Régénération tissulaire induite par les dérivés de la matrice amellaire : intérêt par rapport à la régénération tissulaire guidée - JPIO n° 4 du 01/11/1999
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/1999

 

Modèle Clinique

Sofia Aroca *   Bruno Barbiéri **   Daniel Etienne ***  


*Département de Parodontologie, Université Paris-VII, France

Résumé

L'utilisation des dérivés de matrice amellaire (DMA) nous permet d'obtenir une régénération parodontale sans faire appel aux membranes. Bien que l'approche biologique soit différente, l'objectif commun est l'obtention d'une nouvelle attache après insertion perpendiculaire de fibres conjonctives dans un nouveau cément.

Les indications initiales de la régénération tissulaire guidée par membrane ont évolué grâce à l'amélioration du matériel par un renforcement titane ou par l'élaboration de membranes biodégradables. Cependant, dans certaines situations, les objectifs ne peuvent être atteints pour des raisons essentiellement anatomiques. L'utilisation de dérivés de la matrice amellaire ne nous apparaît pas tributaire des mêmes limitations et le geste opératoire est simplifié.

La rigueur du protocole opératoire n'en est pas moins équivalente et la simplification pour le clinicien n'est qu'apparente. En l'état actuel de nos connaissances, nos critères de choix ne dépendent pas des facteurs de risque présentés par le patient. Des études à long terme sont nécessaires pour apprécier si des indications spécifiques peuvent être dégagées entre l'utilisation des membranes résorbables tendant à supplanter les membranes non résorbables et les DMA. (fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 18)

Summary

The use of Enamel Matrix Derived proteins may permit periodontal regeneration without involving the use of membranes. Though the biological approach is different, the common goal of both techniques is the creation of a new attachment by perpendicular insertion of connective fibers in new cementum.

The indications for guided tissue regeneration by means of membranes has changed since the material has been reinforced with titanium and with the apparence of bioabsorbable devices. However, in certain situations, the objectives cannot be reached essentially for anatomical reasons. Using EMD doesn't seem to be dependent on such limitations, and also seems to require a simpler surgical procedure.

The precision of this surgical procedure is nevertheless equivalent to that needed for GTR and the technique is not simpler for the clinician. As our knowledge stands at the moment, selection criteria do not seem to be dependent on the patient's risk factors. Further long term studies are needed to assess if more specific indications could be drawn between bioabsorbable membranes (which are now displacing the use of non absorbable membranes) or EMD utilization. (fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17 et 18)

Key words

Periodontal regeneration, enamel derived proteins, surgical procedure

Objectifs biologiques

La régénération tissulaire guidée définit un principe biologique, devenu familier grâce aux travaux de Melcher (1976), mais aussi une technique qui a été validée, entre autres, par les travaux de : Karring , Gottlow , Nyman, Cortellini . La régénération des tissus de soutien de la dent est obtenue par l'interposition d'une membrane (résorbable ou non résorbable) entre la gencive et la surface radiculaire. La recolonisation sélective du caillot, ainsi stabilisé, puis de la surface radiculaire, permet la régénération d'un nouvelle attache, limitant la migration apicale de l'épithélium et favorisant un contact précoce du conjonctif du lambeau avec la racine détoxifiée (fig. 1). Lors de l'évolution de l'organe dentaire, la gaine épithéliale d'Hertwig va sécréter des protéines (amélogenines) impliquées dans la formation du cément acellulaire lors du développement radiculaire (Slavkin et al., 1988 ; Hammarström et al., 1997). Ce cément acellulaire permet l'insertion fonctionnelle des fibres de Sharpey.

Des études in vitro et in vivo ont démontré la capacité des protéines amellaires d'origine porcine à induire la régénération du parodonte détruit par la maladie. Le principe biologique est basé sur une interaction matrice-cellule qui s'établit entre les amélogenines et les cellules du ligament parodontal favorisant la formation du cément acellulaire (Hammarström et al., 1997 ; Gestrelius et al., 1997).

Les protéines des dérivés de matrice amellaire (DMA) mélangées à un vecteur de propylène glycol alginate (PGA) sont appliquées sur la surface radiculaire. La viscosité du PGA diminue à la température du corps et les protéines des DMA vont se déposer sous forme de matrice insoluble sur la surface radiculaire. Cette couche protéinique va favoriser une recolonisation des cellules fibroblastiques la première semaine suivant la chirurgie (Gestrelius et al., 1997).

Technique (tableau I)

Préalablement à l'acte chirurgical, des conditions doivent être remplies pour les deux méthodes. Les bactéries pathogènes doivent être, s'il y a lieu, éradiquées et la charge bactérienne réduite par des traitements mécaniques ou chimiques. De plus, l'efficacité de l'hygiène bucco-dentaire sera déterminante pour la qualité de la cicatrisation et la stabilité des résultats. La résolution de l'inflammation, après les détartrages et les surfaçages radiculaires, doit être suffisante pour permettre une conservation des papilles interproximales lors de la manipulation des lambeaux.

Incisions

Un recouvrement total du biomatériau et l'obtention d'une cicatrisation par première intention sont recherchés. Pour un recouvrement optimal des membranes, une incision décalée est préférable, tandis que pour les DMA une incision intrasulculaire, plus simple à réaliser, est suffisante. L'incision initiale intrasulculaire permet de préserver au mieux le volume des papilles et de la gencive marginale.

Les incisions de décharges sont indiquées pour réduire l'extension des lambeaux et débrider les lésions profondes.

Les lambeaux sont mucopériostés, mais une dissection muqueuse au fond du vestibule (et du côté labial) est parfois nécessaire pour permettre la libération du lambeau et le recouvrement d'une membrane.

Débridement

Un débridement soigneux des lésions et un surfaçage radiculaire sont réalisés mais la préparation radiculaire est un sujet de controverse.

Il n'y a pas d'avantage à utiliser l'acide citrique, lors d'une régénération tissulaire guidée (RTG) par membranes en polytétrafuoroéthylène expansé (e-PTFE) (Handelsman et al., 1995). Par contre, avec les dérivés des DMA, un gel d'acide orthophosphorique à 37 % pendant 15 secondes peut être préconisé, mais Hammarström , Zetterström et Andersson (1997) recommandent l'utilisation d'un gel d'EDTA à 24 % pendant 2 minutes. Le site est ensuite rincé abondamment à l'aide du sérum physiologique jusqu'à élimination des traces d'acide ou de gel.

Hémostase

Un caillot occupant tout le volume libéré par la membrane est recherché. Par contre, avec les DMA les surfaces radiculaires doivent être soigneusement rincées et séchées pour optimiser le contact des protéines. Le mélange est ensuite appliqué de la partie apicale vers la couronne de la dent, à l'aide d'une seringue maintenant un contact avec la racine.

Sutures

Un recouvrement total des membranes est recherché, que ce soit pour les membranes en e-PTFE ou en polymères. Des points de suture Blair-Donatti croisés peuvent être utilisés pour coapter les papilles.

Les membranes biodégradables présentent l'avantage d'une meilleure tolérance gingivale lors d'une exposition au milieu buccal et ne nécessitent pas une dépose chirurgicale parfois contraignante. Par contre, elles s'effondrent dans les lésions larges et réduisent ainsi le volume possible de tissu régénéré. L'exposition des membranes e-PTFE-Ti est plus fréquente et l'utilisation combinée d'une greffe gingivale a été proposée par Cortellini. Cette méthode est cependant délicate.

La technique chirurgicale est beaucoup plus simple avec les DMA où il n'y a pas de souci de coaptation de la membrane aux contours radiculaires, ni de sutures délicates pour les lésions interproximales.

Le mélange protéines DMA - propylène glycol alginate est d'une viscosité basse et, pour éviter une fuite importante du matériau, il est conseillé de présuturer les lambeaux par des points de suture matelassiers horizontaux et croisés (fig. 2). Ces points sont serrés dès que l'application du produit est terminée.

Sélection des lésions

Cortellini , Machtei et Schallhorn (1995), Becker et Caffesse ont démontré que les lésions intra-osseuses étroites et profondes et les lésions des furcations mandibulaires de Classe II sont celles qui répondent le mieux au traitement par RTG. Cependant, des lésions larges peuvent être traitées efficacement par des membranes e-PTFE renforcées titane. Une adaptation intime entre la membrane et la surface radiculaire est néanmoins impossible sur des faces proximales présentant un sillon ou une concavité. La membrane ne limite plus, dans ce cas, la migration apicale de l'épithélium.

Les DMA, s'ils sont utilisables dans les mêmes indications cliniques qu'une RTG, sont aussi préconisés sur :

- une surface radiculaire présentant un sillon ou une concavité ;

- une lésion osseuse circonférentielle ;

- en présence d'une proximité radiculaire ou de lésions intra-osseuses multiples sur le même quadrant.

Tolérance

Les membranes e-PTFE sont biocompatibles, ne provoquent pas de réaction inflammatoire, mais l'exposition au milieu buccal permet la colonisation bactérienne.

Les DMA présentent l'inconvénient d'être dérivés de l'animal, mais leur innocuité clinique serait favorisée par un potentiel immunogène extrêmement bas, voire inexistant (Zetterström et Anderson, 1997). Cliniquement, les réactions postopératoires sont limitées.

Pour les deux méthodes, une antibiothérapie peut être indiquée en tenant compte des facteurs de risque du patient.

Des bains de bouche à 0,2 ou 0,12 % de chlorhexidine sont préconisés pendant 3 semaines, voire 6 semaines pour les membranes e-PTFE.

Conclusion

Heijl , Sculean montrent des résultats satisfaisants avec les dérivés de matrice amellaire, mais des études à long terme sont nécessaires pour apprécier la prévisibilité des résultats.

D'après notre expérience clinique, il apparaît que la régénération tissulaire induite réalisée par les DMA constitue une alternative satisfaisante à la régénération tissulaire guidée par membrane. Les exigences, sur le contrôle de l'infection microbienne ou le débridement, sont comparables, mais les difficultés liées à la manipulation des membranes et à leur exposition n'existent plus.

Demande de tirés à part

Sofia AROCA, 10, impasse Saint-Pierre, 78100 SAINT-GERMAIN-EN-LAYE.

BIBLIOGRAPHIE

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