MODÈLE CLINIQUE
Marc DANAN * Pierre CAILLON **
*Université Paris V
Lors d'un traitement pluridisciplinaire (parodontal et orthodontique), la prévention des pertes de substance peut faire appel aux principes de la Régénération Osseuse Guidée.
L'utilisation d'une mèche Vicryl® associée à un matériau de comblement permet d'obtenir un résultat clinique satisfaisant sans perte de substance.
L'examen de contrôle radiologique 10 ans après l'intervention montre, cependant, la persistance du biomatériau.
Guided Bone Regeneration may be used to prevent alveolar ridge resorption during the course of combined orthodontic/periodontal treatment.
A good clinical result, without any loss of tissue, can be obtained by using a vicryl® mesh in conjunction with a substitute bone graft material.
However, a 10-year post operative follow up shows residual bone substitute material.
La reconstruction des pertes de substance sur des sites édentés après extractions multiples nécessite souvent plusieurs techniques chirurgicales associant : greffes conjonctives enfouies ou épithélio-conjonctives de surface (Langer et Calagna, 1980 ; Garber et Rosenberg, 1981 ; Seibert, 1983 ; Rosenberg, 1988), et/ou autogreffes osseuses (Becker et coll., 1994 ; Buser et coll., 1994), et/ou différents matériaux de comblement (Yukna et coll., 1984 ; Franck et coll., 1987 ; Ouhayoun et Etienne, 1989), associés ou non à l'utilisation de membranes non résorbables ou résorbables (Schultz et Gager, 1990 ; Schallhorn et Mac Clain, 1993 ; Schenk et coll., 1994 ; Simion et coll., 1996).
Au début des années 1980, les résultats obtenus avec ces différentes thérapeutiques restaient aléatoires, peu prévisibles, nécessitaient parfois plusieurs interventions. De nombreux praticiens ont eu recours à différents procédés au moment de l'extraction afin de prévenir la perte de substance ostéo-muqueuse (Quinn et coll., 1985 ; Ouhayoun et Etienne, 1989).
Ce cas clinique associe prévention de perte de substance après extraction, utilisation d'un biomatériau avec une membrane résorbable et traitement orthodontique.
En 1986, N.T., enfant de 13 ans en bonne santé générale, a été adressé par son orthodontiste pour la mise en place de la 23 incluse (fig. 1).
L'examen clinique montre un état parodontal sain avec une inflammation gingivale réduite et l'absence de dents de sagesse.
L'examen radiologique révèle la présence d'un « odontome en mosaïque » (Chaput, 1967 ; Coleman et Nelson, 1993) (fig. 2) et de 24 et 23 incluses, 23 se situant à l'apex de 24.
Le plan de traitement a été décidé en collaboration avec l'orthodontiste et l'extraction de l'odontome complexe et de la 24 ont été réalisés pour permettre l'évolution de la 23 et sa mise en place par un procédé orthodontique.
Un lambeau mucopériosté a permis l'extraction de l'odontome complexe et de la 24 (fig. 3).
Pour minimiser la destruction osseuse, la 24 a été sectionnée et extraite en plusieurs morceaux (fig. 4).
Malgré toutes les précautions opératoires prises pour les extractions, la situation vestibulaire de l'odontome complexe et son volume ont engendré une perte de substance importante avec destruction de la table osseuse vestibulaire en regard de 24 et 23 (fig. 5).
Pour éviter l'effondrement muqueux et une perte ostéomuqueuse importante (Benqué et coll., 1985), une hydroxyapatite semi-résorbable et une mèche de polyglactine 910 avec collagène (Vicryl®) ont été utilisés (fig. 6). Ce treillis aura pour avantage de conserver la totalité du matériau, d'éviter l'invagination épithéliale, de préserver le caillot sanguin et de permettre ainsi la reconstruction osseuse (fig. 7, 8 et 9).
Les résultats cliniques favorables montrent une cicatrisation sans perte de substance à un an postopératoire (fig. 10).
On note que l'orthodontiste a mis en place les bracketts et un arc afin de maintenir l'espace mésio-distal pour la mise en place de la canine. Des contrôles réguliers à 3 mois d'intervalle ont permis de suivre l'évolution de la 23 et de montrer qu'elle progresse au travers du matériau de comblement (fig. 11), en situation très vestibulaire dans la muqueuse. C'est pourquoi 18 mois après la première intervention, il a été décidé d'élever un lambeau d'épaisseur partielle et de le positionner apicalement à partir de la crête édentée afin de créer un environnement parodontal plus favorable autour de la canine (création de gencive kératinisée et attachée qui n'existait pas) (fig. 12).
On peut remarquer qu'il existe toujours, après 18 mois, de nombreuses particules de bioapatites au niveau du site opératoire (fig. 12).
L'évolution des connaissances fondamentales, des concepts biologiques et des différents matériaux utilisés (os autogène, os allogène, biomatériau, membrane résorbable ou non résorbable) et la meilleure maîtrise des traitements pluridisciplinaires (ici parodontie et orthodontie) amènent les questions suivantes :
- ce traitement est-il encore indiqué aujourd'hui ?
- la même séquence thérapeutique serait-elle utilisée ?
- les mêmes matériaux seraient-ils utilisés ?
L'objectif à atteindre à la fois pour l'orthodontiste et le parodontiste est l'extraction de la 24 et de l'odontome complexe pour accéder à la 23 et la mettre en place sur l'arcade par un moyen orthodontique. Cet objectif, quels que soient les techniques ou les matériaux utilisés, reste l'élément primordial de la décision (fig. 13, 14, 15 et 16).
L'accès aux dents à extraire se fera toujours par un lambeau muco-périosté préservant la totalité des papilles et du tissu kératinisé ;
L'incision sur la crête édentée sera déportée en palatin pour conserver un maximum de gencive kératinisée, permettant d'obtenir :
- une suture la plus hermétique possible ;
- un recouvrement total de la membrane, si elle est utilisée ;
- une protection et la stabilité du caillot.
C'est-à-dire les conditions nécessaires à la prévention de la perte de substance et à la Régénération Osseuse Guidée (O'Brien et coll., 1994 ; Dies et coll., 1995 ; Dies, 1997).
Le traitement orthodontique sera fonction de l'évolution de la canine et nécessitera probablement, tel que cela a été décrit ici, une deuxième intervention chirurgicale pour coller un bouton permettant la traction orthodontique et aussi améliorer les conditions parodontales (Korbendau, 1995).
Les différentes études histologiques (Ogilvie et coll., 1985 ; Gineste et coll., 1992) ou cliniques (Benqué et coll., 1985 ; Duffort et coll., 1987) utilisant l'hydroxyapatite semi-résorbable comme matériau d'espacement ou de comblement, montrent les propriétés ostéoconductrices du matériau mais également la persistance à plus d'un an postopératoire de cristaux d'hydroxyapatite parfaitement tolérés, encapsulés, dans du tissu fibreux.
Le cas clinique présenté montre la persistance de ce matériau à 10 ans postopératoire (fig. 17 et 18), ce qui interfère probablement sur la quantité d'os néoformé sur la qualité du système d'attache obtenu et sur la capacité de ce matériau à être résorbé complètement.
En outre, l'utilisation des matériaux de comblement a, parfois, été associée à des résorptions radiculaires (Ibbot, 1985 ; Minegheshi et coll., 1988), ces dernières pouvant être aggravées par le traitement orthodontique.
Ce traitement orthodontique permet, au contraire, de faire évoluer la dent et son parodonte (os et système d'attache) par des phénomènes d'apposition et de résorption (Fontenelle, 1992) pour permettre la mise en place de la dent incluse dans des zones où l'on a effectué des extractions (fig. 19).
L'utilisation de la membrane résorbable (Vicryl®) telle que l'ont montré Fleisher et coll. (1988), Caton et coll. (1994) et Rachlin en 1997 illustre la possibilité à partir d'une membrane résorbable de favoriser la régénération osseuse guidée à partir du moment où le caillot est parfaitement stable et protégé.
C'est parfaitement le cas dans la situation concernée, puisque la cavité postopératoire est une cavité à quatre parois résiduelles avec une forte potentialité ostéogène.
Dans une situation d'extractions multiples, à condition qu'il persiste suffisamment de parois résiduelles, la prévention de pertes de substance ostéomuqueuse devrait se faire en favorisant la stabilité et la protection du caillot à l'aide de membrane résorbable sans l'adjonction d'un quelconque matériau de substitution osseuse.