Implant unitaire : choix raisonné des tracés d'incision - JPIO n° 1 du 01/02/2000
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/2000

 

Modèle clinique

May FEGHALI ASSALY  

Département de Parodontologie,
Faculté de Chirurgie dentaire,
Université Paris-VII,
France

Résumé

Dans un secteur esthétique, la seule ostéo-intégration de l'implant n'implique pas le succès prothétique. Une harmonie des tissus mous avec les dents adjacentes est nécessaire pour obtenir un résultat esthétique satisfaisant.

La morphologie osseuse d'un site édenté ainsi que le rapport crête osseuse/hauteur gingivale sont deux facteurs déterminants dans le contrôle de la prévisibilité du succès esthétique. Ce modèle illustre le choix des tracés d'incision, réfléchi de manière à préserver les tissus mous lors d'un réaménagement tissulaire péri-implantaire.

Summary

In the anterior region, osseo-integration is not the only indicator of a successful prothesis. A satisfactory aesthetic result can only be achieved with a harmonious relationship between the soft tissues and teh adjacent teeth.

The bone morphology of the edentulous site as well as the relationship between the crestal bone and height of the gingivae are determining factors for the predictability of the aesthetic result. This model illustrates the need to plan the lines of incision, to reflect the flap in a way which preserves soft tissue as well as its rearrengement around the implant.

Key words

Aesthetics, papillae, single tooth implant, regeneration, incisions

L'indication de l'implant dans le traitement d'un édentement unitaire n'est plus à démontrer (Jemt et Petersen, 1993 ; Boudrias, 1993 ; Balshi, 1994 ; Cordioli et al., 1994 ; Garber, 1995). Le succès esthétique et fonctionnel d'une réhabilitation implantaire est le résultat d'une coordination au niveau du plan de traitement entre le chirurgien, le praticien prothésiste et le prothésiste dentaire. L'implant doit être positionné correctement, dans un environnement idéal de tissus durs et mous.

Les composantes esthétiques des tissus mous doivent être évaluées dans les trois dimensions de l'espace. Elles requièrent :

- une symétrie de la gencive libre marginale en rapport avec le reste de l'arcade ;

- le contour vestibulo-lingual configurant le profil d'émergence ;

- la reproduction de la forme pyramidale des papilles dans les sens horizontal et vertical.

Le traitement optimal d'un édentement unitaire, notamment au niveau maxillaire antérieur, constitue un choix thérapeutique délicat et un défi esthétique. Ce traitement devient particulièrement complexe en présence de déficits des tissus durs et mous compromettant ainsi le résultat esthétique final. Une reconstitution implanto-portée très esthétique requiert une topographie idéale de ces tissus. Dans ce cas, le contour gingival est assuré par un volume et une architecture corrects des papilles interdentaires et par un alignement homogène de la gencive marginale avec la ligne des collets controlatéraux. Dans le cas optimal (agénésie, fracture radiculaire ou perte atraumatique de la dent), ces contours anatomiques du parodonte sont relativement bien conservés (fig. 1a et 1b). Ils sont plus ou moins détériorés dans le cas d'extraction traumatique, d'avulsion accidentelle ou de maladie parodontale. Un effondrement tissulaire vertical et/ou horizontal surviendrait dans tous ces cas de figure (fig. 2a, 2b et 2c). Des techniques chirurgicales bien élaborées permettent à présent de reconstruire les tissus durs perdus (Simion et al., 1994 ; Jovanovic et Nevins, 1995 ; Tinti et al., 1996) et de réaménager au besoin les tissus mous au niveau du second temps chirurgical (Salama et al., 1995 ; Jemt, 1998 ; Azzi et al., 1999). En présence d'un parodonte et d'une crête édentée non détériorés, notre seul souci sera une manipulation très conservatrice des tissus mous afin de préserver la morphologie des papilles.

En présence d'un parodonte effondré, la situation devient plus complexe et le risque de terminer avec des trous noirs interproximaux est augmenté.

Des considérations anatomiques et une bonne évaluation clinique et radiographique des rapports osseux/gingivaux permettent, avant tout acte chirurgical :

- d'évaluer le risque d'effondrement des papilles ;

- d'évaluer le volume de tissus à régénérer (mous ou durs) ;

- de décider de la technique chirurgicale et, par la suite, des tracés d'incisions.

Considérations anatomiques

La préservation et/ou la régénération des papilles interproximales restent des techniques peu prévisibles et n'atteignent pas le même taux de succès que celles des greffes gingivales et osseuses. Pour mieux comprendre cette disparité, quelques critères sont pris en considération :

- le rôle primordial de l'architecture osseuse sous-jacente dans la prévision et le guidage des contours des tissus mous interproximaux ;

- la présence ou l'absence de volume de la papille interproximale, qui est inversement corrélée à la distance entre la base de la zone de contact et la crête osseuse (Tarnow et al., 1992). Le remplissage papillaire est de 100 % si cette distance est inférieure à 5 mm, de 56 % quand elle mesure 6 mm et de 27 % à une distance de 7 mm ;

- une relation similaire (selon les suggestions de Salama et al., 1998) existerait dans le cadre d'une réhabilitation implantaire. Ces auteurs définissent en 3 classes la hauteur osseuse interproximale (HOI), desquelles dépendent le pronostic et la prévisibilité du succès esthétique des tissus mous (fig. 3). La classe 1 HOI (de 4 à 5 mm du futur point de contact, ou point A) est de bon pronostic. Pour la classe 2 HOI (de 6 à 7 mm du point A), le pronostic est réservé. Pour la classe 3 HOI (supérieure à 7 mm du point A), il est mauvais ;

- la distance entre le bord marginal de la gencive libre et la crête osseuse peut varier de 3 à 5 mm (Phillips et Kois, 1998). Le contour de l'os est une reproduction de la forme de la jonction amélo-cémentaire (ou jonction émail-cément : JEC). Les pics osseux peuvent atteindre 3,5 mm dans la région maxillaire antérieure et s'aplatissent graduellement en allant vers les régions postérieures. Une prévisibilité de 90 % est assurée quel que soit le type de l'intervention si la mesure moyenne de cette distance est de 4 mm.

Évaluation clinique

Lors d'un examen clinique minutieux, on essaiera de déterminer la morphologie et le volume (épaisseur, qualité, hauteur) résiduel de la papille ainsi que sa position par rapport à la jonction émail-cément (fig. 2a). Une radiographie rétro-alvéolaire du site, prise avec une technique de rayons parallèles, permettra d'évaluer dans les sens vertical et horizontal le niveau d'effondrement des septa interdentaires et le volume de la perte osseuse au niveau des corticales (fig. 2b). Cette radiographie sera ensuite superposée à la vue clinique de manière à mesurer la distance entre le bord marginal de la papille et la crête osseuse (fig. 2c). Un sondage osseux (sounding) sous anesthésie est indispensable pour confronter le résultat avec la mesure de la hauteur osseuse interproximale obtenue avec la méthode précédente.

Protocole clinique et incisions

Les données anatomiques déjà publiées confrontées aux résultats de notre examen clinique et radiographique permettent de poser un diagnostic, de proposer une stratégie chirurgicale et d'établir un pronostic. En cas de situation optimale, ou classe 1 HOI, 5 mm de distance entre le bord marginal de la papille et le rebord osseux semblent assurer un bon pronostic pour une longueur papillaire prévisible (LPP) (Salama et al., 1998). Le décollement des papilles à partir d'une incision horizontale décalée au palais peut être pratiqué sans risque (fig. 4). Des incisions verticales passant à distance des papilles peuvent également être pratiquées (fig. 5).

Dans une situation à risque, ou classe 2 ou 3 HOI, le bord marginal de la papille se situe à 6 ou 7 mm du rebord osseux.

Cas clinique

À l'examen clinique, la patiente présente une rougeur et une fistule en regard de la 22 (fig. 6). Le diagnostic d'un abcès parodontal est établi puis confirmé à la vue de la fracture sur le cliché radiographique (fig. 7).

Une extraction atraumatique est pratiquée sous un lambeau en enveloppe (fig. 8). À l'aide de sutures très peu tractées, les papilles sont resuturées à leur niveau initial sans aucune tension. La cicatrisation post-extractionnelle du site montre un léger ramollissement des pointes papillaires (fig. 9) et un effondrement considérable de la table vestibulaire (fig. 10). Une décision de régénération osseuse guidée (ROG) est prise. À ce stade, une étude préalable des traits d'incision s'impose. Une superposition des clichés radiographique et clinique est réalisée (fig. 11) selon la technique décrite précédemment. Elle montre une distance de 6 mm en distal de la 21 et de 7 mm en mésial de la 23. Vu l'épaisseur considérable de la papille mésiale, il était préférable de préserver l'attache fibreuse de cette papille et de la contourner avec les incisions. De ce côté, la membrane a été enfouie en dessous du périoste en passant sous le trait d'incision. Du côté distal, le trait d'incision est décalé d'une dent afin de permettre une régénération osseuse verticale (fig. 12). Un greffon conjonctif est suturé en collerette au-dessus de la membrane et à la base de la papille distale (fig. 13) afin de prévenir l'effondrement tissulaire gingival suite à l'élévation du lambeau, d'épaissir la papille et la repositionner plus coronairement et de combler l'hiatus en cas d'exposition.

Le gain osseux obtenu avec la régénération osseuse guidée va permettre de placer l'implant dans la position idéale d'émergence dans le sens vestibulo-lingual et vertical (de 2 à 3 mm en dessous de l'os cortical vestibulaire adjacent) (fig. 14).

Les incisions contournent à distance les papilles (fig. 15, 15b et 15c). Dans cette situation même favorable (relation os/gencive), il est préférable, vu la qualité encore immature de l'os régénéré, de ne pas décoller les papilles afin d'éviter une éventuelle résorption osseuse.

Une greffe épithélio-conjonctive est réalisée en réaménagement tissulaire mou de la surface (fig. 16). Un conjonctif en rouleau est glissé sous le lambeau vestibulaire lors du second temps chirurgical avec incision et décollement a minima. Le résultat final montre une préservation parfaite de la hauteur papillaire (fig. 17).

Conclusion

Dans les situations cliniques où un aménagement osseux vertical du site implantaire s'impose, les tracés d'incisions verticales et horizontales se feront à distance, en prenant soin d'élever les papilles avec le lambeau. En présence d'une composante osseuse verticale adéquate, les incisions verticales préserveront l'insertion fibreuse des papilles, indépendamment de la technique ou du stade chirurgical. Si la distance interdentaire est réduite et dans le cas d'une « HOI » très favorable, on peut se permettre de décoller un lambeau en cas de nécessité.

Dans un cas très esthétique et en présence d'une Classe I « HOI », les incisions verticales peuvent être évitées et une incision crestale a minima est pratiquée, accompagnée d'un léger décollement.

Demande de tirés à part

May FEGHALY ASSALY, 21, avenue du Président-Wilson, 75116, PARIS.

BIBLIOGRAPHIE

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