Chirurgie implantaire sans lambeaux : protocole modifié - JPIO n° 4 du 01/11/2001
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2001

 

Modèle clinique

Mithridade DAVARPANAH *   Henry MARTINEZ **  


*Département de Parodontologie,
Institut de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale,
Hôpital Pitié-Salpêtre, Paris, France
**Ancien assistant hospitalo-universitaire,
Université Paris-VII,
Service d'odontologie de l'Hôtel-Dieu,
Unité d'implantologie, Paris, France

Résumé

Une morphologie osseuse idéale et un contexte muqueux favorable permettent d'envisager une chirurgie implantaire peu invasive. Une technique chirurgicale sans lambeaux et un protocole modifié sont décrits. Ce dernier permet de compenser les pertes de substance vestibulaire peu importantes. Ces nouvelles thérapeutiques chirurgicales imposent un diagnostic préopératoire rigoureux. Les indications de ces protocoles peu invasifs sont précises et limitées.

Summary

Ideal osseus and soft tissue contours allow a minimally invasive surgical approach. Flapless implant surgery and a modified protocol aimed at correcting minor soft tissue defects are described. These new therapeutic options need a very precise preoperative diagnosis. The indications for these minimally invasive protocols are very precise and limited.

Key words

Implant surgery, crestal contour, peri-implant mucosa

Le traitement implantaire a pour but de rétablir la fonction et l'esthétique du site édenté. De nos jours, les innovations chirurgicales et prothétiques permettent de répondre à une demande esthétique de plus en plus exigeante. Le diagnostic pré-implantaire permet d'établir avec précision la séquence thérapeutique (Seibert, 1983).

Les principales causes d'une perte de substance alvéolaire sont une perte dentaire, une atteinte parodontale avancée, une lésion endoparodontale, une fracture radiculaire et une avulsion traumatique (Garber et Rosenberg, 1981 ; Abrams et al., 1987 ; Rosenberg, 1988). Devant une perte de substance alvéolaire (os et/ou tissus mous), une reconstruction tissulaire même a minima s'impose (Davarpanah et al., 1993). Toute extraction dentaire doit être réalisée avec une technique permettant la préservation de la morphologie crestale (Lazzara, 1989). Une anatomie crestale favorable permet une mise en place idéale de l'implant dans les trois plans de l'espace. Ceci est indispensable pour l'obtention du succès esthétique (Davarpanah et al., 1995).

Une morphologie crestale idéale permet d'envisager une approche chirurgicale non invasive. Landsberg et Bichacho (1998) décrivent une technique chirurgicale sans lambeaux. Cette nouvelle proposition chirurgicale impose un diagnostic préopératoire rigoureux. Les indications de la chirurgie implantaire sans lambeaux sont précises et limitées.

Les objectifs de cet article sont, d'une part, de présenter ces indications, ainsi que les avantages et les limites de ce type de chirurgie. D'autre part, un protocole modifié permettant d'optimiser l'anatomie des tissus mous est décrit.

Évaluation tissulaire

L'évaluation tissulaire portera sur :

- l'anatomie du contour crestal vestibulaire ;

- la qualité de la muqueuse ;

- la hauteur de muqueuse kératinisée ;

- la largeur résiduelle de la crête ;

- la densité osseuse ;

- le rapport avec l'arcade antagoniste.

Tissu osseux

Un volume osseux résiduel approprié dans les trois plans de l'espace est indispensable au positionnement idéal de l'implant.

L'examen clinique et la palpation crestale du site édenté permettent d'évaluer le contour crestal résiduel et son rapport avec l'arcade antagoniste.

L'examen tomodensitométrique permet de visualiser l'anatomie crestale dans les trois plans de l'espace. La présence d'une concavité vestibulaire ou d'une épaisseur de crête inférieure à 8 mm contre-indique cette technique. En effet, le manque de visibilité directe face à une morphologie osseuse inadéquate présente un risque trop important de perforation des corticales osseuses.

Une densité osseuse adéquate permet un bon ancrage primaire de l'implant et la réalisation de la chirurgie implantaire en un seul temps (mise en place de l'implant et du pilier de cicatrisation).

Tissus mous

La muqueuse a une fonction de protection des structures anatomiques sous-jacentes contre les sollicitations mécaniques et biologiques (Bichacho et Landsberg, 1997). Une muqueuse kératinisée n'est pas indispensable au maintien de la santé péri-implantaire, mais sa présence est toujours souhaitée pour obtenir un résultat esthétique satisfaisant (Alpert, 1994 ; Warrer et al., 1995). Si elle est absente, une chirurgie plastique mucogingivale d'augmentation (tissu kératinisé) rend la région péri-implantaire plus résistante à l'agression bactérienne et donne un aspect naturel à la restauration prothétique finale (Han et al., 1995 ; Langer et Calagna, 1980 ; Miller, 1986 ; Davarpanah et al., 1993 ; Nevins et Mellonig, 1994 ; Abrams, 1980 ; Scharf et Tarnow, 1992 ; Nemcovsky et Artzi, 1999 ; Barone et al., 1999 ; Mathews, 2000).

L'examen clinique permet d'évaluer la qualité de la muqueuse du site édenté.

La quantité (hauteur apico-coronale) de muqueuse kératinisée est mesurée à l'aide d'une sonde parodontale. La présence d'une hauteur de muqueuse kératinisée vestibulaire inférieure à 4 mm est une contre-indication à la chirurgie sans lambeaux.

Indications

La chirurgie sans lambeaux est essentiellement indiquée dans les sites édentés (récents) postérieurs. En effet, les paramètres osseux et muqueux y sont le plus fréquemment réunis :

- crête large (supérieure à 8 mm) ;

- volume osseux apico-coronaire et mésio-distal satisfaisant ;

- absence de concavités osseuses ;

- bon rapport avec l'arcade antagoniste ;

- présence d'une largeur vestibulaire de muqueuse kératinisée (supérieure à 4 mm).

Protocole chirurgical (fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8)

Il convient de respecter les étapes suivantes :

- utilisation d'un guide chirurgical ou d'une sonde parodontale pour localiser le ou les sites implantaires ;

- choix du diamètre (petit, standard ou large) de l'instrument permettant de faire l'incision circulaire de la muqueuse (punch), qui doit avoir 1 mm de plus que le diamètre implantaire choisi. Une incision circulaire de pleine épaisseur est réalisée à l'aide de l'instrument punch sélectionné ;

- décollement et élimination du cylindre de tissu mou ;

- mise à nu du site osseux (corticale crestale) ;

- mesure de l'épaisseur de la muqueuse à l'aide d'une sonde parodontale ou d'une jauge millimétrée ;

- préparation conventionnelle du site implantaire (séquence de forage). L'opérateur est guidé alors par les reconstructions obliques du scanner et par le guide chirurgical. L'expérience du chirurgien est fondamentale pour ce type de préparation chirurgicale en aveugle ;

- la profondeur définitive du site implantaire est celle de la longueur implantaire définie à laquelle s'ajoute l'épaisseur de la muqueuse. Elle doit être régulièrement contrôlée à l'aide d'une jauge millimétrée lors des différents forages ;

- mise en place de l'implant. La position de l'implant dans le sens vertical doit être vérifiée car le manque de visibilité peut entraîner un enfouissement implantaire insuffisant ou trop important ;

- dépose du porte-implant et nouvelle vérification de l'enfouissement implantaire. Une sonde parodontale permet de mesurer l'espace libre au-dessus du col de l'implant (épaisseur de la muqueuse) ;

- mise en place de la vis de couverture en présence d'une muqueuse très fine, d'un ancrage primaire insuffisant ou si le patient doit porter une prothèse amovible. Dans les cas contraires, la mise en place d'un pilier de cicatrisation adapté à la hauteur de la muqueuse et au profil d'émergence de la dent à remplacer est indiquée. Le pilier de cicatrisation ne doit pas dépasser de plus de 2 à 3 mm la muqueuse adjacente afin d'éviter les forces occlusales nocives à l'ostéointégration de l'implant.

Avantages

Cette technique offre plusieurs avantages :

- maintien d'un environnement muqueux adéquat (tissu kératinisé) ;

- technique chirurgicale non invasive par rapport au protocole conventionnel ;

- amélioration du confort postopératoire pour le patient ;

- adaptation définitive de la muqueuse péri-implantaire si un pilier de cicatrisation gingivale est utilisé dans le même temps chirurgical ;

- niveau de gencive marginale stable pour les mises en charge précoces.

Limites

Peu de situations cliniques réunissent les conditions anatomiques nécessaires à une chirurgie implantaire sans lambeaux :

- la résorption osseuse secondaire à la perte d'une dent entraîne le plus souvent une concavité vestibulaire. Cette altération de la morphologie du contour crestal augmente avec le temps. La cause de la perte dentaire (infectieuse, traumatique) peut aussi être à l'origine de la perte de substance alvéolaire ;

- l'absence de lambeaux empêche de visualiser le contour radiculaire des dents voisines ;

- la manipulation de l'implant lors de sa mise en place est délicate. Bien que le diamètre de la circonférence muqueuse soit plus grand (de 1 mm) que celui de l'implant, le risque de contact de la surface implantaire avec les tissus mous est élevé ;

- cette technique est déconseillée en l'absence d'une parfaite maîtrise chirurgicale (expérience du chirurgien), car la préparation du site osseux est réalisée sans vision directe. Les seuls repères indirects sont le scanner dentaire, le guide chirurgical, les instruments de mesure et de contrôle de direction et la sensation tactile du chirurgien.

Nouvelle technique modifiée (fig. 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17)

En présence d'une crête osseuse large présentant une légère concavité vestibulaire, un protocole modifié de chirurgie implantaire sans lambeaux est préconisé. Il permet, dans le même temps opératoire, la mise en place de l'implant et l'aménagement du contour vestibulaire :

- similarité des trois premières phases chirurgicales avec celles du protocole original jusqu'à la réalisation de l'incision circulaire de pleine épaisseur ;

- désépithélialisation du cylindre de tissu incisé à l'aide d'une lame 15 ou d'une fraise boule ;

- décollement et soulèvement du cylindre de tissu désépithélialisé (tissu conjonctif). Ce greffon est préservé dans une compresse imbibée de sérum physiologique ;

- phases suivantes identiques à celles du protocole original jusqu'à la mise en place de la vis de couverture ou du pilier de cicatrisation ;

- à l'aide d'un décolleur fin, réalisation d'une tunnélisation entre le périoste et l'os alvéolaire au niveau de la concavité vestibulaire ;

- si l'épaisseur du greffon de tissu conjonctif est supérieure à 3 mm, il est ouvert grâce à une incision de demi-épaisseur (1,5 mm) ;

- le greffon est ensuite glissé dans la tunnélisation vestibulaire, ce qui permet le comblement de la concavité ;

- compression délicate pendant 3 à 5 minutes sur le versant vestibulaire à l'aide d'une compresse humide ;

- aucune suture.

Conclusion

La chirurgie implantaire sans lambeaux est indiquée en présence d'une anatomie crestale idéale (os et muqueuse), essentiellement au niveau des sites édentés postérieurs. Le protocole modifié permet de traiter les pertes de substance vestibulaire peu importantes (de 1 à 2 mm).

Demande de tirés à part

Mithridade DAVARPANAH, 36, rue de Lubeck, 75116 Paris - FRANCE.

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