Matérialisation informatique des forces de coaptation masticatrices sagittales au niveau de l'ATM - Cahiers de Prothèse n° 105 du 01/03/1999
 

Les cahiers de prothèse n° 105 du 01/03/1999

 

Articulation temporo-mandibulaire (ATM)

Thierry Delcambre *   François Ghadimi **   François Descamp ***  


* Assistant universitaire (Lille) -
Praticien hospitalier

** Assistant universitaire (Lille) -
Praticien hospitalier

*** Assistant universitaire (Lille) -
Praticien hospitalier

Résumé

La décomposition vectorielle de l'action des muscles masticateurs montre une résultante des forces de coaptation articulaire que seule l'informatique permet de matérialiser tant les interactions de ces muscles sont nombreuses. Ce calcul informatique a été obtenu après avoir transcrit et programmé le logiciel conçu à cet effet avec les résultats des études électro-myographiques existantes. Ce travail, réalisé essentiellement dans un but didactique, permet de matérialiser les variations de direction et d'intensité de la résultante des forces de coaptation articulaire en fonction des interactions musculaires observées dans différentes positions d'ouverture et de fermeture buccales en intercuspidation et en rétraction.

Summary

Computer materialization of the sagittal masticatory forces of coaptation at the level of the TMJ: pedagogical approach

The individual vectorial schematization of the masticatory muscles is easy. However, those muscles operate all together during the movements of the oral cavity's opening and closing. The quantity of possible combinations between the different masticatory muscles and the number of parameters likely to change the characteristics of the resultant of non-rotational forces at the level of the TMJ, make the manual study impossible. The calculation of this resultant seems scarcely feasible without the help of a computer. A laboratory specializing in industrial mechanics and human research was in charge of designing a computer software whose use was made possible thanks to the integration of the results of the different electromyographic studies. As a matter of fact, electromyography helps to understand the chronology of the action of the masticatory muscles, but also to give a value to the intensity of action of each of them operating at a certain degree of the oral cavity's opening or closing. However, even if these values remain relative and comparative, the results that were obtained allow to visualize the direction of the resultant of the non-rotational forces at the level of the TMJ. Those results are sometimes surprising, especially when it's known that the majority of masticatory muscles involves forces of coaptation of the articular surfaces on areas which are not always able to bear pressure.

Key words

biomechanics, forces of articular coaptation, TMJ, vectorial resolution

En 1866, Duchenne de Boulogne, cité par Giraudet [1], écrivait : « (…)Les contractions musculaires partielles (…) ne sont pas physiologiques (…) l'action musculaire isolée n'est pas dans la nature. » L'action d'un muscle dans l'exécution d'un mouvement « pur » ne peut se réaliser qu'avec l'action combinée d'autres muscles, ce qui permet de stabiliser l'articulation sur laquelle le muscle agit. Ces forces interviennent sur la stabilisation de l'articulation et doivent s'équilibrer pour que l'action du muscle réalisant le mouvement proprement dit puisse se réaliser. La schématisation vectorielle de l'action d'un muscle dans l'exécution d'un mouvement pur ne prend pas en compte l'action de ces muscles qui vont ainsi bloquer les mouvements non désirés au niveau de l'articulation. Toutefois, ces forces s'équilibrant, il est possible de représenter l'action musculaire d'un mouvement pur par un vecteur dans une position déterminée. Dans cette position « p » ainsi déterminée, ce vecteur pourra alors être décomposé par rapport à l'axe articulaire sur lequel il agit. Cette mise au point évite l'intégration à l'analyse biomécanique des notions de dynamique qui rendraient la schématisation beaucoup trop complexe.

L'action musculaire peut donc être représentée par un vecteur force [1] qui se définit par :

- une direction (d). Celle-ci sera en fait la droite qui unit les deux points d'insertion musculaire ;

- un point d'application (A ou B). Il s'agit des points d'insertion des fibres moyennes du muscle ;

- un sens (il définit l'action musculaire) ;

- une intensité. Elle permet de transcrire à l'aide d'une échelle centimétrique une force étalonnée en kiloforce. La longueur du vecteur est arbitraire et ne reflète aucune notion d'intensité.

Chaque vecteur peut être alors décomposé en deux composantes (fig. 1) :

- composante axiale (Fa). C'est la composante statique, centripète. Elle passe par le point d'application de la force et l'articulation. Elle sert à coapter les surfaces articulaires ;

- une composante tangentielle (Ft). C'est la composante dynamique, centrifuge. Elle passe par le point d'application de la force et la perpendiculaire à Fa. Elle est responsable de l'action.

L'analyse biomécanique individuelle de chaque muscle masticateur dans le plan sagittal [2, 3] montre que les composantes axiales (Fa), dites encore coaptatrices, se trouvent toutes dirigées vers le haut et/ou vers l'arrière de la cavité glénoïde. Seules les fibres antérieures du muscle temporal insérées au sommet de l'apophyse coronoïde et l'ensemble des fibres des muscles ptérygoïdiens latéraux supérieur et inférieur ne répondent pas à ces critères. En fait, la grande majorité des forces de coaptation se trouve dirigée sur des zones inaptes à supporter des pressions.

Il semblerait donc que seuls les muscles ptérygoïdiens latéraux supérieur et inférieur soient capables de contrer l'action des composantes non rotationnelles dirigées vers le haut et/ou vers l'arrière de la cavité glénoïde produites par la plupart des muscles masticateurs et de permettre la coaptation du condyle mandibulaire sur le versant postérieur du condyle temporal. Cette hypothèse sera contrôlée par le calcul de la résultante des pressions articulaires produite à un certain degré d'ouverture et de fermeture buccale.

Réalisation du logiciel informatique

La réalisation du logiciel informatique a été confiée au laboratoire d'automatique et de mécanique industrielles et humaines de l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis. L'étude mécanique et la représentation des résultantes sont réalisées dans le plan sagittal. L'orientation des différents faisceaux musculaires dans le plan sagittal s'appuie sur les travaux de Baron et Debussy [4] et sur ceux de Trainor PGS et al. [5]. La direction des différents faisceaux des muscles masticateurs est représentée sous forme de vecteurs dans les trois plans de l'espace. Les huit muscles principaux de la mastication sont pris en compte : les muscles temporaux antérieur, moyen et postérieur, masséter, ptérygoïdien médial, ptérygoïdien latéral supérieur, ptérygoïdien latéral inférieur et digastrique.

Les aspects mécaniques

Les aspects mécaniques résident dans le calcul de la direction et de la norme de la résultante des composantes non rotationnelles des forces s'appliquant à un mobile en rotation sur son centre (fig. 1). Dans les cas d'édentements totaux ou subtotaux, la perte de dimension verticale de l'étage inférieur de la face modifie la géométrie cranio-mandibulaire. Cette modification sera matérialisée par un angle, appelé sur la fenêtre de présentation du logiciel : « angle d'occlusion » (fig. 2). La variation de cet angle modifie la position des points d'insertion des muscles sur la mandibule par rapport au centre de rotation et modifie, de ce fait, la direction de ces muscles. Les effets des muscles ptérygoïdiens latéraux s'en trouvent considérablement changés [3]. Cet angle sera pris en compte dans les calculs et pourra être modifié.

Calcul de la somme des composantes non rotationnelles

Conditions requises

Il a été considéré que le calcul de la somme de ces composantes se faisait alors que les maxillaires étaient en occlusion. Le contact entre les dents empêche dès lors tout glissement et tout mouvement de type rotation.

Calculs mathématiques

Détermination des coordonnées du vecteur résultant R :

Représentation du résultat

Le résultat est un vecteur représentant la somme des projections des forces en action respectivement sur la droite joignant leur point d'application au centre du condyle. Le point d'application de ce vecteur est le centre du condyle mandibulaire. La norme du vecteur représentée est proportionnelle à la norme calculée. Le coefficient de proportionnalité est calculé de manière que la représentation du vecteur soit toujours incluse entièrement dans la zone de dessin. Cela permet une représentation qualitative suffisante aux comparaisons des différents résultats.

Limites

Le résultat obtenu n'est que qualitatif, il renseigne sur la direction, le sens et donne une idée relative de sa norme. Il ne doit donc être utilisé qu'à titre comparatif.

Conclusions

Le logiciel réalisé permet de représenter deux types de phénomènes difficilement observables sans l'aide de l'informatique :

- la résultante des composantes non rotationnelles des forces s'appliquant sur l'articulation temporo-mandibulaire, associées ou non à une perte de dimension verticale ;

- les effets de ces forces sur l'articulation temporo-mandibulaire avec interposition d'une cale placée entre les arcades dentaires. (Toutefois, cette deuxième fonction ne sera pas traitée dans cet article, mais sera utilisée dans une étude intéressant les différents types de gouttières utilisés dans les traitements des dysfonctions cranio-mandibulaires.) Si les résultats obtenus ne peuvent être exploités cliniquement, l'utilisation d'un tel logiciel autorise une approche théorique et mathématique nécessaire à la bonne compréhension de la mécanique de l'articulation temporo-mandibulaire.

Utilisation du logiciel

S'il est relativement aisé d'apprécier la direction, le point d'application, le sens d'un vecteur représentant l'action d'un muscle, il est beaucoup plus difficile d'évaluer son intensité. L'électromyographie va pouvoir enregistrer l'activité d'un muscle et apprécier son intensité. Cependant, l'accès souvent difficile des muscles masticateurs et particulièrement des muscles ptérygoïdiens latéraux oblige l'utilisation d'électrodes fils de type Basmajian [3]. Ces électrodes n'enregistrent que l'action des fibres musculaires à leur voisinage immédiat [6], mais l'utilisation d'électrodes de même type pour chacun des muscles étudiés permet d'obtenir des résultats exploitables dès lors que ceux-ci sont utilisés à titre comparatif.

Pour utiliser le logiciel, les moyennes de l'activité électromyographique des muscles masticateurs intervenant dans certaines positions d'ouverture et de fermeture buccales, extraites du tableau de Gibbs et al. [7], ont été transcrites en valeurs numériques. Ce sont ces valeurs qui sont introduites au niveau des curseurs de la case « muscles » pour chacun des muscles concernés (fig. 2). Sur le schéma du crâne de la fenêtre principale, ces valeurs sont matérialisées par un trait de couleur, dont la longueur est proportionnelle à l'activité du muscle considéré, et surfacé, dans le cadre de cette présentation, par une flèche bleue pour des raisons de lisibilité.

Le calcul de la résultante des forces de coaptation articulaire (représentée par une flèche rouge pour les raisons citées précédemment) a été réalisé pour différentes positions d'ouverture et de fermeture buccale intéressant uniquement la rotation condylienne, c'est-à-dire pour une ouverture n'excédant pas 2 cm d'amplitude [8]. Cette rotation initiale s'effectue au niveau de l'étage sous-méniscal de l'ATM selon un axe bicondylien [9].

Calcul de la résultante articulaire

Dans différentes positions d'ouverture buccale

Avec les valeurs établies précédemment dans certaines positions d'ouverture buccale, le calcul de la résultante articulaire se matérialise vers le haut et l'avant, en direction du condyle temporal (fig. 3). Comme il a été constaté lors de la décomposition vectorielle individuelle des muscles intervenant dans les positions d'ouverture buccale [2], les composantes axiales de ces muscles sont toutes dirigées vers le haut et l'arrière de la cavité glénoïde, excepté pour le muscle ptérygoïdien latéral inférieur (le muscle ptérygoïdien latéral supérieur est quasiment inactif). En fait, le chef inférieur doit à lui seul régulariser l'action des autres muscles pour que la résultante articulaire se porte vers le condyle temporal. Cette constatation se trouve confirmée par le calcul de la résultante articulaire en l'absence d'activité du chef inférieur du muscle ptérygoïdien inférieur (fig. 4). La composante axiale de ce muscle, toujours très importante par sa position par rapport au condyle mandibulaire, confère au muscle ptérygoïdien latéral inférieur une importance capitale dans le transfert des pressions articulaires dans les différentes positions d'ouverture buccale.

Le programme permet également d'apprécier l'action du muscle ptérygoïdien latéral inférieur quand on lui applique 100 % d'activité (fig. 5). Dans ce cas, on note une augmentation non négligeable de la norme de la résultante ainsi qu'une légère horizontalisation de sa direction sans pour autant passer sous l'axe reliant les deux condyles (mandibulaire et temporal).

Toutefois, l'ouverture buccale met en action un muscle qui mérite également une attention particulière : il s'agit du muscle digastrique. En effet, pour une même angulation, par rapport à l'horizontale, du ventre antérieur du muscle digastrique, l'augmentation unique de l'activité de ce muscle entraîne une verticalisation de la résultante des forces articulaires en position d'ouverture buccale (fig. 6). De même, lors de l'abaissement de l'os hyoïde entraîné par les muscles sous-hyoïdiens, l'abaissement conséquent de l'insertion distale du ventre antérieur du muscle digastrique entraîne une résultante articulaire dirigée vers l'avant et qui s'horizontalise au fur et à mesure que l'attache hyoïdienne du muscle digastrique s'abaisse (fig. 7). En résumé, dans certaines positions d'ouverture buccale, la matérialisation de la résultante des forces articulaires permet d'affirmer que :

- l'augmentation de l'activité du muscle ptérygoïdien latéral inférieur entraîne une augmentation de la pression articulaire en même temps que celle-ci s'horizontalise vers l'avant (fig. 8a) ;

- la diminution de l'activité du muscle ptérygoïdien latéral inférieur entraîne des pressions articulaires qui vont rapidement se diriger vers le haut, puis l'arrière de la cavité glénoïde (fig. 8b) ;

- l'augmentation de l'activité du muscle digastrique entraîne la verticalisation de la résultante des forces articulaires et de ce fait des pressions articulaires dirigées vers le haut de la cavité glénoïde (fig. 8c) ;

- l'abaissement de l'attache distale hyoïdienne du ventre antérieur du muscle digastrique causé par l'action des muscles sous-hyoïdiens dirige la résultante des forces articulaires vers l'avant et favorise les pressions inter-condyliennes (fig. 8d).

Dans différentes positions de fermeture buccale

En position :

serré en intercuspidation

La résultante articulaire qui émane de la combinaison des muscles masticateurs intervenant en position d'intercuspidation maximale se dirige vers le condyle temporal (fig. 9). Cela permet d'affirmer que, dans les brefs instants d'intercuspidation maximale, il existe des pressions intercondyliennes très importantes. Toutefois, avec ces mêmes valeurs musculaires, la variation de l'angle d'occlusion entraîne peu de variations de l'angulation de la résultante articulaire. On notera essentiellement une petite augmentation de la norme de cette résultante à + 10°, c'est-à-dire avec une perte de dimension verticale (fig. 10).

L'intervention du muscle temporal moyen en intercuspidation - que le tableau de Gibbs et al. [7] ne montre pas, mais que décrit Carlsöö [10] - fait légèrement basculer vers l'arrière la résultante articulaire au fur et à mesure que l'on augmente la puissance de ce muscle. Cependant, même si l'activité maximale du muscle temporal moyen associée aux valeurs des muscles précédemment utilisées en intercuspidation maximale provoque une résultante articulaire quasiment verticale, l'augmentation ou la diminution de la dimension verticale n'entraînent pas, dans ce cas, de modification notable quant à l'orientation de la résultante articulaire. On peut déjà remarquer l'importance des fibres musculaires temporales moyennes sur l'orientation des pressions articulaires.

En position : serré en rétraction

Le tableau de Gibbs et al. [7] ne fait pas apparaître l'action des fibres moyennes et postérieures du muscle temporal lors de la fermeture en rétraction. Pour matérialiser la résultante des forces, il leur a donc été attribué différentes valeurs possibles associées à celles des muscles intervenant dans les mouvements de fermeture en rétraction. Si une valeur de 50 % est attribuée à l'activité de ces portions du muscle temporal (fig. 11), une résultante articulaire quasi verticale, légèrement dirigée vers l'arrière, mais d'intensité relativement faible, est comparée à la résultante articulaire obtenue en fermeture en intercuspidation maximale. La variation de l'angle d'occlusion laisse apparaître une direction plus postérieure de la résultante articulaire quand on augmente la dimension verticale alors que la résultante se dirige vers l'avant quand il existe une diminution de la dimension verticale (fig. 11).

Les muscles temporaux postérieurs et moyens ont des activités plus importantes que le muscle temporal antérieur dans les mouvements de fermeture en rétraction. Ainsi, si 100 % d'activité sont attribués au muscle temporal postérieur, 75 % au muscle temporal moyen et 50 % au muscle temporal antérieur, la résultante articulaire se dirige nettement vers l'arrière de la cavité glénoïde (fig. 12), ce qui semble tout à fait logique puisqu'il s'agit, dans ce cas, d'un mouvement volontaire et non induit indirectement. Cependant si, dans ce cas, la variation de l'angle d'occlusion ne modifie pas de manière significative l'orientation postérieure de la résultante articulaire, une augmentation de la dimension verticale multiplie par 2,5 la norme de cette même résultante calculée avec une diminution de la dimension verticale (fig. 12).

Dans ce contexte, le muscle ptérygoïdien latéral inférieur est le seul muscle capable de ramener la résultante articulaire vers le condyle temporal. Même le muscle ptérygoïdien latéral supérieur à 100 % d'activité ne peut contrer complètement l'action des trois portions du muscle temporal quand celles-ci interviennent dans les mouvements de fermeture en rétraction. Cela explique pourquoi le muscle ptérygoïdien latéral inférieur reste silencieux dans ce mouvement de rétraction volontaire. L'activité de ce muscle permet de s'opposer à l'action de coaptation des surfaces articulaires de toutes les fibres du muscle temporal tout en diminuant de façon très importante la norme de la résultante articulaire.

En résumé, dans différentes positions de fermeture buccale, la matérialisation de la résultante articulaire permet d'affirmer que :

- en intercuspidation maximale, la résultante se dirige logiquement vers le condyle temporal. Toutefois, dans ce cas, sa norme très importante traduit l'existence de pressions intercondyliennes élevées induites par l'action de la sangle musculaire du gonion (fig. 13a) ;

- l'intervention des fibres moyennes du muscle temporal en intercuspidation maximale fait basculer la résultante vers le haut, puis vers l'arrière de la cavité glénoïde au fur et à mesure que leur puissance augmente (fig. 13b) ;

- l'intervention des fibres postérieures et moyennes du muscle temporal dans les mouvements de fermeture en rétraction fait varier de façon notable la direction, mais surtout l'intensité de la résultante articulaire en fonction de la dimension verticale. Ainsi, la perte de dimension verticale fait basculer vers l'avant, donc vers le condyle temporal, la résultante articulaire sans pour cela modifier son intensité de façon notable ;

- la surélévation de la dimension verticale et l'intervention des fibres postérieures du muscle temporal entraînent une bascule de la résultante articulaire vers l'arrière de la cavité glénoïde avec une augmentation très significative de sa norme (fig. 13c) ;

- le muscle ptérygoïdien latéral inférieur, silencieux en position de rétraction, permet de contrecarrer, une fois en activité, l'action de coaptation de toutes les fibres du muscle temporal, de faire basculer vers l'avant et de diminuer la norme de la résultante des forces de coaptation développées en position de rétraction.

Discussion

L'utilisation de ce logiciel n'a d'intérêt que par sa valeur pédagogique. Il n'a d'autre but que de chercher à expliquer la mécanique très complexe de l'articulation temporo-mandibulaire et de confirmer éventuellement certaines affirmations, parfois délicates à apprécier comme, par exemple, l'action du muscle digastrique, qui permet la diminution de la norme de la résultante des forces de coaptation articulaire quand l'attache distale de son ventre antérieur est tractée vers le bas par les muscles sous-hyoïdiens.

L'utilisation de ce logiciel permet également de montrer à quel point le muscle ptérygoïdien latéral inférieur est important par son action dans les positions d'ouverture, mais aussi par son silence dans les positions de fermeture. Pourtant, Mac Horris (cité par Marguelles-Bonnet et Yung [11]) réfute l'hypothèse selon laquelle le seul ptérygoïdien latéral ne peut s'opposer à l'action des puissants élévateurs, en particulier du temporal. La disposition géométrique de ces muscles dans le plan sagittal, leur décomposition vectorielle et leur action simulée par le logiciel permettent d'affirmer le contraire.

Ce simulateur montre que les variations de dimension verticale entraînent, pour une même configuration musculaire, des variations d'intensité et de répartition souvent non négligeables de la résultante des forces de coaptation au sein de la cavité glénoïde. En fait, dès l'intervention des fibres temporales moyennes et postérieures, l'augmentation de la dimension verticale fait basculer vers le haut et/ou vers l'arrière de la cavité glénoïde la résultante des forces de coaptation tout en augmentant son intensité. La grande faculté d'adaptation des muscles masticateurs, qu'il ne faut pas sous-estimer, comme le souligne Gaspard [12], semble à la base du succès des techniques thérapeutiques faisant intervenir les gouttières occlusales. Par ailleurs, l'interaction simulée des seuls faisceaux temporal postérieur et ptérygoïdien latéral supérieur permet d'annuler toute résultante articulaire pourvu qu'un certain rapport d'activité soit respecté. De même, dans le sens vertical, l'action simulée des faisceaux temporaux antérieur et moyen peut annuler également toute résultante de forces de coaptation articulaire. Cela permet de penser que la dimension verticale dite de repos pourrait être déterminée de manière active sans pour cela entraîner de pressions de coaptation au niveau des surfaces articulaires de l'ATM (fig. 14 et 15). Cette hypothèse corrobore les dires de Verkindere et al. [13] : « Dans la position de repos, une activité persiste (…) au niveau des temporaux qui ne parviennent pas au « silence électromyographique » qui caractérise pour de nombreux auteurs le repos mandibulaire et musculaire. » Toutefois, bien qu'ayant constaté cette activité persistante au niveau des muscles temporaux, Verkindere et al. semblent malgré tout approuver l'existence d'un silence électromyographique au niveau de ces muscles à la dimension verticale de repos.

Conclusion

S'il n'est plus utile de démontrer l'importance de la simulation dans le domaine de la recherche tant d'un point de vue matériel que d'un point de vue humain, il n'en reste pas moins vrai que cette discipline peut ne pas refléter à la perfection ce qui se passe réellement. Ce travail a été réalisé avec une certaine logique mécanique, mathématique et tente simplement d'étudier des interactions musculaires possibles au niveau des muscles masticateurs qui agissent directement ou indirectement sur l'ATM et ce dans le plan sagittal. Ce travail a essentiellement un but didactique. Les résultats obtenus ne sont que qualitatifs et ne peuvent être utilisés qu'à titre comparatif.

Toutes les fonctions de ce logiciel n'ont pas été encore utilisées et de nouveaux paramètres pourront être ajoutés en contrepartie de quelques modifications au niveau de la fenêtre principale. Celles-ci s'intégreront sans problème à la structure du programme grâce à l'aspect modulaire du logiciel. Toutefois, la simulation tridimensionnelle, beaucoup plus délicate et complexe, demandera une étude biomécanique plus pointue ainsi qu'un environnement informatique bien plus performant mais reste, malgré tout, un des objectifs du Laboratoire de physiologie mandibulaire appliquée de Lille.

Remerciements au Professeur PH. Dupas du Laboratoire de physiologie mandibulaire appliquée (Lille) et au Professeur FX Lepoutre du Laboratoire d'automatique et de mécanique industrielles et humaines (Valenciennes).

bibliographie

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