Contrôle préchirurgical de l'occlusion en prothèse complète immédiate - Cahiers de Prothèse n° 107 du 01/09/1999
 

Les cahiers de prothèse n° 107 du 01/09/1999

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

Benoît Herbout*   Pierre Bonifay**  


*Ex-assistant hospitalier-universitaire
**Maître de conférences des universités
Faculté de chirurgie dentaire de Paris V
1, rue Maurice Arnoux
92120 Montrouge

Résumé

La qualité de l'occlusion obtenue dès la mise en bouche de la prothèse est un des facteurs de réussite du traitement par prothèse complète immédiate. Une erreur dans le rapport intermaxillaire ne peut être rattrapée lors de la séance de chirurgie. Un dispositif nouveau permet une ultime vérification de l'occlusion prothétique recherchée avant l'acte chirurgical dans les conditions maximales de confort opératoire et de rigueur. Il complète l'essai fonctionnel indispensable et permet au chirurgien de visualiser l'occlusion à obtenir en fin d'intervention. L'utilisation de ce dispositif est illustrée par le traitement de trois cas cliniques différents. Issue de la prothèse terminée, sa réalisation au laboratoire est décrite.

Summary

Pre-surgical control of the occlusion in immediate complete denture

The quality of the occlusion that is obtained during the setting of the prosthesis in the mouth is one of the elements of success of the treatment by immediate complete denture. An error in the intermaxillary relation cannot be made up for during the surgical phase. A new device allows a final checking of the prosthetic occlusion that is sought after prior to the surgical act in the optimal conditions of operating comfort and rigour. It completes the essential functional testing and allows the surgeon to visualize the occlusion to be obtained at the end of the operation. The use of this device is illustrated by three different clinical cases. Stemming from the final prosthesis, its realisation in the laboratory is described.

Key words

complete denture, immediate prosthesis, occlusion

Une prothèse complète immédiate est une prothèse d'usage élaborée avant les dernières extractions et insérée en bouche lors de celles-ci à l'aide d'un guide chirurgical [1]. Souvent reprise dans la littérature [1, 2], l'expression « prothèse d'usage » indique qu'il ne s'agit pas d'une prothèse provisoire ou de transition. En particulier, l'éventualité d'une réfection de base ou d'un remontage des dents est clairement exclue lorsqu'on envisage ce type de prothèse. Combinant l'avulsion des dernières dents et le remodelage osseux du site correspondant, l'acte chirurgical constitue le point de non-retour dans la séquence de traitement. D'où l'intérêt de renforcer les contrôles avant cette étape clé et notamment de vérifier la précision de l'occlusion, facteur primordial du pronostic. Dans ce but, un dispositif permettant une ultime vérification de l'occlusion est proposé. Cette validation préalable permet au chirurgien de reporter toute son attention sur l'utilisation raisonnée du guide chirurgical [3], instrument essentiel de la technique.

Rappels

Les deux principales difficultés de la prothèse complète immédiate sont :

- le pari sur l'esthétique dento-labiale, à savoir le choix du futur point interincisif maxillaire et le positionnement du bloc incisivo-canin ;

- la précision de l'occlusion, garante de la stabilité et donc de la pérennité de la prothèse [4, 5]. Seule, cette question nous intéresse ici.

Les causes d'erreur se rangent en deux catégories, celles dues à une maîtrise insuffisante des étapes d'acquisition du rapport intermaxillaire (RIM) et celles pouvant résulter d'une intervention chirurgicale mal conduite. La détermination clinique du RIM est délicate en raison de la présence des dents résiduelles et du réflexe de proglissement fréquemment associé. Les dents sont souvent versées ou égressées et peuvent gêner l'établissement de la dimension verticale d'occlusion (DVO). L'enregistrement du RIM devra alors être réalisé en légère surélévation, ce qui accroît le risque d'erreur. Les bases d'occlusion permettant l'enregistrement de ce rapport ont un appui seulement muqueux afin d'exclure la proprioception dentaire. Leur surface d'appui réduite augmente le risque de bascule quand s'établissent les contacts entre les bourrelets maxillaire et mandibulaire. De même, lors du transfert des modèles sur articulateur, la faible surface de calage peut être à l'origine d'un montage erroné du modèle mandibulaire. En prothèse immédiate, l'essai fonctionnel des maquettes en cire ne vise qu'à la vérification du RIM déjà transposé sur articulateur. Tout contact entre les dents restantes à extraire et les dents antagonistes (prothétiques ou naturelles) doit être systématiquement évité. La vérification de l'engrènement des dents postérieures est alors significative et valide la relation maxillo-mandibulaire. Enfin, la difficulté de l'essai fonctionnel est accrue par la plasticité des cires.

Les étapes ultérieures du traitement ne devraient pas introduire de nouvelles causes d'erreur occlusale. En effet, les séquences de laboratoire sont parfaitement maîtrisées et l'utilisation du guide chirurgical exclut a priori toute erreur de mise en place de la prothèse [3, 6]. Dans cette hypothèse d'une chirurgie infaillible, toute erreur affectant l'occlusion prothétique immédiate ne pourrait provenir que d'un RIM mal appréhendé. Le dispositif proposé élimine ce risque.

Le dispositif proposé

Il s'agit d'une réplique de la prothèse complète immédiate terminée au laboratoire ne comportant que les segments d'arcade non concernés par l'intervention chirurgicale (fig. 1). Réalisée en résine chémopolymérisable, cette réplique est insérée en bouche préalablement à la chirurgie. Elle reproduit toutes les caractéristiques occlusales de la future prothèse et permet une ultime vérification (fig. 2a et 2b).

Cette maquette de contrôle est en principe utilisée dans la séance réservée aux extractions et à l'insertion de la prothèse. Sa mise en place doit impérativement précéder l'anesthésie pour permettre de différer l'intervention si l'erreur est trop importante. Ce dispositif exploite les conditions optimales de vérification du RIM :

- intégrité de l'extéroception muqueuse ;

- patient plus détendu, bonne visibilité pour l'opérateur ;

- possibilité, pour le praticien, de renouveler les essais de fermeture en relation centrée et les excursions mandibulaires.

Bien entendu, ces mêmes contrôles peuvent être pratiqués dans une séance précédente, en particulier lorsque le traitement prothétique de l'arcade antagoniste impose des séances supplémentaires. Dans tous les cas, la vérification opérée à l'aide de ce dispositif se révèle plus fiable que celles habituellement pratiquées en fin d'intervention avec le guide chirurgical [3, 6] ou avec la prothèse mise en place.

Illustrations cliniques

Les trois cas cliniques ont été traités au maxillaire par la réalisation d'une prothèse complète immédiate.

Cas n° 1 : prothèse complète mandibulaire antagoniste

La patiente, âgée de 63 ans, présente un édentement complet mandibulaire. Seules subsistent au maxillaire les dents : 11,12, 21, 23, 24 (fig. 3). Les prothèses sont polymérisées (fig. 4). La réplique en résine de la prothèse maxillaire a été réalisée (fig. 5). L'élimination du secteur antérieur est faite grâce au modèle primaire de référence (fig. 6a et 6b). Avant l'anesthésie locale, le dispositif est mis en place au maxillaire et l'occlusion avec la prothèse mandibulaire est vérifiée (fig. 7a et 7b). La précision du rapport intermaxillaire est confirmée, la chirurgie est donc autorisée. Le calage obtenu entre la prothèse mandibulaire et le dispositif de contrôle indique au chirurgien l'occlusion à obtenir. Dès ce stade, la patiente prend contact avec la prothèse mandibulaire dont elle apprécie la rétention et la stabilité. En fin d'intervention, la qualité de l'occlusion obtenue valide le procédé (fig. 8).

Cas n° 2 : prothèse amovible partielle antagoniste

Le patient, âgé de 33 ans, n'a jamais été appareillé. Il présente au maxillaire un bridge antérieur (13 à 23) dont les dents-supports sont condamnées et à la mandibule, un édentement classe I subdivision 1 de Kennedy (fig. 9). Le dispositif maxillaire de contrôle met en évidence le nouveau rapport d'occlusion avec l'arcade antagoniste précédemment restaurée (prothèse amovible partielle en place) (fig. 10a, 10b et 10c). Ce contrôle de l'occlusion sur des bases dures est particulièrement utile quand le traitement prothétique comporte une importante modification du rapport intermaxillaire comme c'est le cas chez cet adulte jeune. Il permet aussi de réaliser une chirurgie plus sereine (fig. 11).

Cas n° 3 : arcade entièrement dentée antagoniste

La patiente, âgée de 60 ans, présente deux bridges latéraux mandibulaires récents et une prothèse amovible maxillaire ancienne de 11 dents (12, 11, 21 sont sur l'arcade) (fig. 12 et 13a, 13b, 13c et 13d). La demande de la patiente est essentiellement d'ordre esthétique.

La modification des faces occlusales mandibulaires s'est révélée indispensable pour obtenir des courbes fonctionnelles idéales. Les meulages sélectifs réalisés sur les modèles de travail sont reproduits en bouche grâce au dispositif en résine juste avant la chirurgie ou lors d'une séance précédente. L'augmentation de dimension verticale recherchée est dans ce cas facilement mise en évidence (fig. 14a et 14b). Le nouveau rapport d'occlusion a été validé et la chirurgie est autorisée. Les figures 15a et 15b montrent la conclusion prothétique de l'acte chirurgical.

Réalisation au laboratoire [3, 7]

La réalisation du dispositif proposé ne peut s'envisager qu'après celles de la prothèse et du guide chirurgical. Il s'agit maintenant de confectionner une réplique partielle de la prothèse. La démarche est la suivante :

1) réalisation d'un modèle de travail « souple » en silicone (Zeta Labor extra-hard de Zhermarck) sur lequel la prothèse terminée et équilibrée doit pouvoir se positionner (fig. 16a, 16b et 16c) ;

2) mise en articulateur de ce modèle de travail (fig. 17) : elle est effectuée par l'intermédiaire de la prothèse, cette dernière étant replacée en intercuspidie maximale avec le modèle de l'arcade antagoniste encore en place sur l'articulateur. Cette procédure garantit la précision du repositionnement du modèle souple ;

3) mise en moufle et polymérisation de la maquette : le modèle souple est tout d'abord englobé dans la « partie ». La prothèse repositionnée sur le modèle souple permet de réaliser la « contrepartie », les dents et l'extrados étant protégés par la mise en place d'une couche d'élastomère haute viscosité (fig. 18a et 18b). Bourrage et polymérisation s'effectuent en respectant les consignes de mise en œuvre de la résine chémopolymérisante. Une réplique complète de la prothèse est ainsi obtenue (fig. 5) ;

4) adaptation et finition de la maquette : la réplique complète est remise en place sur le modèle souple. Une équilibration peut s'avérer indispensable pour retrouver des rapports d'occlusion identiques à ceux de la prothèse d'usage (fig. 19). Il faut maintenant supprimer la portion qui correspond aux dents résiduelles et, plus précisément, à la zone d'intervention chirurgicale. Celle-ci est délimitée en se référant au modèle primaire ou à une réplique du modèle secondaire avant résection (fig. 6a et 6b). La réplique est réduite à la fraise en respectant cette limite et les interférences avec les dents résiduelles sont supprimées pour autoriser le contrôle pré-chirurgical.

Il faut noter que dans la plupart des cas, il est possible de réutiliser le modèle souple qui a servi à la confection du guide chirurgical. Dans ce cas, le transfert sur articulateur et la mise en moufle du modèle souple ayant déjà été effectués, le travail de laboratoire est allégé en conséquence.

Intérêts du procédé

Le dispositif proposé est comparable à la classique « base dure » (montage directeur polymérisé) et présente donc la même simplicité d'emploi que cette dernière ainsi que tous les avantages liés à la rigidité [8] et surclasse de loin tout procédé utilisant une base en cire. Réplique de la prothèse terminée, il présente les caractéristiques du schéma occlusal final, ce qui n'est pas le cas pour une base dure réalisée à partir d'un montage directeur. Utilisé en dehors du temps chirurgical dans les meilleures conditions de confort opératoire, ce dispositif met donc facilement en évidence les erreurs les plus faibles survenues lors de l'enregistrement ou du transfert de la relation intermaxillaire.

Lorsqu'une erreur est ainsi détectée, la méthode proposée permet de surseoir à l'intervention sans préjudice pour le patient. En effet, la maquette en résine constitue un excellent support pour un articulé de correction (type « Tench »). Cela permet d'envisager toute correction nécessaire sur la prothèse d'usage (remontage de dents, par exemple).

Dans le cas où le RIM est validé, la maquette en résine indique au chirurgien l'occlusion prothétique à obtenir au niveau des secteurs latéraux. La qualité de l'occlusion obtenue en fin d'intervention est alors sous la seule dépendance de l'acte chirurgical. Le dispositif proposé apparaît donc comme un instrument supplémentaire de la communication entre le praticien-prothésiste et le chirurgien. Dans le cas où le traitement de l'arcade antagoniste à la prothèse immédiate nécessite un ajustement occlusal par soustraction, cette maquette partielle présente un intérêt tout particulier. Habituellement, les corrections occlusales à pratiquer sur les dents naturelles antagonistes sont guidées par la prothèse immédiate qui vient d'être mise en place. La fatigue du patient, sa position allongée, la mauvaise visibilité liée au saignement résiduel et l'effet persistant de l'anesthésie nuisent à la qualité de ces retouches. Indispensables au futur équilibre prothétique, ces meulages sont facilités par l'emploi du dispositif qui apparaît ainsi comme un guide d'équilibration de l'arcade antagoniste. Enfin, cette maquette en résine peut être aisément utilisée comme prothèse d'attente dans les quelques jours qui précèdent l'intervention.

Conclusion

L'objectif principal du dispositif décrit ci-dessus est de mettre en évidence une erreur d'occlusion avant de réaliser l'acte chirurgical.

Le jour de l'intervention, il rassure le clinicien quant à la validité du rapport intermaxillaire choisi et permet ainsi d'aborder la chirurgie en toute tranquillité.

bibliographie

  • 1 Buchard P. La prothèse immédiate, principes généraux. Cah Prothèse 1978;24:45-60.
  • 2 Rignon-Bret JM. La prothèse immédiate, présentation d'un cas clinique. Cah Prothèse 1978;24:105-123.
  • 3 Apap G. La prothèse immédiate, la technique chirurgicale. Cah Prothèse 1978;24:85-97.
  • 4 Rignon-Bret JM. La détermination du rapport intermaxillaire en prothèse complète immédiate re (1 partie). Cas d'une arcade antagoniste naturelle entièrement dentée. Inform Dent 1989;71(31):2703-2710.
  • 5 Rignon-Bret JM. La détermination du rapport intermaxillaire en prothèse complète immédiate e (2 partie). Inform Dent 1989;71(36):3367-3378.
  • 6 Rignon-Bret JM. Le guide chirurgical duplicata à dents amovibles en prothèse complète immédiate. Cah Prothèse 1995;91:45-53.
  • 7 Navarro M. La prothèse immédiate, le laboratoire. Cah Prothèse 1978;24:65-75.
  • 8 Ferrari JL. Rationalisation de la réalisation des prothèses composites. Cah Prothèse 1991;74:72-82.