Étude du mouvement de la mandibule dans le plan sagittal à l'aide d'un modèle biomécanique - Cahiers de Prothèse n° 102 du 01/06/1998
 

Les cahiers de prothèse n° 102 du 01/06/1998

 

Occlusodontie

M. V. Constantinescu *   E. Deciu **  


* Maître de conférences
Université « Titu Maiorescu »
Directeur de l'hôpital universitaire
de stomatologie de Bucarest
12, Progresului Str. - Sector 1
RO-70754 Bucarest, Roumanie
** Prof. Univ. Dr. Ing.
Université Polytechnique Bucarest
313 Splaiul Independentei - Sector 6
RO-77703 Bucarest, Roumanie

Résumé

On a élaboré un modèle biomécanique pour la mandibule et on considère qu'elle se déplace selon un mouvement plan-parallèle dans le plan sagittal. Le centre instantané de rotation de la mandibule étant mobile, il se situe sur deux courbes, la base et la roulante, qui représentent le lieu géométrique de son déplacement par rapport à un système de référence fixe et à un système de référence mobile. Ces résultats théoriques, qui amènent, selon les auteurs, des modifications dans la conception des articulateurs, ouvrent de nouvelles perspectives dans la construction des articulateurs.

Summary

Study of the movement of the mandible in the sagittal plane with the help of a biomechanical model

A biomechanical model has been worked out, the mandible making a general plane motion in sagittal plane. The mandibular instantaneous centre of rotation being mobile, it is placed on two curves, the fixed centroïde and the moving centroïde, representing its geometrical locus against the fix frame of reference (solidarily joined to the cranium), i.e. to the moving frame of reference (connected to the mandible). In the authors opinion, such theoretical results open new developement prospects in the manufacture of plane hinge articulators.

Key words

articulators, dental occlusion, final hinge axis

Les études biomécaniques de la mandibule peuvent faire appel à des paramètres statiques, cinématiques ou dynamiques. Les études statiques et dynamiques doivent tenir compte des forces qui, dans le cas de la mandibule, sont exercées par les muscles qui relient la mandibule au crâne. En effet, l'action des muscles est spécifique à un organisme vivant et, par conséquent, ces forces dépendent du sujet étudié, des stimuli nerveux… Donc, les forces exercées par les muscles diffèrent des forces qui interviennent couramment dans la mécanique théorique, en particulier vis-à-vis de leur nature, de leur manière d'agir… Ces différences sont amplifiées quand on emploie des données concrètes quantitatives, ce qui réduit la généralisation des résultats.

L'étude de la cinématique mandibulaire présente un caractère purement géométrique, car elle n'incorpore pas les particularités du sujet étudié. L'étude cinématique présente une importance théorique et pratique puisque les résultats peuvent être utilisés dans la construction des articulateurs. Les articulateurs doivent reproduire aussi fidèlement que possible les mouvements mandibulaires pour permettre de réaliser des travaux prothétiques de bonne qualité. De même, l'étude cinématique offre une base correcte à une étude dynamique. Pour ces raisons, nous avons développé une étude cinématique. De tous les déplacements mandibulaires, le déplacement d'ouverture-fermeture dans le plan sagittal est le plus simple à observer et à étudier. Plusieurs méthodes d'analyse de la cinématique mandibulaire ont été exploitées : méthodes photographiques, photo-électriques, radiographiques, cinématographiques, cinéfluorographiques, graphiques, opto-électroniques et électromagnétiques. Ces méthodes ont permis d'établir les déplacements physiologiques fondamentaux de la cinématique mandibulaire : la rotation et la translation. La mandibule exécute pendant son déplacement tous les mouvements d'un corps tridimensionnel avec liaisons. Les liaisons sont principalement représentées par les articulations temporo-mandibulaires et les contacts occlusaux. La théorie de la rotation pure et de son corollaire, l'axe charnière terminal, principe de base de l'école gnathologique, a intéressé une série de spécialistes de prestige. Les résultats de ces recherches ont été utilisés dans la construction des articulateurs. Dans le cadre des déplacements mandibulaires élémentaires et symétriques, notre attention se porte sur le déplacement dans le plan sagittal qui résulte de la combinaison du mouvement de rotation (ouverture-fermeture) et du mouvement de translation (propulsion-rétropulsion), ce qui représente un mouvement plan-parallèle. La rotation pure intervient au début du mouvement d'abaissement, au moment où les arcades dentaires présentent un désengrènement d'environ 2 mm, mouvement initié par l'action conjuguée des muscles génio-hyoïdiens [1, 2].

Le modèle biomécanique

Un corps solide en mouvement de rotation comporte deux points fixes (les articulations) qui définissent une ligne droite nommée dans la mécanique théorique axe de rotation. Tous les points de ce corps décrivent, par rapport à cet axe, des arcs de cercle dont le rayon est proportionnel à la distance qui relie les points à l'axe. Fonction de la cinématique mandibulaire, l'axe de rotation est solidaire de la mandibule, même quand celle-ci exécute un mouvement complexe. Pour l'étude de la cinématique mandibulaire, on utilise les plans de référence : le plan sagittal Oyz, le plan horizontal Oxy et le plan frontal Oxz (fig. 1).

L'objectif de cette étude est d'analyser, dans le plan sagittal, le mouvement d'ouverture de la mandibule et d'établir les conditions pour lesquelles la trajectoire d'un point de la mandibule peut, pendant ce mouvement, être assimilée à un arc de cercle d'un mouvement de rotation par rapport à un axe fixe. La figure 2 représente la trajectoire du point « dentalé » dans le mouvement de la mandibule en plan sagittal. Cela justifie l'importance de la localisation précise des points d'émergence cutanés de l'axe charnière terminal, utilisé pour monter le modèle supérieur dans l'articulateur, de manière à ce que cet axe coïncide avec l'axe charnière du patient [3-7].

Dans l'étude du mouvement d'un corps matériel, point ou solide rigide, on doit attacher une grande importance au nombre de degrés de liberté [8]. Par le nombre de degrés de liberté, on comprend le nombre de paramètres scalaires indépendants (longueurs ou angles) qui déterminent complètement la position du corps à un moment donné dans l'espace. Le solide rigide libre dans l'espace présente six degrés de liberté. L'introduction de liaisons (restrictions géométriques) réduit le nombre de degrés de liberté. Les liaisons d'un solide rigide correspondent à des « couples », qui peuvent être de plusieurs types : translation, cylindrique, sphérique, hélicoïdal… Les couples existant dans l'organisme humain sont très variés, mais on doit remarquer que les ménisques sont déformables. Dans ces conditions, il est convenable d'introduire une approximation au niveau des contacts ponctuels et de remplacer les quatre superfaces réelles de contact des ménisques par deux superfaces virtuelles, parallèles aux premières et situées à la moitié du ménisque. Ces superfaces virtuelles de contact définissent la trajectoire du couple. Dans le système formé par le massif osseux, cranio-facial et la mandibule, il existe deux contacts ponctuels (dans le sens vertical) et un contact supplémentaire dû aux muscles et aux ligaments, ce qui entraîne la réduction du nombre des degrés de liberté de la mandibule. Ces considérations théoriques peuvent être vérifiées de manière expérimentale avec les radiographies céphalométriques dans le plan sagittal ou en utilisant l'effet Hall (Mandibular Kinesiograph).

Dans cet article, seul est abordé le mouvement dans le plan sagittal ou dans un plan parallèle à celui-ci qui correspond à un mouvement plan-parallèle. Dans le mouvement dans le plan sagittal, certains auteurs considèrent que les mouvements s'effectuent par rotation autour de divers points, situés à l'intérieur ou à l'extérieur de la mandibule (fig. 3).

L'analyse de ces localisations amène à conclure que les résultats ne sont pas contradictoires parce que, en réalité, ils considèrent le mouvement en divers moments [7, 9, 10]. Le mouvement effectué par la mandibule dans le plan sagittal est un mouvement plan-parallèle pour lequel la « mécanique théorique » démontre que le passage du solide rigide à un moment donné peut être effectué par une rotation par rapport au centre instantané de rotation [8]. Celui-ci se trouve à l'intersection des normales élevées sur les vecteurs de vitesse des points appartenant aux dents antérieures (le déterminant antérieur-A) et sur le guidage de l'articulation temporo-mandibulaire (le déterminant postérieur-B) à un moment donné (fig. 4). Tenant compte de ces données, le centre instantané de rotation peut être déterminé de manière graphique ou grapho-analytique si on connaît les vecteurs des vitesses des deux points.

Dans un plan mobile-solidaire lié à la mandibule en mouvement, tenant compte du facteur ω qui correspond à la vitesse angulaire autour du centre instantané de rotation, les coordonnées de ce point s'établissent ainsi :

où Voy et Voz représentent les composantes de la vitesse vo de l'origine dusystème mobile Oyz d'après les axes. Dans un plan fixe O1 y1 z1 solidaire du crâne, les coordonnées du centre instantané de rotation obéissent aux équations suivantes (fig. 5) :

La présence des facteurs voy, voz et ω, qui sont des fonctions de temps, prouve que le centre instantané de rotation se déplace en fonction du temps par rapport au système de coordonnées fixe O1 y1 z1 et par rapport au système mobile Oyz. Le lieu géométrique du centre instantané de rotation par rapport au système fixe s'appelle « base » ou « centroïde fixe » et, par rapport au système mobile, « roulante » ou « centroïde mobile ». La « mécanique théorique » démontre que les deux courbes sont planes et tangentes entre elles à chaque moment dans le centre instantané de rotation. Les équations paramétriques des deux centroïdes sont données par les relations (1) et (2). L'existence de la base et de la roulante, sur lesquelles se situent les centres de rotation établis par différents auteurs, démontre que ces recherches ne se contredisent pas mais se complètent parce que ces auteurs considèrent la situation seulement à un moment donné, pendant que la base et la roulante représentent le lieu géométrique de ces centres, c'est-à-dire l'évolution de ces positions dans le temps.

La figure 6 présente les centres de rotation, déterminés par différents auteurs (S : Stallard ; G : Gysi ; H : Helluy ; C : Mc Collum), assis sur la base et la roulante, pendant le mouvement d'ouverture-fermeture de la bouche dans le plan sagittal. Dans la mesure où le mouvement étudié est un mouvement plan-parallèle, on peut calculer les coordonnées (x1, y1, z1) d'un point P choisi arbitrairement (par exemple, le point « dentalé ») par rapport au système de référence fixe - lié au crâne en fonction de ses coordonnées (x, y, z) et par rapport au système de référence mobile - lié à la mandibule, en fonction des coordonnées de l'origine du système mobile (yo, zo) et de l'angle de rotation θ.

Matriciellement, ces résultats sont :

Si dans la relation (3), l'angle θ varie avec le temps, θ = θ(t), alors cette relation matricielle donne les équations paramétriques y1 = y1(t) et z1 = z1(t) du point P par rapport au système de référence fixe, solidairement lié au crâne. On peut remarquer que, dans la littérature, les déplacements d'un point P situé sur la mandibule correspondent à des déplacements séquentiels, tandis que les courbes obtenues par les formules déduites dans le présent article correspondent à des mouvements continus dans le plan sagittal, comme cela se passe en réalité.

Discussion

Les résultats de cette étude cinématique, à l'aide du modèle biomécanique, présentent un intérêt théorique : réunir, dans une théorie unitaire, les recherches effectuées par différents auteurs concernant le déplacement de la mandibule dans le plan sagittal. On démontre que la mandibule effectue dans le plan sagittal un mouvement plan-parallèle parce que l'axe charnière n'est pas fixe. La position du centre instantané de rotation de la mandibule se modifie en fonction du temps, autant par rapport au crâne que par rapport à la mandibule, en décrivant deux courbes planes, respectivement la base et la roulante, qui sont tangentes entre elles à chaque instant. Le mouvement plan-parallèle dans le plan sagittal peut être décomposé intuitivement en une translation dans le plan sagittal et une rotation par rapport à un axe perpendiculaire à ce plan. Ainsi, les résultats présentés ont une application dans la construction des articulateurs. Parmi ceux-ci, les occluseurs sont construits avec un axe fixe et effectuent donc un mouvement de rotation. Dans la grande majorité des cas, les restaurations occluso-prothétiques réalisées avec ces instruments nécessitent des ajustements occlusaux sur le patient. Pour diminuer cet inconvénient majeur, de nombreux constructeurs d'articulateurs ont essayé, en partant des hypothèses théoriques, de modifier la position de l'axe de l'instrument, mais ils n'ont pas réussi à éliminer les meulages sélectifs, notamment quand les enregistrements de l'axe charnière terminal ne sont pas précis. On peut signaler des études [9-15] avec des applications sur l'articulateur, dans lesquelles l'axe charnière possède une seule articulation fixe, cet axe décrivant un cône par rapport au système de référence fixe. La présente étude devrait offrir une possibilité de modifier la conception et la construction des occluseurs, de manière à ce que les articulations des axes ne soient plus fixes, mais soient changées par des guidages construits d'après les équations (2) de la base, ou par des guidages en forme d'arcs de cercle, qui répondent de manière satisfaisante à ces équations. La construction de ce guidage circulaire est beaucoup plus facile technologiquement. Pour choisir le guidage optimal, il suffit d'analyser les résultats des investigations faites sur le patient avec des céphalométries radiographiques dans le plan sagittal ou avec des instruments construits sur l'effet Hall et la comparaison de ces résultats avec ceux théoriques déduits de la relation (3). On peut signaler que plusieurs auteurs ont réalisé récemment des occludateurs ayant des guidages [11] qui ne répondent pas à la théorie cinématique. Le modèle biomécanique du déplacement de la mandibule dans le plan sagittal permet aussi d'introduire la technique de calcul dans la construction et l'utilisation des occludateurs. De même, le modèle biomécanique permet d'effectuer des simulations à l'aide d'un ordinateur.

Il est intéressant de remarquer qu'on doit utiliser le centre instantané de rotation dans d'autres études concernant la mandibule, par exemple pour évaluer le moment d'une force musculaire, par rapport à l'axe de rotation fixe à un instant donné, car seul ce calcul est correct.

Conclusion

Cette étude propose un développement théorique unitaire concernant le mouvement de la mandibule dans le plan sagittal en utilisant les notions de la mécanique théorique et met l'accent sur les aspects géométriques et cinématiques.

L'axe autour duquel la mandibule tourne dans le plan sagittal pendant l'ouverture n'est pas fixe, comme il est prouvé dans la littérature. En conséquence, la mandibule effectue en plan sagittal un mouvement plan-parallèle. Le mouvement plan-parallèle dans le plan sagittal peut être théoriquement décomposé en une composante de translation dans ce plan et une composante de rotation par rapport à un axe perpendiculaire au plan. Les courbes obtenues avec les formules proposées correspondent aux déplacements continus d'un point dans le plan sagittal, alors que dans la littérature les déplacements sont présentés fréquemment de manière séquentielle. Par conséquent, on propose une nouvelle conception dans la construction des « occluseurs » avec l'axe mobile dans des guidages construits selon les équations définies (2).

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