Les restaurations implantaires de petite portée : quel type de prothèse? - JPIO n° 1 du 01/02/2002
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/2002

 

Modèle clinique

Robert ROIG  

Docteur en Chirurgie dentaire
Docteur en Sciences odontologiques
132, bd de la Libération,
13004 Marseille

Résumé

En présence d'un édentement intercalaire de deux ou trois dents, l'école suédoise a montré qu'une restauration sur implants consiste en deux ou trois couronnes solidarisées et vissées sur des piliers placés au préalable sur les fixtures. Les progrès techniques des matériaux et l'évolution des différents types de restaurations de la dent unitaire permettent d'obtenir des résultats stables et esthétiques pour des restaurations. Pourquoi ne pas les appliquer à ces petits édentements intercalaires et donc reconstruire de façon unitaire ces dents ?

Summary

The Swedish school of oral implantology has shown that fixing two or three splinted crowns to previously inserted abutments can restore two or three lost teeth. Advances in material technologies and developments in various types of single tooth restorations enable durable and aesthetic restorations to be achieved. The question arises : could we apply these techniques to short span restorations in the same way as for single tooth loss ?

Key words

Implant restorations, partial edentulism, fixed prostheses, bonded prostheses

Le traitement des édentements intercalaires par les techniques implantaires permet d'éviter la mutilation des dents naturelles adjacentes, ce qui est le cas dans la préparation des prothèses fixes conventionnelles. L'intégrité des dents bordant l'édentement est ainsi préservée. Deux ou trois dents remplacées par des racines artificielles et une prothèse supra-implantaire permettent de rétablir une fonction correcte.

Lorsque, dans les années 80, l'équipe suédoise du professeur Brånemark publia ses travaux sur les prothèses implanto-portées (Adell et al., 1981), les fixtures étaient solidarisées par l'armature de la prothèse pour deux raisons :

- une raison biomécanique afin que les forces masticatoires se répartissent sur l'ensemble de la reconstruction et que, dans les mouvements de latéralité, plusieurs implants participent à la disclusion ;

- une raison de conception des piliers prothétiques qui, n'étant pas antirotationnels, pouvaient se dévisser.

Les restaurations vissées représentaient et représentent toujours la solution idéale pour les édentements totaux.

Dans les années 90, l'édentement unitaire a pu être traité grâce à la mise au point du pilier Ceraone® vissé sur l'implant, antirotationnel mais avec une superstructure scellée, nous rapprochant ainsi de la prothèse conjointe conventionnelle.

L'évolution a permis ces dernières années l'apparition de nouveaux piliers adaptables à chaque cas : les piliers Procera®. Ces piliers, préparés par le laboratoire selon la technique CADD (computer aided dental design - conception dentaire assistée par ordinateur) ou de la maquette en cire, puis élaborés par la firme Nobel Biocare sont transvissés sur les implants. Les prothèses sont alors scellées sur ces piliers.

Les deux écoles se maintiennent toujours : d'une part, les partisans de la prothèse vissée telle que nous l'avait apprise l'équipe suédoise et, d'autre part, ceux qui ont opté pour la prothèse scellée sur des piliers Procera®, qui se rapproche de la conception des prothèses conventionnelles.

En présence d'un édentement intercalaire de deux ou trois dents, quelle est la meilleure solution prothétique sachant que le nombre de fixtures doit être de deux ou de trois ?

Si on reste fidèle au concept initial, il est préférable de placer trois piliers de type Multi-unit® et trois dents solidarisées, vissées sur ces trois piliers. L'école suédoise confirme sa préférence pour les armatures vissées en prothèse partielle en évoluant avec la mise au point des armatures en titane monobloc dont l'usinage est assisté par ordinateur : le système All in One® (Brånemark System, Nobel Biocare, Goteborg, Sweden) (Nguyen et al., 2001).

Si on opte pour le « scellé », on visse trois piliers Procera® directement sur les têtes de fixtures et on scelle trois dents solidarisées sur ces piliers. L'absence des puits d'accès aux vis de prothèse permet d'obtenir un rendu esthétique maximal.

Une étude de Singer et Serfaty (1996) sur trois ans montre que les complications prothétiques sur les prothèses scellées sont peu fréquentes. La principale cause de descellement a semblé être la faible hauteur des faux moignons dans les secteurs postérieurs. D'après Renouard et Ranger (1999), il est impératif que le serrage de la vis de pilier soit effectué au moteur dynamométrique exactement selon le couple indiqué par le fabricant.

Mais pourquoi systématiquement solidariser ces dents, qu'il s'agisse d'un bridge transvissé ou d'un bridge scellé ? La nature a placé chez l'homme des dents unitaires. Si nos implants sont parfaitement ostéointégrés, si nous avons attendu le temps nécessaire à une bonne stabilisation osseuse de nos racines artificielles, on peut se poser la question suivante : pourquoi ne pas reconstruire des dents unitaires ?

Les deux cas cliniques présentés ici montrent que la solution prothétique par éléments séparés est stable dans le temps, qu'elle permet une esthétique parfaite, un confort certain car le patient n'a pas la sensation d'un « bloc de dents » et aide ce dernier a obtenir une excellente hygiène sur le secteur restauré.

1er cas clinique

Il s'agit de Mme B. âgée de 56 ans dont les 45 et 46 ont été remplacées par un bridge 44 à 47. La partie esthétique du bridge est fracturée, du fait de la portée trop importante. Il est alors décidé de remplacer 45 et 46 par deux implants, puis de réaliser des coiffes unitaires sur les dents 44 et 47.

Sont placées, en position 45, une fixture 3.75/11.5 et, en position 46, une fixture 4/11.5. Le bridge est remis en place provisoirement pour conserver une fonction sectorielle sur le secteur (fig. 1).

Après le deuxième stade chirurgical au cours duquel est réalisé un aménagement tissulaire de la muqueuse péri-implantaire (fig. 2), il est décidé de placer sur les fixtures deux piliers Procera® et deux couronnes type Procera® unitaires. Sur les dents naturelles seront également placées deux couronnes de type Procera® (fig. 3). Les quatre couronnes sont scellées indépendamment les unes des autres (fig. 4).

Le pilier vissé sur la fixture présente un hexagone qui empêche sa rotation et la couronne scellée sur la fixture ne pourra pas tourner en raison de la forme du pilier (manufacturé dans le cas d'un Ceraone® ou construit par le laboratoire dans le cas d'un Procera®).

Les points de contact entre ces dents doivent être adaptés à la situation : ce sont des « surfaces de contact ». Les points de contact sont élargis dans le but de contrebalancer les forces de latéralité. Les forces lors de la mastication peuvent être perpendiculaires à l'axe de la dent et donc provoquer un dévissage de la vis de pilier. Les surfaces sont également sculptées afin de ne pas interférer lors des mouvements de latéralité, sans pour cela être aplanies.

2e cas clinique

Il s'agit de Mme V. âgée de 46 ans dont la dent 36 est remplacée par un bridge de 35 à 37. La racine de 35 présente une fissure et une perte osseuse mésiale, ce qui ne permet pas de conserver cette dent (fig. 5).

La 35 est extraite et les dents 35 et 36 sont remplacées par deux implants : une fixture WP 8,5/5 en position 35 et une fixture WP 10/5 en position 36 (fig. 6).

Après le deuxième stade chirurgical, la décision est prise de traiter la reconstruction prothétique avec deux piliers Procera® vissés sur les fixtures (fig. 7) et des couronnes unitaires de type Procera® céramo-céramiques scellées sur ces piliers. Une couronne coulée est placée sur la dent naturelle 36. Dans ce cas, les points de contact sont également transformés en « surfaces de contact » (fig. 8).

Une radiographie à un an postopératoire montre la stabilité de la restauration prothétique et l'absence de perte d'ostéointégration (fig. 9).

Les différentes étapes du plan de traitement

Étude clinique

L'examen endobuccal permet d'apprécier la qualité du tissu gingival. Pour obtenir une esthétique parfaite, il est souhaitable d'être en présence d'une bonne quantité de gencive kératinisée.

L'étude occlusale permet de révéler les éventuelles dysfonctions et d'évaluer les forces qui s'exerceront sur les futures restaurations.

La position des dents antagonistes, ainsi que la courbe de Spee seront également vérifiées.

Étude radiologique

De façon systématique et quelle que soit la zone à reconstruire, un bilan scanner est prescrit pour juger la qualité et la quantité osseuse disponible. Le choix de l'implant se fera après lecture des coupes scanner et en fonction de l'anatomie de la dent à restaurer. La densité osseuse détermine le type d'implant : MKIII® ou MKIV®.

Bien que le pilier en titane fabriqué par le laboratoire selon le concept Procera® permette d'obtenir un profil d'émergence satisfaisant, en position molaire ou prémolaire le choix d'un implant de diamètre plus large permet d'avoir une restauration prothétique plus stable et esthétiquement plus correcte (Davarpanah et al., 2001).

Étapes chirurgicales

La pose des implants est faite selon le protocole habituel : forage, taraudage, et vissage des fixtures, puis suture gingivale hermétique.

Le stade II chirurgical a lieu à trois mois environ à la mandibule et à six mois au maxillaire avec aménagement des tissus gingivaux autour des têtes d'implants.

Étapes prothétiques

En clinique

Après cicatrisation gingivale, l'empreinte est prise à l'aide de transferts adaptés directement sur les têtes de fixtures (fig. 10).

L'adaptation du transfert sur l'hexagone externe de la tête de fixture est vérifiée à l'aide d'une radiographie rétro-alvéolaire (fig. 11).

Au laboratoire

Les piliers en titane type Procera® seront réalisés ainsi que les couronnes unitaires céramiques Procera®. Il n'est pas nécessaire de prévoir un essayage des piliers. Les avantages de la technique sont : le gain de temps, le résultat esthétique optimal, l'ajustage parfait du pilier sur l'implant et de la couronne sur le pilier (fig. 9).

Discussion

Les résultats satisfaisants, observés dans ces deux cas, amènent à poser deux questions :

1. Y a-t-il un impératif biologique à la solidarisation des superstructures dans les édentements intercalaires ?

2. Entre prothèses vissées et scellées, pour quelle solution opter lors d'édentements de petite étendue ?

La facilité de pose ou de dépose des prothèses vissées ne peut être un argument de poids pour nous faire choisir ce type de reconstruction, car le recours au dévissage est rare en pratique clinique quotidienne. Néanmoins, pouvoir dévisser une prothèse peut être extrêmement pratique lorsque l'on doit réparer ou modifier la restauration prothétique.

L'adaptation des armatures vissées doit être passive. Si ce n'est pas le cas, il va se créer une distorsion avec contraintes sur les composants implantaires et l'os péri-implantaire (Misch, 1999).

Or, d'après Jemt et al. (1991), une armature vissée totalement passive est quasiment impossible à réaliser d'autant plus que le volume à couler est important. Le vissage a tendance à rapprocher des surfaces métalliques aboutissant à un contact parfait des surfaces antagonistes sans aucune tolérance. Si l'armature n'est pas parfaitement passive, on considère qu'il va se créer une distorsion avec contraintes importantes sur les composants et l'os (Guez et Antoun, 2000).

De plus, la position de l'orifice de la vis de prothèse peut entraîner des difficultés pour régler l'occlusion (Hebel et Gajjar, 1997).

L'expérience clinique et les différentes études montrent un plus grand nombre de complications pour les restaurations prothétiques vissées (Misch, 1999).

Ces risques disparaissent actuellement avec les nouvelles possibilités de confection par méthode CFAO des armatures en titane (All in One®, Brånemark System) (Nguyen et al., 2001).

Aujourd'hui, les prothèses scellées sur implants sont de plus en plus utilisées sans doute pour leur simplicité et l'aspect sécurisant des différentes étapes de prothèse. Le scellement permet d'améliorer l'esthétique et de recréer une morphologie occlusale sans puits d'émergence des vis.

Le pilier élaboré par le laboratoire et la couronne scellée par-dessus permettent de rattraper l'axe choisi pour la pose de la fixture sans que cela n'influe sur l'esthétique de la restauration finale.

La qualité esthétique de la couronne céramo-céramique n'est plus à présenter. La chape en oxyde d'alumine permet le passage de la lumière, sans toutefois être transparente. L'élaboration de ces cupules en poudre d'alumine compactées sous très haute pression permet d'obtenir un ajustage parfait de la future couronne sur le pilier implantaire (Samama et Ollier, 1999). L'adaptation des prothèses unitaires scellées de type Procera® a été étudiée par plusieurs auteurs. Selon May et al. (1997), un hiatus moyen de 62 µm a été constaté au niveau molaire et de 55 µm au niveau prémolaire.

La prothèse scellée doit l'être avec un ciment provisoire sur les piliers implantaires. Il sera possible d'obtenir une bonne adaptation ainsi qu'une bonne rétention avec ce type de ciment. La dépose, si nécessaire, sera également aisée.

Ce type de reconstruction sera toutefois envisagé uniquement pour des édentements intercalaires de petite étendue (trois dents au maximum). Au-delà de ce chiffre, on peut considérer que l'on se trouve face à une réhabilitation de grande étendue. Le choix des implants placés sera fait en fonction de critères cliniques spécifiques (Antoun et al., 1999) : nombre de dents absentes, volume osseux disponible, qualité osseuse, schéma occlusal, hauteur interarcade, mastication et parafonctions.

Conclusion

Les restaurations prothétiques vissées présentées et décrites par l'école suédoise ont été et restent, dans de nombreux cas d'édentements, le standard prothétique.

L'évolution des techniques, des composants et des matériaux permet dans certaines situations d'opter pour des prothèses unitaires sur implants. Ne pas solidariser systématiquement les dents lorsqu'elles sont reconstruites sur des implants ostéointégrés est une conception qui permet d'amener une multitude de remarques et de questions.

En acceptant le principe de reconstruire des dents unitaires scellées sur des implants, il est logique de pouvoir faire deux ou trois dents unitaires adjacentes sur implants.

Il est vrai que les arguments scientifiques ne manquent pas pour les tenants de chaque option. Mais le praticien expérimenté fera son choix après une étude sérieuse clinique et radiologique et optera pour la solution optimale pour son patient.

Demande de tirés à part

Robert ROIG, 132, boulevard de la Libération, 13004 MARSEILLE - FRANCE.

BIBLIOGRAPHIE

  • ADELL R, LEKHOM U, ROCKLER B, BRÅNEMARK PI. A 15 year study of osseointegrated implants in the treatement of edentulous jaws. Int J Oral Surg 1981;10:387-416.
  • ANTOUN H, MISSIKA P, KLEINFINGER I, KHAYAT P. Les édentements de petite étendue. Alternatives 1999;février:56-65.
  • DAVARPANAH M, MARTINEZ H, KEBIR M, ETIENNE D, TECCUCIANU JF. Implants de large diamètre : un nouveau concept. Int J Periodont Rest Dent 2001;21:149-160.
  • GUEZ G, ANTOUN H. Les prothèses vissées et scellées. Alternatives 2000;novembre:63-70.
  • HEBEL KS, GAJJAR RC. Cement-retained versus screw-retained implant restorations : achieving optimal occlusion and esthetics in implant dentistery. J Prosthet Dent 1997;77:28-35.
  • JEMT T, CARLSSON L, BOSS A, JÖMEUS L. In vivo load measurements on osseointegrated implants supporting fixed or removable prostheses : a comparative pilot study. Int J Oral Maxillofac Implants 1991;6:413-417.
  • MAY KB, RAZZOOG ME, LANG BR, WANG RF. Marginal fit : The Procera® Allceram crown. J Dent Rest 1997;76:311.
  • MISCH CE. Contemporary implant dentistry. Ed 2. St Louis : Mosby, 1999 : 549-593.
  • NGUYEN T, LECLERCQ P, TANIMURA R. Faut-il visser ou sceller les prothèses ? Implant 2001;7:113-120.
  • RENOUARD F, RANGER B. Facteurs de risque et traitements implantaires. Paris : Quintessence 1999:39-66.
  • SINGER R, SERFATY V. Cement-retained implant-supported fixed partial denture : a 6-months to 3-year follow-up. Int J Oral Maxillofac Implants 1996;11:645-649.
  • SAMAMA Y, OLLIER J. Une nouvelle approche dans l'élaboration des céramo-céramiques : le système Procera. Information Dent 1999;3:161-171.