6 premières semaines qui suivent sa pose, pour remonter ensuite ;

4. la dent ou le bridge provisoire sont posés le plus tôt possible, si possible le jour de la mise en place de l'implant. Les techniques de réalisation de dent provisoire au fauteuil en fin d'intervention chirurgicale sont envisageables. Pour les protocoles de mise en temporisation immédiate, il est important d'éviter tous contacts occlusaux ;

5. contrôle à 6 semaines. La prothèse est démontée, les piliers ou les têtes d'implants sont nettoyés à la chlorhexidine. La stabilité des implants est évaluée soit manuellement, soit avec des instruments tels que l'analyse de la fréquence de résonance. L'occlusion ou l'absence d'occlusion est contrôlée ;

6. la pose de la dent ou du bridge définitif peut se faire à 3 mois.

Conclusion

Les protocoles de mise en charge ou de mise en temporisation immédiate ont aujourd'hui fait la preuve de leur efficacité. Plusieurs études avec des reculs s'échelonnant de 2 à 5 ans sont disponibles dans la littérature. Il n'y a plus de doute que la pose d'une prothèse provisoire sur un ou plusieurs implants stables est un protocole efficace et prévisible. Il reste cependant à adapter ces protocoles aux exercices de cabinet privé d'omnipratique.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Malo P, Rangert B, Dvåråter BA. Immediate function of Brånemark implants in the esthetic zone: a retrospective clinical study with 6 months to 4 years of follow-up. Clin Impl Dent Relat Res 2000;2:21-29.
  • 2. Chow J, Edward H, Douglas L, Jerry L. Immediate loading of Brånemark System fixtures in the mandible with a fixed provisional prosthesis. Applied Osseointegr Res 2001;2:30-35.

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