MODÈLE CLINIQUE
Jean-Pierre ALBOUY * Fabrice BAUDOT ** Jean-Gérard ALBOUY ***
*Exercice privé, Montpellier, France
**Exercice privé, Montpellier, France
***Exercice privé, Montpellier, France
L'utilisation d'implants Brånemark se fait classiquement sur des sites osseux cicatrisés, en maintenant l'implant enfoui pour assurer une période d'ostéointégration sans contraintes. La technique présentée ici combine la mise en place d'implants immédiatement après les extractions dentaires et l'utilisation de piliers transépithéliaux de cicatrisation lors de la même intervention. Un bref rappel des données connues concernant ces techniques et leurs résultats cliniques sont présentés pour justifier le choix thérapeutique. La simplification du traitement et le gain de temps sont mis en évidence. Une technique d'empreinte combinée est décrite.
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Conventionally, Brånemark implants are used on healed surgical bony sites and a period of sub-mucosal burial is used to ensure trauma free osseointegration. A technique is presented that combines the use of implants placed at the time of extraction with the use of trans-epithelial healing abutments at the same surgical procedure. A brief review of the available data regarding these procedures is presented to justify the therapeutic choice. The simplification and reduction in treatment time are emphasized. A combined impression technique is presented.
La restauration des secteurs antérieurs par prothèse implanto-portée constitue un problème complexe qui implique le maintien de l'architecture tissulaire telle quelle existe, si elle est acceptable pour le patient. Dans les cas où la perte tissulaire est importante, des techniques d'augmentation peuvent s'imposer (Schliephake et al., 1994) ; néanmoins, elles engendrent une augmentation du coût et du temps de traitement ainsi que des risques plus ou moins bien connus, inhérents à leur complexité (Esposito et al., 1998). Les objectifs doivent donc être clairement définis et la thérapeutique doit les prendre en compte. La finalité de tout traitement implantaire étant prothétique, les objectifs sont les suivants :
- satisfaction du patient ;
- intégration fonctionnelle (phonétique et occlusale) ;
- position de la gencive marginale proche ou égale à la position pré-opératoire si celle-ci est satisfaisante ;
- intégration esthétique sur le plan des contours et des teintes ;
- position de la gencive marginale en harmonie avec les dents adjacentes.
La décision thérapeutique est ainsi la conclusion d'une démarche intellectuelle fondée sur l'évaluation des objectifs et des moyens. Elle s'appuie en grande partie sur les données acquises de la science odontologique dont traite la littérature scientifique.
Le but de cette présentation est donc d'apporter une solution thérapeutique réfléchie, simple et répondant aux objectifs d'un cas apparemment complexe.
Le patient est un homme de 65 ans, non fumeur, atteint d'une maladie parodontale chronique de l'adulte. Son état parodontal semble stabilisé, son hygiène est bonne. Il a un bon niveau d'éducation, est psychologiquement stable et en mesure de comprendre tous les impératifs et inconvénients liés au traitement qu'il va subir. Il présente une perte de hauteur généralisée de la gencive marginale et des papilles interproximales liée à sa maladie parodontale et à l'alvéolyse horizontale généralisée qui en a découlé. Il ne manifeste pas le désir de voir la situation améliorée d'un point de vue esthétique et s'accommode sans peine des espaces interdentaires importants liés à la perte d'attache.
Deux semaines après avoir subi un traumatisme au niveau des incisives centrales, il vient consulter. Les 2 dents présentent une mobilité accrue et sont sensibles à la percussion.
La dent 21 présente une suppuration intrasulculaire ainsi qu'une perte osseuse radiographique atteignant les 2 derniers millimètres apicaux de la racine. Le sondage est profond, supérieur à 10 mm en mésial, vestibulaire et distal. Les tests de vitalité pulpaire pour cette dent étant négatifs, elle reçoit un traitement endodontique. La dent 11 répond normalement aux tests de vitalité pulpaire. Les 2 dents sont liées dans une contention pour répartir les contraintes.
Un mois après le traitement endodontique, les mobilités s'aggravent et la suppuration persiste sur 21. A ce moment-là est prise la décision d'extraire les dents 11 et 21 pour éviter une perte osseuse supplémentaire. Cette décision découle de :
- la non-résolution du problème endo-parodontal localisé sur 21 ;
- le souci de préserver le volume tissulaire existant ;
- l'augmentation de la mobilité sur 11 malgré la contention en place ;
- l'incertitude du maintien à long terme du niveau osseux actuel ;
- les très bons résultats cliniques des prothèses implanto-portées chez l'édenté partiel (Lekholm et al., 1994 ; Naert et al., 1992).
Le choix prothétique est fondé sur les résultats cliniques des prothèses implanto-portées vissées sur des piliers transgingivaux en titane (Brånemark et al., 1988), et ceci tant chez l'édenté total (Adell et al., 1990) que chez l'édenté partiel (van Steenberghe et al., 1989 ; Naert et al., 1992). Notre choix se portera donc sur une prothèse vissée, supportée par un pilier prothétique trans-gingival en titane. La prothèse vissée permet un accès facile en cas de complications (Worthington et al., 1987). De plus, l'obtention d'un résultat esthétique est bien plus liée à la position des tissus, à leur volume et à la forme de contour des restaurations qu'au mode de fixation de la prothèse. La prothèse scellée n'a d'intérêt esthétique qu'en ce qui concerne le puits d'accès occlusal et lors de certaines malpositions de l'implant.
Après un examen scanora, il est mis en évidence que le volume osseux est suffisant pour accepter 2 implants de 15 mm de long dans l'os basal, sans tenir compte de l'alvéole inhabité. En effet, l'alvéole est dans une position vestibulaire par rapport au futur implant. Celui-ci sera donc presque exclusivement stabilisé dans de l'os basal, la position des implants étant déterminée par les choix prothétiques anticipés.
Il est classiquement admis que la maturation osseuse histologique dans un site postextractionnel est obtenue, chez l'homme, dans un délai de 3 à 4 mois (Evian et al., 1982). La maturation fonctionnelle n'a lieu qu'après mise en fonction de l'implant (Sennerby et Meredith, 1999 ; Friberg et al., 1999). Néanmoins, Barzilary (1988) a décrit l'implantation immédiate chez l'animal et Lazzara (1989) en a présenté quelques avantages cliniques chez l'homme. Dans ces cas, l'implant est stabilisé dans l'os basal situé apicalement par rapport aux apex dentaires. Ainsi, seul cet os doit être considéré quant à la stabilité fonctionnelle de l'implant, la réparation du site d'extraction étant indépendante. Plusieurs auteurs ont démontré depuis que l'implantation immédiate peut être une technique fiable si elle est bien contrôlée (Parel et Triplett, 1990 ; Tolman et Keller, 1991). Bien que les défauts osseux résiduels incitent à utiliser des techniques de régénération osseuse, Becker et al. (1998) ont obtenu 93,3 % de succès sans augmentation pour des implants postextractionnels suivis entre 4 et 5 ans.
Le gain de temps intervient également grâce à l'intervention en un temps chirurgical qui permet d'éviter le deuxième temps opératoire et, par conséquent, un délai de cicatrisation tissulaire plus long. Ericsson et al. chez le chien (1994), puis chez l'homme (1996) ont démontré, lors d'études contrôlées, que l'utilisation d'implants Brånemark
en un temps chirurgical pouvait être envisagée. Tandis qu'Ericsson et al., 1994 ; 1997 fondaient leur travail sur des édentés totaux mandibulaires, Becker et al., en 1997, mettaient en évidence que cette technique pouvait apporter de bons résultats chez l'édenté partiel. Dans ce cas particulier, nous avons toutefois soigneusement expliqué au patient les impératifs liés à l'exposition des piliers transépithéliaux lors de la phase d'ostéointégration, en insistant sur l'importance d'une hygiène postopératoire rigoureuse et sur l'utilisation de la prothèse provisoire amovible dans un but uniquement esthétique. Le patient est mis au courant de la « fragilité » de l'implant avant le délai « normal » d'intégration. Sa prothèse amovible est largement évidée et rebasée à l'aide de viscogel une semaine après l'intervention. Finalement, il ne semble pas que l'implantation dans des sites infectés engendre des taux d'échec plus importants (Novaes et al., 1998 ; Gher et al., 1994), bien que cette hypothèse ne soit pas encore vérifiée à grande échelle chez l'homme. Il est à noter que la plupart des implants post-extractionnels sont placés dans des sites infectés après des problèmes parodontaux ou endodontiques, chroniques ou aigus. Becker et al. (1998) excluaient pour ces traitements les sites présentant une destruction osseuse importante (empêchant la stabilisation primaire) ou une suppuration. Les infections chroniques, ne présentant pas ces signes cliniques, étaient donc traitées.
Fondée sur plusieurs études cliniques, l'utilisation d'implants vissés usinés en titane commercialement pur, en un temps chirurgical, est une solution thérapeutique qui assure un gain de temps très appréciable. La mise en place immédiatement après l'extraction contribue également à la simplification, à la rapidité et au contrôle du cas. Les implants sont placés sans tenir compte du défaut osseux et stabilisés dans de l'os basal. Leur position est dictée principalement par les impératifs prothétiques et l'étude préopératoire permet de s'assurer de la faisabilité des objectifs définis. Le comblement « osseux » n'a donc pas de rôle fonctionnel à jouer mais seulement un rôle esthétique limitant la perte du volume tissulaire horizontal préopératoire. L'utilisation d'une technique d'empreinte combinée (silicone et plâtre) assure un enregistrement critique de la position des piliers prothétiques. En combinaison avec l'utilisation d'une prothèse vissée, cette technique permet un contrôle optimal de l'adaptation de l'armature et de sa pérennité à long terme. Il convient néanmoins de garder à l'esprit que ces techniques, bien que fiables, ne sont pas encore étudiées sur du long terme et que les critères de sélection des patients doivent donc rester très rigoureux.
Demande de tirés à part
Jean-Pierre ALBOUY, Centre odontologique des Arceaux, 10, rue Paladilhe, 34000 MONTPELLIER - FRANCE.