L'esthétique en prothèse amovible totale - Cahiers de Prothèse n° 108 du 01/12/1999
 

Les cahiers de prothèse n° 108 du 01/12/1999

 

Prothèse amovible complète (ou totale)

S. Palla  

Professeur
Clinique des désordres masticatoires
et de prothèses totales - Centre dentaire
de médecine orale et chirurgie maxillo-faciale
Plattesnstr. 11
8028 Zurich, Suisse

Résumé

L'approche esthétique en prothèse amovible totale vise à donner l'illusion de la denture naturelle. Ce but ne peut être atteint qu'en individualisant le montage des dents pour que la prothèse se fonde dans le visage du patient et s'harmonise avec sa personnalité et sa propre conception de l'esthétique. Trop souvent, seul l'agencement des dents antéro-supérieures est abordé. Pourtant, celui des dents mandibulaires et des dents postérieures est tout aussi important comme l'est également la sculpture de la gencive artificielle pour obtenir un résultat d'apparence naturelle. Chez des patients ayant un sourire gingival (gum smile) la résine acrylique de la gencive doit être caractérisée. L'agencement dentaire doit présenter toutes ces caractéristiques comme s'il avait vieilli avec le patient.

Summary

Esthetics and dentures adaptation

The goal of esthetics in complete denture is to provide the illusion of a natural dentition. This goal can be reached only by individualizing the dental composition so that it blends into the patient's face and harmonizes also with the patient's personality and cosmetic awareness. Too often, this process is solely confined to the individualization of the upper front teeth. However, also the individualization of the lower and posterior teeth and individual carving ot the artificial gingiva are of utmost importance to provide the patient with a natural appearance. In patients with a gummy smile, the acrylic base must also be colored. The dental composition should have all those characteristics as it would have aged together with the patient.

Key words

esthetics, Complete dentures

Esthétique et adaptation à la prothèse

La satisfaction du patient et son adaptation à la prothèse totale posent des problèmes très complexes, multi-factoriels parmi lesquels les facteurs psychologiques jouent très souvent un rôle plus important que la qualité technique de la prothèse. En effet, la perte des dents a fréquemment un impact au niveau psychologique et comportemental sur les patients, ce qui affecte leur confiance, leur amour propre et la perception de leur propre image. Cela peut leur donner une impression de vieillissement prématuré et produire des changements comportementaux bien au-delà de la modification d'habitudes alimentaires, en touchant leur personnalité et leur vie privée [1]. Il n'est donc pas surprenant que la perte des dents et le port d'une prothèse totale réclament un plus haut degré d'adaptation que d'autres événements majeurs de la vie tels que le mariage, la retraite, le changement de travail, les problèmes de couple ou de relations avec des proches [2, 3].

Le standard de l'image du corps idéale dans notre société est représenté par la jeunesse, la beauté et l'attraction physique. L'état d'édenté qui fut une condition courante pour les sujets âgés a beaucoup diminué, en particulier dans nos sociétés industrialisées, conséquence de l'efficacité de la prophylaxie orale. Ainsi, alors que dans le passé, il était normal pour les générations âgées de porter une prothèse totale, cela devient de plus en plus exceptionnel dans les zones non rurales. Par exemple en Suisse, le nombre d'individus édentés de plus de 65 ans chutera de 35 % en 1973 à 5 % en 2003 [4]. Cette évolution de l'état dentaire et la contradiction entre image du corps et phénomène de vieillissement de la population constituent certainement un autre facteur négatif pour l'acceptation des prothèses totales. L'apparence dentaire fait partie intégrante du visage et de l'image de soi. Être défiguré par une prothèse inesthétique peut affecter la vie normale, en particulier pour des individus dont la perte des dents a eu un impact psychologique important et qui ont des complexes d'infériorité, des difficultés à accepter le vieillissement, etc. Pour ces patients, une apparence agréable comme celle procurée par une prothèse à l'aspect naturel leur confère la dignité et la sensation de ne pas être reconnus comme édentés par leurs proches. Cela, sans aucun doute, contribue à faciliter l'intégration des prothèses.

Lorsque des patients sont interrogés sur les facteurs qui influencent le plus l'acceptation de leur prothèse, l'esthétique est rarement citée comme étant le plus important. Néanmoins, ce facteur de satisfaction s'applique même aux prothèses mandibulaires bien que le confort, l'aptitude à la mastication et la stabilité soient, par ordre décroissant, les facteurs les plus importants qui déterminent la satisfaction des patients [5]. Aussi, de nombreux patients réclament de nouvelles prothèses totales pour des raisons esthétiques et environ la moitié d'entre eux sont exigeants dans ce domaine [6, 7]. Enfin, les facteurs esthétiques semblent avoir été sous-estimés dans les études qui analysent les motifs invoqués pour le remplacement des prothèses totales [6].

Le « cosmétique » vise à embellir des zones du corps comme les cheveux, la peau, les dents etc., il correspond donc à des soins corporels. L'apparence d'une prothèse totale influence non seulement la sensation d'être « beau », mais aussi le charme de la personne. L'exécution d'une prothèse totale est donc beaucoup plus qu'une thérapeutique à vocation cosmétique ou une amélioration du sourire. Elle doit redonner l'expression naturelle du visage pour en restituer l'image, donner l'illusion d'une denture naturelle et rendre à l'individu sa dignité (fig. 1a et 1b).

L'esthétique n'est pas une science. C'est l'étude ou la philosophie de la beauté, la théorie des beaux-arts et la réponse d'un peuple à ceux-ci [8]. « La beauté » est la qualité qui contribue à rendre un objet agréable, plaisant. Cette satisfaction visuelle est déterminée par des lignes, des couleurs, une forme, des proportions, une texture, un ton etc. Le concept du « beau » n'est pas universel, mais sujet à des variations en fonction de la culture, des ethnies, du lieu, des traditions, du mouvement artistique, etc. D'après ces définitions, l'effort dans le domaine de l'esthétique doit produire des prothèses totales agréables. Dans la réalité clinique, l'esthétique en prothèse totale est l'art de les rendre naturelles, de donner aux dents artificielles un agencement qui procure l'illusion de la denture naturelle. Ainsi, l'esthétique englobe plus que l'harmonie des lignes, des couleurs et que la proportion des formes. Elle comprend aussi la prise en compte et l'intégration de toutes les caractéristiques résultant des pathologies dentaires et parodontales, du vieillissement de ces structures, pour donner l'impression que les arcades dentaires ont vieilli avec le patient.

Il est impossible de définir des règles strictes et scientifiques concernant le choix et l'agencement des dents artificielles. Cet article décrit l'approche personnelle de l'auteur pour aborder les facteurs primordiaux à considérer dans la quête de l'harmonie dento-faciale. Ceux-ci sont notamment : le soutien correct de la lèvre, une forme et une couleur adéquates des dents prothétiques et de leurs bords incisifs, une apparence naturelle des dents mandibulaires, l'adjonction de restaurations sur les dents postérieures, le contour normal de la gencive marginale et des papilles ainsi que la coloration de la gencive artificielle.

Avant de traiter individuellement ces différents facteurs, il est important de prendre en compte quatre principes, d'importance égale pour obtenir le résultat esthétique attendu :

Regarder l'ensemble du visage et non seulement les dents

Le résultat esthétique ne peut être apprécié qu'en regardant la totalité du visage et pas seulement la bouche, car un résultat naturel ne peut être obtenu que si les arcades dentaires se fondent dans le visage du patient. La plus grande erreur est de se focaliser uniquement sur les dents antérieures et leur rapport avec les lèvres. En effet, un montage peut paraître plaisant lorsqu'il est examiné seul, mais ne pas s'intégrer au visage du patient en raison d'une dysharmonie entre visage et arcades dentaires (fig. 2a, 2b, 2c et 2d). C'est le cas, par exemple, de l'importance de la visibilité des arcades maxillaires et mandibulaires, de la situation des bords incisifs des dents antérieures, de la largeur de l'arcade maxillaire, de la hauteur et de l'orientation du plan de référence occlusal dans les plans frontal et sagittal, de la forme et de la couleur de la gencive artificielle… L'évaluation finale du résultat esthétique n'est possible que lorsque toutes les dents sont présentes sur le montage en cire, que les caractérisations de chacune d'entre elles ont été réalisées, que la gencive marginale et les papilles ont été correctement sculptées et que l'on a fait figurer, à l'aide d'un marqueur résistant à l'eau, les obturations à réaliser sur les secteurs postérieurs.

Placer le patient debout devant soi pour faire l'essayage du montage en cire

Le degré de visibilité des arcades dentaires ainsi que leur harmonie par rapport au visage dépendent de la

longueur et du mouvement des lèvres en relation avec la longueur et la situation antéro-postérieure des arcades. Cela varie également avec l'âge : chez un sujet âgé, les dents supérieures sont moins visibles alors que les inférieures le deviennent. L'harmonie dento-faciale ne peut pas être appréciée si le patient est allongé sur le fauteuil, mais uniquement s'il est debout, de face, engagé dans une conversation et à une certaine distance pour que le praticien puisse voir l'ensemble du visage et non seulement se focaliser sur les rapports dents antérieures/lèvres.

Ne pas montrer les prothèses au patient avant que le praticien ne soit pleinement satisfait

Il est important de montrer le montage au patient avant l'essayage final en cire pour éviter une perte de temps au fauteuil et au laboratoire. Cela dans le cas où ce dernier, par exemple, refuserait les dents sélectionnées. En revanche, il n'est pas permis au patient d'observer le résultat esthétique tant que le praticien n'est pas satisfait de la composition qu'il a créée. Bien plus encore, le patient ne doit jamais évaluer le résultat esthétique quand seules les dents antérieures supérieures sont positionnées, car elles ressortent sur un fond de bouche vide et noire, ce qui accentue toujours l'impression de corps étranger. Pour une évaluation efficace, les premières prémolaires doivent être positionnées avec les dents antérieures des deux arcades, car c'est la première situation qui permet de juger de l'apparence de la future prothèse.

Une autre erreur consiste à laisser le patient se regarder de trop près avec un miroir à main trop petit. La prothèse étant le plus souvent vue par l'entourage lors de conversations, le patient doit s'observer dans cette situation. Il est placé face à un large miroir, à une distance d'environ un mètre et est encouragé à s'observer en parlant et en souriant et non pas uniquement à regarder ses dents antérieures. Pour lui permettre une meilleure évaluation, il peut alterner plusieurs fois le port des anciennes et des nouvelles prothèses en cours de réalisation. Cette phase thérapeutique ne doit jamais être effectuée dans la précipitation, car elle est fondamentale pour le succès final. Le patient doit avoir suffisamment de temps pour apprécier la différence entre les anciennes et nouvelles prothèses et réaliser à quel point les nouvelles paraissent beaucoup plus naturelles que les anciennes. Le praticien doit écouter attentivement les commentaires du patient et éventuellement effectuer les changements demandés non sans avoir expliqué ce qu'il cherchait à obtenir par le choix de telle ou telle option.

Ne faire aucune modification après l'essayage final

Pour obtenir l'illusion du naturel, les dents artificielles doivent être caractérisées ; le bord incisif doit être réduit pour simuler l'usure naturelle et des restaurations postérieures ajoutées. Plus encore, la forme et la taille des dents sont grandement influencées par le contour gingival. En conséquence, l'essayage final ne doit être fait qu'après réalisation de toutes ces corrections. À ce stade, le patient est encouragé à venir avec des parents proches ou des amis pour l'aider dans son évaluation.

Quelques points importants pour un bon résultat esthétique

Soutien de la lèvre

La première impression, si un patient est édenté ou si les arcades dentaires sont correctement positionnées, est donnée par le contour des lèvres et le fonctionnement correct des muscles faciaux parmi lesquels on distingue les orbiculaires des lèvres et les muscles environnants : buccinateur, grand zygomatique, carré des lèvres supérieur et inférieur, muscle canin, risorius et mentalis. La pire des choses pour l'esthétique est de placer les dents trop en arrière ou sous la crête. Cela entraîne un manque de soutien de la lèvre et un dysfonctionnement des muscles péri-oraux, donnant une apparence de sujet édenté (fig. 3a et 3b), caractérisée par une réduction du vermillon des lèvres, une diminution de l'avancée du philtrum, une augmentation du sillon naso-labial et/ou des rides et une perte salivaire au coin des lèvres. Si, de plus, les dents antérieures sont trop courtes, la lèvre supérieure qui présente normalement un profil concave devient convexe (fig. 4).

La position et l'expression des lèvres est le meilleur guide pour déterminer la situation antéro-postérieure des dents antérieuresqui doivent être le plus proche possible de la position qu'elles avaient lorsque le sujet était denté. En règle générale, la position de la surface vestibulaire des dents antérieures est de 10 mm vers l'avant par rapport au centre de la papille rétro-incisive ; les cuspidées sont à 13 mm latéralement par rapport à l'extrémité de la première villosité palatine.

Forme des dents

De nombreuses tentatives ont été faites pour énoncer des principes de sélection de la forme des dents antérieures. Par exemple : la forme des incisives centrales devrait refléter les contours du visage ; le sexe, la personnalité, l'âge du patient influenceraient le choix à effectuer pour donner l'illusion du naturel. Ainsi, la féminité ou une personnalité délicate devrait être caractérisées par des formes rondes, lisses, d'agencement fluide et des dents triangulaires. Le sexe masculin et une forte personnalité se caractériseraient par des dents carrées, vigoureuses, avec un alignement plus rectiligne des bords incisifs. Or, aucune de ces règles n'a été validée de façon probante. L'accent est trop souvent mis sur la sélection d'une forme de dent particulière pour un patient donné. Ce n'est pourtant pas la forme d'une dent prise individuellement qui compte, mais ce qu'il advient de cette dent dans la composition finale. La perception visuelle prend d'abord en compte la forme générale de l'arrangement avant d'individualiser chaque dent. On peut même ajouter que le plus important dans l'esthétique dentaire « globale » n'est pas donné par l'agencement des dents prothétiques, mais par le visage. Aussi, l'effet final résulte de l'interdépendance entre l'arrangement dentaire et son cadre, le visage. Un conseil pratique est de sélectionner plusieurs formes et tailles (voir plus bas) et d'apprendre à les modifier pour s'adapter aux caractéristiques somatiques et psychologiques de chaque patient.

Les dents triangulaires qui ne se chevauchent pas laissent apparaître de larges espaces interproximaux. Elles doivent donc être utilisées avec prudence pour des individus jeunes ou pour ceux qui ont une gencive très visible. Non pas parce qu'il est difficile de réaliser une gencive d'apparence naturelle pour remplir ces espaces interproximaux, mais parce que cela donne l'apparence d'une denture âgée, au parodonte compromis, ce qui influence l'ensemble de la composition (fig. 5 et 6).

Aussi, ces dents triangulaires doivent être choisies spécifiquement pour des sujets âgés lorsque la physionomie, la personnalité et son sens de la cosmétique rendent souhaitable de simuler une denture présentant des signes de vieillissement au niveau gingival. Dans ces cas, les zones gingivales interproximales doivent être colorées en teinte bordeaux sombre pour donner l'apparence d'espace interproximal ouvert. Il ne faut donc pas placer la papille au niveau des contacts proximaux (fig. 7). Pour des patients dont la gencive est très visible, il est préférable d'utiliser des dents plus carrées ou de meuler les points de contact des dents triangulaires pour réduire le volume de résine rose interproximal. Les dents triangulaires peuvent être utilisées chez des sujets jeunes pour simuler un recouvrement ou bien des encombrements antérieurs.

L'agencement des dents antérieures est grandement simplifié lorsque le patient peut apporter des photographies montrant ses dents, des modèles anciens ou même un fils ou une fille qui lui ressemble (fig. 8). L'aspect des dents antérieures de la prothèse portée ne peut être copié que si la forme des dents est esthétiquement correcte, par exemple, si le patient porte une prothèse transitoire immédiate.

Largeur de l'arcade dentaire

La taille des dents antérieures est plus importante que leur forme, car la sélection de dents antérieures trop petites conduit à une arcade trop étroite et à un important corridor buccal très inesthétique (fig. 9a et 9b). Une différence entre la largeur de la face et celle de l'arcade dentaire produit toujours une impression d'absence de naturel et de denture prothétique. Bien que l'industrie dentaire cherche à nous fournir des dents permettant un remplacement réaliste des dents perdues, les dents artificielles sont généralement plus claires et plus petites que la plupart des dents naturelles. La taille moyenne des incisives centrales, latérales et canines est respectivement d'environ 9 mm, 6,5 mm et 8 mm pour les hommes et 8,5 mm, 6,5 mm et 7,5 mm pour les femmes. Ces chiffres correspondent à quelques unes des plus grandes tailles de dents artificielles.

En général, un visage large et carré s'harmonise mieux avec une arcade large et carrée avec des dents antérieures sur un seul plan ; une arcade triangulaire s'harmonise mieux avec un visage triangulaire. De même, un visage large doit avoir une arcade plus large qu'un visage étroit (fig. 10). Bien sûr, cela n'est pas une règle absolue. En effet, chez les adultes jeunes, la corrélation entre la largeur de l'arcade au niveau molaire et la largeur interzy-gomatique est statistiquement significative avec une valeur « r » de 0,55, ce qui est loin d'être parfait [9].

Dents antérieures mandibulaires

Malheureusement, l'effort esthétique est souvent limité aux dents antérieures maxillaires alors que les dents mandibulaires sont aussi importantes pour le résultat final. Une erreur grossière consiste à placer les incisives inférieures trop basses et trop symétriques. La majorité des européens ont un encombrement incisif mandibulaire. De plus, le bord incisif des patients âgés est usé laissant la dentine exposée et colorée. Il est donc impératif de reproduire ces caractéristiques pour obtenir une apparence naturelle (fig. 11).

Le tiers incisif des dents antérieures mandibulaire est visible chez la plupart des patients. Ce phénomène augmente avec l'âge. Les sujets âgés pour la plupart montrent plus leurs dents antérieures mandibulaires que maxillaires. En général, les bords incisifs des canines mandibulaires et les pointes des cuspides des premières prémolaires sont à la même hauteur que la lèvre inférieure, niveau correspondant à la commissure lorsque la bouche est légèrement ouverte. Des incisives mandibulaires trop courtes sont la conséquence de l'adoption d'un plan de référence occlusal trop bas, d'une tendance à réduire le recouvrement antérieur pour équilibrer l'occlusion en propulsion et en latéralité ou bien d'une dimension verticale d'occlusion (DVO) sous-évaluée (fig. 12a et 12b). Pour un meilleur résultat esthétique, il est important de choisir la DVO la plus haute, mais assurant toutefois un espace libre lors de la position mandibulaire de repos et un espace interocclusal minimum lors de la parole. La majorité des patients édentés ont une diminution de la DVO, due à la résorption osseuse et a l'usure des dents qui n'est pas compensée par une augmentation de l'espace libre d'inocclusion (ELI), la dimension verticale correcte ne peut donc pas être déterminée uniquement par la position de repos et la phonétique. De plus, quand la DVO de la prothèse totale existante est visiblement réduite, on doit l'augmenter de plusieurs millimètres pendant la phase préprothétique pour obtenir une esthétique correcte [10, 11].

Harmonie dento-faciale

La tendance est souvent de réaliser des prothèses totales en Classe I d'occlusion molaire ainsi que dans le secteur antérieur et de réduire le recouvrement antérieur pour augmenter la stabilité des prothèses. Or, un nombre non négligeable d'individus sont en Cl II/1 ou en Cl II/2 sur le secteur antérieur, caractérisées par un recouvrement antérieur très important et une inclinaison labiale ou linguale très importante des dents antérieures. Enfin, une minorité de patients est en Cl III.

Pour une harmonie dento-faciale correcte, il est important de réaliser une prothèse respectant l'inclinaison des dents antérieures remplacées (fig. 13a, 13b et 14a, 14b). Ceci réclame une analyse fine des traits du visage. Il peut être très utile de demander au patient s'il se souvient de la position de ses dents antérieures : se recouvraient-elles de manière importante ou au contraire légèrement ou étaient-elles similaires à celles de sa prothèse actuelle ? Des photographies montrant ses dents naturelles ou même des modèles d'autres patients peuvent l'aider à répondre à cette question.

Après les extractions, la crête maxillaire se résorbe plus en vestibulaire qu'en palatin : le sommet de la crête migre distalement. En denture naturelle, la papille rétro-incisive est localisée juste derrière les incisives centrales. De ce fait, la position de la papille en relation avec la crête alvéolaire donne une idée de la résorption de l'os alvéolaire. Plus la résorption est importante, plus la papille est avancée. À cause de cette résorption, la crête migre vers l'arrière par rapport à la crête mandibulaire. Un patient qui était en Cl I antérieure se retrouve avec une crête maxillaire en arrière de la crête mandibulaire. Un individu qui était en Cl II antérieure prononcée présente une crête maxillaire plus antérieure. Par conséquent, la position de la papille indique sur un plan sagittal en relation avec la mandibule si le patient était Cl II. Les traits de la face et l'amplitude de la propulsion mandibulaire lors de l'élocution déterminent si le patient est en Cl II/1 ou en Cl II/2.

Lorsque l'esthétique correcte entraîne un recouvrement antérieur tel que l'occlusion est impossible à équilibrer, les dents antérieures mandibulaires doivent être placées pour permettre une liberté de mouvement de 1,5 à 2 mm. Une occlusion équilibrée lors des mouvements initiaux des dents mandibulaires peut ainsi être réalisée, ce qui laisse au patient la possibilité de trouver une occlusion dans une position légèrement antérieure sans déstabiliser la prothèse maxillaire.

Harmonie entre la couleur des dents, l'usure et l'âge

L'aspect esthétique peut être grandement amélioré en colorant les dents et en modifiant les bords incisifs. La même forme de dents antérieures et le même montage peuvent donner une apparence totalement différente. Les faces proximales et les bords incisifs s'usent avec l'âge : les dents deviennent plus courtes et apparaissent plus larges, les bords incisifs s'écaillent, les embrasures disparaissent et les zones de contact s'élargissent. De plus, les dents ont une couleur plus soutenue (plus grande saturation) et s'assombrissent (valeur plus faible), des modifications de la texture de surface rendent les faces vestibulaires plus lisses et l'émail se craquelle. Il est nécessaire que certains de ces effets du vieillissement soient reproduits sur les dents prothétiques pour que ces dernières présentent un aspect correspondant à l'âge du patient. Aussi, les dents du commerce doivent toujours être caractérisées et le bord incisif, abrasé pour simuler le vieillissement qui aurait affecté les dents du patient. Ainsi, les dents artificielles d'un sujet jeune présentent moins de colorations et également moins d'usure ou de bords incisifs écaillés que celles d'un patient âgé (fig. 15a, 15b, 15c, 15d, 15e et 15f). Néanmoins, en caractérisant les dents prothétiques, il est essentiel de prendre aussi en compte la couleur de la peau du visage, le sexe et surtout l'attente du patient en matière de cosmétique. Des patients plus sensibles à l'aspect cosmétique doivent bénéficier de dents prothétiques d'apparence moins « âgée ».

L'apparence et la taille des dents sont grandement influencées par la couleur : une même dent paraît plus grande lorsqu'elle est plus claire. La blancheur de la dent dépend de la quantité de lumière qui la frappe et se reflète dans l'œil de l'observateur. La texture de la dent est à cet égard aussi importante que la glaçage et l'inclinaison horizontale et verticale de la dent. De plus, l'aspect tridimensionnel donné par la dent dépend de la lumière réfléchie. La même dent paraît avec plus de corps, c'est-à-dire moins plate si elle est légèrement plus sombre dans la zone d'ombre, proximale et cervicale [12].

Comme la texture, le glaçage et la couleur autant en intensité qu'en valeur sont rarement appropriés, il est conseillé, pour les améliorer, de les caractériser.

Pour définir la forme d'usure des bords incisifs qui convient le mieux au patient et la quantité à enlever, la surface est colorée avec un stylo noir indélébile. Le noir se confond à l'obscurité de la cavité buccale, ce qui donne l'impression que la dent a déjà été meulée. Cette façon de procéder réduit le risque d'un meulage trop important. Les bords incisifs des incisives mandibulaires doivent aussi être meulés en regard. Ceci est mieux apprécié sur un articulateur pendant l'ajustage des mouvements de propulsion et de latéralité. Cette usure est donc appliquée sur les dents comme si elles avaient été usées naturellement par la fonction et la parafonction.

Des exemples de dents naturelles âgées ou de dents parfaitement individualisées sont décrits dans les ouvrages de Sieber [13] et d'Ubassy [14].

Coloration des surfaces polies

La forme de contour gingival et la forme des surfaces polies influencent la valeur esthétique des prothèses totales. Le contour gingival doit être aussi proche que possible du naturel. Cela implique de prendre en considération les changements dus à l'âge : la gencive marginale et les papilles, diminuant au cours de la vie, libèrent des espaces plus importants et rendent visible la surface des racines. Ces caractéristiques doivent être intégrées à la prothèse pour qu'elle s'harmonise avec l'âge du patient. Ainsi, les papilles et le contour gingival doivent remonter beaucoup plus vers la zone incisive et les espaces inter-proximaux doivent être plus étroits chez un sujet jeune que chez un sujet âgé. Il doit y avoir, dans le positionnement de la gencive marginale, une asymétrie dans la symétrie : la forme de la courbure gingivale, le plus haut point gingival et la position de ce plus haut point en relation avec le milieu de la dent doivent varier d'une dent à l'autre et d'un côté à l'autre. Ceci est aussi vrai pour la hauteur et la forme de la papille interdentaire.

La position de la racine est normalement visible, car dans cette zone, l'os alvéolaire est légèrement convexe. Il est important d'imiter ces caractéristiques de l'os alvéolaire, la concavité entre ces zones convexes devant être réduite et non étendue au niveau dans la zone papillaire. Une forme correcte de papille est sculptée en fonction de l'âge du patient : elle doit être convexe dans toutes les directions avec un sommet à la jonction entre la face vestibulaire et la face palatine ou linguale de la dent pour donner, dans l'espace interproximal, la profondeur indispensable à une réflexion optimale de la lumière.

La gencive naturelle n'a pas une couleur uniforme. Au contraire de la gencive attachée, la muqueuse alvéolaire laisse apparaître des vaisseaux. Les patients avec une gencive très visible requièrent une coloration des surfaces polies pour imiter les différences de couleur de la gencive naturelle. La résine acrylique peut être maquillée soit par voie externe, en surface, avec des colorants photo-polymérisables [15], soit dans la masse par incorporation de colorants. La deuxième solution donne les meilleurs résultats esthétiques, car la lumière n'est pas reflétée sur la surface : la couleur se situe dans la masse.

En bref, la technique de coloration dans la masse, développée par notre clinique [16] comprend les étapes suivantes :

- dans un premier temps, la prothèse est réalisée avec une couleur de résine la plus proche possible de celle de la gencive du patient. Après avoir réalisé une clé en silicone de la partie vestibulaire polie et de la zone des dents antérieures, la partie polie correspondant à la muqueuse alvéolaire est réduite d'environ 1 mm ;

- dans un deuxième temps, la surface est maquillée avec une peinture à l'eau non toxique (crayons Supracolor II soft de Caran d'Ache). Les vaisseaux sont figurés à l'aide de crayons bleus et rouges. Une couche de résine chémo-polymérisable est ensuite appliquée et la clé est repositionnée pour reproduire la surface polie ;

- après la prise, une fine couche de la surface polie correspondant à la gencive attachée est éliminée, en prenant garde de ne pas réaliser d'angles vifs ou trop réguliers par rapport à la zone de la gencive non attachée, préalablement réalisée. La résine rose est mélangée avec des pigments (blancs, jaunes, etc.) en fonction du patient pour obtenir la couleur désirée. Cette résine est alors déposée sur la surface abrasée et recouverte par la clé de silicone pour restituer le volume initial de la gencive attachée (fig. 16a, 16b, 17 et 18).

Sens esthétique du patient

Comme cela a été mentionné plusieurs fois, le but final est de donner au patient l'illusion d'une denture naturelle. Comme nous pouvons le constater (fig. 19a, 19b), le visage et les expressions d'un individu changent de manière positive ou négative en fonction des prothèses portées. Ceci pour la raison suivante : lorsque nous nous trouvons devant une personne, nos yeux se concentrent le plus souvent vers la partie du visage impliquée dans la communication : les yeux et la bouche.

La prothèse doit se fondre dans ce « tableau d'ensemble » et ce mot « ensemble » englobe la personne avec son charme, son caractère, sa dignité, sa beauté, sa personnalité et son sens esthétique. Ce dernier point implique qu'un agencement de dents prothétiques d'allure jeune convient mieux à des patients plus sensibles à l'esthétique. En effet, ces derniers sont plus soucieux de leur denture que ceux dont la préoccupation principale est d'ordre fonctionnel. Cela ne correspond évidemment pas toujours à la réalité clinique du traitement des sujets édentés. Cependant, cela concourt à donner l'illusion de dents naturelles.

Prothèse magnifique ou naturelle ?

Il est courant de dire que les patients aiment des prothèses complètes « magnifiques », qu'ils n'aiment pas les dents trop sombres ou trop colorées ou en position asymétriques. Évidemment, ces critères correspondent aux réponses des patients lorsque nous leur demandons à quoi doivent ressembler leurs nouvelles prothèses. Cependant, notre expérience clinique révèle que ces patients accepteraient également une prothèse d'apparence naturelle s'ils avaient la possibilité de comparer les effets qu'elle permet d'obtenir, s'ils pouvaient apprécier à quel point ils paraîtraient plus naturels et s'ils savaient que c'est ce but que le praticien désire atteindre (fig. 20).

Il n'est pas vraiment correct d'affirmer que les patients préfèrent des prothèses « magnifiques » plutôt que réalistes. Cet a priori résulte actuellement de l'attitude erronée de nombreux praticiens face à l'esthétique en prothèse totale. Les prothèses d'aspect naturel et réaliste sont souvent confondues par les patients avec des prothèses ayant des dents mal agencées, colorées et hideuses. À l'opposé, une prothèse d'apparence naturelle est celle qui présente une asymétrie dans la symétrie, une variation de la forme des dents, de leur position, de leur longueur, de leur couleur, de leur largeur ainsi qu'une position et une forme des arcades et une dimension verticale appropriées. Cela afin qu'elle se fonde au mieux dans le visage du patient. C'est également une prothèse dans laquelle le niveau de caractérisation dentaire, le degré de « vieillissement » introduit dans l'agencement dentaire et la présence de restaurations postérieures sont subtilement appréciés en fonction de la personnalité et des désirs du patient. Évidemment, le souci esthétique ne doit pas interférer avec la fonction masticatoire de la prothèse totale.

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