La décompression de l'ATM - Cahiers de Prothèse n° 103 du 01/09/1998
 

Les cahiers de prothèse n° 103 du 01/09/1998

 

Articulation temporo-mandibulaire (ATM)

Raoul Sanchez *   Éric Pouly **  


* Attaché,
380, Grande-Rue
01120 Montluel
** Attaché stagiaire,
11, chemin du Martinet
74200 Thonon-les-Bains
Unité fonctionnelle d'arthrologie des ATM et des douleurs oro-faciales
Service d'odontologie des Hospices civils de Lyon
7-8, place Deperet, 69007 Lyon

Résumé

Les désordres de l'ATM font partie intégrante des pathologies rencontrées dans les cabinets dentaires, ils correspondent le plus fréquemment à des dysfonctionnements discocondyliens, soit des déplacements discaux réductibles (DDR) soit irréductibles (DDI). Ces troubles aboutissent à un déplacement du condyle (le plus souvent en arrière et en haut) et donc à une compression des tissus rétrodiscaux (zone bilaminaire) richement vascularisés et innervés. Cette augmentation de la pression à l'intérieur de l'articulation est parfois très invalidante et peut ainsi engendrer des blocages, des bruits, des douleurs au niveau des ATM, voire même des symptômes à distance (maux de tête, vertiges, acouphènes, cervicalgie…). Les cales de décompression (ou pivots postérieurs) vont provoquer mécaniquement un déplacement du condyle dans son articulation et ainsi décomprimer la zone de compression. Ceci est possible grâce à une triple bascule mandibulaire dans les trois plans de l'espace. Ces cales (bilatérales) ou cette cale (unilatérale) qui augmentent la DV du côté ou des côtés pathologiques doivent être plates, parfaitement lisses avec un seul point de contact le plus postérieur possible.

Summary

The decompression of TMJ : posterior wedges

TMJ disorders are part and parcel of the pathologies found in dental practising. They frequently correspond to disccondylian dysfunctions, either reductible disc displacement (RDD) or irreductible ones (IDD). These disorders lead to a displacement of the condyle (more often in the posterior and upper parts) and thus to a compression of the retrodisc tissues (bilaminary area) which are thoroughly vascularized and innervated. This augmentation of pressure within the joint is sometimes very incapaciting and can also generate mental blocks, noises, and pains at the level of TMJ, even distance symptoms (i.e. headaches, dizzy spells, acouphenes, cervicalaches…). The wedges of decompression (or posterior posts) will mechanically bring a displacement of the condyle in its joint, and thus decompress the compression area. This is possible thanks to a triple mandible seesaw motion in the three spatial planes. These (bilateral) wedges or this (unilateral) wedge, which increase the VD on the side or on the pathological sides, must be flat, perfectly smooth with only a meeting point that will be as far behind as possible.

Key words

decompression, internal disorder, temporo-mandibular joint, wedge

Les dérangements internes de l'ATM (articulation temporo-mandibulaire) ou troubles intracapsulaires, représentent les pathologies articulaires les plus fréquemment rencontrées dans notre exercice quotidien. Ils se manifestent par des douleurs, bruits et blocages, localisés à une ou deux ATM. Ces troubles intracapsulaires résultent en grande partie d'un déplacement vers l'avant du disque articulaire. Celui-ci peut être réductible ou irréductible ; il s'accompagne d'un déplacement de la tête condylienne en arrière et en haut dans la fosse mandibulaire, ce qui comprime les tissus rétrodiscaux ou zone bilaminaire ; il est à l'origine de douleurs articulaires qui peuvent être très invalidantes.

Grâce aux cales de décompression, nous pouvons provoquer mécaniquement un abaissement condylien en faisant basculer la mandibule dans les trois plans de l'espace et ainsi faire cesser la compression et favoriser des phénomènes d'adaptation au sein de l'ATM.

La compression de l'ATM est une conséquence très fréquente des dysfonctionnements cranio-mandibulaires. La pression plus ou moins grande s'exerçant dans les ATM est un facteur important de stabilité ou d'instabilité articulaire. Les déplacements discaux, les perforations, les remaniements osseux (mandibulaires et temporaux), le remaniement des surfaces articulaires et ligamentaires peuvent être le résultat de forces excessives, d'où la notion de décompression qui a donné lieu à diverses publications. En effet, dès 1956, Sears [1] parle de pivots postérieurs pour soulager les ATM de patients porteurs de prothèses complètes usées. En 1957, Campbell [2] parle de décompression des ATM en augmentant uniformément la dimension verticale. Berry [3], en 1962, rapporte un cas de cale confectionnée par le patient lui-même pour soulager son articulation. Krogh-Poulsen [4] (1968) décrit une gouttière de pivotement mandibulaire avec deux cales postérieures. Lous [5] décrit le même procédé en y ajoutant une fronde mentonnière pour accentuer la bascule. Roccabado [6] (1984) décrit un système orthopédique pouvant décompresser l'ATM en augmentant la dimension verticale postérieure par rapport à la dimension verticale antérieure.

D'autres publications récentes [7-10] nous permettent d'affirmer que le traitement initial d'un problème intracapsulaire doit aboutir à une diminution de la pression au sein de l'articulation. Les butées postérieures que nous appelons cales de décompression sont des moyens simples et rapides d'atteindre un tel résultat.

Les compressions de l'ATM

Description

Dans une ATM, nous parlons de compression :

- antérieure (fig. 1) lorsque l'interligne articulaire antérieure est diminuée. C'est très rare et souvent dû à un déplacement discal postérieur suite à un traumatisme ;

- centrale (fig. 2) : le condyle a une position trop haute dans la fosse mandibulaire. Cela signale, le plus souvent, un effondrement de la dimension verticale ou un bruxisme, mais aussi un déplacement du disque en avant ;

- postérieure (fig. 3) : ce sont les compressions les plus fréquentes, elles sont en général liées à un déplacement du disque articulaire vers l'avant. Ce déplacement discal s'accompagne d'un recul du condyle mandibulaire dans la fosse. L'espace de l'interligne articulaire est pincé au niveau postérieur.

Conséquences

La compression de l'ATM antérieure étant très rare, nous ne nous intéresserons ici qu'aux compressions centrales et surtout postérieures. Le disque articulaire étant déplacé en avant, le recul condylien est responsable d'une pression excessive sur la zone bilaminaire et les tissus rétrodiscaux richement vascularisés et innervés. C'est pourquoi la compression s'accompagne au niveau de l'articulation :

- de douleurs souvent très invalidantes localisées à l'ATM ;

- de limitation de la mobilité de l'articulation, de déviations dans les mouvements mandibulaires, de limitations d'ouverture, de claquements articulaires ;

- parfois de problèmes auriculaires (acouphènes, douleurs et vertiges).

Lorsque la compression devient chronique, cela peut entraîner une perforation des tissus rétrodiscaux permettant le contact des surfaces osseuses entre elles donnant des phénomènes dégénératifs de type arthrosique.

Objectifs des cales de décompression

Les butées ou cales postérieures ont trois objectifs principaux qui sont : soulager, recoapter, réadapter.

Soulager

Les douleurs sont d'origine mécanique articulaire (la compression elle-même), mais aussi d'origine musculaire liées à des spasmes, notamment au niveau des muscles ptérygoïdiens latéraux. Les butées postérieures ont pour but d'éloigner mécaniquement (par abaissement et avancement) le condyle des tissus rétrodiscaux écrasés interrompant ainsi le stimulus algogène et les spasmes musculaires dont ce dernier était responsable.

Recoapter

Lorsqu'un déplacement discal irréductible est récent (DDI aigu), chez les sujets jeunes, nous pouvons essayer de repositionner l'ensemble disco-articulaire dans sa position physiologique.

Réadapter

Nous pouvons favoriser une adaptation des structures articulaires osseuses et ligamentaires en diminuant la pression intracapsulaire [11]. Cette adaptation se manifeste en général par l'apparition d'un néo-disque et un remaniement osseux [12] permettant à l'articulation atteinte de fonctionner normalement comme une articulation saine. Ce phénomène de néo-discation a pu être mis en évidence à l'aide de l'IRM par Ho Choi et al. [11], en 1994, pour qui le remodelage des tissus rétrodiscaux peut être « guidé par une gouttière occlusale qui inhibe l'activité parafonctionnelle et réduit la pression au niveau de l'ATM ». Cette adaptation va se traduire par un remaniement au niveau cellulaire, biochimique et moléculaire qui aboutit à un nouvel équilibre.

Mécanisme d'action des butées postérieures

Le concept

La décompression est due à une triple bascule de la mandibule dans les trois plans de l'espace : le plan sagittal, le plan frontal et le plan horizontal.

Les mesures d'Ito et al.[ 7]

En 1986, Ito et al. mesurent la direction et l'amplitude des mouvements du condyle mandibulaire au niveau des ATM, ceci grâce à un « système de réplication ». Ils utilisent cinq dispositifs différents en bouche (fig. 4).

Seuls sont significatifs les mouvements condyliens :

- avec une gouttière antérieure (0,44 mm vers le haut et 0,19 mm vers l'avant) qui entraîne une compression de l'ATM ;

- avec une butée postérieure (0,2 mm vers le bas et 0,15 mm en arrière) qui, grâce à la descente du condyle, décompresse l'ATM.

Théories

La bascule frontale (fig. 5)

Les enregistrements électromyographiques (fig. 6) réalisés dans l'unité fonctionnelle d'arthrologie de l'ATM du service d'odontologie des Hospices civils de Lyon, avec une butée en place, nous montrent que l'activité musculaire est plus intense du côté opposé à la cale. C'est ce déséquilibre qui entraîne la bascule frontale (fig. 7).

La bascule sagittale (fig. 8)

Elle peut s'expliquer par l'intensité de contraction de deux groupes de muscles antérieurs :

- l'orbiculaire des lèvres et la langue (lors de son appui au palais) ;

- les muscles sus-et sous-hyoïdiens (fig. 9).

La bascule horizontale (fig. 10 et 11)

Elle est possible grâce à la surface plane de la cale et s'apparente plutôt à une translation. Tous les muscles de la mastication y participent, particulièrement les temporaux postérieurs. En effet, en se décontractant, ils repositionnent la mandibule de manière équilibrée dans le plan horizontal.

Indications et contre-indications

Indications principales

Ce sont les déplacements discaux irréductibles (DDI) aigus ou chroniques.

Autres indications

Les cales de décompression sont utilisées dans :

- les situations d'urgence avec douleurs intracapsulaires ;

- les dégénérescences du disque avec blocage ;

- les adhérences discales ;

- les claquements articulaires tardifs ;

- les perforations discales ;

- les phénomènes arthrosiques.

Elles sont donc souvent indiquées dans les situations où les traitements classiques paraissent dépassés. Nous pouvons aussi utiliser les cales de décompression en cas de :

- déplacement du disque réductible (DDR) avec un claquement précoce ou intermédiaire ;

- inflammation (rétrodiscite, synovite).

Ces indications sont moins spécifiques des cales, car elles peuvent être traitées par d'autres méthodes.

L'indication majeure est le déplacement irréductible aigu du disque, car c'est cette situation qui provoque le plus de troubles (douleurs, limitation de mouvements, troubles à distance…) invalidants. Elle constitue, de ce fait, une urgence au même titre qu'une pulpite aiguë ou un abcès.

Contre-indications

Troubles extracapsulaires pures : cette technique étant totalement réversible, elle ne comporte aucune contre-indication majeure, à partir du moment où le diagnostic de dérangement interne est posé.

Protocole clinique

La technique que nous allons décrire est celle utilisée dans l'unité fonctionnelle d'arthrologie des ATM et des douleurs oro-faciales du service d'odontologie des Hospices civils de Lyon. La cale de décompression est réalisée du côté où le déséquilibre s'est manifesté primairement, ce qui correspond le plus souvent au côté douloureux ou au côté du claquement articulaire. Si un déséquilibre apparaît des deux côtés, nous pouvons réaliser une cale de chaque côté.

Manipulation mandibulaire (fig. 12)

Préalablement à la confection d'une cale, une manipulation mandibulaire visant à recoapter le disque peut être tentée, surtout en cas de déplacement récent où les chances de succès sont plus grandes car, dans ce cas, le disque a subi peu de changement morphologique.

Cette manipulation s'apparente à celle de Farrar et Mc Carty [13], mais il existe également d'autres manipulations mandibulaires décrites par différents auteurs tels Mongini [14], Martini et al. [15], Minagi et al. [16], Van Dyke et Goldman [17] donnant des résultats très similaires. Le praticien maintient fermement la tête de son patient contre son thorax à l'aide d'une main. Avec l'autre, il forme comme une pince agrippant la mandibule du côté atteint. Le pouce de cette main est placé au niveau des dernières molaires et les quatre autres doigts emprisonnent la branche horizontale en se plaçant sous celle-ci. Avec cette main, nous appliquons une pression ferme mais contrôlée sur les dernières molaires vers le bas, dans un premier temps, puis nous dirigeons la mandibule antérieurement et médialement dans un second temps. Pour cette manipulation, le patient est invité à se relaxer au maximum. Celle ci ne doit pas entraîner de douleur.

Réalisation clinique des butées

Principes (fig. 13, 14 et 15)

Nous augmentons la DV du côté à décompresser, nous maintenonsun seul point de contact occlusal qui sera le plus postérieur possible et nous créons une surface lisse et plate.

Réalisation des cales

Une petite quantité de résine est placée au niveau des dernières molaires mandibulaires. Le patient mord dans la position décompressée guidé, par exemple, par un mordu en cire. Une fois la résine durcie, elle est retirée puis ajustée de manière à répondre aux principes cités plus haut.

Instruction au patient

La butée est portée constamment jusqu'à cessation de tous les symptômes (24 à 48 heures) puis enlevée uniquement au moment des repas, ceci pendant environ deux semaines.

Gouttière de cicatrisation (fig. 16)

La situation étant stable, nous enregistrons la position thérapeutique, nous la transférons sur un articulateur, nous réalisons une gouttière (avec des contacts occlusaux harmonieusement répartis et des latéralités et propulsions classiques) qui est appelée « gouttière de cicatrisation ». Celle-ci permet de pérenniser la décompression dans les trois plans de l'espace et d'engendrer un éventuel remaniement favorable des surfaces articulaires. Cette gouttière est portée pendant six mois par le patient.

Conclusion

Les dysfonctions aiguës des ATM restent des problèmes complexes qui souvent ne peuvent pas être résolus par l'omnipraticien. Les cales de décompression nous paraissent un moyen simple et rapide utilisable par tous les chirurgiens-dentistes pour soulager les patients souffrant de déséquilibres articulaires.

Remerciements à Sophie Decorzen et Dominique Decoret.

Bibliographie

  • 1 Sears V. Occlusal pivots. J Prosthet Dent 1956; 6(3):332-338.
  • 2 Campbell J. Extension of the temporomandibular joint space by methods derived from general orthopedic procedures. J Prosthet Dent 1957; 7(3):386-399.
  • 3 Berry D. Occlusal pivots, a case report. Dent Pract 1962;12:337-338.
  • 4 Krogh-Poulsen W. Management of the occlusion of teeth. In: Schwartz, Chayes, eds. Facial pain and mandibular dysfunction. Philadelphia : WB Saunders, 1968.
  • 5 Lous I. Treatment of the TMJ syndrome by pivots. J Prosthet Dent 1978;40(2):179-182.
  • 6 Roccabado M. Joint distraction with a functional maxillomandibular orthopedic appliance. Cranio 1984;2:358-363.
  • 7 Ito T et al . Loading on temporomandibular joint with five occlusal conditions. J Prosthet Dent 1986:56 (4);289-296.
  • 8 Moncayo S. Biomechamic of pivoting appliance. J Orofacial Pain 1994:8(2);190-196.
  • 9 Nitzan D. Intraarticular pressure in the functioning human temporomandibular joint and its alteration by uniform elevation of the occlusal plane. J Oral Maxillofac Surg 1994:52;671-679.
  • 10 Orbach S. Meniscal disorders. N Y State Dent J 1996;62(4):24-31.
  • 11 Ho Choi B, Yod J, Lee W. Comparison of magnetic resonance imaging before and after non surgical treatment of closed lock. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1994;78:301-305.
  • 12 Mongini F. Influence of function on temporo-mandibular joint remodeling and degenerative disease. Dent Clin North Amer 1983;27:479-494.
  • 13 Farrar W, Mc Carty W. A clinical outline of temporomandibular joint diagnosis and treatment. Mont-gomery : Normandie Publication, 1982.
  • 14 Mongini F. A modified extraoral technic manipulation in disk displacement without reduction. Cranio 1995;13(1):22-25.
  • 15 Martini G, Martini M, Carano A. Physiotherapeutic protocol in anterior disk displacement without reduction. Cranio 1996;14(3):216-224.
  • 16 Minagi S, Nosaki S, Sato T, Tsuru H. A manipulation technic for treatment of anterior disk displacement without reduction. J Prosthet Dent 1991; 65(5):686-691.
  • 17 Van Dyke A, Goldman S. Manual reduction of displaced disk. Cranio 1990;8(4):350-352.