Paradontologie
Thierry Taieb * Franck Gallois ** Marc Danan ***
*
Ancien AHU
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Ancien AHU
***
MCU-PH
Département de parodontologie
Faculté de chirurgie dentaire de Paris-V
1, rue Maurice Arnoux
92120 Montrouge
T. Taïeb
(tirés à part)
141, rue Raymond-Losserand
75014 Paris
Les élongations coronaires améliorent les rapports parodonto-prothétiques en restaurant l'intégrité de l'espace biologique. Les différentes interventions cliniques feront appel à la chirurgie gingivale, gingivo-osseuse et associeront parfois l'orthodontie. L'intervention doit toujours être intégrée dans un plan de traitement global et être réalisée après réduction des facteurs locaux.
Crown lenghtenings improve the relationships between the periodontium and fixed abutments by restoring the integrity of the biologic width. The different clinical situations can be accomplished by mucogingival surgery alone or associated to a bone resection ; sometimes orthodontic treatment will be added. Surgery must always be integrated into a comprehensive planification of treatment and must always be carried out after reducing etiological inflammatory factors.
La situation sous-gingivale de la limite de préparation d'une prothèse conjointe ou d'un soin conservateur, à la suite d'une lésion carieuse ou d'une fracture corono-radiculaire, entraîne une réaction inflammatoire du parodonte, avec une augmentation du fluide gingival, une migration apicale de l'épithélium de jonction puis, à terme, une résorption osseuse [1-3].
Cette perte tissulaire, initiée par l'agression de l'attache épithélio-conjonctive, provient du non-respect de l'intégrité de l'espace biologique. Cet espace, constitué par l'épithélium de jonction et l'attache conjonctive, représente la distance minimale entre le fond du sulcus et le sommet de la crête osseuse. Sa valeur moyenne pour un parodonte sain a été quantifiée par Gargiulo et al. [4] en 1961 à 2,04 mm, avec des valeurs extrêmes de 1,77 et 2,43 mm (fig. 1).
Cet article se propose d'étudier les situations préprothétiques qui nécessitent un aménagement parodontal à l'aide de thérapeutiques chirurgicales. Ces dernières auront pour but de favoriser la réalisation prothétique en recréant un espace biologique compatible avec la santé parodontale. Ces différentes thérapeutiques auront toujours pour conséquence l'allongement de la couronne clinique.
Cette analyse va permettre d'envisager les différents éléments de décision thérapeutique.
Elles vont dépendre de facteurs dento-parodontaux, prothétiques et esthétiques.
• Les facteurs dento-parodontaux : qualité et quantité de la gencive kératinisée et de la gencive attachée, présence de poche parodontale, distance entre le sommet de la crête osseuse et la limite de tissu dentaire sain préparé, épaisseur des parois de tissu dentaire sain, anatomie radiculaire.
• Les facteurs prothétiques : situation des limites prothétiques, types de limites, hauteur de couronne clinique minimale permettant un ancrage et une rétention suffisante.
• Les facteurs esthétiques : harmonie du feston gingival, position de la ligne du sourire.
• Un rapport couronne clinique/racine clinique supérieur à 1.
• Une atteinte de l'espace inter-radiculaire de la dent elle-même ou d'une de ses collatérales.
• Une lésion d'origine endodontique alors que le traitement radiculaire ne peut être repris.
• Si la chirurgie envisagée entraîne une perte d'ancrage osseux trop importante de la dent concernée.
• Si la chirurgie envisagée entraîne sur le plan muco-gingival un préjudice esthétique inacceptable.
L'examen clinique qui va orienter notre choix thérapeutique doit impérativement comporter les quatre éléments suivants.
Le sondage du sulcus doit être réalisé tout autour de la dent, à l'aide d'une sonde parodontale, éventuellement sous anesthésie locale. Il permet d'évaluer :
- le trajet d'une fracture ou d'une fêlure éventuelle ;
- la situation de la limite de préparation de la dent par rapport à l'attache épithélio-conjonctive et aux différents éléments du parodonte ; cette limite devant rester intra-sulculaire ;
- l'importance de poches parodontales éventuelles.
La hauteur de gencive kératinisée est la distance entre le bord libre de la gencive et la ligne muco-gingivale. Elle est mesurée en plaçant la sonde parodontale contre la gencive (fig. 3).
La hauteur de gencive attachée est calculée en retranchant la profondeur du sulcus de la hauteur de gencive kératinisée (fig. 2, 3 et 4). En présence de restaurations prothétiques ayant des limites intra-sulculaires, il est généralement admis qu'une hauteur de 5 mm de gencive kératinisée, dont 3 mm de gencive attachée, sont nécessaires [5-6]. En revanche, en dentisterie restauratrice et pour des limites prothétiques supra-gingivales, de telles hauteurs ne semblent pas indispensables.
Ces mesures de hauteur gingivale vont directement orienter notre choix thérapeutique en répondant aux questions suivantes :
- la quantité de gencive doit-elle être préservée dans sa totalité ou peut-elle être diminuée sans entraîner une pathologie quelconque ?
- si la hauteur de gencive est insuffisante ou inexistante, est-il possible de l'augmenter ou d'en créer ?
La radiographie rétro-alvéolaire après dépose des anciens éléments métalliques (couronne, amalgame, tenon) et élimination des tissus altérés ou cariés va permettre d'évaluer la distance entre la limite du tissu dentaire résiduel sain et le sommet de la crête osseuse : l'espace chirurgical préprothétique. Cet espace est composé de l'espace biologique (2 mm) et de la profondeur du sulcus (1 mm, dont 0,5 mm de préparation prothétique permettant un cerclage de la racine par la couronne). Si cet espace est supérieur ou égal à 3 mm, le niveau osseux ne sera pas modifié. Par contre, s'il est inférieur, il sera nécessaire d'éliminer du tissu osseux par ostéotomie et ostéoplastie. Il est important, lors de cette évaluation de l'espace chirurgical préprothétique, de bien apprécier l'épaisseur des parois dentaires. En effet, les parois trop fines vont être éliminées lors de l'intervention, modifiant ainsi la distance osbord dentaire qui avait été relevée initialement. L'idéal, lorsque cela est possible, est d'avoir une radio avec des limites quasi définitives de la préparation. Dans le cas contraire, il est préférable de majorer l'espace chirurgical préprothétique de la hauteur nécessaire à la réalisation prothétique. Lors de cette évaluation radiographique, on porte une attention particulière à la longueur de la racine, à la position des zones de furcation radiculaire par rapport à la crête osseuse, à la présence de proximités radiculaires et à la qualité des traitements endodontiques.
Cet examen doit se faire avant l'anesthésie locale et inclure des mouvements labiaux forcés. Pour le secteur maxillaire antérieur, il est intéressant de noter que 80 % des patients exposent au moins leurs papilles lors du sourire [7]. L'examen préopératoire nous permet d'apprécier les éléments de décision par rapport à une situation clinique idéale qui serait :
• Profondeur du sulcus de 1 à 2 mm
• Hauteur de gencive kératinisée > 5 mm dont 3 mm de gencive attachée
• Espace chirurgical préprothétique d'au moins 3 mm
• Absence de préjudice esthétique après chirurgie d'élongation
Les différentes situations cliniques (tabl. I) vont aboutir à des thérapeutiques chirurgicales différentes dont les critères de choix seront fonction de deux paramètres :
- l'espace chirurgical préprothétique (ECP) : cette distance nous permettra de déterminer la quantité d'os à éliminer ;
- la hauteur de gencive attachée : cette dernière va conditionner le tracé d'incision.
Cette intervention ne peut être envisagée qu'en présence d'au moins 5 mm de gencive kératinisée, dont 3 mm de gencive attachée et avec 3 mm d'espace chirurgical préprothétique.
• Gingivectomie à biseau interne (fig. 6a et 6b , 7a et 7b).
• Réduction de l'épaisseur de la fibro-muqueuse sur les crêtes édentées (distal wedge ) (fig. 8a, 8b, 8c, 8d, 8e et 8f).
Il permet de conserver un maximum de tissu gingival et d'accéder au tissu osseux. Il est indiqué lorsque la hauteur initiale de gencive attachée est d'environ 3 mm et ne peut donc supporter aucune réduction. Si l'espace chirurgical préprothétique est inférieur à 3 mm, on associera une élimination de tissu osseux qui se réalise en deux temps : par ostéotomie (élimination de l'os dans lequel s'insèrent des fibres d'ancrage) et par ostéoplastie (remodelage de l'épaisseur des contours osseux). Il est important de rester prudent lors des ostéotomies et ostéoplasties quant à la quantité de tissu éliminé car des modifications osseuses spontanées peuvent s'ajouter au cours de la cicatrisation dans les semaines et les mois qui suivent l'intervention [9].
Pour les lambeaux déplacés, il est nécessaire d'avoir suffisamment de mobilité des tissus. Si l'intervention concerne une seule dent, des incisions verticales de décharge sont indispensables. Elles doivent s'étendre au-delà de la ligne muco-gingivale et être situées au 1/3 mésial et distal des dents adjacentes. Si l'on intervient sur un groupe d'au moins trois dents, le lambeau est décollé sur un secteur plus important. L'étendue du lambeau permet alors d'obtenir suffisamment d'élasticité tissulaire pour déplacer apicalement les tissus sans incisions secondaires de décharge.
Ce type de lambeau permet d'augmenter, lors de l'intervention, la hauteur de gencive attachée.
Le lambeau mixte va permettre de réaliser, au cours de la même intervention, l'élongation coronaire par ostéotomie et l'augmentation de la gencive attachée. Ce lambeau est de pleine épaisseur dans sa partie coronaire, permettant un accès direct à l'os. Il sera d'épaisseur partielle dans sa partie la plus apicale afin de transformer la gencive kératinisée en gencive attachée. Des sutures de matelassier avec rétention périostée favorisent l'immobilisation du lambeau en position apicale [10].
Lorsque l'élongation doit être réalisée sur une dent où il n'existe pas de gencive kératinisée, l'intervention associera une élongation coronaire à une greffe épithélio-conjonctive de substitution pour créer de la gencive attachée. Au cours de la chirurgie, l'élimination éventuelle de tissu osseux s'effectue au moment de la préparation du site receveur ; c'est-à-dire avant le prélèvement du greffon.
Lors d'une carie ou d'une fracture en situation infra-osseuse, la création d'un nouvel espace biologique entraînerait une réduction osseuse trop importante. Cela aurait pour conséquence de fragiliser la dent support qui présenterait un rapport couronne/racine > 1 et un problème esthétique. Une autre technique doit alors être envisagée : l'égression orthodontique. Elle permet de déplacer la dent au travers du parodonte en exerçant une force de traction en direction coronaire selon le grand axe de la dent [11-13]. Giovannoli et Nguyen en 1992 la qualifient d'extrusion orthodontique [14]. La force exercée sur la dent fracturée doit être suffisamment importante pour obtenir un déplacement rapide mais éviter une résorption radiculaire [15]. Après déplacement, une période de contention de deux mois est nécessaire afin que l'os alvéolaire et les fibres dento-gingivales puissent se réorganiser. Une fibrotomie sulculaire circonférentielle doit, toutes les deux semaines, être associée à cette traction afin de limiter le plus possible le déplacement des tissus osseux et gingivaux qui pourraient être entraînés avec la dent par l'intermédiaire des fibres supracrestales [16]. Néanmoins, malgré la fibrotomie, une correction chirurgicale parodontale est souvent nécessaire pour rétablir l'harmonie du feston gingival dans le secteur antérieur.
Les élongations coronaires améliorent les rapports parodonto-prothétiques en restaurant l'intégrité de l'espace biologique. Le choix de l'intervention va dépendre de la hauteur de l'espace chirurgical préprothétique et de la quantité et qualité de la gencive existante.
Quelle que soit la technique chirurgicale choisie, l'intervention doit être intégrée dans une chronologie précise du plan de traitement prothétique global. Elle intervient toujours après réduction de l'inflammation et réalisation d'une dent provisoire.