Cas difficiles en prothèse complète : les solutions mandibulaires
 

Les cahiers de prothèse n° 103 du 01/09/1998

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Corinne Taddéi *   Michel Metz **   Abdessamad Boukari ***   Etienne Waltmann ****  


* Maître de conférences,
praticien hospitalier
Service de prothèse
** Attaché hospitalier
Service de prothèse
*** Maître de conférences,
praticien hospitalier
Service de pathologie
**** Maître de conférences,
praticien hospitalier
Service de prothèse
Faculté de chirurgie dentaire
1, place de l'Hôpital Hospices Civils
67000 Strasbourg

Résumé

La difficulté d'un cas peut s'apprécier selon divers critères. Elle peut être effective quand les conditions anatomiques et physiologiques sont défavorables, en particulier lorsque la crête est résorbée. Mais, elle peut également apparaître dans un contexte anatomique normal quand il y a rejet de la prothèse par le patient, lorsqu'il ne porte plus sa prothèse ou encore dans le cas particulier du passage à l'édentation totale. Cette étude aborde plus particulièrement les difficultés propres à l'élaboration d'une prothèse mandibulaire. Les possibilités thérapeutiques sont limitées du fait de la diminution de la surface d'appui et des modifications de l'environnement anatomique. Malgré un traitement bien conduit, la rétention et la stabilisation peuvent s'avérer insatisfaisantes. C'est pourquoi la conservation de racines dentaires sous-prothétiques est une alternative intéressante pour pallier ces difficultés. Par ailleurs, l'utilisation d'implants ostéointégrés ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques. L'implantation dans la région symphysaire est une technique bien codifiée qui permet de redonner une fonction masticatoire efficace aux patients, en particulier dans les cas défavorables de mandibules réséquées après traitement oncologique.

Summary

Resolution of difficult cases in complete denture prosthesis : mandibular solutions

Success of prosthetic treatment in edentulous patients depends mainly on two factors: restoration of function and psychological acceptance of the prosthesis by the patient. Function can be assessed objectively in terms of comfort, directly linked to denture retention and stabilisation, but also in terms of masticatory efficiency, incision, aesthetics and affective factors. The difficulty of a given case can be evaluated according to these two criteria. This difficulty is furher increased when anatomical and physiological conditions are unfavourable, especially when the alveolar ridge shows deep resorption. It can also arise in a normal anatomical context when the patient refuses the denture, when he does not wear it or in particular case of shifting to total edentulousness. This article will address particularly the functional difficulties when dealing with mandibular (complete) dentures. In these cases, traditional treatments are limited by the reduction of the supporting area and modifications of the anatomical environment. Stabilisation and retention can be proved insufficient despite a well-managed treatment. Hence keeping roots can be a positive alternative to solve some of these difficulties. The use of osseointegrated implants unveils new opportunities for therapeutical solutions. The symphisal implant is now a well-known technique which enables patients to recover a good masticatory function. In mandibular resection after an oncological treatment, these techniques prove to be very efficient.

Key words

alveolar resorption, complete denture prosthesis, irradiated mandible, overdenture

Les difficultés rencontrées par beaucoup de praticiens dans la conduite du traitement d'une édentation totale maxillaire et mandibulaire sont liées à la fois aux impératifs du rétablissement fonctionnel et aux aléas de l'intégration psychologique de la prothèse par le patient [1]. De plus, l'existence d'une pathologie oro-faciale tels les cancers ou certains syndromes malformatifs peut considérablement accroître les difficultés techniques. Ainsi, trois critères contribuent à évaluer la complexité d'un cas : les exigences esthético-fonctionnelles, la spécificité psychologique ainsi que les facteurs anatomiques aggravants.

Les qualités esthético-fonctionnelles d'une prothèse dentaire sont jugées objectivement sur l'efficacité de la manducation et de l'incision, l'aisance à produire des phonèmes et l'harmonieuse intégration des éléments postiches dans l'esthétique du visage. Dans la majorité des cas, l'édentation s'inscrit dans le processus du vieillissement et se manifeste par des modifications anatomiques et physiologiques loco-régionales, dues à la perte des dents et de l'os alvéolaire. Les difficultés du traitement prothétique sont directement liées à ces facteurs (fig. 1a et 1b).

Le strict respect des exigences académiques dans la réalisation d'une prothèse complète n'est pas forcément garant du succès d'un traitement. Le confort du patient, qui, en définitive, constitue le critère majeur dans l'aboutissement de la démarche thérapeutique, est directement placé sous l'influence de l'acceptation psychologique de la prothèse. En effet, la spécificité psychique d'un individu a une emprise directe sur son comportement et son affectivité et peut conduire au succès comme à l'échec [1-3]. Par ailleurs, hormis l'aspect relationnel patient/praticien et les doléances subjectives, il existe de réelles difficultés dans l'abord des personnes âgées (fig. 1a et 1b), des sujets édentés de longue date et sans traitement, de ceux qui vont être édentés ou encore des handicapés psychomoteurs. Enfin, les pathologies telles que les tumeurs de la sphère orale, les syndromes malformatifs ainsi que leurs traitements provoquent des modifications morphologiques et physiologiques importantes, rendant souvent aléatoire, voire impossible, l'équilibre biomécanique prothétique.

Bien qu'un « cas difficile » en prothèse complète ne puisse s'apprécier que globalement par rapport aux conditions anatomiques, physiologiques et aux relations interarcades, ce travail s'attache à ne considérer que les difficultés liées à l'anatomie de la surface d'appui et son environnement musculaire dans l'élaboration d'une prothèse mandibulaire.

Anatomie de la surface d'appui

La mandibule se compose d'un corps médian horizontal et de deux montants latéraux, les ramus. Le corps comporte deux parties : l'une, alvéolaire, liée à la présence des dents, l'autre, basilaire, donnant sa forme et sa rigidité à l'os. Cette dernière persiste à divers degrés chez l'édenté total en fonction de l'avancée du processus de résorption (fig. 2a, 2b, 2c et 3a, 3b, 3c). De ce fait, la crête résiduelle présente une morphologie inconstante, rarement volumineuse. La mandibule subit au cours du temps des remaniements qui provoquent des modifications du rapport de la crête avec les structures osseuses voisines [4, 5]. Elle présente sur la ligne médiane, en avant, la protubérance mentonnière et, de part et d'autre, sur la face médiale, les épines mentonnières (fig. 4a, 4b, 4c). Avec la résorption, la crête peut s'affaisser en avant sur la protubérance mentonnière, les épines mentonnières pouvant alors se situer au niveau de la crête antérieure (fig. 4a, 4b, 4c). La crête résiduelle présente deux versants : lingual et vestibulaire. Sur le versant vestibulaire se disposent, en avant et latéralement, les foramens mentonniers (fig. 5a, 5b). De chaque foramen s'étend, vers l'arrière et vers le haut, la ligne oblique (insertion du muscle buccinateur) (fig. 6a, 6b). Sur le versant lingual se développe la ligne mylo-hyoïdienne constituant la frontière entre l'étage supérieur, buccal, et l'étage inférieur, inframandibulaire. L'étage buccal est très souvent diminué chez l'édenté total. Progressivement, avec la résorption osseuse, les foramens mentonniers peuvent affleurer le sommet de la crête (fig. 5a, 5b). En arrière, les lignes obliques et mylo-hyoïdiennes peuvent se situer au niveau de la crête résiduelle, la partie centrale pouvant même s'inverser et constituer une véritable gouttière concave vers le haut (fig. 6a, 6b). Parfois, en avant et latéralement, le versant lingual présente des exostoses correspondant à des épaississements locaux de la table interne : les tori mandibulaires [6]. Ces derniers peuvent présenter de réels obstacles à l'obtention d'un joint sublingual (fig. 7). Les deux extrémités postérieures de la crête se situent à la jonction de chaque ramus avec le corps mandibulaire. À ce niveau, le triangle rétromolaire correspond à une surface osseuse délimitée par la bifurcation de la crête d'insertion du muscle temporal. Dans cette région, la muqueuse, soulevée par les ligaments ptérygo-mandibulaires, présente le tubercule rétromolaire, inconstant chez l'édenté total [7]. L'ensemble de la charpente osseuse est tapissé d'une muqueuse plus ou moins adhérente, peu compressible, en continuité avec la muqueuse du plancher et des gouttières vestibulaires. Progressivement, la muqueuse s'atrophie jusqu'à l'état d'une mince bande fibreuse fixée au sommet de la crête (fig. 8a, 8b et 8c). Elle peut présenter des hypertrophies, souvent d'origine traumatique, liées au port d'une prothèse inadaptée. Dans ces cas, elle peut devenir mobilisable, sans adhérence avec le plan osseux sous-jacent [4, 5].

La région sublinguale se situe dans l'arc mandibulaire. Elle comprend l'espace situé entre la racine de la langue, la mandibule et le muscle mylo-hyoïdien, recouvert par la muqueuse du sillon alvéolo-lingual (fig. 8a, 8b et 8c). La région sublinguale donne suite, en arrière et latéralement, à la région paralinguale, elle-même se prolongeant en arrière par la niche linguale rétromolaire [4-7].

L'environnement musculaire est important. Il conditionne à la fois les limites du bord prothétique ainsi que l'équilibre de la prothèse. Le muscle carré du menton, les muscles de la houppe du menton et masséters ainsi que les muscles de la langue sont particulièrement déséquilibrants. De plus, avec la perte du relief osseux, leurs insertions se rapprochent de la crête [8, 9].

Bien que l'édentation totale touche tous les âges, dans la majorité des cas, elle s'inscrit dans le processus du vieillissement. De ce fait, il est important de tenir compte des phénomènes généraux de la sénescence associés ou non à des pathologies fréquentes. Ainsi, il est difficile chez le sujet âgé de cerner, d'une part, les limites entre les modifications tissulaires dues à la sénescence et, d'autre part, les transformations pathologiques qui lui sont souvent associées. Aucune étude ne permet d'établir des critères de « normalité » [4, 5]. La régression de la surface d'appui met en jeu des processus souvent concomitants et difficilement dissociables telles l'involution, l'atrophie et la résorption [4, 5, 10]. L'involution est une régression, souvent liée au vieillissement, se traduisant par une diminution de la masse osseuse. L'atrophie est un défaut de nutrition des tissus caractérisé par une baisse du volume et du poids. La résorption alvéolaire correspond à une perte de hauteur et une réduction du volume des procès alvéolaires consécutives à la disparition des organes dentaires. Cette régression de la surface d'appui dépend de l'âge du sujet au moment de l'édentation, de l'ancienneté de l'édentement, de l'âge du sujet au moment du traitement prothétique, de son mode de vie (nutrition), du non-traitement de l'édentation ainsi que des conduites chirurgicale et prothétique.

Enfin, dans le cadre des interventions chirurgicales ablatives dues au traitement des tumeurs, la résection plus ou moins large de l'arc mandibulaire et des tissus environnants peut littéralement dévaster le lit de la prothèse et compromettre la réhabilitation prothétique.

Solutions prothétiques

Discussion

De nos jours, avec l'accroissement des connaissances et des techniques, il est possible d'obtenir un équilibre biomécanique convenable d'une prothèse complète. Il existe, cependant, des difficultés inhérentes à la mandibule, accentuées lorsque les processus précédemment décrits aboutissent à une régression de la surface d'appui. Par des techniques conventionnelles préprothétiques et prothétiques, il est possible d'accroître les qualités rétentives de la prothèse. Elles ne seront que brièvement évoquées dans cette étude.

Le traitement préprothétique est une étape préparatoire fondamentale qui permet d'améliorer les données anatomiques et physiologiques, voire aussi les conditions psychiques, en favorisant l'intégration des appareils de prothèse. Il comprend, d'une part, la mise en condition tissulaire et, d'autre part, la chirurgie préprothétique.

L'efficacité prothétique relève des trois impératifs fondamentaux : sus-tentation, rétention et stabilisation. La sustentation et la rétention sont directement liées aux techniques d'empreintes primaires et secondaires et, par conséquent, à l'enregistrement de la surface d'appui. Il n'est pas inutile de rappeler la complémentarité des empreintes primaires et secondaires ainsi que l'importance et la rigueur nécessaires à l'empreinte sectorielle anatomo-fonctionnelle. Enfin, une place importante doit être réservée à la forme de l'extrados. Dans certaines conditions difficiles, l'approche piézo-graphique peut être déterminante. Elle permet d'enregistrer la limite exacte de l'intrados et le volume toléré de la prothèse.

La maîtrise des méthodes conventionnelles et leur application rigoureuse permettent souvent de trouver une solution dans l'abord et le traitement des « cas difficiles » en prothèse complète. Toutefois, la stabilité et la tenue de la prothèse mandibulaire s'avèrent souvent insuffisantes et décevantes, malgré un environnement anatomique propice et des conditions physiologiques favorables. Le recours à une technique auxiliaire telle que la conservation de racines dentaires ou la mise en place d'implants peut être envisagé pour améliorer une fonction prothétique déficiente. En effet, lorsqu'un certain nombre de conditions sont respectées, ce choix thérapeutique permet d'optimiser la tenue et la stabilité d'une prothèse mandibulaire. Lors de l'établissement du plan de traitement, ces deux options doivent être évaluées selon des critères précis, afin de permettre au praticien d'opter pour la ligne de conduite la plus appropriée (fig. 9a et 9b).

Indications d'un traitement prothétique à appuis radiculaires ou implantaires

Caractéristiques du traitement prothétique

Racines dentaires

La prothèse supradentaire est une prothèse amovible complète, soutenue par des dents conservées sélectivement et par la crête alvéolaire résiduelle. Les dents choisies sont délibérément réduites dans leur longueur, avec un rapport couronne/racine très diminué [11] (fig. 10a et 10b). L'utilisation de dents comme moyen d'ancrage d'un appareil de prothèse n'est pas un concept nouveau [11]. Toutefois, au cours de ces dernières décennies, il n'a suscité qu'un enthousiasme modéré, principalement dû à la difficulté technique, aux échecs fréquents liés aux mauvaises indications, à l'absence d'un contrôle efficace de l'hygiène bucco-dentaire ainsi qu'au coût du traitement.

C'est au stade d'édentement sub-total ou encore lors de l'édentation qu'il y a lieu d'apprécier les possibilités de conservation de racines en vue d'une technique prothétique supraradiculaire. La décision dépend de critères rigoureux, garants du succès thérapeutique (fig. 11a, 11b, 11c, 12a, 12b, 12c et 13a, 13b, 13c).

La préparation initiale est non chirurgicale ; elle se fait sur le plan endodontique et éventuellement parodontal. Dans un premier temps, la phase prothétique consiste à réduire les dents en hauteur et en volume et à effectuer des coiffes coulées à tenon radiculaire sur lesquelles sont soudées des attaches de précision intracoronaires axiales de type « bouton-pression ». Dans un second temps, la prothèse complète est élaborée, la liaison entre partie femelle et partie mâle de l'attache devant être réalisée impérativement en bouche, au dernier stade du traitement [11] (fig. 11a, 11b, 11c, 12a, 12b, 12c et 13a, 13b, 13c).

Implants

L'utilisation des implants ostéointégrés comme support d'une prothèse amovible est une option de traitement relativement récente qui s'est considérablement développée depuis une dizaine d'années [12-15]. Les résultats publiés pour la mandibule sont extrêmement encourageants et bien souvent proches de 100 % de réussite pour le maintien de l'ostéointégration. Ces chiffres doivent néanmoins être interprétés avec prudence, les périodes d'observation étant encore relativement restreintes.

Une prothèse supra-implantaire présente les mêmes caractéristiques qu'une prothèse supraradiculaire : elle est généralement implanto et muco-portée. Par ailleurs, la mise en place d'implants relève d'une technique chirurgicale incontournable. Bien que parfaitement codifiée et sans difficultés particulières de mise en œuvre pour le praticien, elle représente néanmoins un geste qui ne doit pas être pratiqué « à la légère » et que bon nombre de patients âgés refusent d'emblée par peur de la chirurgie et de ses complications éventuelles. Aussi préfèrent-ils se contenter d'un résultat prothétique médiocre auquel ils se sont accommodés et qui, pour leur âge, leur semble « tout compte fait » bien suffisant.

C'est à la phase précédente, celle de l'édentement subtotal, quand le praticien sait que l'extraction des dernières dents est inévitable et qu'il prévoit des difficultés liées à la réalisation d'une prothèse complète, que son travail d'information et de motivation pour la technique implantaire doit être envisagé. En effet, à ce stade, les patients craignent souvent le passage à l'état d'édentement total et sont davantage réceptifs à une proposition thérapeutique qui peut leur assurer une fonction prothétique efficace (fig. 14a et 14b).

Ancrage osseux

Racines dentaires

Un ancrage osseux peut être de bonne qualité si la dent ne présente pas de problèmes parodontaux majeurs (fig. 15a, 15b et 15c). La réduction de sa hauteur permet, en outre, de diminuer les effets des contraintes mécaniques exercées par la prothèse. Ainsi, une racine sans mobilité initiale continue à être stable dans le temps si une hygiène correcte est maintenue. De façon générale, il est important de considérer comme primordiaux, dans le choix d'un appui, les facteurs suivants : la quantité d'os, le degré d'attache disponible ainsi qu'une quantité convenable de gencive attachée afin de mieux répondre aux forces engendrées par la prothèse. Ce n'est pas toujours le cas à un stade d'édentement subtotal si le praticien doit se contenter de dents peu fiables pour mettre en œuvre une telle technique. Le résultat à long terme de cette option thérapeutique est alors souvent incertain [16] (fig. 15a, 15b et 15c).

Implants

La région symphysaire est constituée d'un os dense très riche en travées et presque toujours suffisant en volume pour permettre la mise en place d'implants. L'ancrage est, de ce fait, particulièrement fiable entre les deux foramens mentonniers et confère au traitement prothétique supra-implantaire son efficacité et sa pérennité (fig. 16).

Répartition des appuis sur l'arcade

Racines dentaires

La répartition, le nombre et le type de dents sur l'arcade sont importants pour l'équilibre prothétique [16]. Ce dernier étant optimisé lorsque les racines résiduelles se répartissent des deux côtés de l'arcade et qu'elles intéressent les canines et/ou les prémolaires. Cependant, le clinicien doit parfois adapter sa technique à un contexte moins favorable (fig. 15a, 15b et 15c et 17) :

- persistance d'une seule racine ;

- regroupement des racines d'un seul côté ou uniquement dans la région médiane ;

- situation des racines dans la région postérieure ;

- proximité de racines pouvant empêcher une répartition adéquate de cavaliers sur une barre (fig. 18).

Implants

En fonction du contexte anatomique, les implants sont répartis idéalement sur l'arcade conformément à l'objectif du traitement. Une prothèse sur boutons-pression s'appuie en général sur deux implants sur le site des anciennes canines (fig. 16). Une prothèse sur barre peut être élaborée à partir de deux ou quatre implants correctement répartis entre et/ou de part et d'autre des foramens mentonniers.

Encombrement vertical

Racines dentaires

Les racines conservées et le volume d'os alvéolaire correspondant forment parfois une véritable saillie par rapport à la crête résiduelle. Après la mise en place de la suprastructure, une telle situation pose des problèmes vis-à-vis de l'établissement d'un plan d'occlusion, puis du choix des dents et du montage [16]. Cette difficulté est accentuée quand l'espace prothétique est réduit. Ainsi, le praticien doit être particulièrement attentif à un manque de hauteur disponible, lequel peut représenter une contre-indication majeure à ce type de traitement (une maquette d'étude doit être réalisée au préalable). Ces problèmes se posent le plus souvent lorsqu'une barre est envisagée, car celle-ci est d'un encombrement supérieur à des boutons-pression (fig. 18). Les racines dentaires permettent, néanmoins, de préserver la dimension verticale.

Implants

Les implants sont généralement placés dans une crête résorbée et de hauteur uniforme. C'est pourquoi, il y a peu de problèmes d'encombrement liés à l'émergence des attaches. La barre peut, en revanche, comme dans le cas des racines, poser davantage de difficultés.

Encombrement horizontal

Racines dentaires

Le bord de la prothèse est souvent difficile à concilier avec la dimension vestibulo-linguale du site dentaire quand les racines sont conservées. En regard des racines, une zone importante de contre-dépouille peut empêcher l'élaboration d'un bord prothétique continu et peut même représenter une contre-indication à la prothèse supraradiculaire, du fait de la rupture du joint périphérique comme du préjudice esthétique provoqué soit par la discontinuité de la fausse gencive, soit par la surépaisseur de cette dernière (fig. 13a, 13b, 13c et 19a, 19b, 19c). Ce dernier point a peu de conséquences au niveau mandibulaire.

Implants

Les implants ont un diamètre réduit d'environ 4 mm ; leur mise en place dans une crête déjà résorbée ne pose, de ce fait, pas de problèmes d'encombrement. Leur positionnement doit néanmoins se faire d'une façon cohérente à partir d'un guide chirurgical, issu d'un montage prospectif dupliqué qui préfigure le couloir prothétique final (fig. 19a, 19b, 19c).

Conception de la suprastructure

Racines dentaires

Techniquement, une alternative se présente : les racines peuvent être traitées individuellement ou reliées entre elles par une barre. Les racines peuvent être simplement obturées au moyen d'un composite dans lequel est incorporée éventuellement une attache, mais le risque carieux, de même que celui de la possibilité d'une fracture, sont importants. C'est pourquoi elles doivent être recouvertes, de préférence au moyen de coiffes à tenon radiculaire. Celles-ci peuvent être de simples coiffes coulées lorsque l'ancrage radiculaire est trop faible ou des coiffes surmontées d'un système d'attache (par exemple, Narboni ou Dalbo) qui optimise la rétention de la prothèse. Une barre de conjonction (par exemple, de type Ackermann ou Dolder) permet de solidariser les différentes racines si celles-ci sont faiblement ancrées et améliore ainsi la rigidité de l'attelle et le pronostic du traitement.

Implants

À la mandibule, la prothèse sur barre a été initialement décrite comme le traitement de référence ; elle demeure, dans beaucoup d'études, une option adoptée systématiquement. Certains auteurs montrent cependant l'efficacité et la fiabilité d'une prothèse sur boutons-pression [13, 17-19]. Geering présente une étude portant sur 149 implants mandibulaires en précisant que la solidarisation n'est pas nécessaire [20]. Les contre-indications anatomiques de cette option ne sont pas évoquées par les auteurs, mais on peut supposer qu'en cas d'utilisation d'implants courts, il est plus prudent d'envisager une solidarisation au moyen d'une barre. Pourtant, Do-natsky place un minimum de trois à quatre implants dans des mandibules très résorbées sans qu'ils soient reliés par une barre [21]. Donatsky et Hille-rup observent un taux de succès de 99 % pour un groupe de 156 implants de 10 et 12 mm non solidarisés, placés dans des mandibules résorbées [22].

Coût

Racines dentaires

Le coût lié à l'utilisation d'une prothèse supraradiculaire varie en fonction de la conception des suprastructures. Si un simple coiffage des racines résiduelles ne présente pas d'investissement important, l'utilisation de boutons-pression entraîne, en revanche, des frais plus conséquents. La dépense liée à la mise en œuvre d'une prothèse sur barre est considérablement augmentée et peut représenter un obstacle pour bon nombre de nos patients. Par ailleurs, il est parfois nécessaire d'inclure dans la résine une armature de type « micro-mesh » afin de consolider l'édifice particulièrement sollicité au niveau des attaches.

Implants

Les considérations de coût liées aux prothèses de recouvrement sont identiques, qu'il s'agisse de racines ou d'implants. Mais dans une technique supra-implantaire, les frais liés à la mise en place des implants augmentent considérablement les honoraires du ou des praticiens intervenants. En revanche, l'encombrement horizontal étant moindre, l'intérêt d'un renforcement par une armature ne s'impose pas forcément.

Hygiène

Racines dentaires et implants

Qu'elles soient fixées sur des racines dentaires ou des implants, les coiffes surmontées de boutons-pression sont, en principe, accessibles au nettoyage ; la santé parodontale et péri-implantaire peut être maintenue si le patient est motivé. Toutefois, une barre est plus difficile à entretenir, en particulier chez des sujets âgés dont l'habileté manuelle est amoindrie. En tout état de cause, l'absence de motivation au contrôle de la plaque devrait contre-indiquer ces thérapeutiques.

Réintervention

Racines dentaires

Les structures supraradiculaires sont presque toujours scellées. En ce qui concerne les barres, lorsqu'une racine est perdue, il s'avère toujours compliqué et onéreux de reconsidérer le cas. C'est pour cette raison que l'extraction d'un pilier non solidarisé pose moins de difficultés. Le recours à la technique implantaire peut, par ailleurs, pallier les problèmes liés à la persistance d'un ancrage radiculaire unique.

Implants

Les structures supra-implantaires, qui sont presque exclusivement vissées, ont la spécificité d'être démontables. D'éventuelles réinterventions ainsi que la maintenance des cas sont ainsi plus simples de mise en œuvre.

Restauration prothétique complète après chirurgie oncologique

Le traitement chirurgical des cancers de la sphère oro-faciale peut conduire à une ablation d'un ramus et d'un segment plus ou moins important du corps mandibulaire. Dans ce contexte anatomique particulièrement défavorable au traitement prothétique de l'édentement, l'apport des implants ostéointégrés permet de pallier les déficits de rétention et de stabilisation d'une prothèse conventionnelle.

La chirurgie ablative est presque toujours associée à une radiothérapie qui provoque des modifications tissulaires jugées jusqu'à ces dernières années incompatibles avec un traitement implantaire, le risque majeur étant l'ostéo-radionécrose. La pose d'implants dans une mandibule irradiée, pratiquée déjà depuis quelques années, est encore relativement peu documentée. De récentes publications autorisent toutefois des espoirs fondés, quant à la réussite de ce type de traitement, en particulier quand il est associé à une oxygénothérapie préalable [23-27].

Le traitement prothétique de l'édenté mandibulaire ayant subi une chirurgie délabrante présente de nombreuses difficultés. L'interruption de l'arc engendre une instabilité prothétique. Le plancher de la bouche peut subir, en regard de la résection, de profondes modifications qui empêchent l'établissement d'un joint sub-lingual. De même, une induration tissulaire cicatricielle limite l'étendue du bord postérieur de la prothèse. La désolidarisation unilatérale de la mandibule par rapport à la base du crâne provoque un déséquilibre musculaire qui entraîne une déviation importante de la mâchoire du côté opéré. Celle-ci pose au praticien des difficultés pour l'établissement et le maintien d'une relation inter-maxillo-mandibulaire fonctionnelle et pour la compensation de l'asymétrie des arcades dentaires par le montage des dents. La fonction manducatrice est, de ce fait, souvent réduite. La radiothérapie a provoqué une xérostomie passagère ou définitive ; la diminution du flux salivaire est responsable d'une diminution de l'adhérence de la base de la prothèse et d'une possible irritation des tissus de soutien, augmentant ainsi le risque d'ostéoradionécrose. L'utilisation d'une salive artificielle sous forme de gel permet quelque peu de limiter ces problèmes.

C'est dans ce contexte particulier que l'apport d'une technique implantaire prend tout son sens. La prothèse, maintenue par des systèmes d'attaches supra-implantaires, n'occasionne plus de problèmes de rétention ni de stabilisation, diminue les risques d'irritation de la muqueuse et favorise la rééducation fonctionnelle du patient. Le calage implantaire de la prothèse inférieure entraîne un recentrage de la mandibule grâce à l'engrènement des arcades dentaires ; le déséquilibre musculaire est ainsi partiellement compensé. Le cas de M.D., traité au service de consultations et traitements dentaires du CHR de Strasbourg, illustre ce type de traitement (fig. 20a, 20b, 20c, 20d, 20e, 21a, 21b, 21c, 22a, 22b, 22c, 23a, 23b, 23c, 24a, 24b, 24c, 24d, 24e, 24f, 24g, 24h, 25a, 25b, 25c et 25d).

Conclusions

La prothèse sur ancrages radiculaires, en particulier sur boutons-pressions, demeure une technique performante pour optimiser l'équilibre biomécanique d'une prothèse complète, notamment lorsque celle-ci est élaborée dans un contexte anatomique difficile. Comparée à la mise en place de racines artificielles, la conservation de piliers naturels simplifie sans conteste le plan de traitement par son aspect technique, sa rapidité d'élaboration et son moindre coût. Cependant, cette orientation ne peut être indiquée qu'en fonction de la valeur intrinsèque et de la bonne répartition des racines sollicitées. Lorsque les techniques conventionnelles ne permettent pas d'obtenir un équilibre biomécanique valable des appareillages prothétiques, l'implantologie offre un recours fiable dans la plupart des situations, en particulier dans les cas de délabrement sévère du lit prothétique.

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