Le lambeau apicalisé : un gestuel biologiquement compatible ? - JPIO n° 3 du 01/08/2001
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 3 du 01/08/2001

 

Modèle clinique

Sofia AROCA *   Bruno BARBIÉRI **   Daniel ÉTIENNE ***  


*Service de parodontologie,
Université Paris-VII, France
**Eastman Dental Institute,
University College, Londres, Royaume-Uni
***Service de parodontologie,
Université Paris-VII, France

Résumé

L'objectif principal du traitement des parodontites est de contrôler la réaction inflammatoire. Les études à long terme ont largement démontré l'importance de l'efficacité du contrôle de plaque pour préserver, par une thérapeutique parodontale de soutien, un équilibre hôte-bactéries (plaque dentaire) compatible avec la santé parodontale. Différents moyens thérapeutiques non chirurgicaux ou chirurgicaux ont été proposés. Les concepts chirurgicaux ont évolué du lambeau curetage à une recherche de régénération parodontale, mais le lambeau apicalisé combiné à un remodelage osseux, qui a été il y a quelques années l'illustration d'un ensemble de gestes cliniques fondé sur des critères anatomiques, s'avère aussi intéressant sur le plan biologique en favorisant le contrôle d'une flore parodontale compatible, chez les patients à risque.

Summary

A main goal in the treatment of periodontal disease is to control the inflammatory reaction. Evidence from long term studies has largely shown the importance of effective plaque control during supportive periodontal therapy for the establishment of a host - bacteria (dental plaque) equilibrium that is compatible with periodontal health. Various non-surgical and surgical therapies have been suggested. Surgical concepts have evolved from flap curettage to a search for periodontal regeneration. However, for a number of years, the apically positioned flap combined with bone remodelling illustrates an empirically-based technique founded on anatomical factors that has proved also to have biological benefits by enabling improved plaque control to establish a flora which is compatible with periodontal health, in patients at risk.

Key words

Apically positioned flap, ostectomy, periodontal microflora

Introduction (fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12)

Les maladies parodontales sont des maladies inflammatoires d'origine infectieuse. Si le traitement est fondé d'abord sur l'élimination des facteurs étiologiques, le praticien s'attache ensuite à contrôler les facteurs de risque de récidive. Certains facteurs sont contrôlables par le patient ou le praticien, d'autres ne le sont pas. Les facteurs de risque directement maîtrisables par le praticien sont la présence de bactéries pathogènes et la profondeur des poches parodontales. Les objectifs de la phase initiale du traitement sont l'élimination de l'inflammation par une réduction de la charge bactérienne, la désorganisation du biofilm bactérien et l'obtention d'une plaque compatible avec les possibilités de défense de l'hôte. La visite de réévaluation permet de déterminer si ce traitement non chirurgical est suffisant ou si des mesures supplémentaires doivent être mises en œuvre. En chirurgie préprothétique, une suppression des poches parodontales modérées ou, plus simplement, une élongation coronaire s'impose fréquemment. En présence d'une parodontite et selon les facteurs de risque locaux et généraux considérés, l'indication d'une réduction chirurgicale de la profondeur des poches parodontales de plus de 5 mm sera posée. A une fermeture ou à une éradication chirurgicale de la poche, respectivement par lambeau de débridement ou lambeau apicalisé, des praticiens ont préféré, ces dernières années, un concept de régénération, intellectuellement plus attrayant. La régénération parodontale par membrane, qui était, il y a peu, la méthode de traitement de choix, a été ensuite contestée, tandis que le lambeau apicalisé combiné à un remodelage osseux connaissait un regain d'intérêt ; nous nous proposons, au cours de cet article, d'en évaluer les évidences scientifiques récentes.

Facteurs de risques maîtrisables par le praticien

La corrélation entre la présence des bactéries anaérobies et la profondeur des poches parodontales n'est plus à démontrer. Les bactéries à Gram négatif sont plus souvent décelables au niveau de poches profondes que dans des poches de moins de 4 mm de profondeur (Greenstein, 1997). Le pourcentage des complexes rouge (Porphyromonas gingivalis, Bacteroides forsythus, Treponema denticola) et orange (Campylobacter rectus, Fusobacterium nucleatum, Prevotella intermedia, Prevotella nigrescens, Peptostreptococcus micros, Eubacterium nodatum) est plus élevé dans les poches parodontales profondes des patients non traités que des patients traités (Haffajee ).

Après une thérapeutique initiale, la poche parodontale profonde reste colonisée par des bactéries (Shiloah et Patters, 1996), ce qui ne s'accompagne généralement pas de signes cliniques détectables. Haffajee observent que cette diminution du nombre total de bactéries a un effet positif sur l'équilibre hôte-parasite, mais que la température (Haffajee et al., 1992a et b) et le potentiel redox (Ewers, 1985) sont des paramètres favorables à une surcroissance des anaérobies. La poche parodontale profonde demeure également moins accessible aux méthodes prophylactiques appliquées par le patient ou par le praticien que la poche peu profonde. Une recolonisation par les pathogènes est en effet décelable dès le troisième mois (Shiloah et Patters, 1996) et une thérapeutique de soutien performante (TPS) est nécessaire chez les patients à risque. Rams observent, chez 78 patients et une TPS de 12 mois, un risque relatif de récidive de maladie parodontale 2,5 fois plus élevé au-delà d'un seuil de 0,01 % pour Actinobacillus actinomycetemcomitans, de 0,1 % pour P. gingivalis, de 2,5 % pour P. intermedia, de 2 % pour C. rectus et de 3 % pour P. micros pour une ou plusieurs des 5 espèces pathogènes.

Haffajee suggèrent que les deux hypothèses de colonisation ont des implications thérapeutiques. Si les poches parodontales profondes constituent une niche écologique et permettent une colonisation secondaire des autres sites, une élimination chirurgicale s'imposera afin de réduire la charge microbienne de la cavité buccale. Si, par contre, une colonisation initiale de nombreux sites superficiels à peu profonds est nécessaire pour une progression de la maladie, il s'agira d'en prévenir l'évolution en éradiquant les parodontaux pathogènes chez les individus fortement colonisés. Greenstein (1997) souligne des évidences de la littérature scientifique : les sites profonds présentent un risque élevé de progression de la maladie parodontale et l'absence de poches parodontales profondes chez les patients traités est un bon marqueur de stabilité parodontale.

Résultats microbiologiques à moyen terme

Les arguments initiaux de Schluger (1949) « de mémoire gingivale » et la nécessité d'obtenir une morphologie osseuse positive pour éviter une récidive des poches parodontales ont été progressivement remplacés par une notion d'écologie microbienne compatible avec la santé parodontale. Des études récentes y contribuent.

Mombelli étudient les effets de l'élimination chirurgicale des poches parodontales sur la flore pathogène ayant colonisé ces poches et sur les paramètres cliniques. Sept patients atteints d'une parodontite modérée généralisée reçoivent un enseignement d'hygiène bucco-dentaire et un nettoyage professionnel supragingival. Puis, des lambeaux mucopériostés sont réclinés et les lésions intraosseuses sont réduites par ostéoectomie-ostéoplastie. Les sites du groupe contrôle sont débridés et les dents sont soigneusement surfacées, tandis que les dents du groupe test ne le sont pas pour se limiter à l'élimination des dépôts de tartre visible. Les lambeaux des deux groupes sont ensuite repositionnés apicalement et suturés autour des dents par des points suspendus. Un débridement sous-gingival pour le groupe contrôle et un nettoyage professionnel supragingival pour le groupe test sont réalisés en postopératoire.

A 12 mois, une réduction de la profondeur des poches, un gain d'attache et une modification similaire des paramètres microbiologiques sont constatés pour les 2 groupes. Les bâtonnets anaérobies à Gram négatif diminuent significativement. Les organismes à Gram positif facultatifs sont augmentés. Seul le pourcentage d'A. actinomycetemcomitans ne change pas significativement. Les auteurs concluent que le changement de l'environnement sous-gingival (réduction chirurgicale de la poche) entraîne une diminution efficace de la flore sous-gingivale, ce qui constitue l'élément clé du succès du traitement parodontal, plutôt que l'élimination des dépôts mous et durs de la racine. Tuan constatent aussi, à 6 mois, une diminution importante d'A. actinomycetemcomitans, de P. gingivalis, de P. intermedia, de B. forsythus, de Fusobacterium nucleatum et de C. rectus après lambeau positionné apicalement et ostéoectomie. Pour Levy , ce lambeau déplacé apicalement est efficace dans l'élimination des bactéries des complexes rouge et orange. Dans cette étude, à 3 mois, les auteurs soulignent l'importance de l'effet bénéfique de la chirurgie, car les espèces du complexe orange précèdent la colonisation et prolifèrent avant celles du complexe rouge. L'altération de cette séquence entraîne un retard de recolonisation et un changement de l'environnement (réduction des poches) favorable à l'équilibre hôte-parasite.

Résultats cliniques à long terme

Des études à long terme ont comparé l'effet du traitement chirurgical à celui du traitement non chirurgical de la poche parodontale (Knowles ; Philström ; Isidor et Karring, 1986 ; Lindhe ; Ramfjord ; Wayne ). Une réduction plus importante de la profondeur de sondage moyenne et du niveau d'attache est observée après thérapeutique chirurgicale. La réduction initiale de la profondeur de sondage obtenue a tendance à diminuer avec le temps et la différence entre les deux thérapies tend à se réduire.

Pour Palcanis (1998), les sites présentant la profondeur de poche la plus importante ont tendance à se dégrader plus rapidement après une thérapeutique non chirurgicale que chirurgicale.

Kaldahl et Towsen-Olsen comparent les différentes techniques chirurgicales entre elles et constatent une réduction moyenne de profondeur de sondage, à 5 ans, plus importante après lambeau apicalisé avec ostéoectomie qu'après lambeau repositionné apicalement sans remodelage ossseux. Kaldahl remarquent aussi une réduction plus importante de profondeur de sondage, à 7 ans, après chirurgie avec remodelage osseux. La stabilité des résultats est fortement liée au contrôle rigoureux de plaque et la TPS y joue un rôle de première importance.

Technique

En vestibulaire, les incisions sont fréquemment intrasulculaires afin de préserver une hauteur de gencive kératinisée, souvent réduite. Les incisions de décharge verticales s'étendent au-delà de la ligne mucogingivale pour faciliter le positionnement apical du lambeau et des incisions de décharge horizontales permettent une mobilisation distale des lambeaux. En palatin, l'apicalisation du lambeau est obtenue en réalisant une incision festonnée à distance du bord marginal de la gencive dont la largeur est fonction de la profondeur initiale de la poche, de l'épaisseur des tissus mous et de l'importance du remodelage osseux envisagé. Le débridement des lésions et le surfaçage radiculaire sont comparables aux autres techniques chirurgicales de traitement des poches parodontales. L'ostéoplastie et/ou l'ostéoectomie sont pratiquées à l'aide de fraises boules et ciseaux à os d'Ochenbein, jusqu'à l'obtention d'une architecture positive. Le lambeau est positionné apicalement et suspendu au niveau du rebord osseux remodelé par des sutures continues simples.

Le remodelage osseux a pour but de supprimer les lésions intraosseuses, de rétablir une architecture osseuse comparable à un état de santé parodontale et de permettre une fermeture du lambeau autour des dents, en minimisant la résorption de l'os interproximale (voir cas clinique)

Avantages

Sur le plan clinique, on observe une réduction de la profondeur de poche. L'efficacité du contrôle de plaque est améliorée et, idéalement, le praticien se limite à surveiller l'absence de poches parodontales résiduelles.

Inconvénients

Les racines dénudées entraînent une sensibilité radiculaire accrue, un aspect inesthétique sur le secteur antérieur et des mobilités parfois augmentées.

Discussion

Les poches parodontales profondes présentent un écosystème particulièrement favorable aux bactéries parodonto-pathogènes. L'anaérobiose qui règne dans ces poches profondes permet à certaines bactéries d'être prépondérantes au sein de cette plaque et favorise une production accrue de certains facteurs de virulence. Dans la mesure où il semble que l'élimination totale de ces bactéries cibles est irréalisable avec ou sans antibiothérapie, il importe surtout de ne pas leur permettre une surcroissance. Un objectif thérapeutique raisonnable serait d'obtenir une modification durable des conditions écologiques. En ce sens, le lambeau apicalisé permet de limiter les possibilités d'anaérobiose et favorise l'établissement d'une flore compatible avec la santé par un contrôle de plaque amélioré.

L'utilisation de la TPS ne présente pas encore d'évidence clinique forte, mais cette technique considérée comme trop agressive retrouve un intérêt à la lumière des nouvelles connaissances en microbiologie.

Demande de tirés à part

Sofia AROCA, 10, impasse Saint-Pierre, 78100 Saint-Germain-en-Laye - France.

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